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L'Art nouvellement inventé pour enseigner à lire

La bibliothèque libre.

L’ART
NOUVELLEMENT INVENTÉ
POUR ENSEIGNER A LIRE ;
ACCOMPAGNÉ
DE RÉFLÈXIONS CONSÉQUENTES

& critiques sur les Mèthodes qui ont paru
& qui peuvent paroître dans ce genre ;
L’ART
D’APPRENDRE L’ORTOGRAPHE

Françôise, & de donner la clef du Latin
& des autres Langues ;
EXTRAIT
DES OUVRAGES DE DEUX SAVANS,

pour substituer ces deux Arts aux Mèthodes
vulgaires.

Filii tibi sunt ? erudi illos, & curva illos à pueritia illorum.
Eccli. 7. 25.

A PONT-A-MOUSSON,
Chez Martin Thiery Imprimeur du Roy,
à la Bible d’Or.

Avec Permission.

L’ART
D’ENSEIGNER A LIRE.


IL y a deux choses que nous apprenons de routine & sans art, parler & lire : on ne donne point de Maîtres aux Enfans pour les enseigner à parler, ils apprennent d’eux mêmes la langue vulgaire ; mais lorsqu’ils ont atteint l’âge, on peut les perfectionner, parce qu’il est un art pour cette partie.

Il n’en est pas ainsi de la lecture ; les Enfans ne peuvent apprendre d’eux mêmes à lire ; on leur donne des Maîtres, & comme on ne connoit pas encore l’art d’enseigner à lire, les Maîtres suivent la mèthode vulgaire qui est irréguliere & fausse ; on trompe les deux plus nobles de nos sens, la vue & l’ouïe, surtout en nous apprenant à lire en françòis qui est une langue enigmatique, où l’on prononce ce qui n’est pas ècrit, & où l’on ècrit ce qui ne se prononce point.

Les plus vastes génies n’ont pas dédaigné de s’occuper de cette premiere instruction des Enfans ; le chapitre VI. de la premiere partie de la Grammaire raisonnée qui est qualifiée de Chef-d’oeuvre de l’esprit humain, roule totalement sur cet objet. L’Auteur de ce chef-d’oeuvre ne se borne pas à montrer comment les Langues sont le tableau de la penséé, il fait encore voir que l’écriture est celui de la paroles & ; pour en faciliter la lecture aux Enfans, il n’a pas dédaigné de porter son pinceau sur cette toile, en y traçant une route pour leur faciliter cette première étude qui est très-épineuse. Comme c’est d’elle que dépend en partie le goût pour les autres études, il a pésé combien il importoit de le faire naître en conduisant la Jeunesse par une voie douce & aisée, & non par une difficile & pénible telle qu’est la mèthode vulgaire, qui est une routine sans art. Mais avant que de montrer qu’il est un art pour enseigner à lire, voyons ce que c’est que lire.

Lire n’est autre chose que bien prononcer les mots, dit un Auteur célebre, page 51 de la Mèthode qu’il vient de donner au Public. Mais il se trompe, car tous ceux qui ne sçavent pas lire, prononcent bien les mots ; ainsi lire est autre chose que bien prononcer les mots.

Lire, est savoir le son qui résulte de l’assemblage de plusieurs lettres ècrites dans une syllabe. Qu’est-ce qu’ont fait nos Peres pour apprendre aux Enfans à lire ? Ils leur ont fait epeler toutes les lettres, après quoi ils leur ont dit le son qui devoit en résulter. Qu’est-ce qui rend épineuse cette Méthode ? C’est de faire epeler les voyelles & les consonnes dont chacune rend, un son tellement opposé à celui de leur assemblage, que si après les avoir nommées on n’en disoit pas le son aux Enfans, ils ne pourroient jamais le trouver ; ainsi la facilité d’apprendre à lire selon la mèthode vulgaire dépend du plus ou du moins de mémoire pour retenir le son indiqué ; & ce qui embrouille les Enfans, est l’articulation des lettres epelées, qui rendent des sons opposés à celui qu’ils doivent prononcer.

Voyons maintenant la rèforme introduite par l’Auteur de la Grammaire raisonnée, ce que sa Mèthode a de commun avec celle de nos Peres, & en quoi elle en differe.

La rèforme qu’il a introduite regarde la dènomination des caracteres de l’alphabet qu’il fait prononcer tous sur l’e muët, ou pour mieux dire sur l’e françois, comme on prononce l’article le & de, & les pronoms personnels me te se ; au lieu que nous prononçons sept caracteres devant l’e fermé : b c d g p t z, & six après l’e bref : f l m n r s ; un devant a, k, & un après, h, un après i, x, & un devant u, q. Il prètend qu’un Enfant articule plus aisément les sons devant chaque voyelle en disant : fe a, fa, fe i, fi, fe o, fo, fe u, fu, ainsi des autres. A l’égard des consonnes doubles & triples, comme fra & spra, il fait epeler : fe re a, fra, se pe re a, spra.

Cette Mèthode est conforme à l’ancienne, en ce que dans l’une & dans l’autre on epele les voyelles & les consonnes : & quoiqu’elle differe dans la dénomination des caracteres alphabétiques, les Enfans n’articulent pas moins des sons opposés à celui qui doit résulter de l’assemblage de differentes lettres : ainsi la même difficulté subsiste, l’Enfant ne peut de lui-même trouver le son, qu’il faut toujours lui dire après l’avoir fait epeler de l’une ou de l’autre façon.

La vraie Mèthode d’apprendre à lire est donc l’Art d’enseigner aux Enfans à trouver & à former d’eux-mêmes le son résultant de l’assemblage de plusieurs lettres ; & cela sans les leur faire epeler, afin qu’ils ne s’embrouillent pas dans l’articulation des sons opposés à celui qu’ils doivent prononcer. Cet Art inconnu jusqu’ici & que l’on cherche en France depuis plus d’un siecle, est la découverte pour apprendre à lire par les sons, qui paroit à Paris sous le tître d’ABC ROYAL, parce qu’il est dédié aux Enfans de France.

Pour exposer clairement en quoi consiste l’Art d’enseigner à lire, il faut observer qu’une syllabe peut être formée de voyelles seules, c’est-à-dire d’une ou de plusieurs, sans aucune consonne. Mais une syllabe ne peut être formée de consonnes seules, il y faut nècessairement une ou plusieurs voyelles, & de cet assemblage il résulte un son qui se tire de celui des voyelles. Or pour mettre un Enfant en état de trouver & de former de lui-même le son de cet assemblage, il faut qu’il sache les sons des voyelles seules, c’est ce qu’on appelle sons simples, & les sons de plusieurs voyelles jointes ensemble, c’est ce qu’on appelle sons doubles.

On a dressé une table où l’on a reprèsenté les sons simples & les doubles tant de la langue latine que de la françôise, il n’y a que sept sons simples, il les faut enseigner aux Enfans avant que de les leur montrer dans le livre ; c’est l’ouvrage de dix minutes au plus pour les leur faire apprendre par cœur. Après qu’ils les sauront de mémoire, on les leur fera voir dans le livre avec les sons doubles ; en quatre leçons ils en connoitront les caracteres & en formeront les sons, car lorsqu’un Enfant fait les sons simples, il forme de lui-même les doubles.

Il est maintenant question des sons d’assemblage, c’est-à-dire d’une ou de plusieurs consonnes jointes aux voyelles dans une syllabe. Cet assemblage ne se fait que de cinq façons, soit en latin, soit en françôis ; ou d’une ou de deux consonnes devant & après les voyelles, ou de trois consonnes seulement devant les voyelles. Il ne se trouve que deux mots latins où il y ait trois consonnes après une voyelle, ce font stirps & urbs.

On a dressé cinq tables qui représentent ces cinq assemblages. Chaque table est composée d’une petite page d’autant de lignes qu’il y a de consonnes. Les deux premieres pages sont de dix-neuf lignes ; la troisieme est de vingt-cinq, mais la quatrieme & la cinquieme n’en contiennent que neuf. Chaque table a une leçon composée de mots entiers qui y rèpondent.

L’Enfant le moins intelligent apprend aisément une table par semaine ; il se trouve tout de suite en ètat de lire la leçon qui y rèpond, & lorsqu’il fait les trois premieres, tables, il devient inutile de lui faire des leçons particulieres des deux dernieres qui ne sont presque partout augmentées que de la consonne s devant ou après la syllabe ; en lui faisant sifler cette lettre qui ne s’articule pas, il prononce toute la syllabe. Comme on ne peut ècrire ce siflement qui part d’entre les dents, non plus que les sons simples & les doubles, c’est aux Maîtres de tâcher de les apprendre d’eux-mêmes, ou de chercher à s’en instruire. Il ne faut pour cela que des yeux pour voir les caracteres qui indiquent les sons, de la langue pour les articuler, & de l’oreille pour les entendre : ainsi l’esprit n’y est pour rien, cela dépend uniquement des sens.

Il reste à montrer comment un Enfant qui fait les sans simples & les doubles peut trouver & former de lui-même les sons d’assemblage, c’est à-dire d’une ou de plusieurs consonnes devant & après une ou plusieurs voyelles.

Cette opération est des plus simple. On lui propose b devant a ; si l’Enfant n’en trouve pas la dénomination, on lui dit ba. On peut être assuré qu’après lui avoir dit cette premiere dénomination, il trouvera & formera celles de b devant e, devant i, devant o & u.

On lui propose tr devant a, tr devant e, devant i, &c. Ensuite str devant a, devant e, &c. L’Enfant n’a qu’un siflement de plus à faire.

On lui propose b après a, b après e, après i, &c. Ensuite b & s après a, après e, après i, &c. Il n’a qu’un siflement de plus à faire.

Ce changement diffère si peu de l’usage vulgaire qu’il ne doit revolter personne, & il opere des progrès si prompts & si merveilleux, qu’il ne peut qu’exciter la curiosité de quiconque a des Enfans.

En matiere de preuve, la plus évidente & la moins sujette à rèplique, est le fait. Un Entant à Paris qui ne connoissoit que ses lettres, l’Auteur l’a fait lire en quinze jours, en françôis & en latin, à livre ouvert ; deux autres en un mois ; un jeune Seigneur du College d’Harcourt, en trois semaines. Tous ces faits sont attestés par des certificats.

Ajoutons à ces progrès rapides la facilité d’apprendre la mèthode, puisqu’une Fille qui donne des leçons dans Paris, l’a apprise en quatre leçons ; & la facilité que les Enfans ont d’apprendre les sons, puisqu’une Demoiselle du premier rang âgée seulement de vingt-sept mois, les a appris en quinze jours.

On demandera peut être, si en lisant seulement ce qui est dit de l’Art d’enseigner à lire, on peut l’apprendre de soi-même, sans entendre prononcer les sons simples, les doubles, & ceux des consonnes qui y sont unies ? C’est ce que l’Auteur ne fait pas plus que si on lui demandoit, si quelqu’un a pû de lui-même apprendre la Musique ou le Pleinchant, lorsque celui qui en a inventé l’Art, a reprèsenté les tons avec des nottes.

L’Auteur fait qu’il y a des mots de deux syllabes qu’un Enfant lit en siflant. On sifle de deux manieres ; à la françôise, & à l’allemande. Le siflement à la françôise est pour lire la consonne s devant & après une syllabe, & le c devant un e muët. Le siflement à l’allemande est pour lire ch en françôis, devant & après les cinq voyelles. On souhaiteroit, pour satisfaire la curiosité du Lecteur, qu’il fut possible d’écrire ces deux siflemens.

L’Auteur fait encore que la Mèthode d’apprendre à lire par les sons a six avantages, qui ne se rencontrent en aucune autre. Elle est réguliere, savante, facile, courte ; elle apprend l’Ortographe, & elle donne la clef pour apprendre la prononciation des langues ètrangeres.

Elle est réguliere, parce qu’elle est fondée sur la connoissance des sons qui sont des guides sûrs. Elle apprend donc à agir par regles, & à ne rien lire à l’aventure. Un Enfant èlevé à faire sa premiere ètude selon les regles, contracte l’habitude d’en user partout de même, & de ne rien confier au hazard.

Cette Dècouverte est savante, parce que les Enfans & les Personnes raisonnables qui savent lire selon cette Mèthode, sont en ètat de rendre raison de tous les mots qu’ils prononcent, ce que ne peuvent faire ceux qui ont appris par la Mèthode vulgaire.

Elle est facile, puisqu’un Enfant, après la première leçon, étudie seul, sans le ministere du Maître, qui n’en prête d’autre que celui de l’oreille pour écouter si l’Enfant ne se trompe pas. Il arrive de là qu’un Enfant qui fait se conduire, ne fait plus qu’un jeu amusant en sons & en rimes, d’une étude qui ètoit auparavant pour lui un labyrinthe d’épines & d’écueils ; & pour les Maîtres un ennui suffoquant d’entendre epeler quantité de lettres, & de se voir obligé après cette premiere opèration de dire le son qui doit en résulter, sans quoi un Enfant ne pourroit jamais le trouver. Si dans le cours de la lecture un Enfant se trompe, le Maître ne dit pas le son, il l’indique seulement par des termes faits exprès qui sont au nombre de neuf, dont cinq regardent la voyelle e, & les quatre autres c g n. Ces neuf termes sont : fermé, bref, françôis, ouvert, muët, dur, doux, vocal & nazal. Ces termes forment une espece d’exercice, qui est un jeu pour les Enfans, & un amusement pour les Maîtres, dont ces derniers ne joüissent que dans les commencemens, & dont ils sont privés lorsqu’un Enfant sait lire. Ce contraste est bien differend de l’usage vulgaire & de toutes les autres Méthodes, selon lesquelles un Maître se trouve excédé d’ennui dans les commencemens, & n’a de satisfaction que lorsqu’il a perfectionné ses Elèves.

Cette Mèthode est courte. Il n’y a que cinq tables d’une petite page chacune, encore ne faut-il en apprendre que trois, on sifle les dernieres. Ces cinq tables embrassent toutes les Mèthodes, & elles y sont propres même à la vulgaire. Car ceux qui veulent absolument qu’on epele, n’ont qu’à commencer par faire epeler successivement ces cinq tables, un Enfant en apprendra une par semaine, & lira sans epeler la leçon qui y répond.

Il manque une table particuliere à la langue françôise, dont nous parlerons à la fin, c’est celle des syllabes terminées par l’e féminin ou muët, comme gagne, sabre, semblable, apre, &c.

Cette Mèthode apprend l’Ortographe. Il est facile de s’en convaincre, si l’on fait attention que ceux qui apprennent à lire par les sons dèmelent parfaitement les lettres dont le son est composé. Ils se souviennent en outre de celles qu’on leur a fait observer, qui sont ècrites & qui ne se prononcent point, ou qui indiquent des sons opposés aux caracteres ècrits. Ce qui met le sceau à cette refléxion, c’est l’experience. Il faut entendre un Enfant dicter l’ortographe des lettres dont les mots sont composés. L’Auteur qui ne connoissoit pas tout le merite de sa Mèthode, fut très-surpris d’entendre ses Eleves au bout de trois mois ou environ, s’amuser à dire d’eux-mêmes les lettres qu’ils articuloient : car si cela n’étoit arrivé de hazard, l’Auteur n’y pensoit pas, ce n’est que peu à peu qu’il a appris lui-même les effets de sa dècouverte.

Elle est la clef pour apprendre la prononciation des langues ètrangeres. C’est pourquoi les personnes raisonnables qui veulent apprendre une langue ètrangere doivent commencer par apprendre les sons de la leur, car quiconque fait les sons de sa langue apprend aisément & en un instant ceux des autres langues. Un Enfant françôis qui sait les sons de sa langue, à qui l’on dit seulement les sons allemands, en prononce parfaitement les mots les plus difficiles ; c’est ce qu’on a expérimenté. Ainsi un Enfant allemand qui auroit appris à lire sa langue par les sons, prononceroit ègalement les mots françôis à la françôise, sans y mêler le son ni l’accent allemand, & cela en lui disant seulement les sons françôis. Enfin pour introduire dans tout un Royaume une prononciation uniforme, il n'est qu'un moyen, c’est d’enseigner à lire par les sons.

A ces six avantages de l’Art pour apprendre à lire par les sons, ajoutons-en un singulier. Un Enfant peut suivant cette Mèthode assembler les lettres & en trouver le son, avant qu’il en connoisse les caracteres dans un livre ; car d’abord qu’un Enfant commence à parler, on peut l’enseigner à prononcer les cinq voyelles ; ensuite on lui apprend les noms des lettres de l’alphabet, après quoi on lui fait prononcer les consonnes simples, & successivement les doubles & les triples devant & après les voyelles ; de sorte qu’un Enfant se familiarise à ce petit exercice, & lorsque l’âge permet qu’il s’applique, on lui apprend à connoître dans l’alphabet les caracteres dont il fait les noms, & à lire les syllabes qu’il fait articuler de mémoire. Il conviendroit même d’instruire de cette façon tous les Enfans avant que de leur donner un livre.

Cette Mèthode d’instruire un Enfant aussi-tôt qu’il fait parler, est très-avantageuse, puisqu’on peut déjà l’occuper sans qu’il se fatigue, & le disposer insensiblement à apprendre dans les livres ce qu’il a appris par cœur. Car si l’on apprend aux Enfans à compter sans qu’ils connoissent les chifres qu’on ne leur apprend que longtems après, pourquoi ne pourroit-on leur apprendre les noms de vingt-quatre lettres, & les leur faire assembler successivement selon les cinq tables qu’on a dressées. L’experience en matiere de preuve, comme on l’a déjà dit, est sans rêplique : on a essayé avec plusieurs, on a réussi avec tous, quiconque peut l’expérimenter, & il réussira certainement.

Que l’on ne soit donc plus surpris de toutes les Mèthodes qu’on a vu éclore depuis un siecle ! Les personnes raisonnables ont rèflèchi que pour apprendre à lire, il pouvoit y avoir une voie plus réguliere & moins difficile que la Mèthode vulgaire ; elles l’ont cherchée, & elles en sont louables, parce qu’exactement il y avoit dans ce genre une dècouverte à faire, qui est l’Art d’enseigner lire.

Mais on doit être surpris de voir un recueil de syllabes seules, intitulé la vraie Mèthode pour enseigner à lire ! S’il en ètoit ainsi, nos Dictionnaires seroient de vraies Mèthodes, puisque véritablement ils contiennent par ordre alphabetique tous les mots de la langue, lesquels renferment toutes les syllabes possibles, tandis que ce recueil en prèsente qui ne se rencontrent en aucun mot françois : comme cta cte cti cto ctu. page 20. Sfa, gnu, tla, tli, aj oj uj. page 30.

De quel avantage peut être un pareil recueil pour les langues ètrangeres ? Car pour donner à une Mèthode l’èpithéte de vraie, il faut qu’elle soit propre à toutes les langues. De quel usage peuvent être les syllabes françôises au latin & aux autres langues où l’on prononce ordinairement comme on ècrit, & où l’on ècrit comme on prononce ; tandis qu’en françois on prononce presque partout ce qui n’est pas ècrit, & on ècrit ce qui ne se prononce pas.

Ce recueil est à la vérité un miroir des difficultés de la langue, mais il ne facilite en aucune part aux Enfans le moyen d’en trouver ni d’en former les sons. L’Auteur promet bien que lorsqu’on en saura les cinq cartons, on lira couramment en huit jours. Cette annonce est équivoque : il faut ici parler clairement & ne point gauchir ; il importe donc que l’Auteur fixe le tems qu’il faut aux Enfans pour apprendre ces cartons ! car on avance avec certitude & d’après l’expérience, qu’il y a des Enfans qui ne les apprendront jamais, & d’autres à qui plusieurs années suffiront à peine. Ce recueil est semblable au Syllabaire des Freres de la Doctrine chrétienne que l’on a jugé si peu convenable aux Enfans, qu’il n’a jamais été permis aux Freres de s’en servir dans leurs Ecoles de Paris. Ils l’enseignent néanmoins à Metz & à Nancy ; & c’est de ces deux Villes que l’on sait par expérience qu’il y a des Enfans qui n’ont pu l’apprendre, & d’autres auxquels il a fallu plus de deux ans pour en venir à bout.

Au reste l’Auteur de ce recueil n’est pas d’accord avec luimême. Il dit qu’il faut commencer par faire lire les Enfans en françòis, parce que c’est leur langue dont ils entendent les mots qu’ils ne comprennent pas en latin. Cela ètant, il convient donc de leur prèsenter d’abord à lire des mots entiers qui ont une signification, plutôt que de simples syllabes qui ne signifient rien.

Que l’on juge à présent quelle utilité peut tirer le Public de savoir qu’un Recueil de syllabes de 46 pages in octavo, sans être accompagné d’aucune leçon, se vend seize sols chez Butard, rue St. Jacque à Paris, tandis que l’Art d’enseigner à lire, qui est accompagné de leçons latines & françôises, se vend seulement six sols, chez Merigot Pere, Quai des Augustins, & chez Lambert rue de la Comédie.

Un autre Auteur qui fit imprimer en 1741 une Mèthode selon les principes de Port-Royal, vient de la faire rèimprimer pour le prix de 40 sols en entier, & de 12 sols en abrègé. Quel avantage pretend cet Auteur procurer au public, d’annoncer qu’il n’a rien compris dans l’Art d’enseigner à lire par les sons ? Personne ce semble ne devoit saisir la Mèthode plus promptement que lui. Quel eloge prètend-il tirer de cet humiliant aveu, puisqu’une Fille qui enseigne à lire dans Paris, l’a apprise en quatre leçons, & les Enfans d’un âge le plus tendre l’apprennent aisément ? Il auroit pû se dispenser de dèvoiler ce qu’il est intèressé d’ignorer ; il eût en même tems dispensé l’Auteur qui n’a point quêté son suffrage, de lui parler le langage d’Horace : non ego ventosæ plebis suffragia venor.

Dans la Rèpublique des Lettres on doit bannir l’envie & la jalousie ! l’émulation seule a droit d’y régner ; & ceux qui travaillent en vue de découvrir la vérité doivent la recevoir de toutes mains ; car dans le genre littéraire, c’est être vainqueur que de s’avouer vaincu, puisque c’est remporter une victoire que de rendre hommage à la vérité.

Enfin toutes les Mèthodes qui ont paru jusqu’ici, Port-Royal, Syllabaires &c. ne tiennent pas plus de l’Art que de la Mèthode vulgaire. Le Quadrille des Enfans qui se vend un, deux, & trois Louis, selon qu’il est plus ou moins orné, est un leurre. On y fait chercher sur des cartes pendant des années entières des assemblages de lettres que tous les Enfans peuvent apprendre en quatre semaines, & les sons en dix minutes, par les tables que l’on a dressées dans le petit livre latin du prix de six sols.

Si l’on insinue qu’il est à propos que l’on commence par faire lire le latin, c’est parce que les Enfans en trouvent & en forment aisément les sons. Le début est mèthodique & régulier. On propose d’abord la table des consonnes simples, successivement celle des doubles avant & après les voyelles avec les leçons qui y répondent, puis celles des diphtongues, ce qui ne se peut faire en françòis, où toutes les difficultés se prèsentent à la fois avec des exceptions sans fin. Lire le latin, est tellement la clef sure pour lire le françòis, qu’un Enfant qui fait lire le latin peut quatre jours après lire le françòis à livre ouvert, c’est ce que l’on a expérimenté plus d’une fois.

Une terminaison particuliere, & presque unique à la langue, françôise est celle des syllabes terminées par l’e féminin ou muët dans les mots & à la fin des mots, comme : gran-de-ment, fi-ne-ment, gra-ce, ra-ve, ai-je, sembla-ble, ga-gne, pata-phe, sa-che, &c.

Deux Savans à Paris dirent à l’Auteur qu’ils avoient parfaitement saisi sa dècouverte pour faire lire sans epeler, mais qu’ils ne concevoient point comment un Enfant pouvoit lire les syllabes terminées par un e muët sans en epeler les lettres.

Cette opèration est simple, naturelle & en même tems curieuse ; les Enfans l’exécutent aisément. Il suffit pour les apprendre à articuler proprement ces syllabes, de recourir à la premiere table des consonnes simples, & à la troisieme des consonnes doubles devant les voyelles, & de les leur faire prononcer à rebours : comme abe ebe ibe obe ube, ave eve ive eve uve &c. Able eble ible oble uble, agne egne igne ogne ugne &c. A ce moyen les Enfans dètachent les consonnes de l’e muët, & ils les prononcent avec la voyelle prècédente tout d’un coup & d’une seule voix, comme on fait en parlant. Ils lisent ace ece ice oce uce en siflant à la françôise après les cinq voyelles, & ache eche iche oche uche en siflant à l’allemande.

Les sons, comme on l’a déjà dit, ne pouvant s’écrire, il n’est guéres possible de s’expliquer plus clairement ni plus nettement sur le papier : c’est ici qu’il est à propos d’entendre un Enfant instruit selon cette Mèthode lire ces syllabes comme on les prononce en parlant.

L’Auteur conduisit à cet effet ses Eleves chez ces deux Savans, & ce ne fut qu’après s’être convaincus par le fait, que l’un annonça dans le Mercure de Juin ou de Juillet 1759, & l’autre dans l’Année littèraire les opèrations merveilleuses de l’Art d’enseigner à lire, dont ils venoient d’être tèmoins oculaires & auriculaires.

Si l’on est curieux de juger sainement & sans impartialité, combien la Mèthode vulgaire est irréguliere & ridicule, on n’a qu’à èpeler la derniere syllabe de paraphe & de sache comme il est d’usage de les faire epeler aux Enfans dans les Ecoles ; que l’on s’ècoute, on entendra d’abord que l’on prononce l’e fermé ; de là, on articule l’assemblage des consonnes avec l’e françòis, & l’on finit par un son tellement opposé aux deux premiers, que l’on ne feint point de dire, que ces deux opèrations pour arriver à la troisieme tiennent de l’imbécillité.

Si quelque chose peut nous consoler d’avoir appris par la Méthode de nos Peres, c’est la mèthode des Hebreux & des Grecs qui est encore plus embarassante & plus materielle que la nôtre. Nous nommons nos voyelles d’un son simple, & nos consonnes du son d’une voyelle ; mais les Hebreux & les Grecs nomment leurs voyelles & leurs consonnes avec des mots de deux & de trois syllabes qu’ils font èpeler aux Enfans pour former des syllabes d’une seule consonne : comme An-ge-los. Pour en former la premiere syllabe, les Grecs font èpeler alpha neugma An : pour la seconde, gamma epsylon guè ; & pour la troisieme lambda omycron zeugma los. Au lieu que pour articuler ce mot grec selon l’Art d’enseigner à lire, on dit à un Enfant, pour former la premiere syllabe, de prononcer seulement l’n vocale après a, pour la seconde le g dur devant l’e bref, & pour la derniere l devant o en siflant après à la françôise.

Quoiqu’un Enfant apprenne à lire en peu de tems par cette nouvelle Mèthode, il ne faut pas croire qu’il lira d’abord couramment. L’habitude ne se donne point, elle s’acquiert par des actes reitèrés & multipliés, car pour lire comme nous faisons, il faut au moins un an entier aux Enfans les moins lents.

On reconnoit de mème qu’un Enfant peut apprendre à lire par toutes sortes de Mèthodes, nouvelles & anciennes. Nos Peres ont appris par la Mèthode vulgaire, mais avec combien de difficultés ! Les Enfans qui apprennent encore par cette Méthode nous en retracent amèrement le souvenir. Aussi ne savent-ils lire que par routine, & aucun n’est capable de rendre raison de la prononciation des mots qu’il a lus.


L’ART
D’APPRENDRE L’ORTOGRAPHE.


IL est une troisieme chose que l’on nous apprend par routine, & qui se peut apprendre par principes, c’est l’ortographe. Nous en avons deux, l’une d’usage, & l’autre de principes. L’ortographe d’usage a pour objet les articles, les noms & les pronoms au singulier : les adverbes, les prépositions & les conjonctions. Ces trois dernieres parties d’oraison qui sont indéclinables s’écrivent partout de même ; c’est en considèrant dans les livres comment ces mots sont écrits qu’on en acquiert la connoissance. L’ortographe de principes a pour objet le pluriel & les differentes terminaisons des trois premieres parties du discours, les verbes & les participes. L’Art de l’ortographe françôise, est la connoissance de certains principes pour ècrire des mots avec des lettres qui ne se prononcent pas ; car il ne faut point d’art pour ècrire celles qui se prononcent.

L’Art d’enseigner à lire en françois, est la connoissance des principes pour lire des mots avec des lettres qui ne sont pas ècrites, & avec des lettres ècrites qui ne se prononcent point.

Pour enseigner & apprendre l’ortographe françôise par principes, il faut néccessairement connoitre les huit parties du discours, le nombre, le genre & les tems ; combien il y a de dèclinaisons & de conjugaisons en françòis ; combien il y a d’especes de verbes & : de participes.

Il y a des noms masculins qui changent de terminaison au féminin, qui s’ècrivent au pluriel autrement qu’au singulier.

Les verbes de la premiere conjugaison & ceux des autres qui en ont la terminaison aux trois personnes singulieres du present de l’indicatif, s’ècrivent avec une s à la seconde personne, & ne la prennent ni à la premiere ni à la troisieme. Les verbes réguliers des trois autres conjugaisons s’ècrivent avec cette consonne à la premiere & à la seconde personne ; avec un t à la troisieme, & avec un d lorsque cette consonne se trouve à l’infinitif ou qu’elle se conserve au pluriel du present de l’indicatif. Les verbes des quatre conjugaisons terminés par un e feminin ou muët aux premières personnes du singulier de quel tems que ce puisse être s’ècrivent sans s, & en prennent une à la seconde.

Il y a six tems simples qui s’ècrivent de même dans les quatre conjugaisons ; l’imparfait & le futur de l’indicatif, les deux imparfaits du subjonctif, dont le second est terminé diffèremment, ou en asse, ou en isse, ou en usse, le participe present & la seconde personne des pluriels.

Comment un Maître peut-il enseigner ces principes, & le Disciple les apprendre, si l’un & l’autre ignorent ces premiers elêmens de la langue ?

Que l’on ne se plaigne donc plus que l’ortographe françôise & le latin sont difficiles, puisqu’on nous laisse ignorer les vrais principes de la premiere, & on ne nous donne pas la clef du second !

Pour faciliter en même tems l’un & l’autre, on a composé le Rudiment françòis à la portée de la Jeunesse des deux sexes : & pour la commodité des Enfans on en a fait imprimer la premiere classe à part. Comme il faut donner aux derniers un livre pour les exercer à lire, n’est-il pas plus convenable de leur en donner un instructif qu’un indifferent ? En leur mettant en main le Rudiment de la langue françòise de la premiere classe qui ne se vend que 12 sols, ils apprendront les regles de leur langue, sans qu’ils s’apperçoivent qu’ils en font l’ètude. Il n’y a que 60 pages à apprendre de mémoire, le reste est pour lire. Ainsi tous le sauront par cœur ; & à ce moyen ils auront la clef des principes de l’ortographe, celle du latin & des autres langues.

La table des sons simples & des doubles que l’on a dressée, avec les cinq tables de l’assemblage des consonnes, & le Rudiment de la langue françôise, sont des modeles pour en composer en toutes sortes de langues. Que chaque Nation en fasse autant, on aura des facilités inconnues jusqu’ici.

On ne peut mieux juger de l’utilité du Rudiment françòis que par l’expérience. Un Enfant qui n’a que six ans le possede parfaitement, il l’a appris en trois mois. Cet Enfant dit ce qu’il prononce dans un mot, & ensuite les lettres qu’il y faut ècrire lesquelles il n’a pas prononcées.

Les Maîtres peuvent apprendre ce Rudiment en peu de tems, puisqu’une Fille qui donne des leçons dans Paris l’a appris de

l’Auteur en moins de trente leçons.


EXTRAIT
des Notes faites sur la Grammaire raisonnée,
Édition de 1756, page 51 & suivantes.

Il ne seroit peut-être pas si difficile qu’on se l’imagine de faire adopter par le public un Alphabet complet & régulier, &c.

Le Roi Chilperic a introduit quatre lettres dans l’Alphabet, & l’autorité qui préside aux Ecoles publiques pourroit concourir à la rèforme, en fixant une mèthode d’insitution, &c.

Pourquoi la raison ne deviendroit elle pas à la mode, seroit-il possible qu’une Nation reconnue pour éclairée & accusée de legereté, ne fût constante que dans des choses dèraisonnables.

Pag. 58. Il est étonnant que l’expérience n’ait pas encore fait triompher la raison des absurdités de la Mèthode vulgaire.

Traité des Etudes, pag. 7. art. i. Tom. I.

Il faut aussi leur faire articuler distinctement toutes les syllabes, &c.

Il est même nécessaire que le Maître étudie avec attention tous les différens dèfauts de prononciation ou de langage qui sont particuliers en chaque Province, & quelquefois même aux Villes qui se piquent le plus de politesse, pour les faire éviter aux Enfans & les en corriger. On ne peut dire combien ces premiers soins leur èpargneront de peines dans un âge plus avancé.

Remarque. Pour éviter les prononciations vicieuses, & introduire une prononciation uniforme dans le Royaume, il n’est qu’un moyen, c’est d’apprendre aux Enfans à lire par les sons.

Si pour n’avoir trouvé que la prononciation uniforme des lettres de l’Alphabet, en les faisant prononcer toutes sur l’e muët, on demandoit déjà que la raison triomphât des absurdités de la Mèthode vulgaire : à plus juste titre doit-on demander aujourd’hui ce triomphe de la raison, depuis la découverte de l’Art pour enseigner à lire.
EXTRAIT du Traité des Ètudes de M. Rollin,
ancien Recteur de l’Université de Paris.

Pag. CIV. Tom. I. des Observ.

Mon dessein dans cet Ouvrage n’est pas de donner un nouveau plan d’ètudes, &c. à l’exception d’un petit nombre d’articles où je pourrai exposer quelques vues particulieres, par exemple, sur la nécessité d’apprendre la langue françôise par regles, &c.

Page 6 de l’ètude de la langue françoise.

Comme les premiers Elèmens du discours sont communs jusqu’à un certain point à l’ètude des Langues, il est naturel de commencer l’instruction des Enfans par les regles de la Grammaire françôise, dont les principes leur serviront pour l’intelligence du Latin & du Grec, &c.

On leur apprendra d’abord les diffèrentes parties du discours, comme le nom, le verbe, &c. puis les dèclinaisons & les conjugaisons, ensuite les regles les plus communes de la Syntaxe, &c.

Il seroit à souhaiter que l’on composât exprès pour eux une Grammaire abrègée qui ne renfermât que les regles & les réflexions les plus nècessaires.

Enfin ces deux Livres dèsirés sont ceux que l’Auteur de la dècouverte de l’Art pour enseigner à lire & du Rudiment françòis, vient de dèdier aux Enfans de France.

Vû & lû les Certificats enoncés pag, 7. & 8, des experiences rapides que l’Auteur a fait à Paris, permis d’Imprimer. A Pont-à-Mousson ce six Fevrier mil sept cent soixante.
Signé, BRETON.