L'autre Nuit (Guaita)

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Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 76-77).


L'autre Nuit


L’autre nuit, j’ai rêvé que les dieux étaient morts.
Toute foi s’écroulait : (Sans crainte et sans remords,
Un grand savant, par des calculs mathématiques,
Ayant prouvé le vide au sein des cieux antiques,
— Et le néant du songe où s’égarait en vain
Notre esprit, assoiffé de mystère divin.)
On voyait, par les jours et les mornes nuitées,
Sangloter les chrétiens, et pâlir les athées,
Et les juifs polluer de cendres leurs cheveux…

— Nul Être qu’on craignît ne dirait plus : « Je veux ! »
Par la bouche d’un prêtre, à la foule infidèle !

— On ne cueillerait plus de lys ni d’asphodèle
Pour orner les autels ou fleurir les tombeaux !
— Toute Espérance irait, éparse par lambeaux,
Se dissoudre sous l’herbe avec la chair humaine !
— Adieu les Inspirés qu’une Voix d’en haut mène
Par l’hostile univers — débiles et puissants !
— Adieu le temple ! Adieu les nuages d’encens
Hantés de visions mystiques !…
La Détresse
Invincible étreignait la Terre pécheresse :
Non point qu’elle pleurât le ciel désert, les dieux
Chassés par un mortel des séjours radieux…
Mais l’Homme avait compris, plus tremblant et livide,
Que Satan n’est pas mort, que l’Enfer n’est pas vide !


Avril 1884.