L'Île Ste. Hélène. Passé, présent et avenir/Présent

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LE PRÉSENT.


Nos connaissances historiques concernant l’île Ste. Hélène remontent à quelques années, et tiennent à une rencontre singulière que nous fîmes sur ses rives.

C’était en plein mois de janvier, un dimanche, et par une de ces magnifiques journées d’hiver où, dans le ciel d’un bleu tendre, brille un clair soleil. L’air froid, sec et vif cinglait les visages comme une volée de menu grésil, et les colorait de ces tons frais et roses qui donnent aux promeneurs en cette saison, un air de santé robuste, et particulièrement au teint des femmes une blancheur et un éclat si appétissants, qu’on serait tenté de mordre à leurs joues comme à la chair ferme et luisante d’une pomme.

Sur les chemins balisés qui, de Montréal rayonnent vers les villages de la rive droite du Saint-Laurent, les sleighs aux robes traînantes glissaient rapides et légers au milieu d’une foule de piétons et de nombreux patineurs, enveloppés de fourrures ou d’épais pardessus de drap ; la neige couvrant les campagnes avait les scintillement d’une poussière de cristal, et les énormes glaçons du fleuve, soudés ensemble, laissaient éclater à leur surface les reflets bleuâtres de leur profondeur, comme s’ils avaient emprisonné un pan d’azur dans leurs arêtes prismatiques, ou laissé filtrer à travers leur transparence la lumière d’un ciel submergé.

Signe incontestable d’une température sibérienne, deux jets intermittents de vapeur floconneuse s’échappaient des voies respiratoires des hommes et des chevaux, dont les mouvements et la marche semblent, par ces froids aigus, obéir aux effets d’un engin placé dans l’intérieur.

Profitant de la beauté de cette après-midi et de la solidité du pont de glace, lequel, durant trois mois d’ordinaire, relie l’une à l’autre les deux rives du fleuve, votre serviteur, accompagné de deux amis, arriva après une course à l’allure du jour, c’est-à-dire au pas accéléré, à l’extrémité méridionale de l’isle Ste. Hélène.

À cette époque, l’autorité militaire gardait avec un soin jaloux les abords de ce domaine mystérieux, et l’hiver était le seul moment propice pour qui voulait fouler ce sol, gardé non par des hydres mais par de simples fusilliers anglais, qui montaient leur faction à l’autre bout de l’île.

Nul sentier, nulle habitation, pas d’abri ; des monceaux de neige où l’on enfonce jusqu’à mi-jambe, telle est, en hiver, la physionomie de ces lieux ; et n’étaient les rayonnements du givre se renvoyant de branche en branche les étincelles dérobées au soleil, le croassement d’un corbeau perché à la plus haute cime d’un arbre, on se croirait sur un écueil.

Nous nous disposions au retour, lorsque sur le bord de l’île, un étranger, qui depuis un instant paraissait écouter notre conversation, nous salua poliment et s’avança en souriant vers notre groupe.

— Ah ! messieurs, vous êtes Français ?

— Français de France, comme on dit ici.

— Moi, pareillement. Arrivé d’hier.

Nous examinâmes alors notre interlocuteur. C’était un vieillard à cheveux gris, au dos légèrement voûté, mais d’apparence robuste, à la voix ferme, à l’œil vif, et paraissant encore très-vert.

Ah ! messieurs, on me l’avait bien dit, reprit-il, qu’on l’avait emmené bien loin, bien loin, dans un pays chaud, si chaud que les œufs cuisent au soleil ; mais je n’ai jamais gobé ça. Comment un homme qui avait vécu toute sa vie dans le feu, pouvait-il craindre la chaleur ? Mais, ici, par ce froid-là ! Je comprends tout. Ah ! les brigands ! Je ne m’étonne plus qu’il soit mort !

Puis devenant plus calme et d’une voix radoucie : seriez-vous assez bon, ajouta-t-il, de me dire de quel côté se trouve le monument ?

— Nous nous regardions stupéfaits. Quel monument mon brave ?

— Celui du vieux, parbleu !

Et comme nous hésitions à répondre…

— Ne sommes nous pas à l’île Ste. Hélène ?

— Parfaitement.

— Et bien ! Je vous demande à quel endroit se trouve le tombeau de l’empereur ?

La foudre tombant à nos pieds ne nous aurait pas frappé d’un étonnement égal à celui que nous éprouvâmes.

Nous essayâmes en vain de lui expliquer que l’île dont il parlait était située dans l’océan, sur la côte d’Afrique, ce fut peine perdue. Le vieillard soupçonneux nous quitta brusquement ; et, tandis qu’il choisissait les traces de nos pas afin de marcher plus à l’aise, nous l’entendîmes grommeler entre ses dents : ce sont des Anglais qui parlent français !

La méprise de cet émigré, sans doute fils de quelque grognard de l’empire, fut la cause qui nous fit rechercher les origines de cet homonyme d’une île bien autrement célèbre.

Jusqu’à ces derniers jours quelques embarcations de plaisance, canots, yachts, montés par un équipage de fantaisie, avaient seuls abordé sur les plages verdoyantes de l’île Ste. Hélène. On y portait des provisions, on mettait la nappe sur l’herbe, à l’ombre d’un érable ou d’un orme, et l’on dévorait à belles dents, arrosés de bière mousseuse ou d’un bordeaux généreux, le jambon et le poulet froid, ce menu de rigueur de tout repas champêtre.

Aujourd’hui les excursions sont devenues faciles ; deux steamboats confortables le Montarville et le Ste. Hélène, l’un tout flambant neuf, l’autre nouvellement réparé, transportent les voyageurs à l’île, où l’on prend terre par un quai solide et commode.

C’est la Compagnie de Navigation de Longueuil, fondée il y a une dizaine d’années, et dont M. Hurteau est aujourd’hui, le Directeur-Gérant, qui obtint, l’an dernier pour une période de cinq ans le privilège du transport des touristes à l’île.

Par ce contrat, et à moins de cas de force majeure, la Compagnie doit commencer son service, le 20 Mai de chaque année, et ne prélever que la somme de 10 cents par passager pour chaque voyage (aller et retour.)

Chacun des vapeurs, capitaine et pilote compris, compte huit hommes d’équipage. La traversée de l’île s’effectue en 7 minutes pour l’aller et 5 minutes pour le retour.

Les commandants de ces vapeurs sont MM. Charles Bourdon pour le Montarville, et Félix Salais pour le Ste. Hélène.

Bien que l’événement n’ait pas reçu la consécration officielle, l’on peut dire, qu’en fait, l’inauguration de l’île Sainte-Hélène, comme parc public, s’est effectuée le 24 juin 1874, anniversaire de la St. Jean-Baptiste et fête nationale des Canadiens-Français.

Il faut avoir parcouru les quais dans l’après-midi du lendemain de ce jour mémorable pour avoir une idée de la foule qui fut transportée à l’île.

Le comité d’organisation avait si bien pris ses mesures ; les commissaires, se multipliant, car on les voyait partout à la fois, ont déployé une activité telle qu’on a fait face à tout. Malgré les trente mille étrangers ajoutés en un seul jour aux deux tiers de la population de la ville en liesse, pas le moindre accident n’est arrivé, pas un mouchoir de poche n’a été soustrait, pas un ivrogne n’a été vu titubant : ni rixe ni dispute. Pour une population aussi mêlée, aussi cosmopolite, ce n’est plus de la vertu, c’est de l’héroïsme. Gloire en soit rendue à Saint-Jean-Baptiste !

Nul doute que si les saints en paradis pouvaient bénéficier de la conduite de leurs clients, le patron des Canadiens-Prançais n’eût obtenu de l’avancement.

Trois steamboats pavoisés de drapeaux et d’oriflammes, n’arrêtant que le temps nécessaire à l’embarquement et au débarquement de leur cargaison humaine, ont passé la journée à convoyer les visiteurs à l’île. Neuf heures du soir sonnaient lorsque le dernier steamboat, léchant sa vapeur et éteignant ses feux, s’amarrait définitivement au quai Bonsecours, à la grande joie de l’équipage exténué.

Sur les quais, des milliers de personnes attendaient fiévreusement leur tour d’embarquement. Aussitôt le steamboat accosté, on se précipitait, on se ruait de tous côtés ; quelques-uns accomplissaient de véritables tours d’acrobates, escaladant les murailles de bois que les commissaires avaient élevées pour protéger l’opération, naviguant par-dessus les têtes, s’accrochant ici, se suspendant là ; tandis que le commissaire, la boutonnière ornée de sa rosette, aidé du capitaine, des hommes de l’équipage, tous, campés comme des athlètes, s’efforçaient à coups de poumons, d’épaules et de bras, à contenir cette marée montante et à régulariser le flot. En quelques secondes le steamboat envahi ressemblait à une fourmilière. À quelque distance de la rive, on n’apercevait plus du vapeur que les tuyaux des cheminées ; les bastingages, les ponts, le pavillon du pilote même, disparaissaient ; on aurait dit une épave flottante couverte de naufragés en vue d’une terre libératrice.

Sur l’île, à l’arrivée et au départ, les mêmes scènes se renouvelaient.

Nous avons vu là dans la foule une famille de cinq personnes enlacées autour de leur chef, comme les serpents autour de Laocoon, séparées tout d’un coup par un remous, et se héler les uns les autres à plus de cent mètres de distance.

Pour se rendre au lieu du concert, on était obligé, tant la presse était grande, de marcher à un pas de procession, à la queue leu leu.

Vers le milieu de l’île, au fond d’une sorte de vallon entouré d’arbres, s’élevait, au milieu d’un vaste cercle, l’estrade occupée par les 600 exécutants des vingt-trois corps de musique, et les sept cents choristes.

M. J. B. Labelle, organiste de Notre-Dame, armé d’un bâton d’ébène aux bouts garnis d’argent, dirigeait ces volontaires de l’art. Disposés en amphithéâtre, des rangées de bancs offraient aux personnes qui ne voulaient perdre ni un mot des paroles, ni une note d’un air, des sièges assez commodes, et cela pour un demi-dollar.

Entourant l’orchestre, la foule bigarrée : les hommes en habits de fêtes, les femmes en fraîches toilettes d’été, les bambins et les bambines avec leurs cheveux flottants ; tout ce monde bruyant, joyeux, aux visages épanouis, circulant dans les allées ou s’ébattant sur l’herbe, arrêta tout à coup ses cris, ses jeux, sa marche. Le bâton du chef d’orchestre venait de frapper sur le bois du pupitre les trois petits coups secs qui servent d’avertissement préparatoire.

Le concert allait commencer.

De ce jour et de ce moment, 25 juin 1874, date, en tant que parc public, l’inauguration solennelle de l’île Ste. Hélène. Six cents choristes, vingt-et-un corps de musique et une foule de plus de six mille personnes, consacrèrent, non point la prise de possession, mais l’entrée en jouissance du nouveau parc par la ville de Montréal.

Les membres du comité chargés d’organiser ce concert étaient MM. L. O. Taillon, Président ; G. A. Drolet, Sec.-Très. ; J. B. Labelle, Dr. Lachapelle, H. Bourgoin, Ad. Ouimet. Sur le programme contenant les morceaux de musique exécutés en ce jour mémorable, figurent de vieilles chansons nationales que les vieillards de l’ancienne France se rappellent seuls encore : Vive la Canadienne, À la Claire Fontaine, Par derrière chez mon Père, En Roulant ma Boule, À St. Malo.

L’année précédente, le jour de la fête de St. Jean-Baptiste, 24 Juin 1873, une autorisation spéciale du ministre de la Milice, avait permis à l’Union Typographique Jacques-Cartier, de célébrer son pic-nic annuel sur l’île. Le Montarville, ayant à son bord les membres du comité de l’Union, S. H. le Maire Barnard, le Président de la Société St. Jean-Baptiste, l’Hon. Juge Coursol, les membres de la Corporation, près de deux mille invités parmi lesquels MM. R. Roy, avocat ; L. N. Duvernay, le Dr. Mount, G. A. Drolet, Stevenson, Lovell, L. W. Tessier, passèrent la journée sous les ombrages de l’île.

L’administration militaire de la Puissance ne s’est point en effet, désaisie de ses titres de propriété ; elle a simplement concédé à la ville un usufruit temporaire révocable à son bon plaisir, et cela sous les conditions suivantes :

La Corporation devra tenir sous bonne garde les poudrières et autres constructions militaires ; empêcher la destruction des arbres et des clôtures, prohiber la vente des boissons alcooliques, et défendre d’allumer des feux ; ne point permettre l’admission du public sur l’île avant huit heures du matin, ni y souffrir de visiteurs une fois le soleil couché. Toute construction, bâtisses, murs ou autres ouvrages ne pourront être érigés sur l’île sans l’autorisation du département de la Milice, lequel, en cas de guerre, se réserve le droit de prendre l’île sans être tenu à aucune indemnité pour les travaux exécutés par la ville. Il demeure entendu que l’usage de l’île n’a été donné qu’à la condition expresse d’entourer d’une clôture les constructions militaires y existant actuellement et d’en interdire l’entrée au public. C’est aussi à la Corporation qu’incombe la charge d’entretenir une police spéciale pour veiller à l’exécution de tous ces règlements.

Ces conditions, soumises au Conseil dans le rapport annuel de Son Honneur le Maire Barnard, furent adoptées dans la séance du 9 février 1874.

Tous les bâtiments appartenant à l’administration militaire et qui s’élèvent dans maints endroits de l’île, figurent sur la carte jointe à cette brochure ; et le lecteur, soit qu’il veuille connaître leur nom ou leur position, n’aura qu’à référer aux lettres ou aux numéros du sommaire explicatif.

Quant aux mortiers, canons, obusiers, appareil belliqueux qui contraste si étrangement avec les aspects champêtre du parc, les uns servent aux saluts officiels, aux exercices du tir ; les autres, démontés, attendent dans un repos pacifique un emploi digne de leur calibre.

Parmi les premières pièces, ainsi qu’une attentive inspection a pu nous en faire juger, se trouvent 11 canons de 24 sur affûts de fer ; 2 canons de 32 sur affûts de bois.

Les secondes, en réserve, comprennent :

29 canons de 32 ………Caronades.
1 can"ons" 24 ……… Caro"
2 can"ons" 12 ……… Caro"
10 can"ons" 24 ……… Guns.
1 can"ons" 8 ……… Gu"
2 can"ons" ……… Mortiers.
3 can"ons" 10 ……… Mort"


Puisque nous nous occupons du dénombrement des propriétés de l’administration militaire, mentionnons la disparition d’un bâtiment de trois étages construit en briques et pierre, et dévoré la veille de Noël, l’année 1875, par un incendie dont on apercevait les lueurs de chaque côté du fleuve. Connu sous le nom de mess, cet édifice, primitivement quartier des officiers, avait été transformé en caserne. C’est là que logeait les volontaires de la Batterie « B », alors stationnés à l’île, sous le commandement du capitaine Devine.

Une autre dépendance de la même administration, c’est le petit cimetière situé au milieu de l’Allée des Ormes, un peu en arrière du Rond-point Dufferin. Dans ce petit enclos d’environ huit cents pieds de superficie, qu’un orme et quelques accacias protègent du soleil, dorment huit à dix Sous-officiers et une vingtaine de soldats anglais morts dans l’hôpital militaire de l’île. Quelques enfants et trois ou quatre femmes de militaires laissent aussi lire leurs noms sur la pierre qui les couvre.

Moins un ou deux, tous les noms inscrits sur les tombes sont irlandais, et chacun des régiments qui ont campé sur l’île a laissé là quelqu’un des siens, comme une marque de son passage.

Le feuillage vert sombre de quelques noyers, les hautes fougères qui croissent entre les tombes toutes noircies et fendillées par le temps, le souvenir de ces jeunes soldats tombés obscurément loin de leur pays, éveillent dans l’âme des promeneurs des pensées graves, une sorte de mélancolie non sans charme et qui, par son contraste même avec les enchantements de l’île en cette saison, vous fait mieux goûter le plaisir de vivre.

Après Dieu qui a dispensé sans compter les eaux, les bois, la fraîcheur, la verdure, les oiseaux et les fleurs à l’île Ste. Hélène, le gouvernement fédéral qui nous en a permis la jouissance, vient, en troisième lieu, la Corporation de Montréal qui, par l’intermédiaire du comité des parcs, ayant clos d’une barrière en bois la zone militaire, a construit dans quatre endroits différents les espèces d’abris, dont les toits peints en rouge tranchent sur le vert des arbres comme des coquelicos dans les blés ; des pompes à mains, filtrant à travers le sol sablonneux de l’île le breuvage cher aux membres des sociétés de tempérance ; de petits pavillons, des plus nécessaires, tout cela pour la simple bagatelle de $2,690.90, ainsi dépensées :

Police spéciale
$547.45.
T. Vincent
43.00 louage de chaloupes.
J. B. Galipeau
535.93 érection d’abris.
Girard & Barbeau
42.00 peinturage.
Charles Garth & Cie
7.75 pompes.
G. H. Létourneau
8.95 dépenses contingentes.
A. Grenier
1.75 levier de pompe.
E. Chanteloup
5.00 insignes pour la police.
Wm. Kesteloot
15.00 travaux sur l’île.


Les recettes formées des revenus des diverses licences accordées ont rapporté à la caisse municipale la somme de $402.50

Enfin, M. Sissons, le confiseur-pâtissier, bien connu de la rue St. Pierre, à qui la ville a concédé au taux de $1800 par année le privilège de fournir les rafraîchissements, d’établir des jeux, des bains, etc., d’exploiter l’île dans l’intérêt des plaisirs publics, et cela pour une période de cinq ans, a créé pour la saison un établissement auquel il se propose d’ajouter au fur et à mesure des besoins, d’importantes annexes.

Aujourd’hui déjà, une élégante construction de style gothique, élevée à la partie sud-est de l’île, offre dans son vaste rez-de-chaussée deux grandes salles garnies de tables et de bancs, où des garçons en livrés font un service qui ne laisse rien à désirer.

En face de ce pavillon de petites tables disposées sur la pelouse invitent ceux qui aiment le grand air et la libre nature, à prendre leur lunch ou à déguster un sorbet.

En un autre endroit, les amateurs de courses nautiques peuvent choisir au milieu d’une flottille de canots de tout tonnage, et pour un prix modique, l’embarcation qu’ils souhaitent.

À ceux pour qui la pleine eau a plus d’attraits que la cuve d’une baignoire, un établissement de bains, au nord de l’île offrira bientôt les facilités d’un exercice salutaire au milieu des flots immaculés de cette partie du bras du fleuve.

Quant à ce qui concerne les rafraîchissements de toute sorte, à l’exception des boissons alcooliques rigoureusement défendues, M. Sinons a eu l’excellente idée de construire une glacière assez vaste pour tenir au frais les consommations nécessaires aux besoins de plusieurs milliers de personnes.

Dans le courant de l’été un corps de musique viendra de temps à autre jouer sur l’île, et cette heureuse innovation ne contribuera pas peu à y attirer les promeneurs.

Dorénavant, et grâce aux améliorations actuelles, aux embellissements que l’avenir réserve à l’île Ste. Hélène, les plaisirs de la campagne ne seront plus le privilège des heureux du jour : dès aujourd’hui, les voilà à la portée des bourses les plus modestes.

Moyennant quelques centins l’on se rend à l’île. Là, chacun, suivant son caprice, lit ou rêve, marche ou sommeille ; l’un déjeune, l’autre se baigne ; celui-ci rame, cet autre gambade ; on a pour soi le splendide décor des deux rives du St. Laurent, des dômes de verdure pour ciel-de-lit, d’épais gazons en guise de tapis ; de plus, les chants d’oiseaux, les brises du fleuve et les rustiques senteurs des plantes et des bois ; la solitude ou la foule, le silence ou le bruit, à volonté ; enfin tout ce que les favoris de la fortune vont chercher au loin et à grand prix, et dont le plus souvent les tracas et les soucis les empêchent de jouir.

Avec l’île Ste. Hélène la campagne est à tous, à la ville et aux faubourgs. Les pauvres, pour la belle saison, deviennent égaux aux riches, et chacun de nous, sain d’esprit et de corps, peut, moyennant ses dix centins, se procurer pour une journée les jouissances d’un millionnaire.