L'Île Ste. Hélène. Passé, présent et avenir/Avenir

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L’AVENIR.



Qu’adviendra-t-il de cette île Ste. Hélène qui, posée sur les eaux du fleuve comme une corbeille de verdure et de fleurs, invite aux jours caniculaires toute la population de Montréal à aller respirer la fraîcheur de ses ombrages, à goûter le tranquille repos de ses bosquets, ou à s’étendre, paresseuse, sur le velours de ses pelouses ?

Sa destinée future dépend de nos édiles, du souci qu’ils prendront de la santé et des distractions publiques.

Outre ses nombreux squares, le quartier Centre de Montréal a son Jardin Viger ; l’Ouest aura bientôt le Parc Mont Royal ; n’est-il point juste, puisque la Nature a traité le quartier Est en bonne fée par le don qu’elle lui fit de l’île Ste. Hélène, que le filleul profite des largesses de sa marraine ?

En tout temps et en tous pays, les jardins et les parcs ont servi à embellir la demeure des particuliers, l’enceinte des villes ou leurs environs ; ce fut la première conquête de la terre par le travail et le génie de l’homme.

Si, dans l’antiquité, les jardins du sage Aleinous, du pieux Laerte, du philosophe et guerrier Xénophon, furent de simples vergers, la Grèce eut plus tard ses bois sacrés ; la Syrie, de superbe jardins à Antioche, puis ceux de Sémiramis à Babylone ; l’Égypte, les siens ornés de pylônes, d’obélisques et de colonnades de palais ; la Perse, ses délicieux Paradis. Les Arabes créèrent en leur genre de véritables merveilles, en Sicile, à Palerme ; en Espagne, l’Alhambra ; les Aztèques et les Toltèques, les Jardins flottants de Mexico ; les modernes, Boboli, à Florence ; les Jardins du Belvédère et du Quirinal, à Rome ; le Luxembourg à Paris, etc., etc.

Située entre deux bras du fleuve St. Laurent, dont le double courant entretient sur ses bords une perpétuelle fraicheur, l’île Ste. Hélène, bien que d’une superficie peu considérable, offre, grâce à son site exceptionnel, aux arbres magnifiques de l’intérieur, aux découpures de ses côtes et aux courbes de ses sentiers, tout ce que l’art d’un Le Nôtre ou d’un Kent réussissaient à créer à force de combinaisons savantes et d’argent.

L’eau et le feuillage, ces deux grands coloristes des parcs et des jardins, sont là, tout prêts, n’attendant pour nous charmer que les ordres d’un homme de goût.

Quant aux perspectives, les ondulations du sol de l’île se prêtent on ne peut mieux à des effets pittoresques et peu coûteux.

Quelques éclaircies habilement ménagées, des semis de sapins sur ses collines, un rideau de trembles ou de bouleaux aux robes argentées sur les bords de la grève ; une saulaie aux rameaux penchants sur l’eau moirée des lacs ; de ci de là, un vétéran de la forêt dominant un tertre solitaire, et répandant autour de son tronc vigoureux l’ombre de sa puissante ramure : tout cela sont des créations faciles qui ajouteraient à ce parc naturel autant de traits charmants et nouveaux.

Ce serait folie que de songer à métamorphoser notre île Ste. Hélène en parc artificiel ou en jardin paysager, et de vouloir réunir en un aussi petit espace, les bois, les eaux, les rochers et les bâtiments qui entrent d’ordinaire dans les plans des Jardins modernes.

Comme jardins classiques, nous pouvons citer, en France, les Parcs de Versailles, du grand Trianon, de Marly, de Chantilly, de Sceaux, etc. ; en Italie, la Villa Panfili, à Rome ; le Parc de Turin ; en Angleterre, ceux de Greenwich, de St. James ; en Espagne, l’Acazar à Séville ; le Prado et le Buen Retiro, à Madrid ; les passeiôs à Lisbonne ; l’Alaméda, à Gibraltar ; mais le plan de ces jardins classiques ou mauresques ne saurait en rien convenir à notre île. Un jardinier chinois pourrait seul transformer notre rocher fleuri en une de ces merveilles comme il s’en voit tant dans l’Empire du Milieu ; et encore notre île, pensons-nous, n’y gagnerait qu’en originalité bizarre et ce serait tout.

Si l’Angleterre s’enorgueillit à juste titre des jardins publics de Finsburg, Victoria, Battersea, Kensington, Green Park et Hyde Park ; Berlin a son Thiergarten et Sans-Souci ; Vienne son Prater et Schœnbrunn ; Dresde, son Grosse-Garten ; Cassel, Wilhemshohe ; St. Pétersbourg, Tzarsko-Sélo ; Paris, les Bois de Boulogne et de Vincennes ; Montréal aura bientôt son Parc Mont-Royal aux splendides horizons, aux merveilleux points de vue, et cette île Ste. Hélène aux frais gazons, aux brises constantes, qui se mire comme une coquette dans les eaux de son grand fleuve.

Nous n’avons point donné la nomenclature ci-dessus pour établir une comparaison entre un de ces parcs et notre île modeste, nous avons voulu montrer seulement combien les grandes villes, en entretenant à leurs frais d’aussi beaux jardins, font œuvre de moralité, de science et de civilisation.

Quelques travaux peu dispendieux, un soupçon d’imagination et de goût, suffiraient pour donner à l’île une physionomie plus variée ; mais l’on devrait avoir soin de conserver religieusement les traits rustiques de ce charmant séjour.

D’abord, il s’agirait d’agrandir le domaine de l’île Ste. Hélène en y rattachant, comme des fiefs à leur apanage, l’île Ronde, et le petit archipel de St. Lambert, ainsi que les îles aux Fraises et Moffat.

Un pont suspendu jeté entre les îles Ronde et Ste. Hélène serait une construction des plus élégantes, et ajouterait une dépendance de plus sur laquelle on pourrait élever soit une tour, soit une terrasse couverte, garnie d’arbustes, de plantes grimpantes ; construction que l’on enlèverait à la fin de chaque automne, et dont les matériaux se remiseraient dans les magasins de l’île.

Qui empêcherait d’avoir là — le lieu convient à merveille — un ballon captif, dans la nacelle duquel les amateurs pourraient, moyennant un prix modique, se donner les émotions d’une ascension aérostatique !

Quelques ponts de bois jettés sur les îlots St. Lambert feraient de l’archipel une sorte de terre ferme où de petites chaloupes à vapeur viendraient déposer les explorateurs.

Un pavillon-buvette sur chacune des îles aux Fraises et Moffat, animerait le paysage ; quelques jeux : cible, tir aux pigeons ou tout autre, pourraient aussi s’y établir.

Ceci fait, un chemin carrossable autour de l’île où cavaliers et voitures circuleraient sans encombre, ne serait point fort coûteux et ajouterait un grand agrément à la promenade.

Sur les hauteurs qui, du côté de la baie d’Hochelaga, dominent le fleuve et son magnifique horizon, ne serait-il pas possible d’établir une longue et large terrasse, laquelle partant de l’allée de Lévis, se prolongerait en contournant la pointe de l’île jusqu’à l’ancien escalier municipal ?

Par un ouvrage semblable, l’on obtiendrait une magnifique promenade, unique au monde, et la vue d’un superbe panorama.

Des chemins tournants, pour faciliter l’ascension des monts Montcalm, Boulé et St. Sulpice, sur les flancs desquels on ménagerait une cascatelle, une chute écumeuse, relèveraient de beaucoup le charme de ces lieux.

Agrandir les lacs Arthur et Frontenac, amener de l’eau dans les deux rivières, et leur creuser un lit sinueux sur lequel on jetterait un ou deux ponts rustiques, donneraient un aspect pittoresque au paysage.

Avec le courant du fleuve, une simple roue hydraulique plongeant dans le St. Laurent suffirait, à peu de frais, à l’approvisionnement d’eau de toute l’île.

Une fontaine monumentale au rond point Dufferin, ne gâterait rien, et un jet d’eau dans la vallée St. Jean-Baptiste, où seraient cultivés quelques parterres, ne déparerait point ce site.

Un monument élevé à la mémoire du chevalier de Lévis ne serait, certes, pas plus déplacé sur l’île, que ne l’est dans le superbe jardin de Stowe, en Angleterre, l’obélisque de trente mètres de haut que surmonte la statue du général Wolfe, le rival heureux de Montcalm.

Et, plus tard, quel endroit plus convenable, quels bâtiments mieux aménagés, que les casernes de l’île pour avoir là une ménagerie, une sorte de jardin zoologique.

Le sort de l’île Ste. Hélène, ou plutôt le changement des principaux traits de sa physionomie, dépend beaucoup des travaux que nécessitera l’agrandissement du port de Montréal.

Comme on le sait, cette dernière ville aspire à devenir une métropole commerciale, à rivaliser avec New-York, et même à dépasser l’importance de celle-ci en fait de commerce de transit.

Sa situation exceptionnelle sur le St. Laurent, qui la rapproche à la fois par ses canaux et ses lacs des régions agricoles de l’Ouest, de l’Europe par l’Atlantique ; cette position géographique avantageuse, légitime les désirs et les efforts de Montréal.

De cet objectif à atteindre sont nés deux projets, dont l’exécution simultanée ou successive modifierait notre parc.

Le premier, par ordre d’importance pour notre île, est celui de M. T. A. Vernon, ingénieur, qui, consulté par la commission du havre sur le meilleur moyen à prendre pour donner à Montréal un port digne de son avenir, a proposé de changer le lit du fleuve et de le faire passer entre l’île Ste. Hélène et la rive de St. Lambert.

Par cette interversion, le côté nord du fleuve deviendrait un vaste bassin, renfermé entre deux jetées, l’une allant de l’extrémité de la Pointe St. Charles, à la pointe sud de l’île Ste. Hélène, l’autre partant de la pointe nord de l’île pour atteindre le quai d’Hochelaga. Cette baie artificielle aurait une superficie de 5,000 acres, et une profondeur moyenne de 30 à 40 pieds. Les jetées servant de voie de transport, auraient 200 pieds de largeur, et porteraient une double voie ferrée. Un pont réunissant l’île à la rive sud, complèterait ce gigantesque plan.

Si jamais ce projet grandiose se réalise, l’île Ste. Hélène, enfermée entre ses longs quais de pierre, deviendra un simple squarre où quelque société de tempérance élèvera la fontaine de rigueur, munie des gobelets en étain qu’une chaîne métallique retient attachés à la vasque.

Le second projet consisterait dans l’établissement d’un pont réunissant les deux rives du fleuve, lequel pont se servirait de la surface de l’île comme d’un pilier colossal.

Destiné à relier les chemins de la rive nord à la rive sud, ce pont dont le projet a été soumis à un comité du Parlement, à la dernière session, aurait 7,300 pieds pour la partie construite au-dessus du fleuve seulement.

Cette entreprise connue sous le nom du pont Victoria-Albert, ne gâterait point trop l’aspect de l’île, car il ne ferait que la traverser dans sa largeur, et le passage des trains, l’arrivée des piétons, des cavaliers et des voitures, venant de chaque côté du fleuve, serait un spectacle qui ajouterait à l’île un attrait nouveau.

Un troisième projet, mais qui ne toucherait qu’aux abords et non à l’île Ste. Hélène, c’est celui de M. Slippel, ingénieur. Ce dernier propose la canalisation du fleuve depuis l’embouchure du canal Lachine actuel jusqu’à Hochelaga, point où deux vastes écluses permettraient aux navires de franchir le courant sans encombre et de rentrer dans le port actuel transformé en vaste bassin. Ce même canal se prolongerait au-dessous du pied du courant dans l’intérieur des terres dans la direction de la rue de Sherbrooke.

Avec ce projet, notre île Ste. Hélène resterait telle qu’elle est ; rien ne viendrait mutiler ses massifs ou troubler sa douce tranquillité. Il n’y aurait qu’un panorama vivant et animé sur la face nord, et personne ne s’en plaindrait.

Nous nous sommes bornés ici à indiquer les améliorations dont ce parc est susceptible, sans vouloir, en aucune façon, faire prendre nos suggestions fantaisistes pour des conseils, trop heureux si des changements, dans le sens indiqué, nous obligent bientôt à transporter au chapitre le Présent, ce qui se trouve aujourd’hui mentionné au chapitre l’Avenir.