L'homme dans la lune/Epitre

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Traduction par Jean Baudoin.
François Piot et I. Guignard (p. 6-13).

À MONSIEVR
DE DEREMBERG,
SEIGNEVR DE HIRTZBERG, &c.
RESIDENT DE SON ALTESSE
SERENISSIME,
MADAME
LALANDGRAVE DE HESSE
PRES À DE SA MAIESTE’
tres-Chretienne.


lettrine C



ONSIEVR,
Le jugement trop aduantageux que vous daignez faire de mes Traductions, deuroit m’obliger à vous en offrir quelqu’vne, qui fût plus ſerieuſe, & moins ſoupçonnée de Menſonge que n’eſt celle cy. Mais bien qu’elle ne ſoit qu’vne Fable ; cette Fable pourtant me ſemble aſſez belle, pour me perſuader qu’elle vous plaira pour eſtre auſſi bien déduitte, que bien inuentée. En effet, Monſieur, comme les faux Diamans enchaſſez auec adreſſe, recréent plus l’œil, que ne ſont les vrays groſſierement mis en œuure ; Ainſi les contes fabuleux bien imaginez, aggréent plus à l’oreille que les Hiſtoires veritables, quand elles ſont mal debiſtées. Vous le remarquerez, ici ie m’aſſeure, dans la Relation de cet Eſpagnol depaïſé, qui vient vous déduire icy ſes Aduantures. Si vous l’en croyez, Monſieur, il vous les fera plus grandes incomparablement, que toutes celles des anciens Paladins, & de ces Cheualiers enchantez, ſi fameux dans les Romans, où ils ſe battent encore en peinture. Mais il Vous entretiendra ſurtout de ſes voyages en l’air ( où ſurpaſſant la valeur d’Hercule, il a défait plus d’vne Chimere) & de cette admirable Machine de ſon inuention, par le moyen de laquelle il a découuert vn nouueau Monde dans le Globe de la Lune.

Voila, Monsievr, vn ſujet aſſez diuertiſſant, & que l’Autheur de ce Liure, ſoit Eſpagnol, ſoit Anglois n’a pas trop mal traité, ce me ſemble. Vous en pouuez juger au Vray, pour auoir des sentimens ſi purs, et ſi nets qu’ils ne ſe trompent jamais en la connoiſſance des bonnes choſes. Cette notion ſi excellente, eſt vn effet de la ſolidité de voſtre Eſprit ; comme la ſincerité de vos Actions, en eſt un autre de la Bonté de voſtre Âme. Elle eſt ſi grande, Monsievr, que s’il y a des Vices à la Cour, voſtre Vertu ne les connoiſt point. Au contraire, elle ſe conſerue incorruptible dans leur corruption ; et ſe peut dire ſemblable à cette Fontaine merueilleuſe, qui paſſe à travers les eaux ſalées, ſans rien perdre de la douceur qui lui eſt naturelle. Mais je ne crois pas vous bien louer, Monsievr, ſi je me dis qu’à cet Empire abſolu que vous avez ſur les Paſſions, ſe trouuet jointes en quelque temps que ce ſoit deux grandes Compagnes, la Moderation, & la Modeſtie. Vous eſtes ennemy mortel de tout ce qui tient de l’humeur altiere, ou de la fauſſe galanterie ; & faites les choſes auec tant d’accortiſe, & de bonne grace, qu’en vous ſe trouuent aduantageuſement toutes les qualitez neceſſaires à bien reüſſir, ſoit parmy les Caualiers, ſoit parmy les Dames. Auſſi, à vray dire, Monsievr, iamais homme ne fut mieux que vous, ny dans l’approbation des honneſtes gens, ny dans leur eſtime : & iamais perſonne ne les entretint, ſi agréablement que vous faires. Voſtre conuerſation eſt vn Aimant inuiſible, qui les attire ſi bien à vous, qu’ils ſe font eux-meſmes vne douce violence, pour en eſtre inſeparables. Que ſi des Vertus morales, qui font vos plus cheres delices, il faut paſſer aux Politiques ; qui ne voit, Monsievr, avec quels ſoins vous les cultiuez, & combien vous avez l’Eſprit agiſſant au maniment des grandes affaires ? Eſt-il quelque vigilance pareille à la voſtre dans le glorieux Employ que vous donne ici Madame La Landgrave De Hesse, merveille de ſon Sexe, & de noſtre Siecle, comparable aux Heroïnes les plus Illuſtres, ſoit en force d’Eſprit, ſoit en grandeur de Courage. Quelles aſſiduitez ne rendez-vous point à tout ce qui regarde le ſeruice de Son Altesse, & de ce genereux Prince son Fils, qui dans la Cour de noſtre grand Roy, & de la Reine Regente ſa Mere ; par ſes hautes Qualitez vniuerſellement admirées, & dignes du bon accueil qu’il a receu de leurs Majestez, a fait voir à tout le Monde, qu’il n’eſt pas moins recommandable pour ſa Vertu, que pour ſa haute Naiſſance. Ainſi, Monsievr, ce ne vous eſt pas une petite gloire, d’eſcrire ſi bien que vous eſtes dans l’Eſprit d’un ſi grand Prince, qui vous conſidere comme une Perſonne dont la Suffiſance & la Probité lui ſont de long-temps connues. Mais je ne vois pas que voſtre Modeſtie s’oppoſe aux louanges que ie vous donne, bien qu’elles ſoient legitimes & que d’ailleurs, ie ne, ſçaurois les déduire toutes, à moins que de ſortir hors des bornes d’vne juſte Lettre. Ie finis donc celle-cy, Monsievr, par cette bonne opinion que i’ay de moy-meſme, qu’entre tous les Hommes que vos merites extraordinaires vous ont acquis, ie ne penſe pas qu’il y en ait ; aucun qui vous honnore dauantage, ny qui ſoit plus veritablement que moy,


Monsievr,
Voſtre tres humble &
tres obeyſſant ſeruiteur,
I. Bavdoin.