L’Italie d’hier/Bologne

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Charpentier & Fasquelle (p. 63-65).

BOLOGNE

Sur la route de Parme à Bologne, dans une petite ville, Arezzo je crois, nous entrons dans un café, où sont des hommes dépenaillés, sous de grands manteaux de cette affreuse serge verdâtre, dont Raphaël habille ses apôtres, où de vieilles femmes, aux sévères et vulturins profils, donnés, par Michel-Ange à ses Sibylles, prennent du café dans des verres, près d’une cheminée, sur laquelle une pancarte contient les noms des signori qui contribuent au feu, — et où des o marquent le nombre de fois qu’ils sont venus se chauffer.

Bologne, la vieille ville, la ville âpre et remueuse du moyen âge, la berceuse des factions, la ville à l’esprit osé, révolutionnaire, précurseur des idées nouvelles, — et toujours vendue et revendue par des Judas, — la cité qui a pour devise : Libertas. Sur la place, un grand palais, tout démantelé, tout ravagé, aux énormes trous non rebouchés, dans lequel est encastrée une ornementale fontaine de Jean de Bologne, où sous une statue en pied d’un pape en bronze vert, des femmes élégamment longues, et nonchalamment renversées, pressent des deux mains leurs seins, petits et drus, comme des seins de vierge.

En cette ville, l’arcade s’empare de toutes les rues, et met, sous ces voûtes à la Granet, une ombre, où une étroite lumière filtre çà et là, sur les tons verdâtres des murs, faisant de cette ville du soleil, la ville du clair-obscur. C’est bien la patrie du talent « clair obscur » de Guerchin, qui enduisant ses toiles d’une préparation de poudre de marbre, recouverte de glacis, obtenait d’être nommé le magicien de la couleur. Mais, au bout de cinquante ans, la préparation est tombée, et Guerchin n’est plus que le coloriste de la nuit.

Partout dans la ville, des mendiants, et non des mendiants errants à l’aventure, mais des mendiants à poste fixe, en possession, sur des chaises boiteuses, d’un endroit leur appartenant, ainsi qu’une concession à perpétuité ; et des fiévreux claquant des dents, sous leurs frusques rousses ; et des aveugles, sans âge, qui remuent de minute en minute, monté comme un mouvement de pendule, un cornet de fer-blanc, qui sonne et puis se tait : et encore de vieilles femmes, avec de grands trous Les Tours Penchées de Bologne