L’Internationale, documents et souvenirs/Tome II/III,12

La bibliothèque libre.
L’INTERNATIONALE - Tome II
Troisième partie
Chapitre XII



XII


Les suites de la Conférence de Londres. — La proscription française à Genève ; la Révolution sociale. — Convocation du Congrès de Sonvillier. — Bakounine et l’Internationale en Italie.


Il me reste à parler de ce qui se passa dans notre région pendant les quelques semaines qui s’écoulèrent entre la Conférence de Londres et la convocation du Congrès de Sonvillier.

Si nous n’avions pas pu faire entendre notre voix devant la Conférence, nous étions bien résolus à faire la lumière, pleine et complète, devant l’Internationale tout entière. La décision de rédiger un Mémoire à cet effet fut prise dès le mois de septembre, comme le fera voir la lettre suivante[1], adressée par notre Comité fédéral, sous la signature de Schwitzguébel, aux membres de l’ex-Section de l’Alliance :


Sonvillier, 29 septembre 1871.

Aux membres de l’ancienne Section de l’Alliance, à Genève.

Compagnons, Nous avons été avisés officieusement de la dissolution de votre Section[2].

Après avoir, pendant bien longtemps, laissé ses ennemis la calomnier dans toute l’Europe, le moment nous paraît être venu d’entreprendre sa réhabilitation morale. Une Section à laquelle l’histoire devra rendre hommage ne peut pas ainsi, après s’être suicidée dans l’intérêt de la cause, rester en butte aux attaques injustes d’hommes que guident seules de misérables rancunes personnelles.

Voici ce qui nous paraît devoir être fait, non seulement pour l’Alliance, mais aussi pour l’explication de la scission qui s’est produite dans la Fédération romande. Un Mémoire doit être adressé à tous les centres internationaux, pour que tous les hommes ayant à cœur les intérêts de notre association puissent juger ce conflit avec connaissance de cause. Nous pensons que le compagnon James Guillaume est le plus autorisé, parmi nous, pour entreprendre la rédaction du Mémoire ; pour cela, il est nécessaire qu’il ait en mains tous les documents qui peuvent servir à l’histoire, à l’exposé des faits qui se rattachent à l’Alliance et à la scission.

Veuillez donc, compagnons, lui faire parvenir dans le plus bref délai les archives de l’Alliance, afin qu’il puisse se servir de tous les documents qui peuvent lui être utiles[3].

Vous comprendrez l’importance du travail dont veut bien se charger l’ami James Guillaume, et vous vous efforcerez de lui faciliter sa tâche délicate, en vous empressant de mettre à sa disposition tous les documents demandés, de même que tous les renseignements personnels que chacun de vous croira utiles à produire.


Il se passa un certain temps avant que le contenu exact des résolutions de la Conférence et leur texte nous fussent connus ; mais dès la fin de septembre nous en savions assez, par des lettres de Londres, pour être édifiés sur ce qui s’était passé. Voici quelques lignes d’une lettre[4] écrite de Londres par Bastelica à Joukovsky, le 28 septembre :


Mon cher Jouk, Je dois à Robin l’adresse moyennant laquelle je puis l’écrire, ce que je fais immédiatement, d’autant plus qu’il y a matière. À Genève les résolutions prises par la Conférence ont dû déjà transpirer, si elles ne sont absolument connues ; personnellement je ne puis rien te révéler, en ma qualité de membre délégué à la Conférence par le Conseil général[5], sinon que j’ai emporté de ces séances une triste impression. Il existe, si je ne me trompe, dans le sein de l’Association internationale, un complot habilement, savamment, patiemment et conçu et dirigé, qui, s’il réussit un jour, nous mènera à la dictature de quelques-uns sans espoir pour nous de la briser jamais… Si une force ou un événement quelconque ne vient pas arrêter les tendances envahissantes de certains esprits, il s’opérera un déchirement au sein de l’Internationale… Des schismes existent déjà ; on a bien envie de lancer quelques bulles d’excommunication : cela viendra en son temps.

Je dois te dire que mon attitude au Conseil est généralement regardée comme hostile, et que je suis à la veille de démissionner.


Voilà ce qu’écrivait, sous la « triste impression » que lui avait laissée la Conférence, un homme qui, loin d’être notre affidé, était tenu quelque peu en suspicion par nous depuis les affaires de Lyon et de Marseille en 1870 ; un homme particulièrement choyé par Marx, qui lui avait fait les plus aimables avances et l’appelait familièrement son « petit Corse » ; un homme dont l’attitude avait été si peu hostile envers la coterie marxiste, que Lorenzo, comme on l’a vu (p. 201), la qualifie de « couarde ».

Les réfugiés français de Genève, je l’ai déjà dit, n’avaient nulle prévention contre Marx et le Conseil général. Ils n’eussent point consenti à entrer dans la Section de l’Alliance, si celle-ci eût continué à exister ; plusieurs d’entre eux affectaient de se désintéresser du conflit existant dans la Fédération romande ; ils ne voulaient y voir que le résultat d’une querelle personnelle entre deux émigrés russes, Outine et Bakounine, et s’étaient fait recevoir comme membres de la Section centrale de Genève : tels Lefrançais, Ostyn, Malon, Perrare, etc. — Malon n’était point, comme l’a cru Marx, un agent de l’Alliance : tout au contraire. Dès que Bakounine eut appris que j’avais vu Malon à son passage à Neuchâtel, et que nous étions en relations amicales, il m’écrivit pour me mettre en garde contre lui, et m’engager à être extrêmement réservé à son endroit[6], — avertissement dont je fis mon profit.

Cette attitude de neutralité, gardée de juillet à octobre 1871 par la proscription communaliste à Genève, est clairement expliquée dans une lettre écrite un peu plus tard (16 décembre 1871) par Lefrançais et Malon à un international belge, Laurent Verrycken[7]. Ils y disent :


Lorsque nous arrivâmes tous deux à Genève, quelque peu brisés de la chute de notre chère Commune,… nous y arrivions résolus à ne point tenir compte des différends qui partagent depuis trop longtemps les Sections de la Suisse romande, différends dont nous avions entendu vaguement parler et qui ne reposent d’ailleurs que sur des questions de personnes dont à l’un de nous (Lefrançais) les noms seuls étaient connus.

Dans ces dispositions, nous résolûmes de ne prendre parti ni pour un groupe ni pour l’autre ; les personnalités d’Outine et de Bakounine, seules en jeu dans cette affaire, ne nous paraissaient pas devoir occuper longtemps le temps précieux de ceux qui, etc…[8]

À peine arrivés, nous fûmes naturellement vite mis au courant des divisions en question, mais, nous devons le dire, seulement par les adversaires de l’ancienne Alliance, dont les amis au contraire se tinrent à notre égard dans la plus grande réserve.

Mais un fait douloureux ne tarda pas à devenir évident pour nous. Malgré la liberté dont jouissent les Genevois, malgré tous les moyens dont ils disposent, — liberté de la presse, liberté de réunion, d’association, — l’Internationale n’a en réalité aucune existence intellectuelle ici : ni réunions, ni conférences, ni discussions de principes. La plupart des adhérents sont dans l’ignorance absolue des principes de l’Internationale et du but qu’elle poursuit. Chacun se contente de dire : « Je suis de l’Internationale ! » Mais, encore une fois, rien de sérieux ; les intelligents, dégoûtés, s’en retirent ou en sont exclus par les comités qui, seuls, gouvernent et dirigent les Sections, qui se réunissent seulement une fois par mois à peine ! Pas de cercles d’études sociales où tous puissent venir s’instruire des questions à résoudre. Les choses se passaient autrement en France, où la période de combat avait été précédée et amenée par une longue et sérieuse période de propagande et d’étude, et ces souvenirs nous faisaient d’autant plus ressentir le vide existant dans la Section genevoise.

Quelques amis, et nous avec eux, sommes entrés alors dans la Section centrale pour tenter de lui imprimer un mouvement plus sérieux et plus actif, mais les pasteurs y ont mis ordre, comme vous le verrez par le compte-rendu de la dernière assemblée générale des Sections… : on nous a exclus tout simplement comme agents de l’ancienne Alliance et de Bakounine, à qui Lefrançais n’a jamais parlé… ; quant à Malon, il connaissait Bakounine, mais jamais entente ne fut établie entre eux.


J’arrête ici la citation, qui, par cette dernière phrase, anticipe déjà sur les incidents postérieurs au Congrès de Sonvillier.

Au retour des deux délégués Outine et Perret à Genève, après la Conférence, il y eut une première escarmouche. Dans une séance de la Section centrale qui eut lieu à la fin de septembre, Malon interpella Outine, — avec lequel il avait été très intimement lié autrefois, — et lui fit de vifs reproches ; Outine, abasourdi par cette attaque inattendue, fut complètement démonté et ne sut que répondre. La scène fit du bruit, et Ozerof s’empressa de la raconter à Bakounine dans une lettre. Celui-ci répondit le 3 octobre (lettre imprimée dans la Correspondance. trad. française. p. 352) :


… La défaite d’Outine et le triomphe de Malon m’ont causé une véritable joie. Mon cher Ozerof, je t’en prie, donne-moi plus de détails dramatiques. Que faire, si ces commérages peuvent m’amuser, vieux que je suis ! C’est une faiblesse, mon cher, une faiblesse de vieillard, mais que veux-tu ? j’aime bien les commérages qui sont intéressants. Écris-moi donc si Olga[9] a assisté à cette défaite de son bien-aimé ? Est-il possible qu’Outine n’ait pas tenté de répondre aux terribles accusations de Malon ?

Votre programme[10] est assez mauvais, mais cela n’a pas d’importance : il s’agit avant tout de ce que vous pourrez faire pour la propagande et pour l’organisation.


Ceux des proscrits français qui avaient fondé, avec quelques Genevois, la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste — au premier rang parmi eux se trouvait Jules Guesde, journaliste de Montpellier, qui venait d’être condamné, en France, par contumace, à cinq ans de prison pour un délit de presse — avaient définitivement constitué leur groupe le 6 septembre en adoptant des statuts, et leur secrétaire. Retterer, avait écrit le même jour au Conseil général pour demander l’admission de la Section dans l’Internationale. La réponse de Londres se fit attendre fort longtemps ; dans la séance du lundi 25 septembre, tenue sous la présidence du Genevois Deshusses, Jules Guesde fit la motion « de mettre en demeure le Conseil général de Londres de se prononcer dans les huit jours » ; il fut décidé qu’une nouvelle lettre serait envoyée au Conseil général le vendredi suivant. On proposa d’imprimer les statuts de la Section ; Joukovsky fit observer qu’on ne pouvait pas les imprimer avant d’avoir reçu la réponse de Londres ; au vote, sept voix se prononcèrent pour qu’on attendît la réponse, douze votèrent pour l’impression immédiate[11].

Dans le courant de septembre s’était réuni à Lausanne le cinquième Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté. Mme André Léo, qui cherchait toutes les occasions de faire entendre une protestation indignée contre les atrocités commises par les hommes de Versailles, se rendit à ce Congrès, et y lut un discours dont la hardiesse effaroucha son auditoire, et qu’on ne lui laissa pas achever. Mais elle eut le tort, en voulant repousser toute solidarité avec certains blanquistes, de se laisser aller à prononcer des paroles dures à l’égard de deux hommes qu’elle appela « deux des plus malheureuses personnalités de la Commune[12] » : Raoul Rigault, qui était mort, et Th. Ferré, qui allait tomber deux mois plus tard sous les balles des bourreaux versaillais à Satory. Nous la blâmâmes d’avoir parlé de la sorte ; les exagérations — et elle en était coutumière — ne font de tort qu’à ceux qui s’y laissent aller. Adolphe Clémence prononça aussi un discours devant le même Congrès pour défendre la Commune dont il avait été membre[13].

Diverses publications allaient faire connaître enfin au public la vérité sur la Commune outragée et calomniée. J’ai déjà dit que Malon s’était mis à écrire, dès son arrivée à Genève, les chapitres d’un livre qu’il intitula La Troisième défaite du prolétariat français, et qui s’imprima à Neuchâtel, dans notre atelier ; mais il ne put paraître qu’au milieu de novembre. La première en date des publications de la proscription en Suisse fut le Livre rouge de la justice rurale, de Jules Guesde, qui parut en livraisons à l’imprimerie Blanchard, à Genève, depuis le mois d’octobre. Vint ensuite, au commencement de novembre, Hommes et Choses de la Commune, de Maxime Vuillaume, paraissant aussi en livraisons à l’imprimerie Blanchard. Enfin fut annoncée, pour paraître le 15 décembre, une Étude sur le mouvement communaliste, par G. Lefrançais, qui s’imprima, comme le volume de Malon, à l’atelier G. Guillaume fils, à Neuchâtel. Lefrançais vint à Neuchâtel en octobre pour s’entendre avec moi ; Charles Beslay, qui habitait alors une maison de campagne dans le quartier de Trois-Portes, et que j’avais eu l’occasion de voir déjà plusieurs fois, nous fit déjeuner ensemble chez lui : c’est ainsi que je fis la connaissance de ce brave homme qui, ancien instituteur, puis ancien comptable d’une compagnie de vidanges (comme il aimait à l’apprendre à ses nouveaux amis, en y mettant une coquetterie sui generis), s’était fait dans les dernières années de l’Empire une réputation d’orateur en exposant la thèse communiste dans les réunions publiques, où son émule et contradicteur Briosne défendait la doctrine proudhonienne. Je l’emmenai le jour même dîner à la maison, et il devint pour nous, dès ce moment, un ami que nous revoyions toujours avec plaisir ; sa conversation enjouée, abondante en anecdotes, en souvenirs qu’il se plaisait à conter, était des plus intéressantes ; la droiture de son caractère commandait l’estime ; s’il y avait, dans son langage, de l’âpreté à l’égard de ceux que, pour une raison ou une autre, il n’aimait pas, et même, parfois, des sévérités brusques envers ceux qu’il aimait, les sursauts d’une susceptibilité ombrageuse et les saillies d’un esprit caustique n’enlevaient rien à la réelle bonté de son cœur.

La proscription voulait avoir aussi ses journaux. Jules Guesde projetait de fonder un grand quotidien qui se serait appelé le Réveil international : il m’avait écrit pour me proposer de me charger, dans ce journal, de la rubrique « Confédération suisse ». Mais il fallait des capitaux pour faire vivre un périodique de ce genre, et Guesde ne put réussir à les trouver : le Réveil international n’eut que quelques numéros, et je n’ai point eu à y collaborer.

Un autre proscrit, A. Claris, d’ambition plus modeste, créa un journal hebdomadaire qu’il appela la Révolution sociale, et qui s’imprima, comme les livraisons de Guesde et de Vuillaume, chez la veuve Blanchard à Genève ; il eut pour collaborateurs Mme   André Léo, Arthur Arnould, E. Razoua, L. Marchand. Le premier numéro parut le 26 octobre 1871.

Mme André Léo habitait Genève (11, Tour d’Arve. Plainpalais, puis 10, rue Pierre Fatio) depuis le milieu d’août. Elle s’était liée avec la famille de Charles Perron, qui avait fraternellement accueilli Malon ainsi que les parents adoptifs de celui-ci, le statuaire Ottin et sa femme. Mme Champseix s’était fait raconter le détail des querelles de l’Internationale de Genève, et, avec son impétuosité féminine, elle avait pris fait et cause pour ceux qu’elle jugea victimes de l’injustice et de la calomnie. C’est elle qui allait faire de la Révolution sociale un organe de revendication du principe d’autonomie et de liberté contre les projets de Marx et de sa coterie. Le 21 octobre, elle écrivait à sa jeune amie Mathilde Rœderer, à Bischwiller (Alsace) :


Oui, il y a des désunions dans l’Internationale, comme partout en ce monde. Ce sont les Allemands, par Marx, qui y font de la centralisation et du despotisme, la fausse unité, celle de Bismarck. L’élément latin proteste et s’oppose. Il y aura peut-être un partage. C’est fâcheux. Mais les grands courants qui travaillent le monde à cette heure doivent se faire sentir là comme ailleurs[14].


Le lendemain du jour où elle avait écrit cette lettre, elle assistait à une fête de l’Internationale genevoise, où Grosselin et Lefrançais prononcèrent l’un et l’autre un discours, et cette fête lui fournit le sujet de son premier article.

Après avoir décrit le cortège des internationaux de Genève, avec musique et drapeau rouge, défilant paisiblement « sous un doux soleil d’automne », elle plaisantait, d’un ton enjoué, Grosselin, « petit patron et député au Grand-Conseil », et sa longue harangue, « pleine d’excellentes intentions, et faite pour contenter tout le monde » ; elle expliquait à Grosselin qu’on ne peut pas « contenter à la fois les bourgeois et les prolétaires, l’Internationale et le Grand-Conseil », ni « donner à l’ouvrier le bien-être, la justice, l’égalité, sans rien ôter à personne ». Elle louait ensuite le discours de Lefrançais, qui avait remis les choses au point et qui « renfermait de bonnes vérités en peu de mots ». Puis elle terminait par une historiette significative, qui allait servir de point de départ à la campagne qu’elle entreprenait contre l’intrigue des hommes du Temple-Unique :


Au milieu des joies de cette fête, un fait étrange nous a frappé. Chaque membre de l’Internationale portait un nœud rouge. — Eh quoi ! vous avez négligé le signe distinctif, disons-nous à l’un des plus sérieux, des plus ardents, des plus vrais démocrates de ce pays[15], en l’abordant.

— Pas du tout. Je suis expulsé.

— Impossible ! Et pourquoi cela ?

— Pour les mêmes raisons qui font que je viens d’être refusé, nous dit un autre[16], frère de cœur de celui-là.

— Voulez-vous m’expliquer cette étrangeté ?

— Un autre jour. Ici, quoi qu’on ait fait, nous sommes de la fête, et l’heure est trop belle pour la troubler du récit de mesquines intrigues, de personnalités et de coteries. — Nous y reviendrons.


Dans le numéro suivant (2 novembre), elle y revenait en effet. On lui racontait la fondation de l’Alliance, créée par « des membres de l’Internationale, dont l’un possédait un nom européen, tels autres une réputation locale d’intelligence, de dévouement et de loyauté qui associaient à leur nom le respect et la sympathie » ; on lui disait les querelles qui suivirent le Congrès de la Chaux-de-Fonds[17] : « Les Sections des Montagnes acceptaient l’Alliance ; leur journal fut excommunié par le Conseil général… Quant aux Sections de Genève, elles s’occupèrent — je ne dis pas tous les membres, mais certains, par qui les autres se laissaient conduire — elles s’occupèrent de chasser de leur sein ces athées, ces anarchistes, qui avaient osé déclarer déchu le principe d’autorité. » L’auteur de l’article se récrie : « Vous me dites des choses si énormes !… Fantastique ! Est-ce donc M. de Bismarck qui règne au Conseil de Londres ? » L’interlocuteur ajoute : « Les citoyens expulsés eurent un tort grave, celui de rester passifs et de ne point accepter la lutte ; ils devaient à leurs frères, égarés par des intrigues, de les éduquer… Ils cédèrent au dégoût de voir des ambitions personnelles, et les jalousies et les acharnements qui s’en suivent, se donner carrière dans l’Association. » Sur quoi Mme André Léo s’afflige et dit : « Et moi qui avais cru que l’Association internationale était la société la plus démocratique qu’on put rêver, la plus large, la plus fraternelle ! » Son interlocuteur réplique : « Vous aviez raison, c’est bien là ce qu’elle doit être, ce qu’elle est en esprit, ce qu’il faut qu’elle soit ; car tous ceux qui voient en elle le grand instrument de la justice, ne l’abandonneront pas à la marche à rebours que travaillent à lui imprimer les cervelles allemandes et bismarckiennes… » Et l’auteur de l’article, après avoir entendu tout le détail de ce récit édifiant, s’écrie gaîment :


— Mais que la déesse Liberté nous soit en aide ! Car nous avons contrevenu à la dernière bulle papale, en divulguant ces choses aux Gentils[18], et en discutant l’infaillibilité du Conseil suprême. Nous voilà, nous aussi, menacés d’excommunication, et nous n’avons plus qu’à livrer notre âme au démon de l’Anarchie pour ce qui nous reste à dire.


Il y avait dans ce second article un mot de trop : il n’eût pas fallu parler de « M. de Bismarck «, ni de « cervelles bismarckiennes ». Quand nous eûmes, au Congrès de Sonvillier, à protester contre l’autoritarisme du Conseil général et contre les résolutions de la Conférence de Londres, la Fédération jurassienne sut se garder de ces fâcheuses exagérations de langage. Mais on trouvera sans doute que c’est tomber dans une faute plus grave encore que d’écrire, comme l’a fait Marx en 1872, à propos des articles de Mme André Léo dans la Révolution sociale :


Dès son premier numéro, ce journal s’empressa de se mettre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et autres organes orduriers dont il réédita les infamies contre le Conseil général[19].


Enfin, dans le no 3 (9 novembre), Mme André Léo adressait des critiques très sensées aux résolutions de la Conférence, et écrivait des choses très justes sur « l’unité » :


Tandis que la France, après avoir, depuis le commencement de ce siècle, construit la fausse unité, qui réduit toutes les initiatives diverses, toutes les forces, toutes les puissances, à la capacité d’une seule volonté et d’un seul cerveau, s’apercevant enfin de son erreur, s’efforce de détruire son œuvre, et arrache, en s’ensanglantant elle-même, la tunique fatale qui l’étouffe et la consume, l’Allemagne, la neuve, l’originale Allemagne, recommence, en l’an 1871, l’œuvre du grand Napoléon. Elle ne l’a pas inventée, c’est vrai, mais depuis cinquante ans elle la rumine. Et tandis que le courant de la Révolution, un instant dévié, roule vers l’Océan de la liberté, l’Allemagne, elle, remonte vers le despotisme.


Mais ensuite, se laissant tout à fait emporter non par le « démon de l’Anarchie », mais par cette intempérance de langue qui lui avait déjà joué un mauvais tour à Lausanne, elle disait ceci :


Le pangermanisme est là, et il affecte comme une maladie tous les cerveaux allemands, si bien que, lorsqu’ils font du socialisme, c’est encore avec cela. Bismarck ayant tourné la tête à tout le monde, du Rhin à l’Oder, en même temps que Guillaume Ier se faisait empereur, Karl Marx se sacrait pontife de l’Association internationale[20].


Cette phrase est regrettable ; elle nous choqua, et je le fis savoir à l’auteur[21]. Mais cet écart de plume n’enlève rien à la solidité des conclusions de l’article. Mme  André Léo a très bien compris la portée de la lutte qui commençait dans l’Internationale, et elle la rattache, avec logique, aux revendications de la Commune contre l’État :


L’unité nouvelle n’est pas l’uniformité, mais son contraire ; c’est l’expansion de toutes les initiatives, de toutes les libertés, de toutes les conceptions, reliées par le seul fait d’une nature commune ;... c’est cette autonomie du citoyen, réalisée par l’autonomie du premier groupe social, la Commune, que la France vient d’ébaucher, en tâtonnant, de sa main blessée par le fer de l’unité despotique. C’est le second acte de la grande Révolution qui commence... Et l’Association internationale, agent naturel de cette œuvre, irait, à la suite de cerveaux étroits et affolés, recommencer l’épreuve faite, et si cruellement faite, de 1802 à 1871 ! Cela ne saurait être. Que la politique du vieux monde aille de ce côté ; le socialisme n’a rien à faire avec elle ; pour lui, c’est le chemin opposé qu’il doit prendre, celui de la liberté de tous dans l’égalité[22].


Comme complément de ce dernier article, je donne un passage d’une autre lettre de Mme  André Léo à Mathilde Rœderer, du 12 novembre. Elle y dit à sa « bonne et chère enfant » :


Nous faisons ici une campagne contre les résolutions de la Conférence de Londres, qui sont unitariennes et autoritaires, et contre Karl Marx, le mauvais génie, le Bismarck de l’Association internationale. C’est moi qui ai attaché le grelot. Vous avez dû voir tout cela si vous recevez la Révolution sociale[23].


Le Conseil général de Londres observait toujours le silence envers la Section de propagande et d’action socialiste de Genève ; mais ce silence était par lui-même assez significatif. D’ailleurs, on savait maintenant que par une résolution de la Conférence, il était « désormais défendu aux Sections de former des groupes séparatistes sous le nom de Sections de propagande, etc. » ; par conséquent le groupe « de propagande et d’action révolutionnaire socialiste », formé par « les révolutionnaires socialistes français et autres, victimes de tous les régimes despotiques, et obligés de chercher un refuge à Genève[24] », se voyait qualifié de « séparatiste », et se trouvait bien nettement mis à l’index. Cette situation, loin de lui être défavorable, lui amena de nouveaux adhérents ; et Lefrançais, Malon, Ostyn, d’autres encore, sans en être membres, car ils appartenaient toujours à la Section centrale (Temple-Unique), prenaient fait et cause pour lui. Les socialistes du Jura, qui depuis deux années supportaient seuls le poids de la lutte pour la liberté, contre les intrigues de la coterie Marx-Outine, ne pouvaient qu’être enchantés de voir du renfort leur arriver, et de constater que toute la proscription communaliste en Suisse, après s’être rendu compte de la situation, se prononçait dans le même sens qu’eux.

La circulaire privée du Conseil général, Les prétendues scissions dans l’Internationale (5 mars 1872), dit, p. 14, que « dans une lettre de Malon, du 20 octobre 1871, cette nouvelle Section adressa au Conseil général pour la troisième fois la demande de son admission dans l’Internationale ». Ce passage tendrait à faire croire qu’à ce moment-là Malon était membre de la Section de propagande ; or il n’en est rien, comme l’a expliqué Jules Montels (lettre au Bulletin de la Fédération jurassienne, n°s 10-11, 15 juin 1872) : « Dans une des séances d’octobre dernier, — écrit Montels, — à laquelle assistait Malon, non comme membre de la Section, mais simplement à titre d’international, — il était encore membre de la Section du Temple Unique, — Malon combattit vivement la proposition que j’avais faite de rompre avec Londres, parce que, disais-je, la résolution de la Conférence touchant les Sections de propagande montre clairement qu’il y a parti pris de nous évincer. Malon, je le répète, non-seulement combattit ma proposition, mais proposa de renouveler une dernière tentative de conciliation auprès de Londres. Sa proposition fut acceptée. »

Le moment était venu pour nous d’examiner à nouveau la proposition qui avait été faite dès le mois d’octobre 1870 par la Section de Neuchâtel : de constituer une Fédération nouvelle, qui prendrait le nom de Fédération jurassienne, et, par là, de constater que l’ancienne Fédération romande, dont nous nous considérions comme les authentiques continuateurs, avait cessé d’exister. Il était nécessaire, en outre, de nous prononcer au sujet des résolutions de la Conférence de Londres, et d’affirmer bien haut que nous ne les acceptions pas et que nous en appelions à un Congrès général. Nous nous concertâmes, et l’opinion unanime fut qu’il convenait de convoquer dans le plus bref délai possible un Congrès de nos Sections, pour aviser.

De son côté, la Section de propagande de Genève, menacée dans son existence même par les décisions de la Conférence, avait résolu de protester, et de communiquer sa protestation aux diverses Fédérations de l’Internationale, en les engageant à se joindre à elle. Elle vota, dans une séance tenue dans les derniers jours d’octobre, une résolution à cet effet, et délégua Joukovsky auprès des Sections du Jura pour la leur communiquer.

Joukovsky vint à Neuchâtel le dimanche 29 octobre, et fit part à la Section réunie de l’objet de sa mission. La Section de Neuchâtel, délaissée pendant la guerre par un grand nombre de ses membres, avait repris de la vie, et avait été renforcée par l’adhésion de quelques réfugiés français qui habitaient la ville, Gaffiot, Rougeot, les deux Berchthold, Huguenot, Mahler, Jeallot, Bastelica, qui avait dû quitter Londres, était arrivé à Neuchâtel dans le courant d’octobre, et travaillait comme typographe à l’imprimerie G. Guillaume fils[25]. Malon se trouvait en ce moment à Neuchâtel ; il y était venu rendre visite au vannier Gaffiot, chez lequel il projetait d’entrer en apprentissage.

Dans une lettre écrite, de la gare des Convers, à un correspondant de Genève[26], le lendemain 30, Joukovsky dit :

« Hier nous avons délibéré [à Neuchâtel] jusqu’à six heures du soir. Malon, Gaffiot, Baslelica, Guillaume et deux autres membres de la Section ont pris part à la discussion. Guillaume s’est mis nettement de notre côté. Malon croit que nos résolutions sont excellentes, seulement, selon lui, elles arrivent quinze jours trop tôt. Il faut, dit il, avoir tout le droit pour nous, il faut que Londres nous réponde un oui ou un non. Bastelica croit, à son tour, que notre résolution ne peut avoir de valeur qu’en tant qu’il se trouvera des Fédérations adhérant à nos considérants.

« Je crois avoir convaincu mes compagnons que, dans la lutte qui s’engage, nous n’avons plus rien à attendre. Le Comité fédéral de Saint-Imier prendra, je crois, une résolution complètement conforme à la nôtre. Toutefois sa résolution ne peut être autre chose qu’une proposition de sa part à toutes les Sections de la Fédération. Nos vingt Sections seront représentées à notre prochain Congrès régional[27]. Supposons que les délégués votent nos propositions à l’unanimité. Dans ce cas, le Comité fédéral fait une circulaire à toutes les Sections de l’Association internationale ; outre ça il faut envoyer un délégué en Espagne[28], un en Belgique. Il faut également se mettre au courant des affaires en Allemagne.

« Les réfugiés français qui se trouvent à Londres ont fondé une Section qui, comme nous, est rejetée par le Conseil général[29]. Serraillier et Vaillant sont les deux qui restent avec Marx.

« J’ai quitté Neuchâtel à dix heures cinq ;… à trois heures quinze je serai à Sonvillier[30]. »

Joukovsky cède ici, comme souvent, au désir de se donner de l’importance. Il se représente, et représente à son correspondant, le Congrès régional, dont la convocation était imminente et avait déjà été discutée, comme devant se réunir sur l’initiative du groupe de Genève, et spécialement pour adopter la résolution proposée par ce groupe. En réalité, le Comité fédéral allait délibérer sur une proposition qui avait été précédemment l’objet d’un échange d’idées entre ceux des membres de nos Sections qui appartenaient à notre intimité, — intimité dont ni Joukovsky ni aucun des proscrits français, à ce moment, ne faisaient partie.

Le 30 octobre, il y eut à Saint-Imier une réunion à laquelle Joukovsky fut admis ; il y fut décidé que le Comité fédéral convoquerait le Congrès régional pour le dimanche 12 novembre à Sonvillier ; et dès le lendemain Schwitzguébel rédigea une circulaire aux Sections pour leur annoncer la convocation de ce Congrès et les inviter à s’y faire représenter. Le mercredi 1er novembre, Joukovsky était au Locle, où il donnait connaissance des considérants de la Section de propagande de Genève ; les internationaux de l’endroit, en apprenant la date fixée pour le Congrès par le Comité fédéral de Saint-Imier, la jugèrent trop rapprochée ; ils émirent l’avis qu’il vaudrait mieux choisir le premier dimanche de décembre, si on voulait que les Sections fussent convenablement représentées. Le lendemain jeudi Joukovsky retourna à Sonvillier ; mais le Comité fédéral, sans s’arrêter aux objections du Locle, déclara vouloir s’en tenir à la date du 12 novembre : d’ailleurs, les circulaires aux Sections étaient déjà parties. Joukovsky s’en retourna à Genève en repassant par Neuchâtel.

Voici le texte de la circulaire par laquelle fut convoqué le Congrès de Sonvillier :


Association Internationale des Travailleurs.
Fédération romande.
Quatrième circulaire aux Sections.
Compagnons,

Depuis longtemps déjà, notre Congrès régional aurait dû être convoqué ; mais les événements dont l’Europe a été le théâtre, et la situation particulière qui en est résultée pour l’Internationale, rendaient impossible la convocation de nos délégués[31].

Tous les esprits se tournaient vers les Communes révolutionnaires de France, qui, à plusieurs reprises, essayèrent de s’affranchir pour ouvrir au peuple travailleur l’ère de son affranchissement économique. Lyon, Marseille et Paris succombèrent sous les coups de la bourgeoisie, dont l’organisation, il faut le dire, s’est montrée plus forte que la nôtre.

La lutte héroïque du peuple de Paris, les nombreux sacrifices qu’il a faits au nom de l’affranchissement des travailleurs, la non-réussite de cette formidable lutte communale, — tout ceci devait faire réfléchir les internationaux. Quant à nous, compagnons, nous pensons que l’Association internationale des travailleurs entre, dès maintenant, dans une nouvelle phase, car elle doit s’organiser de manière à pouvoir utiliser, au profit des travailleurs, toute lutte partielle qui pourrait s’engager entre ces derniers et la bourgeoisie.

Une autre cause qui fait entrer l’Internationale dans une nouvelle phase, c’est l’attitude dictatoriale du Conseil général vis-à-vis des Sections. La Conférence tenue dernièrement à Londres a pris des résolutions qui nous concernent de près. Vous savez tous qu’une scission s’était produite au Congrès de la Chaux-de-Fonds en 1870. La minorité dissidente [les Genevois et les coullerystes de la Chaux-de-Fonds] s’est arrogé le titre de Fédération romande. Nous avions compté sur l’esprit d’impartialité qui devrait animer les membres du Conseil général, et nous espérions longtemps qu’il mettrait fin à ce conflit, en nous reconnaissant au moins le droit d’existence comme Fédération à l’égal de nos confrères de Genève. Eh bien, le Conseil général s’est enfermé dans un silence inexplicable. Il ne nous restait qu’une seule issue : c’était d’attendre la convocation du Congrès général, qui mettrait fin au conflit.

Mais, d’un côté, nous voyons que la convocation du Congrès général est presque impossible pour le moment ; d’un autre côté, la Conférence de Londres, tenue secrète pour nous, et convoquée par le Conseil général, a pris des allures dictatoriales en lançant des décrets[32], ce qui est contraire aux principes fondamentaux de l’Internationale.

Tout ceci nous oblige, compagnons, à convoquer le plus tôt possible notre Congrès régional, qui aura à arrêter une ligne de conduite conforme aux intérêts généraux de l’Association et à ceux particuliers de notre Fédération.

L’ordre du jour que nous vous proposons est le suivant :

1° Rapport du Comité fédéral ;

2° Le Conseil général et la Conférence de Londres ;

3° La réorganisation de la Fédération et la révision de ses statuts ;

4° Le Congrès ouvrier suisse.

Compagnons, nous sommes sûrs que vous répondrez à notre appel par l’envoi de vos délégués, et que de leurs délibérations ressortira une consolidation des liens qui unissent nos Sections.

Le Congrès aura lieu le 12 novembre, à Sonvillier (Jura bernois). La séance d’ouverture aura lieu à neuf heures du matin à l’Hôtel de la Balance. Ayez l’obligeance de nous aviser du nombre de délégués qui viendront au Congrès.

Salut et solidarité.

Pour le Comité fédéral romand :
Le secrétaire correspondant, Adhémar Schwitzguébel.

Sonvillier-Saint-Imier, le 31 octobre 1871.


Nous allions avoir, au Congrès de Sonvillier, à organiser notre Fédération sur des bases nouvelles, et à faire connaître aux autres Fédérations de l’Internationale notre sentiment sur les actes de la Conférence de Londres, en leur envoyant une circulaire. Je présentai à la Section de Neuchâtel un projet de statuts fédéraux que j’avais élaboré ; ce projet fut adopté par elle pour être présenté en son nom au Congrès. Je pensai en outre que la rédaction de la circulaire à envoyer aux Fédérations ne devait pas être laissée au hasard d’une improvisation hâtive au moment du Congrès, et qu’il serait prudent de préparer, à tête reposée, un projet qui pût servir de base de discussion ; je m’occupai en conséquence à rédiger ce projet, dans les jours qui précédèrent immédiatement la réunion de Sonvillier.


Il faut maintenant faire connaître comment Bakounine employa les mois de septembre et d’octobre et la première moitié de novembre. On a vu que, dans les derniers jours d’août, il travaillait à un second article contre Mazzini. Pendant la plus grande partie de septembre, il désigne encore ce manuscrit, dans son calendrier-journal, sous le nom de 2d article Mazzini. A partir du 26 septembre, il l’appelle « brochure » : 2de brochure Mazzini, 2de brochure mazzinienne. Il s’interrompt après le 1er octobre, pour écrire, du 2 au 4, une réponse à l’Unità italiana, journal mazzinien de Milan ; cette réponse paraît, traduite en italien sous le titre de Risposta all’ « Unità italiana » per M. Bakounine, dans le Gazzettino rosa des 10, 11 et 12 octobre[33] ; puis il reprend la rédaction de la brochure, du 5 au 14.

La polémique contre le parti mazzinien mit Bakounine en relations avec quelques hommes nouveaux, qui entrèrent en correspondance avec lui : on voit apparaître à ce moment, pour la première fois, dans son calendrier-journal, trois noms, ceux de Carlo Terzaghi (18 septembre), de Carmelo Palladino (16 septembre) et de Vincenzo Pezza (8 octobre), qui lui écrivent. Terzaghi rédigeait à Turin le Proletario : c’était un détraqué qui, après avoir offert ses services alternativement à Bakounine et à Marx, finit par les vendre à la police. Carmelo Palladino, jeune avocat napolitain, avait reconstitué avec l’aide de Carlo Cafiero, d’Errico Malatesta et de quelques autres, la Section internationale de Naples, fort malade depuis 1870 et finalement dissoute par un arrêté du ministre de l’intérieur du 14 août 1871. V. Pezza écrivait dans le Gazzettino rosa sous le pseudonyme de « Burbero », et il allait devenir le plus ardent propagandiste de l’internationale en Italie jusqu’au moment où une mort prématurée l’enleva, à la fin de 1872. Il n’y eut entre Bakounine et Palladino que des relations épistolaires[34] ; mais Pezza vint le voir à Locarno le 15 octobre, et il se fit aussitôt entre eux une « entente complète ». La Roma del Popolo du 12 octobre avait publié une adresse de Mazzini aux délégués ouvriers qui devaient se réunir en Congrès à Rome le 17 novembre : c’était sans doute cette manifestation du chef républicain qui avait motivé la visite de Pezza. Du 17 au 19, Bakounine s’occupe encore de la 2de brochure Mazzini ; mais le 19 au soir il commence la rédaction d’une « Circulaire en réponse à la circulaire de Mazzini », et s’absorbe dans cette besogne jusqu’au 28. Le manuscrit de cette circulaire, qu’il avait envoyé à Pezza, fut imprimé clandestinement à Naples, et distribué aux délégués du Congrès[35] ; il en a été fait une réimpression à Ancône en 1885, sous le titre : Il socialismo e Mazzini[36]. Bakounine ne reprend pas tout de suite la brochure Mazzini : du 28 octobre au 4 novembre, une longue lettre à écrire aux amis des Montagnes, puis des préoccupations de famille, l’en détournent : il s’y remet du 5 au 15 novembre. Il m’avait expédié, dès le 17 octobre, les pages 25-49 de son manuscrit pour l’imprimer (l’envoi des pages 1-24 n’est pas noté) ; le 16 novembre il m’en envoya la fin, pages 50-110 ; l’impression en fut achevée six semaines après. Ce manuscrit forma, précédé de l’article paru en août dans la Liberté, une brochure ou plutôt un petit livre, que l’auteur intitula : La Théologie politique de Mazzini et l’Internationale, première partie. J’en parlerai plus loin.


Mais je dois, ici, achever l’histoire d’un autre manuscrit plus considérable, celui qui était destiné à former la seconde livraison de L’Empire knouto-germanique. J’ai dit (p. 160) que Bakounine m’avait repris les feuillets 139-285 de ce travail, et qu’il avait rédigé du 5 juin au 13 juillet un « Préambule pour la seconde livraison » (il en écrivit quelques feuillets seulement). Il m’avait écrit, le 10 juin, que le manuscrit de cette seconde livraison ne tarderait pas à m’arriver au complet, et qu’il avait confiance que la somme nécessaire pour l’impression se trouverait bientôt (p. 155).

D’autre part, Sibiriakof m’avait écrit de Munich, le 9 juin, en me répétant qu’il ne pouvait plus envoyer d’argent pour le moment ; que peut-être il pourrait en envoyer dans un ou deux mois, mais que « en tout cas la somme envoyée ne dépasserait pas deux cents francs ». Ensuite je n’avais plus entendu parler de rien, jusqu’au 20 septembre. Ce jour-là, je reçus une lettre de Sibiriakof, du 23, me demandant de lui fournir à nouveau le devis de l’impression de la seconde livraison, qu’il avait égaré ; il ajoutait que, sans qu’il put promettre positivement d’envoyer l’argent, il était très probable qu’il serait en mesure de le faire. Je lui expédiai le devis demandé (512 francs, se divisant ainsi : 8 feuilles à 55 fr. pour mille exemplaires, 440 fr. ; mille couvertures, 24 fr. ; brochage, 6 fr. par feuille pour mille exemplaires, 48 fr.) ; mais je ne reçus point d’argent, et Bakounine renonça à me renvoyer son manuscrit, préférant employer pour l’impression de la brochure Mazzini les ressources qu’il pourrait recueillir. Son calendrier-journal indique qu’il reçut de Sibiriakof deux cents francs le 11 octobre.

Le contenu des feuillets 139-210 du manuscrit de L’Empire knouto-germanique avait été composé à Genève à l’Imprimerie coopérative ; cette composition (dont il existe une épreuve parmi les papiers laissés par Bakounine) formait un chapitre intitulé Sophismes historiques de l’École doctrinaire des communistes allemands ; elle est restée inutilisée. Les feuillets 149-247 du manuscrit (moins les feuillets 211-213, perdus) ont été publiés en 1882 à Genève, par les soins de nos amis Carlo Cafiero et Élisée Reclus, sous ce titre qui est de leur invention : Dieu et l’État. L’avertissement que les deux éditeurs ont placé en tête de ce petit volume montre qu’ils ne connurent pas le véritable caractère des feuillets qu’ils avaient entre les mains : ils ne soupçonnèrent point qu’ils se trouvaient en présence d’une partie de ce qui aurait formé, si l’argent n’eût pas manqué pour en faire l’impression en 1871, la seconde livraison de L’Empire knouto-germanique ; ils disent, en effet : « Le mémoire que nous publions aujourd’hui n’est en réalité qu’un fragment de lettre ou de rapport. Composé de la même manière que les autres écrits de Bakounine, il a le même défaut littéraire, le manque de proportions ; en outre, il est brusquement interrompu ; toutes les recherches faites par nous pour retrouver la fin du manuscrit ont été vaines. » Cette dernière assertion est incompréhensible pour moi : car cette fin du manuscrit — qui existe encore aujourd’hui — devait être, aussi bien que la partie publiée par Reclus et Cafiero, dans la caisse contenant les papiers inédits de Bakounine, caisse qui m’avait été envoyée en 1877, et que j’ai remise à Élisée Reclus en 1878. Les feuillets 248-280, que Reclus et Cafiero n’avaient pu « retrouver », sont encore inédits.

Bakounine avait écrit, du 5 au 15 avril 1871, cinquante-cinq feuillets, 286-340, qui forment une longue note se rattachant à la dernière phrase du feuillet 285 ; le contenu de ces feuillets a été publié en 1895 par Max Nettlau, sous ce même titre Dieu et l’État qu’avaient choisi les éditeurs des feuillets 149-247, aux pages 263-326 du volume intitulé Michel Bakounine : Œuvres (Paris, Stock). Quant aux quatorze feuillets écrits en juin-juillet 1871 pour servir de « Préambule pour la seconde livraison », le commencement en a paru sous le titre : La Commune de Paris et la notion de l’État, par les soins d’Élisée Reclus, dans le Travailleur, de Genève, en 1878 ; le texte complet de ces feuillets inachevés a été publié ensuite à Paris, en 1892, sous le même titre, par Bernard Lazare, dans les Entretiens politiques et littéraires.


J’ai parlé de préoccupations d’ordre privé, qui étregnirent l’esprit et le cœur de Bakounine dans les premiers jours de novembre ; à ces préoccupations se joignaient de cruels soucis matériels. Ce qui lui restait de temps et de force physique et morale, en dehors de ces affaires absorbantes, il le consacrait en première ligne aux choses d’Italie, avec la passion qu’il apportait à tout ce qui avait pour lui l’attrait du nouveau. Il suivait néanmoins, de loin, ce qui se passait dans la Suisse française et à Londres ; on a vu sur quel ton il écrivit à Ozerof, le 3 octobre, au sujet de la scène qui avait eu lieu entre Malon et Outine au Temple-Unique. Malon lui-même, sans doute à la demande d’Ozerof, lui écrivit le 11 octobre ; Bakounine lui répondit le 16, et lui écrivit de nouveau le 4 novembre. Il ne connut les résolutions de la Conférence de Londres que le 29 octobre ; et si, comme son calendrier-journal le montre, il correspondit avec nous à ce sujet, il ne prit néanmoins aucune part à la préparation du Congrès de Sonvillier, et resta étranger aux résolutions qui y furent adoptées, et dont il n’eut connaissance que le 20 novembre. Je reproduis ci-après le contenu de son calendrier-journal pour le mois d’octobre et de novembre[37] ; on verra combien est erronée l’opinion de ceux qui attribuèrent à Bakounine une part prépondérante dans la révolte des internationaux du Jura et des réfugiés de Genève contre le Conseil général et la Conférence de Londres, et dans la fondation de la Fédération jurassienne :


Octobre 1er[38]. Devais payer à Chiesa[39] 50 fr, et je n’ai pas pu. Télégraphié pour le tabac et l’arsenic. — 2. 80 fr. reçus de Schwitzguébel. Chiesa vient le matin avec le syndic d’Ausonio[40]. — 3. Lettre de James. — 4. Lettre à James. — 6. Télégramme de Guillaume. — 8. Commencé tabac ; arsenic non reçu. Lettre de Burbero. — 9. Lettres de James, d’Adhémar…[41] Lettre aux Montagnes. Argent pas — ne vient pas — inquiétude — que faire ? Télégramme à Köller[42] arsenic. 11. Reçu de Sibiriakof 200 fr. ; payé Mme Thérèse et charcutière, chacune 70 fr. Lettre à James, envoyée. — 13. Lettres de Malon, de Ross, billet de James. — 14. Télégraphié à James pour livres et à Ad. Vogt pour arséniate.— 15. Arrivé Burbero ; entente complète. — 16. Pezza parti 4 h. matin. Longues lettres à Malon et Guillaume envoyées. — 17. Envoyé à Guillaume manuscrit [Mazzini] pp. 24-49 avec lettre à Adhémar. — 21. Deux lettres de Guillaume ; écrit et envoyé lettre à Guillaume. — 22. Envoyé 1re moitié circulaire [en réponse à la circulaire de Mazzini] à Paolo ; lettre à Guillaume. — 25. Remis les derniers 10 fr. pour le marché. Rien n’arrive. Que faire ? Reste 3 fr. 35. — 26. Lettre à Guillaume. Point d’argent ; que faire ? — 27. Point d’argent. Plan d’emprunt. — 28. Fin de la circulaire, en tout 25 feuilles (près de 100 pages) envoyées à Burbero. — 29. Demandé à Gavirati sa signature ; refusé. Lettre de James ; longuissime lettre aux amis des Montagnes. Résolutions de la Conférence. — 31. Zaytsef arrivé. Envoyé lettres… à Guillaume.

Novembre 1er. Lettres… de James. Envoyé lettres… à James. J.[43] mort ; Antonie demi-folle, — veut partir printemps[44]. — 2. Antonie n’a pas dormi. Avec Zaytsef envoie télégramme à Krasnoïarsk : lettres à… et plus tard d’Antonie à Moscou. Soir, Antonie dort mieux. Lettre de Charles [Gambuzzi], envoie 100 fr. ; Zaytsef parti à 3 h. — 4. Antonie aujourd’hui mieux. Lettre à Malon. Lettre de James. — 5. Quelle réponse télégraphique recevrons-nous ? — 6. Point de réponse télégraphique encore ! Antonie calme, mais désespérée, tremble pour ses parents. — 7. Point de réponse. Lettre de James (40 fr. d’Adhémar). — 9. Lettre de James. Soir arrive Terzaghi ; journée avec Terzaghi jusqu’à 4 h de la nuit ; à 4 h. part Terzaghi. — 10. Lettre à Guillaume. Télégramme de Guillaume. Point de télégramme, point d’argent. — 11. Envoyé lettres… à Guillaume. Lettre du commissaire[45] ; Mordasini. Envoyé dictionnaire à Terzaghi. — 13. Lettre de Sophie[46], tous en vie : joie. Le charcutier veut bien attendre. — 15. Lettre de Sentiñon. — 16. Envoyé à Guillaume deux paquets manuscrit [Mazzini], pages 50-110 inclusivement, et lettre. — 17. Simon vient ; avec lui chez secrétaire. — 18. Avec Simon à la municipalité. — 20. Ni argent ni lettre d’Irkoutsk. Envoyé lettres… à Bastelica. Soir, lettre de Guillaume. — 21. Lettre de Schwitz. — 22. Emilio m’apporte 50 fr. — 23. Lettre de Gambuzzi avec 100 fr. — 24. Paye charcutier 100 fr. — 25. Lettre à mes frères. Ross et Smirnof arrivent de Zurich. — 26. Ross et Smirnof partent pour Genève. — 28. Lettres… de Guillaume, de Bastelica. — 30. Lettre à James et Adhémar.


Je complète cette citation, qui montre combien fut minime, à ce moment, la part prise par Bakounine à la lutte que nous menions contre la coterie autoritaire dans l’Internationale, en reproduisant in-extenso, à cause des détails intéressants qu’elle contient, une lettre de Bakounine à Ogaref (en russe[47]) écrite le surlendemain du jour où avait eu lieu le Congrès de Sonvillier. Bakounine entretient son ami de ses préoccupations du moment ; il en a trois : le chagrin de sa femme, la détresse pécuniaire où il se trouve, sa polémique italienne. De Marx, d’Outine, et de la Fédération jurassienne qui vient de se fonder[48], pas un mot. Voici cette lettre :


14 novembre 1871. Locarno.

Mon cher vieil Aga,

Je ne t’ai pas écrit depuis bien longtemps, parce que ma situation est devenue tout à fait impossible et qu’elle empire de jour en jour, de sorte que je ne puis te dire rien de gai.

1° Ma femme a perdu son dernier frère ; elle-même et toute sa famille sont au désespoir. Elle a des inquiétudes pour la vie de sa mère, de son père, de ses sœurs. Je ne la quitte ni de jour, ni de nuit, afin de la tranquilliser quelque peu en la persuadant que tous les autres membres de la famille sont sains et saufs. Nous avons dépensé les vingt-cinq derniers francs qui nous restaient pour envoyer un télégramme à sa sœur, à Krasnoïarsk. Mais voilà dix jours d’écoulés déjà[49], sans que nous ayons obtenu une réponse quelconque. Peut-être le télégramme a-t-il été saisi par la police, ou encore quelque nouveau malheur est-il arrivé. Je tremble à cette idée ;

2° À cet état de fièvre s’ajoute encore l’absence complète d’argent, et, par dessus le marché, des dettes partout : des réclamations de la propriétaire de la maison, de l’épicier, du charcutier, ces deux derniers nous ont refusé crédit, et, depuis hier, nous n’avons plus de viande à table ; bientôt nous n’aurons ni bougies, ni chauffage. Et je ne sais plus où trouver de l’argent. Les sœurs d’Antonie nous en enverront peut-être, si le gouvernement ne le saisit pas. Je te prie de n’en souffler mot à personne, afin que toute la colonie de Genève ne se mette pas à faire des commérages à ce propos, ce qui pourrait faire évanouir notre dernier espoir.

Jusqu’ici je n’avais pas cessé d’espérer que mes frères m’enverraient quelque secours, et ils l’eussent fait assurément si tes chers « protégés », Mme  Herzen et son charmant beau-fils, n’avaient fait des vilenies à mon égard ; car Louguinine était très disposé à s’occuper de cette affaire et y mettait toute son ardeur[50]. Mais ils voulurent y apporter leur part de vilenies. Que ceux qui nient ce fait se plaisent à l’ignorer, je n’en puis, moi, faire autant. Eh bien, que le diable les emporte !

3° Malgré tout cela je continue à travailler dans la mesure de mes forces — je poursuis en Italie une lutte à outrance contre les mazziniens et les idéalistes. Tu trouves que tout cela n’est pas nécessaire. Eh bien, sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres encore, je ne suis pas d’accord avec toi. Dans cette affaire aussi, les Herzen ont cherché à me nuire. Ils ont envoyé à Mazzini la traduction de la diatribe qu’Alexandre Ivanovitch [Herzen] avait écrite contre moi et qui a été publiée dans ses Œuvres posthumes[51]. Elle a paru dans l’Unità italiana. Tout cela ne sert à rien. Je ne me suis pas seulement donné la peine d’y répondre. Laissons les chiens aboyer à leur gré.

Voilà, cher ami, le tableau de ma vie actuelle. Tu comprendras, à présent, que je ne pouvais avoir grande envie d’écrire. Je finis mes jours dans la lutte, et je lutterai tant que mes forces ne m’abandonneront pas.

Adieu, je t’embrasse, de même que tous les tiens. Enfin, les journaux russes me sont arrivés. Je te les renverrai, mais non affranchis. Je n’affranchis même pas cette lettre. Remets celle qui y est jointe à Ozerof. Il est prolétaire comme moi, donc on ne peut pas lui adresser des lettres non affranchies.

Ton M. B.

Nous avons eu la visite de Zaytsef ; il paraît que c’est un homme de bien.



  1. Reproduite par Nettlau, p. 559.
  2. On voit que le secrétaire de la Section de l’Alliance avait persisté jusqu’au bout dans ses habitudes de négligence.
  3. Inutile d’ajouter que personne, parmi les membres de l’ancienne Section de l’Alliance habitant Genève, ne m’envoya le moindre document ni le moindre renseignement. Je n’eus, pour m’aider dans le travail que j’allais entreprendre, que le « rapport » rédigé par Bakounine en juillet et août 1871, et, plus tard, le « Mémoire justificatif » que me fit parvenir Robin en 1872.
  4. Reproduite par Nettlau, p. 565.
  5. On voit que Bastelica se regardait comme lié par le « secret professionnel », — la Conférence ayant eu le caractère d’une réunion tenue strictement à huis-clos, — jusqu’au moment où le Conseil général aurait publié celles des résolutions qu’il croirait pouvoir faire connaître sans péril.
  6. On se souvient que Bakounine était en froid avec Malon depuis la dissolution de la Fraternité internationale en janvier 1869, — chose que j’avais ignorée.
  7. Cette lettre a été retrouvée et publiée par Nettlau (p. 560), qui l’a datée par erreur du 16 octobre. Il a pris l’abréviation, insuffisamment calligraphiée par Malon : « 10bre » (décembre), pour un numéro d’ordre désignant le 10e mois (octobre).
  8. Nettlau a coupé la phrase ici, pour abréger. N’ayant pas eu l’occasion de consulter l’original, je ne puis suppléer les mois qui manquent.
  9. Mme Levachof.
  10. Le programme de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste.
  11. Nettlau, note 2646.
  12. Dans la brochure Les prétendues scissions, etc. (p. 15), on lit : « La Solidarité ayant cessé d’exister, les nouveaux adhérents de l’Alliance fondèrent la Révolution sociale, sous la direction supérieure de Mme André Léo, qui venait de déclarer au Congrès de la paix, à Lausanne, que « Raoul Rigault et Ferré étaient les deux figures sinistres de la Commune ». Ces mots, donnés comme textuellement extraits du discours de Mme André Léo, puisqu’ils ont été placés entre guillemets, ne s’y trouvent pas : on les y chercherait en vain. Nouvel exemple de la façon dont Karl Marx respecte le texte des écrivains qu’il prétend citer.
  13. Le discours de Mme André Léo (publié sous le titre de La guerre sociale) et celui de Clémence furent imprimés à l’imprimerie G. Guillaume fils.
  14. Lettre communiquée par Mme Charles Keller.
  15. Charles Perron.
  16. Je ne sais pas de qui il s’agit : sans doute de quelque ancien membre de la Section de l’Alliance qui avait demandé à faire partie de la Section centrale.
  17. Mme André Léo s’est trompée sur un point, dans le récit qu’elle met dans la bouche de son interlocuteur : elle place avant le Congrès de la Chaux-de-Fonds, en 1870, l’incident relatif à la dénégation, par Mme Dmitrief, de l’authenticité des lettres d’Eccarius et de Jung, tandis que cet incident est du printemps de 1871.
  18. Allusion à la phrase finale de la résolution XVII de la Conférence de Londres, qui interdisait « aux journaux se disant organes de l’Internationale de discuter dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions à traiter exclusivement dans le sein des comités et du Conseil général, ou dans les séances privées et administratives des Congrès » : voir ci-dessus p. 212.
  19. Les prétendues scissions, etc., p. 15.
  20. À propos de cette phrase de la Révolution sociale, Marx écrit à Bolte, le 23 novembre 1871 : « Bakounine s’est mis en rapport avec la partie canaille de la proscription française (mit dem verlumpten Teil der französischen Fluchtlingschaft) à Genève et à Londres. Le mot d’ordre est qu’au Conseil général règne le pangermanisme, le bismarckisme... Le crime consiste en ceci, que les éléments anglais et français sont dominés (!), en matière de théorie, par l’élément allemand, et qu’ils trouvent cette domination, c’est-à-dire la science allemande, très utile et même indispensable. »
  21. Marx traitant Bakounine d’agent panslaviste, et le Volksstaat disant, à propos de l’affiche rouge de Lyon : « On n’aurait pas pu mieux faire au bureau de la presse, à Berlin, pour servir les desseins de Bismarck », sont condamnés par tout esprit impartial. J’ai dû blâmer, dans le même souci de justice et de vérité, les emportements de Mme  André Léo.
  22. Il est intéressant de rapprocher cet exposé de principes du passage du manifeste The Civil War in France reproduit plus haut (p. 191), où Marx a défini, lui aussi, l’idée moderne de Commune. On constatera par là combien, en réalité, on était près de s’entendre sur le terrain de la théorie : et l’entente aurait pu se faire, si la soif de domination personnelle n’avait pas entraîné Marx à transformer en adversaires, qu’il fallait excommunier à tout prix, ceux dont le caractère indépendant refusait de plier sous son autorité.
  23. Lettre communiquée par Mme  Charles Keller.
  24. Préambule des statuts de la Section.
  25. Bastelica, en adressant à Joukovsky sa lettre du 28 septembre (voir p. 216), avait eu pour but principal de lui parler de son désir de venir en Suisse. Il écrivait : « J’ai appris un peu de typographie en Espagne : je désirerais continuer ce métier ; trouverais-je les éléments en Suisse ? Réponds-moi vite. » Joukovsky répondit qu’il n’y avait rien à faire à Genève, et il engagea son correspondant à m’écrire, ce que celui-ci fit aussitôt. On a vu que j’avais des raisons d’être sur la réserve avec Bastelica — comme j’en avais à l’égard de Malon ; mais, puisqu’il était malheureux à Londres et voulait quitter cette ville, je lui répondis qu’il y avait du travail à l’imprimerie G. Guillaume fils. Il vint, et je pus l’embaucher sans provoquer de protestation de la part des compositeurs, grâce à un carnet que lui envoyèrent nos amis de Barcelone, établissant — par un léger accroc aux règlements, justifié puisqu’il s’agissait de secourir un proscrit — qu’il était reconnu comme ouvrier typographe par l’Union typographique de cette ville.
  26. Ce correspondant est probablement Deshusses, qui avait été membre de la Section de l’Alliance et qui avait rempli les fonctions de président dans la séance de la Section de propagande du 23 septembre. Cela expliquerait les expressions « nos vingt Sections », « notre prochain Congrès régional », que Joukovsky ne pouvait employer qu’en s’adressant à un ancien membre de notre Fédération, et non en écrivant à un réfugié de la Commune.
  27. Joukovsky parle comme s’il eût encore fait partie de notre Fédération, quoique, par la dissolution de la Section de l’Alliance, lui et les membres de cette ex-Section eussent cessé d’être membres effectifs de la Fédération romande.
  28. Un entrefilet paru dans la Federación de Barcelone du 19 novembre (et reproduit dans la Révolution sociale du 23 novembre) montre qu’en effet, dans la première quinzaine de novembre, — avant le Congrès de Sonvillier, ou du moins, en tout cas, avant que la nouvelle des résolutions votées par ce Congrès fût parvenue en Espagne, — un délégué de la Section de propagande de Genève se trouvait dans cette ville (c’était probablement un proscrit français, réfugié à Barcelone, qui s’était affilié à la Section de Genève). Voici ce que disait la Federación : « Nous sommes heureux de la visite que vient de nous faire le délégué de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève. Nous sommes entièrement satisfaits du radicalisme ainsi que de la netteté des principes que cette Section professe ; les Sections d’Espagne professent les mêmes principes. Par conséquent nous acceptons la fédération que la Section nous propose, et nous désirons voir arriver le moment où cette fédération deviendra un fait accompli. »
  29. Cette Section, qui s’était donné le nom de « Section française de 1871 », avait été fondée le 28 septembre 1871. Il est probable que c’est par Malon ou par Bastelica que Joukovsky venait d’en apprendre l’existence. Je ne sais pas si à cette date la Section française de 1871 avait déjà reçu du Conseil général la notification du rejet de sa demande d’admission ; il n’est pas nécessaire de le supposer, car Joukovsky ajoute les mots « comme nous », et pourtant le 30 octobre la Section de propagande attendait encore la réponse du Conseil général.
  30. Lettre citée par Nettlau, p. 574.
  31. Régulièrement, le Congrès de la Fédération romande aurait dû être convoqué fin avril 1871. En attendant qu’il pût l’être, une réunion avait eu lieu à Neuchâtel le 21 mai, comme on l’a vu, et avait procédé au renouvellement du Comité fédéral.
  32. Allusion à cette phrase de la résolution XVII : « Elle décrète que la Fédération des Sections des Montagnes se nommera Fédération jurassienne ». Le texte complet de cette résolution avait paru, comme il a été dit, dans l’Égalité du 26 octobre.
  33. Nettlau, p. 624.
  34. J’ai aussi correspondu quelque temps avec lui ; il m’avait envoyé sa photographie, que je possède encore : belle tête énergique, d’un type italien accentué. Palladino épousa par amour une paysanne ; il quitta Naples pour aller vivre au fond d’une province, et nous le perdîmes de vue.
  35. Nettlau, Supplément manuscrit (inédit).
  36. Nettlau, p. 627.
  37. Bien que le présent chapitre s’arrête au moment de l’ouverture du Congrès de Sonvillier, je donnerai les extraits du calendrier-journal jusqu’à la fin de novembre.
  38. Je laisse de côté les indications, déjà données, qui ont rapport à la rédaction des manuscrits appartenant à la polémique contre Mazzini.
  39. Remigio Chiesa était un habitant de Locarno avec lequel Bakounine s’était lié et qui lui rendit quelques services.
  40. Bakounine pensait à ce moment à acquérir la nationalité suisse, en se faisant admettre comme citoyen par la commune tessinoise d’Ausonio.
  41. Quand le cahier-journal mentionne, outre les noms qui peuvent nous intéresser, les noms de correspondants complètement étrangers au sujet, je ne les reproduis pas.
  42. C’est le pharmacien qui lui fournissait habituellement les remèdes dont il usait.
  43. C’est le dernier frère de Mme Bakounine, mort à Krasnoïarsk (Sibérie), chez ses parents, dont il était l’unique soutien. L’autre frère était mort en 1869.
  44. Ce projet de départ de Mme Bakounine pour la Sibérie, où elle alla rejoindre ses vieux parents, se réalisa à la fin de juin 1872.
  45. C’était le commissaire de police, qui déjà en août avait invité Bakounine à se mettre en règle en se procurant un passeport ; un ami tessinois, Mordasini, était intervenu alors pour qu’un délai fût accordé.
  46. Mme Lossowska, sœur de Mme Bakounine.
  47. Correspondance de Bakounine, traduction française, p. 353.
  48. Bakounine ne reçut de nouvelles du Congrès de Sonvillier, comme on le voit par le calendrier-journal, que le 20 novembre par une lettre de moi, et le 21 par une lettre de Schwitzguébel.
  49. Il y avait douze jours d’écoulés, le télégramme ayant été envoyé le 2.
  50. Voir plus haut p. 133.
  51. C’était un article de Herzen intitulé « Michel Bakounine et l’affaire polonaise », ayant trait à l’attitude de Bakounine dans l’insurrection de Pologne en 1863.