L’Internationale, documents et souvenirs/Tome II/III,4

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L’INTERNATIONALE - Tome II
Troisième partie
Chapitre IV
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IV


Protestation de notre Comité fédéral (2 octobre 1870) ; Congrès de Saint-Imier (9 octobre). — Bakounine à Marseille (30 septembre-14 octobre). — La Commune de Marseille (31 octobre-4 novembre).


Par une circulaire en date du 23 septembre, le Comité fédéral romand siégeant à la Chaux-de-Fonds convoqua nos Sections à un Congrès extraordinaire pour le dimanche 9 octobre, à Saint-Imier. Il s’agissait essentiellement d’aviser aux moyens de ressusciter la Solidarité. J’ai sous les yeux le procès-verbal de l’assemblée générale de la Section de l’Alliance de Genève, du samedi 1er octobre, assemblée dans laquelle cette Section désigna Joukovsky pour la représenter au Congrès ; on y lit : « Le citoyen Joukovsky expose la situation économique de la Solidarité : une dette de huit cents francs pèse sur le journal ; il faut que les Sections la paient. La rédaction ayant donné sa démission, il faut en nommer une autre. Vu l’impossibilité de publier le journal à Neuchâtel, il faut changer le lieu de publication.» La Section décide que son délégué fera au Congrès la proposition suivante : « Constater le chiffre de la dette ; constater le nombre des membres de la Fédération, et répartir le chiffre entre tous ». Puis on discute la question du lieu de publication : « Plusieurs membres exposent les difficultés qui se présenteraient au cas où le Congrès désignerait Genève pour la publication de la Solidarité. Le délégué est chargé de les exposer au Congrès. Quant à l’attitude que le journal devra prendre vis-à-vis des événements qui bouleversent l’Europe en ce moment, elle doit être énergique ; après le Manifeste qui nous a compromis aux yeux des bourgeois, nous devons nous tenir strictement aux principes révolutionnaires, nous devons les exposer sans crainte ni faiblesse. » — Les autres Sections prirent des décisions analogues.

Avant le Congrès, et après entente avec les Sections, le Comité fédéral publia une protestation relative à l’accueil fait par les coullerystes et les hommes du Temple-Unique au Manifeste de la Solidarité. Comme nous n’avions plus d’organe à nous, le Comité fut obligé de se servir de la presse radicale, et envoya cette protestation au journal le National suisse de la Chaux-de-Fonds, qui l’inséra dans son numéro du 6 octobre. La voici :


Aux membres de l’Association internationale des travailleurs.
Compagnons,

C’est un devoir pour nous que d’opposer une protestation énerqique à certains faits qui viennent de se passer dans la Suisse romande, relativement à un Manifeste publié dans notre organe la Solidarité.

Nous avions cru que la scission qui s’était opérée au Congrès de la Chaux-de-Fonds avait laissé chez tous d’assez tristes souvenirs, pour que chacun s’efforçât de ne pas envenimer une situation déjà assez anormale. Nous pensions aussi que notre conduite à l’égard des Sections qui crurent devoir se détacher de nous aurait dû nous valoir, de la part des membres de ces Sections, des sentiments plus fraternels que ceux qu’ils viennent de faire éclater si publiquement à notre égard.

La rédaction de la Solidarité a publié, comme elle en avait le droit, un Manifeste affirmant la solidarité morale et matérielle qui doit exister entre tous les républicains, et faisant appel au dévouement de tous les socialistes pour aider à sauver la France républicaine du despotisme de la Prusse monarchique ; et cela non pas, comme cherche à le faire croire l’Égalité de Genève, en vue de sauvegarder l’intégrité territoriale de la France, et de prendre part à une lutte nationale, mais bien parce que la jeune République représente la révolution européenne qui affranchira les travailleurs.

Cet affranchissement ne pouvant être opéré que par les travailleurs eux-mêmes, comme le disent très bien nos statuts généraux, quoi de plus logique que d’engager les ouvriers de tous les pays à prêter leur concours à la défense du principe de liberté qui vient d’être proclamé à Paris ? N’est-ce pas déjà une conséquence naturelle du caractère international de notre Association ? Les ouvriers de tous les pays, les Belges, les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Espagnols, ne se sont-ils pas empressés chacun de leur côté d’acclamer la République française ?

Que la bourgeoisie voie de mauvais œil des manifestations semblables ; que les autorités constituées se soient empressées de les réprimer, c’est tout naturel. Elles sont dans leur rôle. Nous ne voulons pas, dans les circonstances exceptionnelles où nous nous trouvons, discuter la question délicate de savoir jusqu’à quel point la neutralité suisse pouvait se trouver compromise par la publication du Manifeste de la Solidarité. Mais que des hommes qui, jusqu’à présent, ont aussi fait partie de l’Internationale, et qui prétendent avoir plus que nous le droit de parler en son nom ; que ces hommes aient saisi ce prétexte pour nous jeter l’injure et la calomnie, pour dénaturer perfidement nos intentions, pour nous dénoncer, — oui, pour nous dénoncer, dans leurs journaux, aux autorités comme des hommes dangereux : voilà ce qui nous remplit d’indignation.

Lors même que le Manifeste se serait trouvé sur quelque point en contradiction avec leurs propres opinions, cela pouvait-il motiver, de la part d’hommes qui eussent été véritablement internationaux, un pareil débordement de haine et de basse injure ? Est-ce bien à eux à nous montrer du doigt à la police ? Était-ce une conduite digne de socialistes que décrire, à la Chaux-de-Fonds dans la Montagne, à Genève dans l’Égalité, à Berne dans le Bund, des articles remplis de fiel et destinés, non à discuter honnêtement et calmement des questions de principe, mais à éreinter lâchement des personnalités ?

Qu’ils se souviennent des représentants de l’Internationale que le général Vogel de Falkenstein a fait conduire à la forteresse de Königsberg[1], les fers aux pieds et aux mains, les membres du Comité central d’Allemagne, coupables comme nous d’avoir publié un manifeste jugé séditieux par l’autorité. Ils ont peut-être applaudi à cette mesure, et ils seraient heureux de voir les signataires de la présente protestation condamnés pour ce fait à quelques mois de prison.

D’où peut venir un tel acharnement contre nous ? Quel est le motif secret qui a fait écrire par des membres de la Section centrale de la Chaux-de-Fonds la pièce publiée dans la Montagne ?

Hélas ! question personnelle que tout cela. Ces membres sont sous l’inspiration de MM. Coullery et Outine.

M. Coullery est furieux contre les hommes qui ont démasqué sa trahison politique et qui ont refusé de servir de marchepieds à son ambition.

M. Outine, de Genève, rédacteur de l’Égalité, est furieux contre des hommes qui détestent sa suffisance et ses intrigues anti-internationales.

MM. Coullery et Outine ne sont unis que par leur haine, car du reste ils professent des tendances diamétralement opposées.

Il suffit de lire la Montagne et l’Égalité pour se convaincre qu’il n’y a aucune communauté d’idées entre eux.

Pour M. Coullery, qui en est encore à confondre le communisme et le collectivisme[2], et dont l’idée socialiste n’a pas dépassé les sociétés coopératives, nous lui reconnaissons parfaitement le droit de rompre des lances en faveur des républiques actuelles et de la participation aux élections politiques. Disons-lui seulement que, si nous nous sommes prononcés en faveur de l’abstention politique, la faute en est un peu à lui et à son collègue M. Elzingre : en effet, si leur carrière législative avait produit quelque résultat en faveur de l’émancipation du travail, nous ne nous serions peut-être pas trouvés conduits à adopter cette tactique que nous vaut leur blâme.

Quant à M. Outine, nous sommes persuadés que sa protestation, signée Henri Perret, n’est pas l’expression [de l’opinion[3]] de l’Internationale à Genève.

Lorsque nous sommes entrés dans l’Internationale, nous avons simplement senti toute l’iniquité des institutions sociales actuelles, et nous n’avons cessé de prêter notre concours moral et matériel, tout minime fût-il, à l’œuvre entreprise par l’Association internationale, que nous avons comprise ainsi : la transformation complète des rapports sociaux entre les hommes et l’établissement de la justice. Nos études ont pu aboutir à d’autres conclusions que les vôtres, nous avons pu différer d’opinion sur les moyens d’action, mais, nous le jurons, nous avons toujours été sincères et avons la conscience d’avoir toujours rempli nos devoirs d’internationaux.

Si véritablement nos tendances sont en contradiction avec les principes de l’Internationale, si en répandant dans nos contrées ces principes, tels qu’ils nous apparaissent à la suite de nos études, nous compromettons aux yeux de tout un peuple notre Association ; si en travaillant activement à préparer l’avènement d’une nouvelle ère, nous machinons une œuvre infernale, alors, que l’Association internationale tout entière déclare hautement notre indignité. S’il n’en est pas ainsi, qu’on n’hésite pas non plus à déclarer indigne la conduite de ces vingt ou trente capitaines de l’Association qui, ne se laissant plus guider que par des ressentiments personnels, sont devenus nos ennemis acharnés, et aux yeux de qui tous les moyens sont bons pour nous nuire.

Le prochain Congrès général prononcera sur notre expulsion ou la leur.

Nous continuerons à apporter toute notre activité à la prospérité de l’Internationale, parce que c’est par elle seule que les peuples acquerront la puissance morale et matérielle nécessaire pour supprimer tous les despotismes et tous les antagonismes.

Nous répétons le cri par lequel se terminait le Manifeste de la Solidarité, et nous avons l’espoir que les classes ouvrières de France, s’inspirant des leçons du passé, n’auront désormais qu’un seul but : donner pour fondement à la République l’affranchissemenl complet du travail.

Vive la République sociale universelle !

Chaux-de-Fonds, 2 octobre 1870.
Le Comité fédéral :

Alcide Gorgé, Fritz Heng, Auguste Spichiger, Paul Quartier, Numa Brandt, Edouard Collier, Tell-Émile Ginnel[4].


Les Sections suivantes furent représentées au Congrès de Saint-Imier :

Section centrale de Moutier, par Lucien Luthy et Arnold Dubois ;

Section centrale de Neuchâtel, par Auguste Treyvaud[5] ;

Section des graveurs et guillocheurs de Neuchâtel, par Adolphe Monnier ;

Section des menuisiers de Neuchâtel, par Eugène Robert ;

Section de l’Alliance de la démocratie socialiste de Genève, par Nicolas Joukovsky ;

Section de propagande socialiste de la Chaux-de-Fonds, par Fritz Robert ;

Section centrale du district de Courtelary, par Georges Rossel et Adhémar Schvvitzguébel ;

Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, par Adolphe Herter et Alfred Jeanrenaud ;

Section centrale du Locle, par Ulysse Borel et Charles Lefebvre ;

Section des graveurs et guillocheurs du Locle[6], par Paul Humbert.


Les Sections de Granges (Soleure) et de Vevey avaient envoyé des lettres d’adhésion.

Le Comité fédéral, dont cinq membres étaient présents (Gorgé, Heng et Collier de la Chaux de-Fonds, T.-E. Ginnel et Paul Quartier, du Locle), présenta un rapport sur la situation, dont je reproduis l’extrait suivant d’après les procès-verbaux du Congrès :

« Le Comité fédéral adressa dès son entrée en fonctions une lettre au Conseil général de Londres, pour le mettre au courant des faits qui s’étaient passés au Congrès romand de la Chaux de-Fonds, en avril 1870, et en annonçant sa ferme résolution de marcher de l’avant suivant les résolutions des Congrès généraux. Le 6 juillet 1870, le Conseil général adressa une lettre au Comité fédéral, prétendant qu’il n’avait reçu de ce dernier aucune communication officielle[7], et disant que le Conseil général continuerait à considérer le Comité fédéral romand siégeant à Genève comme le seul légitime. Peu importe le titre de notre Comité fédéral, pourvu que les rapports d’égalité et de justice qui doivent unir les internationaux entre eux existent réellement. Mais différents événements allaient bientôt prouver comment les Genevois pratiquent la solidarité. Lors de la grève générale qui eut lieu cet été dans l’industrie du bâtiment à Genève, notre Fédération fit tout ce qui lui était possible pour venir en aide aux grévistes ; la somme de 298 fr. 55 fut envoyée directement par le Comité fédéral[8]. On aurait pu espérer que ce procédé nous vaudrait quelque bienveillance de la part des internationaux de Genève, mais il n’en fut rien. La guerre franco-prussienne éclata, et donna l’occasion aux hommes de l’Internationale de Genève d’afficher bien haut leurs sentiments étroitement nationaux. Bonaparte tomba et la République fut proclamée ; la rédaction de la Solidarité lança un Manifeste adressé aux internationaux. La conduite, que nous nous abstiendrons de qualifier ici, tenue à cette occasion par quelques membres de la Fédération genevoise, ne peut plus laisser de doute : pour que l’union renaisse dans la Fédération romande, il faut qu’un Congrès général juge et condamne la conduite de quelques individualités dirigeant différents comités. Lors de la révolution du 4 septembre, vingt à trente membres de notre Fédération se rendirent au Cercle appartenant à l’ancienne Section centrale[9] de la Chaux-de-Fonds, dans l’intention de faire la paix ; après les avoir reçus froidement, et avoir longtemps délibéré, on leur déclara qu’il était impossible de s’entendre. Voilà où en sont les choses. »

Le Congrès chargea la Section centrale du district de Courtelary de la vérification des comptes de la Solidarité[10]. Pour le déficit, il ne voulut pas le répartir entre les Sections au prorata du nombre de leurs membres, avec obligation pour chacun de payer sa quote-part, comme le proposait la Section de l’Alliance de Genève ; il préféra s’en rapporter « au dévouement librement manifesté ». Il était à craindre que la réapparition du journal, vu la situation défavorable, ne rencontrât pour le moment des difficultés insurmontables ; le Congrès adopta donc une résolution d’après laquelle, au cas où la réapparition de la Solidarité ne pourrais avoir lieu pour le moment, le Comité fédéral serait chargé de la publication de brchures de propagande et de bulletins, de manière à renseigner aussi souvent que possible les membres sur les événements socialistes ; les frais devaient être couverts au moyen de souscriptions volontaires.

La Section centrale de Neuchâtel présenta, par l’organe de son délégué Treyvaud, « la proposition de constituer entre nos Sections, qui formaient encore à ce moment une des moitiés de l’ancienne Fédération romande, une fédération nouvelle, qui prendrait le nom de Fédération jurassienne[11]. Cette proposition fut écartée comme prématurée : on espérait que le Congrès général, dont la tenue avait été empêchée en 1870 par la guerre, pourrait en 1871 mettre fin à la scission et rétablir la Fédération romande sur ses anciennes bases[12]. »

Le Mémoire ajoute : « Après leur Congrès de Saint-Imier, les internationaux du Jura, de plus en plus absorbés par les événements de France, cessèrent complètement de s’occuper de leurs adversaires du Temple-Unique et du Conseil général ».


En quittant Lyon, Bakounine, accompagné de Lankiewicz, s’était, comme je l’ai dit, rendu à Marseille. Il espérait que les Marseillais agiraient, et même qu’un nouveau mouvement serait encore possible à Lyon. On trouve l’expression de cette espérance dans une lettre qu’il écrivit de Marseille, le 8 octobre, à son jeune ami Emilio Bellerio, lettre qui contient en outre un récit sommaire de la journée historique du 28 septembre. Après avoir prié Bellerio d’aider Mme Bakounine, dans le cas où elle viendrait à manquer d’argent, il continue en ces termes :


Et maintenant parlons de mes aventures en particulier, et en général des affaires de la France. Je vous ai envoyé plusieurs exemplaires de notre proclamation rouge. Vous avez lu aussi dans le journal, avec plus ou moins d’invectives contre ma pauvre personne, d’ailleurs habituée à les recevoir, le récit plus ou moins véridique de notre première (pas dernière) tentative à Lyon, le 28 septembre. Le fait est que le commencement a été magnifique. Nous avons été les maîtres de la situation. Malgré la résistance de la garde nationale bourgeoise, appuyés par le peuple, d’abord désarmé et plus tard accouru en armes, nous nous étions emparés de l’hôtel de ville. Pourquoi n’y sommes-nous pas restés ? demandez-vous. Ah ! ce fut la faute de l’inexpérience révolutionnaire de plusieurs de nos amis, qui se laissèrent amuser par de bonnes paroles, tandis qu’il fallait agir, sans écouter les promesses des réactionnaires qui, se voyant battus, promirent tout, et plus tard ne tinrent rien ; mais surtout par la faute du général Cluseret, pour ne point dire par sa lâcheté et sa trahison. Il avait accepté du Comité vainqueur le commandement de l’hôtel de ville et des gardes nationaux républicains qui l’entouraient en masse et qui étaient avec nous. Voulant plaire en même temps aux bourgeois et au peuple, il laissa entrer secrètement les premiers dans l’hôtel de ville, tandis que les gardes républicains, croyant la victoire définitive, commencèrent à se débander. C’est ainsi que le Comité se vit inopinément entouré d’ennemis. J’étais là avec les amis, leur disant à chaque instant : « Ne perdez pas de temps en vaines discussions ; agissez, arrêtez tous les réactionnaires. Frappez la réaction à la tête. » Au milieu de ces beaux discours, je me vois enveloppé par les gardes nationaux bourgeois, conduits par un des plus forts réactionnaires de Lyon, le maire lui-même, M. Hénon. Je me débattis, mais on m’entraîna et je me vis enfermé dans un trou, après avoir été passablement maltraité. Une heure plus tard, un bataillon de corps-francs, mettant en fuite les gardes bourgeois, vint me délivrer. Je sortis avec mes libérateurs de l’hôtel de ville, où il n’y avait plus un seul membre du Comité. Pendant une nuit et un jour je restai à Lyon, caché chez un ami. Les bourgeois triomphants cette fois me cherchèrent partout, et le lendemain soir je partis pour Marseille, où je me tiens caché. Vous voyez bien que ce n’a été là qu’une petite aventure, rien qu’une partie remise. Les amis, devenus plus prudents, plus pratiques, travaillent activement à Lyon comme à Marseille, et nous aurons bientôt notre revanche, à la barbe des Prussiens.

Je vous dirai, mon cher, que tout ce que je vois ici ne fait que me confirmer dans l’opinion que j’avais de la bourgeoisie : ils sont bêtes et canailles à un degré qui dépasse l’imagination. Le peuple ne demande qu’à mourir en combattant les Prussiens à outrance. Eux, au contraire, ils désirent, ils appellent les Prussiens, dans le fond de leur cœur, dans l’espoir que les Prussiens vont les délivrer du patriotisme du peuple. Il ne manque qu’une seule chose pour organiser une défense formidable, c’est l’argent. Eh bien ! les bourgeois se refusent à donner cet argent, et on parle déjà partout de les y forcer. Les contributions forcées, tel est le seul moyen. Et l’on y aura recours bientôt, je vous assure. En attendant, le général Garibaldi vient de faire son entrée triomphale à Marseille, hier soir à dix heures ; aujourd’hui à neuf heures il est reparti pour Tours, où il sera demain soir.

Au sujet de tous ces événements je termine une brochure très détaillée que je vous enverrai bientôt[13]. Vous a-t-on envoyé de Genève, comme je l’ai bien recommandé, une brochure sous ce titre : Lettres à un Français ?

C’est une guerre à mort entre la révolution populaire, non bourgeoise, — il n’y a plus de révolution bourgeoise, ces deux mots désormais s’excluent, — et le despotisme militaire, bureaucratique et monarchique qui triomphe aujourd’hui en Allemagne. Mais que se passe-t-il en Italie ? Donnez-moi des nouvelles de Milan, je vous prie.

Écrivez-moi à l’adresse suivante : « France, Marseille, Madame Bastelica, 32, boulevard des Dames » ; intérieurement : « Pour Michel ». Il est probable que je retournerai bientôt à Lyon, mais vos lettres ainsi adressées me parviendront toujours....

Votre dévoué M. B.

Cluseret, ayant perdu la confiance de la bourgeoisie et du peuple, s’est réfugié à Genève[14].


Peu de jours après, Bakounine tâchait de déterminer les Lyonnais à tenter un nouveau mouvement : Lankiewicz partit pour Lyon, porteur d’une lettre adressée à Palix et à Blanc, où Bakounine disait :


Chers amis. Marseille ne se soulèvera que lorsque Lyon se sera soulevé, ou bien lorsque les Prussiens seront à deux jours de distance de Marseille. Donc encore une fois le salut de la France dépend de Lyon. Il vous reste trois ou quatre jours pour faire une révolution qui peut tout sauver... Si vous croyez que ma présence peut être utile, télégraphiez à Louis Combe ces mots : Nous attendons Étienne. Je partirai aussitôt, en vous avertissant par un télégramme à l’adresse de Palix par ces mots : Étienne sera chez Madame Rochebrune tel jour, à telle heure.


Et il donnait des indications sur les précautions à prendre pour qu’il pût venir à Lyon incognito :


Mme Blanc se trouvera à l’heure indiquée avec une voiture à la dernière station avant Lyon, — à cette même station où elle voulait me conduire. Je me mettrai en voiture avec elle, et elle me conduira tout droit au logement que vous m’aurez secrètement et prudemment préparé. Ce logement, qui ne doit pas être aux Brotteaux, où l’on connaît trop ma figure, ne devra être connu d’abord que de Palix, Blanc et Mme Blanc, aussi bien que mon arrivée parmi vous. Nous verrons après quels seront les amis qu’il sera utile de conduire chez moi... Valence vous dira le reste. Mon cher Blanc, je te recommande deux choses : d’abord de venir t’inspirer toujours chez Palix, et ensuite de me tenir chaque jour au courant de ce qui se passe chez vous avec tous les détails possible, ce qui te sera facile avec le dictionnaire que je t’envoie et que tu dois garder et bien cacher chez Palix[15].


Mais Lankiewicz fut arrêté, la lettre et le dictionnaire saisis. Blanc fut emprisonné aussitôt[16], et Bakounine écrivait le 16 octobre à son ami Ogaref (en russe) :


Eh bien, frère, chaque jour ça va plus mal. Je viens de recevoir une lettre de Lyon m’annonçant que Blanc et Valence sont arrêtés, et que ce dernier était porteur d’un dictionnaire contenant les noms de tous nos amis, ainsi que des expressions très compromettantes telles que : assassinat, pillage, incendie, etc. C’est très mauvais, et cela les expose à un danger sérieux... L’ordre a été donné d’arrêter tous ceux dont les noms se trouvent sur la liste. Je ne sais pas encore combien d’arrestations ont été opérées. Mais il paraît certain que Blanc et Valence sont bien réellement emprisonnés. La police était venue chez Palix ; mais, le voyant malade et alité, elle l’a laissé tranquille. Les noms de Bastelica et de Combe se trouvaient aussi sur la liste. Je t’ai déjà écrit que de Tours était venu il y a quelques jours l’ordre d’arrêter Bastelica, mais qu’Esquiros et le préfet [Delpech] refusèrent de procéder à son arrestation, sachant bien qu’elle provoquerait une grande agitation dans le peuple et peut-être même une explosion. Mais le diable sait si, à la suite de la découverte de ce maudit dictionnaire, on ne l’arrêtera pas. De sorte que je serai probablement obligé de partir bientôt d’ici. Mais je n’ai pas le sou. Par conséquent, cher ami, fais encore un dernier effort avec les amis. Réunissez à tout prix cent francs et envoyez-les à Mme Bastelica, 32, boulevard des Dames... Où irai-je ? Je n’en sais rien encore. À Barcelone ? ou bien à Gênes, pour retourner de là directement à Locarno ? Quel est votre avis, mes amis ? — bien entendu, seulement pour le cas où je serais forcé de m’éloigner d’ici, ce que je ne ferai qu’à la dernière extrémité[17].


On a vu que Bakounine, dans sa cachette de Marseille, occupait ses loisirs forcés à écrire, comme suite aux Lettres à un Français, un nouvel ouvrage. Il eut aussi l’idée, dans l’intérêt de sa sécurité, d’écrire au vieux républicain socialiste qui avait accepté de remplir les fonctions d’administrateur supérieur des Bouches-du--Rhône, Esquiros. Bakounine savait que ses ennemis, à Lyon et à Tours, le représentaient comme un agent secret de la Prusse, et il crut devoir se défendre[18]. Il commença donc, le 20 octobre, une lettre à Esquiros, qu’il n’acheva pas, et qui ne fut pas envoyée (elle existe dans ses papiers) ; j’en cite un seul passage :


C’est un moyen si commode, n’est-ce pas, que de jeter aujourd’hui cette épithète de Prussien à tous les hommes qui ont le malheur de ne point pouvoir partager un enthousiasme de commande pour ces soi-disant sauveurs de la France dont l’incurie, l’incapacité et cette impuissance infatuée d’elle-même perdent la France. Un autre que vous, citoyen Esquiros, aurait pu me demander : « Qu’est-ce que tout cela fait à vous, qui êtes étranger ? » Ai-je besoin de vous prouver, à vous, que la cause de la France est redevenue celle du monde ; que la défaite et la déchéance de la France seront la défaite et la déchéance de la liberté, de tout ce qui est humain dans le monde... Si la Prusse l’emporte, c’en sera fait de l’humanité européenne au moins pour cinquante ans ; pour nous autres vieux, il ne nous restera plus qu’à mourir.


Vers la fin de septembre, Sentiñon, appelé de Barcelone par Bakounine, était parti pour la France, afin d’y prendre part au mouvement révolutionnaire. Il s’était rendu à Lyon, où il arriva quand tout était fini et que déjà Bakounine n’y était plus. Il resta quelque temps dans cette ville, dans l’attente d’un nouveau soulèvement ; il y fut rejoint par Mroczkowski, venant de Londres avec la princesse Obolensky, et par Joukovsky, arrivé de Genève[19]. Tous quatre se décidèrent, le 25 octobre, à quitter Lyon, où Palix leur avait déclaré qu’il n’y avait plus rien à faire, et à se rendre à Marseille ; Sentiñon comptait y retrouver Bakounine : mais lorsqu’ils arrivèrent dans cette dernière ville, Bakounine n’y venait de s’en éloigner pour regagner Locarno.

Le 23 octobre, Bakounine écrivait de Marseille à Sentiñon la lettre suivante (retrouvée dans les papiers de Joukovsky) :


Mon cher. Après avoir vainement attendu ta lettre, je me suis décidé de partir. Je verrai notre ami Farga avant toi, car, quand tu auras reçu cette lettre, je serai en route et tout près de Barcelone, et peut-être même déjà à Barcelone. Je t’y attendrai. Je dois quitter cette place, parce que je n’y trouve absolument rien à faire, et je doute que tu trouves quelque chose de bon à faire à Lyon. Mon cher, j’ai plus aucune foi dans la révolution en France. Ce pays n’est plus révolutionnaire du tout. Le peuple lui-même y est devenu doctrinaire, raisonneur et bourgeois comme les bourgeois. La révolution sociale aurait pu le sauver, et seule elle serait capable de le sauver. Mais étant incapable de la faire, il court grand risque d’être définitivement conquis par les Prussiens. Quelle peut être notre situation et notre action entre des bourgeois qui nous considèrent bêtement ou méchamment comme des Prussiens, et qui nous persécutent comme tels, et les Prussiens qui approchent et qui, plus perspicaces que les bourgeois de France, nous persécutent comme des socialistes révolutionnaires ? Cette situation est intenable, et je te déclare que pour mon compte j’en ai assez. Le meilleur conseil que je puisse te donner, c’est d’écrire d’abord à tous nos amis de Madrid de ne pas venir en France, car ce serait une dépense d’argent tout à fait inutile, et ensuite de venir toi-même me rejoindre à Barcelone au plus vite. Seulement, avant de partir, recommande bien à nos amis lyonnais les deux amis enfermés. Les bourgeois sont odieux. Ils sont aussi féroces que stupides. Et comme la nature policière est dans leurs veines ! on dirait des sergents de ville et des procureurs généraux en herbe. À leurs infâmes calomnies je m’en vais répondre par un bon petit livre où je nomme toutes les choses et toutes les personnes par leur nom[20]. Je quitte ce pays avec un profond désespoir dans le cœur. J’ai beau m’efforcer à me persuader du contraire, je crois bien que la France est perdue, livrée aux Prussiens par l’incapacité, la lâcheté et la cupidité des bourgeois. Le militarisme et le bureaucratisme, l’arrogance nobiliaire et le jésuitisme protestant des Prussiens, alliés tendrement au knout de mon cher souverain et maître l’empereur de toutes les Russies, vont triompher sur le continent de l’Europe, Dieu sait pendant combien de dizaines d’années. Adieu tous nos rêves d’émancipation prochaine. Ce sera une réaction assommante et terrible. Adieu. Viens à Barcelone. Là nous serons toujours assez près de Marseille pour pouvoir y revenir s’il en est besoin, — ce dont je doute beaucoup. Je t’attends et au revoir.

Ton dévoué M. B.


Quelle raison décida Bakounine, au lieu de partir le 23 octobre pour Barcelone, à s’embarquer le lundi 24 pour Gênes afin de retourner à Locarno ? Je l’ai toujours ignoré. On a le récit circonstancié de son départ de Marseille dans une lettre que m’écrivit, en septembre 1876, Charles Alerini, captif alors dans une geôle espagnole, et qui a été publiée dans le Bulletin de la Fédération jurassienne du 1er octobre 1876[21]. Je la reproduis ci-après :


À la suite des malheureux événements de Lyon (septembre 1870), Michel Bakounine dut abandonner cette ville, et, pensant qu’il pouvait encore servir utilement la cause de la Révolution en prolongeant son séjour en France, il vint à Marseille, où il demeura durant quelque temps caché dans une modeste habitation du quartier du Pharo. Mais la classe ouvrière se trouvait alors complètement désorganisée dans la capitale du Midi, et l’agitation politique dominait en ce moment la question sociale… La présence de notre ami en face d’une semblable situation était donc peu nécessaire à Marseille, tandis que d’autre part elle pouvait avoir pour lui les plus fâcheuses conséquences.

En effet, le célèbre républicain socialiste et athée Andrieux, chef alors du parquet de Lyon, qui s’acharnait à la poursuite des vrais révolutionnaires avec la rage d’un traître démasqué, envoya de tous côtés l’ordre de le rechercher activement. À Marseille, cet ordre fut transmis à M. Guibert, ancien conseiller municipal de l’opposition républicaine dans cette ville, qui s’empressa de lancer contre Bakounine un mandat d’amener, et chargea du soin de l’arrêter le citoyen Paul Gavard, commandant de la garde républicaine. Informés de ces dispositions, nous fûmes avec quelques amis trouver Gavard, qui plus tard devait être aussi condamné, au nom du gouvernement républicain, à la déportation perpétuelle pour le soulèvement du 10 mars 1871 à Marseille ; et il nous donna sa parole d’honneur de ne rechercher notre ami que là où il serait sûr de ne pas le trouver, et de ne point le voir s’il venait à le rencontrer.

Rassurés de ce côté, et décidés du reste à empêcher l’arrestation de Bakounine par la force si besoin était, nous fîmes une démarche auprès du citoyen Esquiros, administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône, pour connaître ses dispositions par rapport à lui. Esquiros nous reçut bien, nous manifesta ses sympathies et son estime pour Bakounine, et nous déclara que, quoiqu’il lui eût été signalé comme agent prussien par le gouvernement de Tours, il n’ajoutait aucune foi à cette dénonciation.

« De mon côté, ajouta-t-il, il peut être parfaitement tranquille, il ne sera pas inquiété, et je ne me prêterai à aucune mesure commandée contre lui par le gouvernement. Cependant des agents spéciaux peuvent avoir été envoyés directement de Tours ou de Lyon pour l’arrêter et, dans ce cas, il me sera impossible, s’ils agissent sans m’en faire part, de les en empêcher. »

À Tours comme à Lyon, les républicains bourgeois, les Gambetta. les Challemel-Lacour, professaient une haine profonde contre les socialistes, et avaient un intérêt direct à s’emparer de notre ami. Dans l’entourage de Gambetta se trouvait d’autre part le général polonais Mieroslawski, ennemi personnel de Bakounine, qui usait en attendant, contre lui, de l’arme peu noble de la calomnie. Le danger n’était donc pas absolument écarté, et nous pressâmes de nouveau Bakounine de chercher un asile plus sûr.

Il se rendit à nos sollicitations, et décida de se rendre en Suisse en passant par Gênes, vers le milieu du mois d’octobre[22]. Bien que cela ne fût pas absolument indispensable, et par mesure de précaution, un ami lui apporta de Suisse un faux passeport. Durant son séjour à Marseille, il avait été obligé de vendre jusqu’à son revolver pour pouvoir vivre, et il dut emprunter, pour faire son voyage, une petite somme qui, malgré son exiguïté, ne fut pas réunie sans peine.

Il avait été résolu qu’un voyage par mer offrirait plus de sécurité, il s’embarquerait sur un des bateaux qui font régulièrement le service entre les deux ports. Mais celui de Marseille pouvant être l’objet d’une active surveillance, nous nous adressâmes au commissaire du port, dans le but d’obtenir son concours pour éviter les dernières chances de péril. Le citoyen Lombard, qui n’avait accepté les fonctions qu’il remplissait que par dévouement à la Révolution, car on les lui avait imposées malgré lui, et qui fut plus tard condamné à dix années de travaux forcés, qu’il subit aujourd’hui, pour sa participation au mouvement communaliste de Marseille, s’empressa de se mettre à notre disposition pour faciliter son départ.

Tout donc se trouvant prêt, notre ami prit une dernière mesure de prudence, presque indispensable pour un homme d’un signalement aussi facile que le sien : il fit tomber sa barbe et ses longs cheveux, et affubla ses yeux d’une paire de lunettes bleues. Après s’être regardé dans une glace ainsi transformé : Ces Jésuites-là me font prendre leur type, dit-il en parlant de ses persécuteurs. Nous montâmes en voiture, et nous nous rendîmes au bureau du commissaire du port.

Le citoyen Lombard nous attendait. Il avait fait préparer un déjeuner au chocolat, et était tout joyeux de pouvoir être utile à notre regretté compagnon. Il lui présenta ses enfants, et, l’heure de partir étant venue, il fit venir le canot de l’administration et nous accompagna à bord.

Le capitaine était un de mes amis personnels, ancien camarade de collège. Je n’eus donc aucun scrupule de lui dire le nom véritable du voyageur qu’il venait de prendre, et de le lui recommander. Lobard en fit autant, et, en effet, nous sûmes plus tard qu’il s’était montré pour lui plein d’égards. Bientôt le signal du départ se fit entendre. Nous descendîmes à terre, et Bakounine s’éloigna de ces rivages inhospitaliers où son amour pour la cause du peuple était si mal récompensé, et que, hélas ! il ne devait plus revoir.


Bakounine arriva à Locarno, par Gênes et Milan, le 27 ou le 28 octobre, il se mit aussitôt à écrire un nouvel ouvrage. Il laissa inachevé le manuscrit de 114 pages commencé à Marseille. Il avait également mis de côté, je l’ai dit, la suite déjà rédigée (pages 81 bis-125) de sa brochure de septembre. Mais le nouveau livre qu’il entreprenait devait être, lui aussi, une suite des Lettres à un Français, et il plaça en tête, comme il l’avait déjà fait pour le manuscrit (114 p.) de Marseille, la reproduction partielle de la lettre à Palix du 29 septembre. Ross, qui alla le voir à Locarno dans le courant de novembre, lui promit de chercher à réunir les fonds nécessaires à la publication de l’ouvrage, parmi les étudiants russes de Zurich et d’ailleurs.

À Marseille cependant, où venaient d’arriver Sentiñon, Mroczkowski, et Joukovsky, un mouvement allait se produire. À la nouvelle de la capitulation de Metz, le peuple se souleva, réclama la création d’une Commune révolutionnaire ; et comme le général de la garde nationale, Marie, résistait, quelques milliers d’ouvriers envahirent la préfecture et proclamèrent la Commune (31 octobre). Alphonse Gent fut alors envoyé par le gouvernement de Tours pour remplacer Esquiros, qui avait donné sa démission ; et les intrigues de la réaction eurent raison en quelques jours de cette velléité de révolte qu’avait manifestée le prolétariat marseillais : le 4 novembre, l’hôtel de ville était réoccupé par les bataillons de la bourgeoisie.

Une lettre écrite par Alerini à Bakounine, le 9 novembre 1870, donne un récit détaillé de ces événements, auxquels il avait pris une part très active. Je la reproduis ci-dessous, d’après une copie faite de ma main en janvier 1871 :


... Je reprends les faits d’un peu loin. Je ne sais si tu as connaissance d’un vote d’une réunion publique blâmant le Conseil municipal du refus de voter 800.000 fr. pour achat d’armes, que lui avait demandés Esquiros, alors qu’il venait d’allouer 20.000 fr. pour deux statuettes à placer dans les niches de la façade d’une église. On prononça même, dans cette réunion, la dissolution du Conseil municipal, et l’on procéda à son remplacement en nommant par acclamation une Commune révolutionnaire en grande partie composée de membres du Comité révolutionnaire. En même temps on se montrait de plus en plus indisposé contre les bourgeois dont l’égoïsme financier ne faisait qu’augmenter, et l’on se promettait d’avoir de l’argent pour faire la guerre, d’une manière ou de l’autre : l’emprunt forcé ou la réquisition étaient les moyens les plus goûtés, et l’on comptait sur la nouvelle Commune pour les mettre à exécution.

Tel était l’état des choses lorsque arriva la nouvelle de la trahison de Bazaine et de la capitulation de Metz. La colère et la haine s’emparèrent de tous, et ne firent qu’accroître les dispositions révolutionnaires du peuple. Esquiros et Delpech [le préfet] se montrèrent disposés à les seconder. Voici comment les événements se succédèrent depuis lors.

Dès que la terrible nouvelle se répandit, — c’était le dimanche [30 octobre], je crois, — on décida qu’on ferait une manifestation. Le Comité révolutionnaire était d’accord pour cela avec la préfecture. On se réunit au siège du Comité révolutionnaire ; et de là, précédé d’un drapeau noir et d’un tambour voilé, et suivi d’une foule immense, le Comité, après avoir parcouru ainsi nu-tête les rues de la ville, arriva à la préfecture, sur le balcon de laquelle il planta le drapeau funèbre. Esquiros parut, et, dans un discours patriotique, promit au peuple de l’armer, et de se mettre à la tête de la population pour repousser l’ennemi.

Sur ces entrefaites, Gambetta fut averti des dispositions des deux fonctionnaires qui étaient à la tête du département. Il échangea avec eux des dépêches très vives. Il qualifia Esquiros de factieux , et celui-ci lui répondit : « Vous êtes le gouvernement de la lâcheté et de l’ineptie. Je donne ma démission. »

Le lendemain matin lundi [31 octobre], le Comité révolutionnaire se rendit de bonne heure à la préfecture, et de là, avec l’assentiment de l’autorité, il se rendit à l’hôtel de ville, précédé d’un nouveau drapeau noir et suivi de nouveau d’une foule immense. Là il forma définitivement la Commune révolutionnaire, dont il proposa la constitution à la sanction de la préfecture.

Le Conseil municipal s’émut alors, et se donna rendez-vous à deux heures à l’hôtel de ville. Celui-ci était occupé par la Commune révolutionnaire, non encore, cependant, légalement constituée. Le Conseil télégraphia à Tours, et en même temps fit appel au général de la garde nationale, Marie, qui massait devant l’hôtel de ville seize bataillons de la garde nationale. Mais Delpech dissolvait alors le Conseil municipal, et, après quelque discussion sur les noms, sanctionnait la Commune révolutionnaire, dont Bastelica et Combe étaient membres, et Eugène (?) secrétaire. La garde nationale se retirait là-dessus. À ce moment, Marie recevait de Tours pleins pouvoirs civils et militaires, en remplacement d’Esquiros et de Delpech, et Delpech n’en était pas même averti ! En même temps, Marie avait ordre de mettre Marseille en état de siège.

Esquiros et Delpech, dès qu’ils l’eurent appris, donnèrent défense aux imprimeurs d’imprimer les affiches proclamant l’état de siège. Ils furent obéis, et Marie dut se résigner à notifier la proclamation de vive voix uniquement à l’état-major qui l’entourait.

Le lendemain [mardi 1er novembre], cependant, les faits furent connus en ville, et dès dix heures du matin la population ouvrière courait aux armes. Au nombre environ de sept à huit mille, nous nous rendîmes à la préfecture, unis à la garde civique ; ayant mis au milieu de nos rangs la Commune révolutionnaire, nous la conduisîmes à l’hôtel de ville, où elle fut solennellement installée.

Ses premiers actes furent : ordre d’arrestation du général Marie et du général Rose ; appel au général Cluseret pour se mettre à la tête des forces du Midi, appel également appuyé par la Ligue du Midi.

Je me trouvais dans les rangs de la 2e compagnie de la garde civique, qui fut commandée pour procéder à l’arrestation de ces personnages. Hélas ! les oiseaux avaient déserté. Nous ne trouvâmes personne.

La Commune s’empara aussitôt du télégraphe. Le directeur et l’inspecteur, ayant refusé de communiquer et de transmettre des dépêches sur la réquisition de la Commune, furent arrêtés.

Le général Cluseret arriva et fut d’abord acclamé. Mais le 3e, le 4e, le 8e et le 12e bataillons de la garde nationale, bataillons réactionnaires et bourgeois, refusèrent de le reconnaître, et leurs officiers nommèrent général le colonel clérical de la garde nationale, Nicolas.

À ces nouvelles, Tours nomma Alphonse Gent administrateur du département [en remplacement d’Esquiros], avec pleins pouvoirs civils et militaires. On répondit en affichant sur tous les murs, en gros caractères, ces mots : Nous voulons le maintien d’Esquiros, et en signant de tous côtés des protestations en faveur d’Esquiros.

Cependant Gent prenait le chemin de Marseille. Il était connu comme démocrate éprouvé et énergique, et l’on avait l’espoir qu’il se serait entendu avec Esquiros et qu’ils auraient administré de concert et ensemble. Une députation fut envoyée à sa rencontre à ce sujet jusqu’à Arles, dans l’espoir de l’amener à une entente. Il se montra inflexible. À la gare de Marseille [mercredi 2 novembre], il était attendu par la bourgeoisie, qui lui fit bon accueil. Mais tout le long du chemin et à la préfecture, ce ne fut qu’un cri : Vive Esquiros !

Il monta dans le salon, et prit d’abord une attitude insolente. Esquiros vint lui tendre la main ; Gent l’accueillit froidement et d’un air dédaigneux ; Esquiros se retira aussitôt. À ceux qui lui parlaient d’entente et de conciliation, Gent répondit : « Le pouvoir est un, et c’est moi. Je ne tolérerai personne ni au-dessus ni à côté de moi. » Les têtes commençaient à se monter. Bastelica se présenta comme délégué de la Commune révolutionnaire. « La Commune ! qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria Gent. — Avant de répondre, répliqua Bastelica, je dois vous dire qu’elle a arrêté et destitué le directeur du télégraphe, et qu’elle m’envoie auprès de vous pour que vous nommiez son successeur. — Écrivez, dit Gent à son secrétaire : Ordre de remettre immédiatement en liberté le directeur du télégraphe, sous réserve de poursuivre les auteurs de son arrestation. » Et il remet l’ordre au directeur de la paix, Bellevant, qui refuse de l’exécuter et donne sur-le-champ sa démission. Gent envoie alors son frère chercher une voiture. À la porte, on refuse de le laisser sortir. Gent veut y aller lui-même. On l’arrête. Il rentre furieux. On s’apostrophe vivement. Un coup de feu malheureux part, Gent tombe blessé. Heureusement, disent les uns, malheureusement, disent les autres, il n’a pas eu grand mal. Il est à peu près guéri en ce moment.

Ce n’en a pas moins été un coup mortel pour la révolution. On essaie de cacher cette nouvelle, mais elle se répand rapidement. Le soir, par ordre de la Commune, le pseudo-général Nicolas est arrêté. Des gardes nationaux de sa légion l’apprennent. Quelques gardes civiques passent en voiture. On croit que ce sont eux qui ont arrêté Nicolas, on fait feu sur eux, et on les blesse ou les tue tous. Un des blessés arrive au poste et raconte ce qui se passe. Ceux qui s’y trouvent se rendent aussitôt sur le lieu de l’événement. De la rue et des croisées on fait feu sur eux. Ils font une charge à la baïonnette, et sont accueillis par de nouveaux coups de feu. Ils font alors un feu de peloton, et gardes nationaux et passants tombent. Le nombre des morts et des blessés, nous n’avons pu le savoir exactement ; il est peut-être moins considérable qu’on ne croit.

Il y avait en ce moment séance dans deux réunions publiques. On vient y annoncer le conflit. On propose de courir aux armes et de se rendre immédiatement à la Commune pour en protéger les membres, ou à la préfecture. C’est approuvé aux cris de : « Oui, tous, tous ! » Je vais prendre mon fusil et je cours à l’hôtel de ville. Sais-tu combien nous étions au rendez-vous ? Trente ! ! ! Nous gardâmes toute la nuit l’hôtel de ville, et, si peu que nous fussions, la réaction n’osa pas venir nous déloger. La Commune rendit à minuit un arrêté qui convoquait les électeurs pour procéder à l’élection d’un administrateur supérieur [la nomination de Gent n’étant pas reconnue par la Commune].

Le lendemain [3] cependant, les défenseurs accoururent en assez grand nombre à la préfecture. La réaction de son côté s’arma. Vers trois heures, les bataillons réactionnaires occupèrent les rues qui avoisinent la préfecture. Le 3e s’empara du palais de justice, où la Commune allait établir une Commission judiciaire. Le 8e garda le Cours Longchamp et empêcha d’y circuler. Le 4e vint se placer en face même de la préfecture, et à un moment donné nous nous couchâmes en joue avec ce bataillon. Enfin on parlementa. On convint qu’on déposerait les armes, et que chacun rentrerait chez soi. Ce ne fut fait qu’à demi, et le lendemain [4], quand on se réveilla, on put voir quatre canons braqués contre la préfecture devant laquelle les avait amenés un des bataillons réactionnaires, le 3e.

Tant que la préfecture était gardée par nous, nous pouvons dire que nous étions les maîtres. La réaction le comprenait, mais les nôtres ne le concevaient pas. Comme garantie de paix, la bourgeoisie demanda l’évacuation de la préfecture par tout le monde. Sous prétexte qu’il fallait épargner le sang, on finit par convaincre les nôtres qu’il fallait quitter ce poste important. On ouvrit les portes ; il y eut une scène de fraternisation : ouvriers et bourgeois s’embrassèrent, et tous sortirent ensemble, se mêlèrent, et à l’ombre du drapeau de l’Internationale ils firent bras-dessus bras-dessous le tour de la ville. La farce était jouée, le baiser de Judas allait porter ses fruits.

Un quart d’heure après, la garde nationale défile devant la préfecture aux cris répétés de Vive Gent ! À bas Cluseret voleur ! On venait de faire courir un infâme bruit calomnieux contre Cluseret : on répétait à la Bourse qu’il avait emporté la caisse du Comité de défense contenant vingt mille francs.

Pour mon compte, j’avais refusé de quitter la préfecture ; je protestai, et, avec quelques hommes du 9e bataillon, je formai un corps de garde et nous occupâmes les issues. Je donnai pour consigne de ne pas reconnaître les laissez-passer signés Gent, et de ne permettre à qui que ce fût l’accès auprès de sa personne. Le soir, on nous fit souper, aux frais de la préfecture, dans un petit restaurant tout près. Quand nous revînmes, notre place était prise : la garde mobile l’occupait !

À partir de ce moment, on ne fait plus un pas à la préfecture sans être arrêté par quatre sentinelles de la bourgeoisie. Si les portes de nos villes étaient aussi bien gardées que celles de la préfecture de Marseille, il y aurait certainement plus d’une cité qui n’aurait pas vu les Prussiens.

Gent gouverne. Voici ses premiers actes : annulation des décrets de la Commune révolutionnaire, réinstallation provisoire de l’ancien maire et d’une partie de l’ancien Conseil municipal, en attendant que les électeurs, convoqués pour dimanche [13 novembre], nomment une nouvelle municipalité.

Esquiros, qu’on voulait maintenir quand même, contre Gent et contre Tours, a déclaré dans une proclamation qu’il ne voulait pas associer son nom à des luttes intestines dans ce moment, et qu’il maintenait d’une manière irrévocable sa démission[23]. On le porte pour le Conseil municipal ; on veut le nommer maire de Marseille. Avant-hier [le 7] , il a eu le malheur de perdre son fils, qui a été enterré civilement en libre-penseur. Il y avait un cortège immense à ses funérailles.

Cluseret, bien entendu, n’est plus rien, Gent ayant refusé de le reconnaître.

Un autre acte de Gent a été de refuser à la Ligue du Midi le droit d’envoyer des dépêches privées soit à Gambetta, soit à Lyon. Elle n’a pu correspondre, l’interdit a été mis sur sa correspondance télégraphique. La Ligue, non reconnue, et entravée par Gent, a décidé de transférer son siège à Lyon ; je crains qu’elle ne tombe de Charybde en Scylla.

J’ai proposé, dans une réunion publique, qu’on votât pour ce fait un blâme à Gent. Eh bien, ma motion n’a eu qu’un demi-succès : on a transformé le blâme en vœu que ces dépêches soient expédiées. La garde civique, transformée en corps de francs-chasseurs, a été immédiatement envoyée « au-devant de l’ennemi », à Lyon, c’est-à-dire éloignée de Marseille. C’était un bon appoint pour nos élections ; nous en serons privés.

En revanche, on nous a envoyé ici la garde mobile d’Avignon, pays natal de Gent, — en d’autres termes la garde prétorienne de Gent. Somme toute, nous sommes vaincus, battus de toutes les manières.

Notre démocratie, cependant, forme ici une armée assez nombreuse. Ce qui manque, c’est l’état-major ; de là, désorganisation complète. La Commune révolutionnaire avait bien commencé ; mais dès les premiers coups de feu, ç’a été fini. C’était à qui aurait disparu le premier : Bastelica s’est retiré, Combe s’est retiré. Personne ne veut accepter de responsabilité, et la réaction, ne trouvant pas de résistance, a vaincu toute seule.

Telle est la situation. Nous sommes dominés maintenant. Cette éclipse subite des hommes qui ont disparu au moment où ils auraient dû montrer de l’énergie[24], les a privés de l’autorité morale qu’ils auraient pu exercer, et quand même la liste révolutionnaire passerait dimanche aux élections, ce ne sera jamais cette liste nuancée comme nous l’aurions désiré, car les noms qu’on nous propose, et qui sont acceptés, sont mitigés de bourgeoisisme. On n’ose pas ; on n’a plus l’espoir, vu les fautes commises, de faire passer des candidats révolutionnaires. Ou pactise à demi avec les adversaires, et on accouchera de quelque chose d’hybride qui ne sera ni chair ni poisson. Le nom d’Esquiros, cependant, qui est un drapeau, signifiera au moins : Opposition à Tours.

19 novembre. — Voici de nouveaux détails sur la situation. Esquiros a refusé toute candidature. Le Comité révolutionnaire et l’Égalité[25] devaient se concerter pour présenter une liste commune. Avant-hier, après plusieurs atermoiements, on devait s’entendre à onze heures du soir. Mais l’heure venue, l’Égalité annonce qu’elle refuse l’action commune et qu’elle présente sa liste à elle seule, liste bourgeoise comme tu penses bien. Il était trop tard pour élaborer une nouvelle liste. Hier donc, dans une assemblée populaire, on s’est prononcé pour l’abstention, et immédiatement une collecte a produit près de mille francs pour prêcher l’abstention. Le citoyen américain Train[26] a pris l’initiative en versant deux cents francs, et un autre citoyen également. Dimanche, c’est-à-dire demain, grand meeting à la Plaine contre les élections.


Il n’y avait plus rien à faire à Marseille : Sentiñon retourna à Barcelone, et Joukovsky reprit le chemin de Genève, marchant dans les rangs d’un bataillon de francs-tireurs qui se dirigeait vers Lyon ; Mroczkowski se fixa en décembre à Menton, pour y exercer la profession de photographe. Bastelica put rester à Marseille sans être inquiété ; Alerini dut partir avec un bataillon de mobiles, et fit trois mois de service, passant la plus grande partie de ce temps en prison, comme prévenu de « refus formel d’obéissance » et de « complot » ; mais son affaire se termina par un non-lieu.


À Lyon, au moment même où le mouvement de Marseille avortait, une nouvelle tentative était faite : le 4 novembre, l’hôtel de police était envahi, et une manifestation en armes était décidée pour remplacer le Conseil municipal par une Commune révolutionnaire ; mais la manifestation se borna à un rassemblement pacifique d’ouvriers sur la place des Terreaux. À la suite de cette journée, Parraton fut arrêté, et Chol dut se réfugier à Genève. Quant à Richard, il se tenait coi.



  1. Lire « Boyen » au lieu de Königsberg.
  2. Voir la note 1 de la p. 74.
  3. Mots omis par erreur dans le National suisse.
  4. Gorgé et Collier avaient remplacé Chevalley et Fritz Robert; Ginnel avait remplacé Ducommun. Le motif de la retraite de Fritz Robert était l’incompatibilité, que lui avait signifiée le directeur de l’École industrielle de la Chaux-de-Fonds, des fonctions de membre du Comité d’une fédération de l’Internationale avec celles de professeur.
  5. J’avais refusé d’accepter un mandat de délégué : le Congrès ayant à prononcer sur la question de la Solidarité, j’avais cru ne pas devoir participer à ses délibérations.
  6. La Section des graveurs et celle des guillocheurs, au Locle, s’étaient réunies en une seule.
  7. On a vu, pages 17 et 46, que la lettre du 7 avril 1870 de notre Comité fédéral avait été réellement reçue à Londres.
  8. Sans compter les sommes envoyées par les Sections.
  9. La Section coulleryste.
  10. Cette vérification fut faite par une commission composée de Charles Mégnin, Arthur Hæmerli et Adolphe Herter. Le rapport de la Commission, datée du 1er décembre, a été publié dans le premier numéro de la nouvelle série de la Solidarité (28 mars 1871)  : il constate que les comptes ont été trouvés justes, et rend hommage à l’administration du journal pour la bonne tenue de sa comptabilité.
  11. Le nom de Fédération jurassienne avait été proposé pour la première fois dans mon article sur le groupement géographique, publié dans la Solidarité du 20 août (voir p. 74).
  12. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 189.
  13. Cette « brochure », restée inachevée et inédite, et qui devait être une suite des Lettres à un Français, est un manuscrit de 114 pages dont Nettlau a donné l’analyse à la p. 522 de sa biographie de Bakounine. Il commence par ces mots empruntés à la lettre réelle écrite à Palix le 29 septembre : « Mon cher ami, je ne veux pas partir de Lyon sans t’avoir dit un dernier mot d’adieu », et continue par une critique détaillée des actes du gouvernement de la Défense nationale pendant le premier mois de son existence. La date de ce manuscrit est déterminée par plusieurs passages où il est question des événements du jour ; Bakounine dit (p. 18) qu’un mois s’est écoulé depuis la proclamation de la République ; il parle d’Orléans (p. 38) comme déjà occupé par les Prussiens (l’occupation d’Orléans eut lieu le 10 octobre) ; il fait mention (p. 41) de l’élection projetée d’une Constituante, qui avait été fixée au 16 octobre ; il dit que Gambetta est membre du gouvernement de la Défense nationale depuis trente-cinq jours (p. 85).
  14. Lettre publiée par Nettlau, note 4038.
  15. Cette lettre a été publiée en entier par Oscar Testut, ainsi que le dictionnaire qui y était joint.
  16. Ross, qui était arrivé à Lyon quelques jours auparavant, croyant y trouver encore Bakounine , dut s’éloigner et repartir pour la Suisse, pour n’être pas arrêté aussi.
  17. Correspondance de Bakounine.
  18. Le préfet Gent, en parlant de Bakounine, dit un jour à Bastelica : « C’est un agent russe et prussien. Nous en avons la preuve. Nous tenons une liasse de papiers de cette hauteur (et il tendit la main à la hauteur du genou) qui le démontrent irréfutablement. » (Lettre d’Alerini à Joukovsky, du 17 mars 1871, citée par Nettlau, note 2384.)
  19. Je n’ai jamais su ce que Joukovsky était allé faire à Lyon, à ce moment où tout paraissait fini. Il avait été tenu à l’écart lors de la préparation du mouvement du 28 septembre, Bakounine n’ayant voulu avoir avec lui que des hommes d’action, comme Ozerof, Ross et Lankiewiez. Il est possible que la cause du voyage de Joukovsky ne fût pas de nature politique, et qu’il soit allé tout simplement rencontrer la princesse Obolensky et Mroczkowski, avec lesquels il était très intimement lié, et qui, traversant la France pour se rendre dans le Midi, lui avaient peut-être donné rendez-vous.
  20. Il s’agit du manuscrit de 114 pages dont il a été question p. 109.
  21. Alerini écrivit ces pages lorsqu’il eut appris la mort de Bakounine, et me les envoya comme contribution à une biographie future du grand agitateur révolutionnaire.
  22. C’était, comme on l’a vu, au commencement de la dernière semaine d’octobre.
  23. Une douloureuse angoisse, d’ailleurs, étreignait son cœur et paralysait son énergie : il était retenu au chevet de son fils mourant.
  24. Ce reproche, qui visait surtout Bastelica, était mérité. Néanmoins, quand Bastelica et Alerini se trouvèrent tous deux en exil, l’année suivante, l’un à Londres, l’autre à Barcelone, Alerini ne tint pas rigueur à celui qui avait été son camarade, et il entra en correspondance avec lui.
  25. Journal républicain bourgeois dirigé par Gilly La Palud.
  26. Train était un riche Américain qui s’était enthousiasmé pour la cause de la République française.