L’Internationale, documents et souvenirs/Tome III/Appendice

La bibliothèque libre.
L’INTERNATIONALE - Tome III
Cinquième partie
Appendice



APPENDICE




À la page 14 de ce volume, parlant de la « pièce secrète » (lettre du « Comité révolutionnaire » adressée à l’étudiant Lioubavine[1]) communiquée le 7 septembre 1872 par Marx à la Commission d’enquête du Congrès de la Haye, j’ai dit qu’il me serait peut-être possible de la publier dans mon tome IV. Cet espoir était fondé sur une lettre que m’avait écrite de Saint-Pétersbourg le citoyen Hermann Lopatine le 29 mars-11 avril 1908, et dans laquelle il me disait : « J’ai reçu autrefois des mains de M. Lioubavine la copie authentique de ce document. Je crois qu’elle doit encore exister dans mes archives étrangères. Malheureusement je ne puis pas faire les recherches de ces archives par écrit ; mais peut-être cela va-t-il s’arranger d’une manière ou de l’autre d’ici à quelque temps. » Or, dans l’automne de 1908, le citoyen Lopatine a pu faire un voyage à Paris ; et il a dû constater alors qu’une partie des papiers qu’il appelle ses « archives étrangères », remis autrefois en dépôt entre les mains de Pierre Lavrof, a disparu, et que parmi les papiers disparus se trouve la copie du document en question. Il me faut donc renoncer à connaître le texte de la « pièce secrète », à moins qu’un heureux hasard ne m’apprenne l’existence de quelque autre copie, ou que M. Lioubavine, qui a été remis dès 1872, je crois, en possession de l’original, ne se décide à le publier.

Mais je puis reproduire ici une autre pièce d’un intérêt plus grand encore, et qui nous apprend, sur les relations entre Bakounine et Lioubavine à propos de la traduction du Kapital, à peu près tout ce qu’on pouvait désirer de savoir. C’est la lettre que Lioubavine écrivit à Marx le 8/20 août 1872, en lui envoyant ce qu’il appelle la « lettre du Bureau », c’est-à-dire le document secret en question. Cette lettre a été publiée par Edouard Bernstein (en traduction russe) dans le numéro de novembre 1908 de la revue pétersbourgeoise Minouvchié Gody[2].

Mais d’abord, il est naturel de se demander comment Marx avait été amené à solliciter de Lioubavine par l’intermédiaire de M. Nicolas… on, la communication du document Netchaïef (voir ci-dessus pages 13-14) ? À cette question, je n’aurais pu répondre au moment où les premières pages du présent volume ont été imprimées : mais maintenant je suis renseigné. Dans une lettre que le citoyen Hermann Lopatine m’a écrite le 11 janvier 1909, il dit « que Marx lui demanda[3] de lui procurer ce document et de le traduire ; mais que lui, ne voulant pas prêter la main à une affaire de ce genre, répondit qu’il ne donnerait pas son exemplaire; et qu’en conséquence Marx s’adressa à Lioubavine lui-même, qui lui envoya l’original, lequel fut traduit par Outine[4] ».

Bernstein ne donne, de la première partie de la lettre de Lioubavine, qu’une analyse ; mais il en reproduit textuellement, ensuite, la partie essentielle, où Lioubavine fait toute l’histoire de ses rapports avec Bakounine à propos de la traduction russe du Kapital. Voici cette pièce :


Lettre de Lioubavine à Marx, 8/20 août 1872.

[[5] Lioubavine écrit qu’il a appris, par le correspondant pétersbourgeois de Marx, que Marx désirait obtenir en original la lettre qui fut écrite par Bakounine à lui, Lioubavine, au sujet de l’affaire de la traduction du Kapital, lettre qu’on rattachait à la lettre soi-disant de chantage envoyée par Netchaïef au nom du « Bureau » révolutionnaire. Lui, Lioubavine, a depuis longtemps réglé ses comptes avec Bakounine par les lettres grossières qu’il (Lioubavine) a écrites à celui-ci dans l’été de 1870 ; et s’il est néanmoins prêt à satisfaire au désir de Marx, c’est seulement parce qu’il croit Bakounine très nuisible, et qu’il espère que les circonstances qui se rattachent à la participation de Bakounine à la traduction du Kapital contribueront à le discréditer. D’ailleurs il ne s’exagère nullement la valeur probante de ces lettres. Il doit prévenir d’avance que les preuves qui se trouvent entre ses mains n’ont pas du tout cette force convaincante que peut-être Marx leur attribue. « Quoiqu’elles jettent une certaine ombre sur cette personne, elles sont insuffisantes pour sa condamnation. » Bakounine a causé déjà beaucoup de malheurs, mais a tout de même il conserve encore une certaine auréole aux yeux de l’Europe occidentale et de notre jeunesse inexpérimentée ; le discréditer, c’est donc contribuer au bien public ». Dans deux notes ajoutées à ce passage de la lettre, Lioubavine dit que récemment encore il a eu l’occasion de constater de quelle auréole est entourée la personnalité de Bakounine aux yeux de la jeunesse russe ; et il fait part qu’à Pétersbourg le bruit court que les voies de fait exercées sur Outine par des étudiants russes de Zürich ont eu lieu à l’instigation de Bakounine.

Ensuite l’écrivain continue ainsi :]

Conformément à votre désir, je joins à cette lettre la lettre du « Bureau », mais à condition que vous me la retournerez le plus tôt possible, après l’avoir utilisée pour votre dessein, car elle peut être utile ici aussi. En ce qui concerne la façon de s’en servir, vous vous trompez beaucoup en supposant que mes relations avec ce monsieur[6] étaient de nature exclusivement commerciale[7]. Par la publication de mes lettres à lui, il peut me causer de grands ennuis, et il me l’a même promis en termes très précis pour le cas où je permettrais à cette histoire de la traduction d’être ébruitée.

Pour rendre cette histoire claire pour vous, je dois vous raconter ce qui suit.

Me trouvant à Berlin en 1869, j’appris de feu mon ami Negrescul que Bakounine était dans un grand besoin et qu’il fallait lui venir en aide le plus tôt possible...[8] Je connaissais très peu Bakounine à ce moment, mais je le considérais comme l’un des meilleurs héros de la lutte pour la liberté, comme l’ont considéré et le considèrent encore tant d’étudiants russes. Je lui envoyai aussitôt vingt-cinq thalers, et en même temps je m’adressai, par l’intermédiaire d’un de mes amis de Pétersbourg, à un éditeur pour lui demander du travail pour Bakounine. On décida de lui confier la traduction de votre livre. On lui promit douze cents roubles[9] pour la traduction. Sur son désir, il lui fut envoyé par mon intermédiaire tout un ballot de livres dont il avait besoin comme auxiliaires pour la traduction ; en même temps il lui fut payé d’avance, également sur sa demande, trois cents roubles. Le 28 septembre 1869, j’expédiai ces trois cents roubles de Heidelberg (où je m’étais transporté dans l’intervalle) à l’adresse d’un certain Charles Perron à Genève, et le 2 octobre je reçus un récépissé de cette somme de Bakounine lui-même.

Le 2 novembre, Bakounine m’écrit de Locarno qu’il est maintenant délivré enfin de l’action politique excessive, et que « demain » il va se mettre à la traduction. Tout le mois de novembre se passa, sans que je reçusse un seul feuillet de manuscrit. Ensuite, à la fin de novembre, ou plus exactement au commencement de décembre, je lui demandai, à la suite d’une lettre reçue par moi de Pétersbourg, s’il désirait continuer ou non. Malheureusement je n’ai pas gardé copie de cette lettre ; c’est pourquoi je ne puis pas dire exactement comment je lui écrivis alors. Autant que je puis me rappeler, mon ami de Pétersbourg, celui par l’intermédiaire de qui j’étais en rapport avec l’éditeur, m’avait écrit que si Bakounine ne voulait pas faire la traduction, il n’avait qu’à le dire franchement, au lieu de traîner la chose en longueur ; quant aux trois cents roubles, on pourra toujours s’entendre. J’écrivis dans ce sens à Bakounine, et je reçus une réponse le 16 décembre. Il commence sa lettre en m’expliquant que s’il ne m’avait pas écrit pendant si longtemps (la dernière lettre reçue par moi était datée du 2 novembre), c’était « en partie » parce que j’avais été très grossier avec lui (non pour la traduction, mais au sujet d’une autre affaire[10]). Puis il continue : « Comment avez-vous pu vous imaginer qu’après m’être chargé de ce travail, et même avoir touché une avance de trois cents roubles, j’allais tout à coup y renoncer ? » Il déclare qu’il a fondé tout son budget d’une année sur ce travail ; seules des circonstances absolument indépendantes de lui l’ont empêché d’aborder sérieusement la traduction avant le commencement de décembre[11]. Il doit ajouter aussi que le travail dont il s’est chargé est beaucoup plus difficile qu’il ne le croyait. Ensuite il parle des différentes difficultés de la traduction. Je ne vous en citerai qu’une seule, parce que je soupçonne que Bakounine a tout simplement menti. Il cite la phrase suivante de votre livre : « Der Werth ist Arbeitsgallerte[12] », et dit : « Marx a tout simplement fait ici une plaisanterie, ce qu’il m’a d’ailleurs avoué lui-même[13] ». Plus loin, il exprime l’espoir que vers la fin d’avril 1870 sa traduction sera tout à fait terminée, et me prie instamment de parler en sa faveur à l’éditeur pour qu’il ne lui retire pas la traduction. Et si l’éditeur la retire tout de même, nous devons l’en avertir, lui Bakounine, le plus tôt possible, et alors il se préoccupera de retourner l’avance de trois cents roubles[14].

Le 19 décembre il m’envoie les premiers feuillets de son manuscrit : « À partir de ce moment, je vous enverrai tous les deux ou trois jours les feuillets traduits et recopiés».

Le 31 décembre, je reçois, pour la dernière fois, encore quelques feuillets de la traduction. En tout, j’ai reçu de lui la valeur d’une ou au plus deux feuilles-d’impression.

Le 3 mars 1870 m’arriva enfin la lettre du « Bureau » qui vous intéresse tant en ce moment[15]. Bien que cette lettre n’ait pas été écrite par Bakounine (probablement elle était l’œuvre immédiate de Netchaïef), j’ai pensé qu’il en était responsable, car sa participation me paraissait à ce moment tout à fait incontestable. C’est pourquoi je lui adressai une lettre d’injures. Le semestre d’hiver était terminé, je devais partir ; mais j’attendis encore deux semaines et demie après l’envoi de ma lettre. Cependant, je ne reçus aucune réponse. Plus tard, Bakounine a écrit à une personne de ma connaissance et de la vôtre, Lopatine, qu’il m’avait envoyé une brève réponse dans laquelle il était dit qu’il renonçait à la traduction à cause de ma grossièreté. Mais je suis persuadé que cette réponse n’a jamais existé, car je l’aurais reçue[16]. Au même ami il a remis un récépissé dans lequel il déclare avoir reçu de l’éditeur, par mon intermédiaire, trois cents roubles, et s’engage à les rendre dans le plus bref délai possible. Mais ce récépissé était absolument superflu, car je possédais déjà un reçu écrit de sa main pour la même somme, et sa promesse de paiement à bref délai n’a pas été exécutée[17]. Jusqu’à présent je n’ai pas reçu un rouble de lui ; mais en revanche il a dernièrement adressé à ce même éditeur une dame pour lui demander de lui donner une autre traduction, en promettant que l’histoire du Kapital ne se renouvellera pas. Quelle impudence[18] !

Comme conclusion, je dirai ce que je pense maintenant de la lettre que je reçus en 1870 du « Bureau ». Alors, la participation de Bakounine me paraissait incontestable ; mais je dois dire que maintenant, en repassant froidement dans ma tête toute cette histoire, je vois que la participation de Bakounine n’est pas du tout prouvée, car en réalité cette lettre a pu être envoyée par Netchaïef tout à fait indépendamment de Bakounine[19]. Une seule chose peut être considérée comme tout à fait établie, c’est que Bakounine n’a pas manifesté le moindre désir de continuer le travail commencé, malgré l’argent reçu[20].


On a pu croire un moment que Marx, induit en erreur par de faux rapports, avait été véritablement persuadé, en 1872, du bien-fondé des accusations qu’il formulait contre Bakounine. Cette lettre de Lioubavine prouve que Marx n’a pas été induit en erreur ; que son correspondant, en lui envoyant le document réclamé, l’a en même temps éclairé sur sa véritable signification ; et que Marx, par conséquent, a sciemment trompé la Commission d’enquête. Sa façon d’agir, dans cette circonstance, a imprimé à son caractère une tache qu’il ne sera jamais possible d’effacer.

L’année suivante, par la publication du pamphlet L’Alliance de la démocratie socialiste et l’Association internationale des travailleurs (en allemand, Ein Komplott gegen die Internationale Arbeiter-Assoziation), il a aggravé encore sa vilaine action. Dans ce même article de Minouvchié Gody (première partie, octobre 1908), Bernstein a apprécié cette triste production et l’impression qu’elle produisit en Russie. Voici ce qu’il dit à ce sujet :


Au moment où parut la brochure accusatrice de Marx, on savait assez exactement, dans les groupes socialistes russes, quels avaient été en réalité les rapports entre Bakounine et Netchaïef : aussi devait-elle rester sans influence même sur ceux qui considéraient la conduite de Bakounine comme blâmable. Rappelons seulement que Pierre Lavrof lui-même, dans son Vpered, lui fit un accueil sévère. Elle a fait infiniment pour aliéner à Marx tout le monde socialiste russe d’alors. Et cependant la propagande socialiste embrassait des cercles de plus en plus étendus de la jeunesse des écoles, qui manifestaient autant d’ardeur pour le savoir que de besoin d’action pratique et de sacrifice ; mais peu nombreux étaient ceux qui étaient attirés par Marx : ils appréciaient sa science, mais n’avaient que peu de sympathie pour lui comme homme ; il leur paraissait le représentant typique de tous les mauvais côtés d’un savant allemand...

Un petit groupe de Russes seulement se trouvaient autour de Marx en 1870 et dans les années suivantes. Parmi eux était Outine, ce qui n’a pas contribué à leur bonne renommée... On ne voyait généralement dans Outine qu’un intrigant tortueux et cancanier, et beaucoup de personnes n’étaient pas loin de juger du maître d’après l’élève...

Au point de vue purement humain, dans cette lutte entre Marx et Bakounine, ce dernier apparaît incontestablement sous un jour plus favorable que son adversaire ; même celui qui croit que Marx défendait dans cette querelle les intérêts du mouvement ouvrier, qui n’admettaient aucune concession sentimentale, ne peut s’empêcher de regretter que Marx n’ait pas mené cette lutte avec d’autres moyens et dans d’autres formes.


Voilà comment parle aujourd’hui de Marx et de Bakounine le représentant le plus distingué de la Sozial-Demokratie allemande.








  1. Aujourd’hui professeur à l’université de Moscou, et serviteur dévoué du tsar.
  2. Article intitulé Karl Marx et les révolutionnaires russes, numéros d’octobre et novembre 1908.
  3. Cette demande de Marx a dû être faite en 1870, car à la fin de 1870 Lopatine rentra en Russie pour préparer la tentative que l’on sait en vue de la délivrance de Tchernychevsky ; il fut arrêté, et ne réussit à s’évader qu’à une époque postérieure au Congrès de la Haye.
  4. Dans la même lettre, le citoyen Lopatine me dit:« Vous avez plein droit de publier les faits communiqués par moi, en citant mon nom ; je vous prie seulement de vous abstenir de publier mes suppositions et jugements, que je n’ai pu soumettre à une vérification nécessaire et que je vous ai communiqués à la hâte ».
  5. Les lignes placées entre crochets sont l’analyse donnée par Bernstein de la première partie de la lettre.
  6. Lioubavine parle évidemment de Netchaïef. (Note de la rédaction de Minouvchié Gody.)
  7. Voir le passage de la lettre de Marx du 15 août 1872 où celui-ci dit : « Comme c’est une affaire purement commerciale... » (P. 14 du présent volume.)
  8. Les points de suspension existent dans la lettre telle que l’a publiée Bernstein.
  9. J’avais cru, et je l’ai écrit au tome Ier, p. 260, que le prix de la traduction avait été fixé à neuf cents roubles seulement.
  10. Il est regrettable que M. Lioubavine n’ait pas dit quelle est cette autre affaire à propos de laquelle il avait déjà été « grossier » : les grossièretés venaient aisément sous sa plume.
  11. On comprend que M. Lioubavine ait écrit, plus haut, que les « preuves » qu’il a entre les mains ne prouvent rien de ce que désirait Marx. Comment celui-ci pourra-t-il s’y prendre pour extraire une accusation d’escroquerie et de chantage d’une correspondance où la bonne foi de Bakounine se manifeste avec une évidence si éclatante ?
  12. Littéralement : « La valeur est de la gelée de travail ». Bakounine fait allusion à deux passages du Kapital où cette singulière expression est employée : Page 11 (de la 1re édition), Die Gebrauchswerthe Rock und Leinwand sind Vertindungen zweckbestimmter, produktiver Thätigkeiten mit Tuch und Garn, die [Tausch]werthe Rock und Leinwand dagegen blosse gleichartige Arbeitsgallerte ; et p. 17, Als Werth besteht die Leinwand nur aus Arbeit, bildet eine durchsichtig krystallisirte Arbeitsgallerte.
  13. Cet aveu de Marx, que sa « gelée de travail » ne constituait qu’une métaphore humoristique, est bien certainement authentique, et doit remonter au temps où Bakounine était encore en correspondance avec lui, soit directement, soit par l’intermédiaire de J.-Ph. Becker et de Serno-Solovievitch (entre 1867 et 1869). M. Lioubavine, ne pouvant se résoudre à admettre que Marx ait été capable de faire une plaisanterie dans un livre grave, préfère croire que Bakounine ment.
    Il me paraît intéressant de placer ici une réflexion émise par Bernstein dans une autre partie de son article de Minouvchié Gody : « Quel labeur, dit-il, ce travail de traduction a coûté à Bakounine, ses lettres à Joukovsky en témoignent. Rien peut-être n’est plus caractéristique pour les relations entre Marx et Bakounine que ce fait, qu’au moment même où Marx envoyait sa Communication confidentielle sur Bakounine, ce dernier suait à Locarno sur la traduction du Kapital. » À cette réflexion de Bernstein, j’en ajoute une seconde : N’est-il pas bien caractéristique aussi, je dirai plus, n’est-il pas véritablement touchant, de voir, sept ou huit ans plus tard, un ami de Bakounine, Cafiero, au fond d’une prison italienne, pendant que les amis allemands et les futurs alliés français de Marx l’accablent d’avanies et de sarcasmes, se donner la tâche d’écrire, à l’intention du prolétariat de son pays, ce résumé populaire du Kapital, dicté par une admiration sincère, qui fit connaître pour la première fois le livre de Marx à l’Italie ?
  14. La voilà bien, la « manœuvre frauduleuse tendant à s’approprier tout ou partie de la fortune d’autrui, ce qui constitue le fait d’escroquerie » ! (Rapport, de la Commission d’enquête ; voir t. II, p. 346.)
  15. Netchaïef s’était rendu à Locarno auprès de Bakounine au milieu de janvier 1870 ; il l’engagea à abandonner la traduction pour se consacrer tout entier à la propagande révolutionnaire (il s’agissait, entre autres choses, de recommencer la publication du Kolokol, en russe et en français), et lui promit d’arranger l’affaire (voir t. Ier, p. 261). On sait la façon dont il s’y prit, à l’insu de Bakounine. Netchaïef avait quitté Locarno dès la fin de janvier pour revenir dans la Suisse française, où il se cachait, la police suisse étant à ses trousses ; vers la fin de février nous lui procurâmes un refuge au Locle (voir t. Ier, p. 281). C’est donc du Locle que fut écrite la lettre du « Bureau ».
  16. Ici encore, au lieu d’admettre tout simplement l’affirmation de Bakounine, M. Lioubavine se déclare persuadé que celui-ci a menti, alléguant que, si Bakounine avait écrit, la lettre serait parvenue à son adresse, — comme si une lettre ne se perdait jamais !
  17. Le papier transmis à Lioubavine par l’intermédiaire de Lopatine n’était pas un simple duplicata du récépissé arrivé le 2 octobre 1869, puisqu’il contenait en outre un engagement de rendre le plus tôt possible les trois cents roubles touchés d’avance. Ce papier, dont j’ignorais l’existence, est un nouveau témoignage de la loyauté de Bakounine.
  18. Voilà tout ce que M. Lioubavine trouve à dire au sujet d’une démarche (dont, pour ma part, je n’ai eu connaissance qu’en lisant sa lettre) qui prouve précisément que Bakounine était bien loin de songer à commettre un abus de confiance à l’égard de Poliakof, puisque, si l’éditeur lui donnait à faire une autre traduction, il était évident que les trois cents roubles seraient déduits du prix à payer au traducteur.
  19. Ainsi, aux yeux de Lioubavine, Bakounine ne saurait être rendu responsable de l’envoi de la lettre du « Bureau ». Et cela n’empêchera pas Marx, malgré la déclaration formelle de son correspondant, de faire rendra par ses hommes à tout faire un arrêt infamant contre la victime qu’il voulait déshonorer !
  20. Non, Bakounine n’a pas désiré, en effet, « continuer le travail commencé ». Mais il a désiré rendre l’argent reçu. Seulement, que l’on considère ce qui s’est passé dans l’intervalle écoulé entre le printemps de 1870 et le Congrès de la Haye : dans l’été de 1870, la rupture avec Netchaïef ; puis la guerre entre l’Allemagne et la France éclatant brusquement ; en septembre et octobre, Bakounine à Lyon et à Marseille ; ensuite l’hiver de 1870-1871 avec la misère noire et la composition de l’Empire knouto-Germanique ; puis la Commune de Paris, Bakounine dans le Jura ; à partir de juin 1871, la polémique contre Mazzini, contre l’intrigue marxiste, qui absorbe toute l’activité de l’écrivain ; de nouveau la détresse pécuniaire durant l’hiver de 1871-1872 ; au printemps de 1872, la polémique de plus en plus violente ; et, à partir de juillet 1872, Bakounine à Zürich, au milieu de la colonie des étudiants russes ; c’est alors que, par l’intermédiaire d’une dame, il cherche à renouer des relations avec l’éditeur Poliakof ; c’est alors aussi que l’arrestation de Netchaïef par la police zuricoise va l’obliger à garder le silence et l’empêcher, après le Congrès de la Haye, de faire publiquement la lumière sur l’imputation calomnieuse lancée par des ennemis sans scrupule.