L'oeuvre du Divin-Aretin/Partie I/Introduction

La bibliothèque libre.
Traduction par Guillaume Apollinaire.
Bibliothèque des curieux (p. 6-26).


LES MAÎTRES DE L’AMOUR


L’Œuvre
DU
DIVIN ARÉTIN
Première Partie

Les Ragionamenti
La Vie des Nonnes ; — La Vie des Femmes mariées ;
La Vie des Courtisanes ;
Sonnets luxurieux


TRADUCTIONS NOUVELLES ET MORCEAUX TRADUITS
POUR LA PREMIÈRE FOIS


INTRODUCTION ET NOTES
PAR
Guillaume APOLLINAIRE





PARIS
BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX
4, RUE DE FURSTENBERG, 4

MCMIX



INTRODUCTION

Un singulier cours d’eau à double pente coule dans le val que domine Arezzo : c’est la Chiana. Elle peut être donnée comme une image de ce Pierre dit l’Arétin, qui, à cause de sa gloire et de son déshonneur, est devenu l’une des figures les plus attachantes du xvie siècle. Elle est, en même temps, une des plus mal connues. À vrai dire, si de son vivant même la renommée de l’Arétin n’alla pas sans infamie, après sa mort on chargea sa mémoire de tous les péchés de son époque. On ne comprenait pas comment l’auteur des Ragionamenti pouvait avoir écrit Les Trois Livres de l’Humanité du Christ, l’on se demandait comment ce débauché avait pu être l’ami des souverains, des papes et des artistes de son temps. Ce qui devait le justifier aux yeux de la postérité a été cause de sa condamnation. En fait de génie, on ne lui a laissé que celui de l’intrigue. Je m’étonne même qu’on ne l’ait pas accusé d’avoir acquis ses biens et son crédit par la magie.

Ce Janus bifronts a déconcerté la plupart de ses biographes et de ses commentateurs. Son nom seul, depuis plus de trois siècles, effraye les plus bénévoles. Il demeure l’homme des postures, non pas à cause de ses Sonnets, mais par la faute d’un dialogue en prose qu’il n’a point écrit, et où on en indique 35. Cependant, la populaire n’en met que 32 sur le compte de l’imagination luxurieuse du Divin. En Italie, les lettres le voient d’un mauvais œil ; les érudits n’abordent des recherches sur cet homme qu’avec beaucoup de répugnance et ne prononcent son nom que du bout des lèvres, osant à peine feuilleter ses livres du bout des doigts. Chez nous, les gens du monde accouplent sa mémoire à celle du marquis de Sade ; les collégiens, à celle d’Alfred de Musset ; pour le peuple et la petite bourgeoisie, son nom évoque encore, avec ceux de Boccace et de Béranger, la grivoiserie qui est toute la santé et la sauvegarde du mariage. C’est que la variété est bien la seule arme que l’on possède contre la satiété. Et l’homme qui, directement ou indirectement, a fourni à l’amour un prétexte pour ne point lasser devrait être honoré par tous les amants et surtout par les gens mariés. Sans doute, on connaîtrait les postures, même si le dialogue attribué à l’Arétin n’avait pas été écrit, mais on n’en connaîtrait pas autant, et ni Forberg, ni les livres hindous, ni les autres manuels d’érotologie qui en indiquent un nombre beaucoup plus considérable ne seront jamais assez populaires pour donner à l’époux et à l’épouse une occasion naturelle, provenant d’une locution quasi proverbiale, de repousser l’ennui en variant les plaisirs. L’Arétin, qui utilisa le premier cette arme moderne, la Presse, qui, le premier, sut modifier l’opinion publique, qui exerça une influence sur le génie de Rabelais et peut-être sur celui de Molière[1], est aussi, par aventure, le maître de l’Amour occidental[2]. Il est devenu une sorte de demi-dieu fescennin qui a remplacé Priape dans le Panthéon populaire d’aujourd’hui. On l’invoque ou on l’évoque au moment de l’amour, car pour ce qui regarde ses ouvrages, on ne les connaît pas. Les exemplaires en sont devenus rares. En Italie même, on ne connaît guère que son théâtre. Les Ragionamenti n’avaient jamais été traduits en français avant que Liseux en publiât le texte accompagné de la traduction d’Alcide Bonneau[3] d’après laquelle fut faite la traduction anglaise publiée par le même éditeur. Elle dut servir de modèle au Dr Heinrich Conrad pour la première et toute récente édition allemande : Gespräche des Göttlichen Aretino, éditée par l’Insel Verlag de Leipzig.

Ajoutons qu’une partie de l’œuvre arétinesque est aujourd’hui perdue ; une autre demeure inédite dans les recueils manuscrits dispersés dans les Bibliothèques européennes ; une autre enfin lui appartient sans doute aussi qui ne lui est pas attribuée.


Pietro Aretino naquit à Arezzo, en Toscane, pendant la nuit du 19 au 20 avril 1492, nuit du jeudi au vendredi saints, quelques mois avant la découverte de l’Amérique, et mourut à Venise, le 21 octobre 1556[4].

Avec une singulière précision, le catalogue imprimé de la Bibliothèque Nationale l’appelle : Pietro Bacci, dit Aretino. Les raisons qu’on avait alléguées pour soutenir l’opinion abandonnée aujourd’hui que l’Arétin avait eu pour père un gentilhomme d’Arezzo nommé Luigi Bacci n’autorisaient nullement les bibliographes de la Nationale à accorder ce nom à Messer Pietro, qui de toute façon n’aurait été qu’un bâtard de Bacci, n’ayant jamais porté ce nom. C’est aussi sans fondement qu’on l’a gratifié de noms comme Della Bura ou De Bucali, Bonci, Bonamici, Camaiani, etc.

On sait maintenant que le père de l’Arétin était un pauvre cordonnier d’Arezzo, nommé Luca. Les recherches de M. Alessandro Luzio dans les archives de Florence ne laissent plus aucun doute à cet égard[5]. En 1550, un certain Medero Nucci, d’Arezzo, vient chercher fortune à Venise. Et d’abord son compatriote, l’Arétin, le protège, le présente à l’ambassadeur du duc de Florence. Puis tout se gâte ; l’Arétin écrit à l’ambassadeur de s’en défier, alléguant des désordres et des scandales dans la vie privée de Medero Nucci, qui pour se venger envoie à l’Arétin un cartel de défi où il lui reproche d’avoir écrit les sonnets sous les figures de Raphaello da Orbino, le Trentunno, La Puttana errante, les Six journées. Et cette missive est adressée Allo Aretino Pietro de Lucha, calzolaio a Venezia, c’est-à-dire À l’Arétin Pierre (fils) de Lucha, cordonnier à Venise. Voici donc le nom du père de notre Pierre : Lucha ou Luca, Luc en français. D’ailleurs le Divin ne renie pas une origine aussi obscure. Il envoie au duc Côme la lettre de Nucci et lui en écrit :

« …Pour en venir maintenant à la mention de sa maudite épistole, je dis que je me glorifie du titre qu’il me donne pour m’avilir, car il enseigne ainsi aux nobles à procréer des fils semblables à celui qu’un cordonnier a engendré dans Arezzo. »

Quel orgueil ! ne croirait-on pas entendre un des maréchaux de Napoléon se glorifier de n’avoir pour aïeux que des gens du peuple ? Ce sont ces lettres qu’a retrouvées M. Alessandro Luzio. Elles ne nous renseignent d’ailleurs que touchant le prénom et l’état du père de l’Arétin. Et nous ne sommes pas pour cela plus avancés au sujet du nom de famille de notre Pierre. Il est fort possible au demeurant que le cordonnier Luca n’eût pas d’autre nom. Il se peut également que ce fût le nom de la famille du Divin. Luca est de nos jours encore un nom patronymique très répandu non seulement en Italie, mais encore en Corse. Il ne semble pas, d’autre part, que l’Arétin se soit jamais ouvert à qui que ce soit touchant le nom de son père et en ait fait mention. Cependant, je crois être en mesure d’indiquer dans un giudicio retrouvé et publié par M. Alessandro Luzio[6] un passage dans lequel en 1534, longtemps avant le message de Nucci, le Divino mentionnait le nom paternel en équivoquant. Au temps de l’Arétin, l’astrologie judiciaire était florissante. Au commencement de chaque année, les astrologues publiaient leurs giudicii ou pronostics. Avec cette prescience du rôle que devait jouer plus tard la Presse et à cause de laquelle Philarète Chasles eut raison de voir en lui un précurseur du journalisme, l’Arétin comprit le parti qu’on pouvait tirer de ces libelles pour former l’opinion publique. Il écrivit plusieurs de ces giudicii satiriques et d’ailleurs peu prophétiques, tous perdus jusqu’à ces dernières années, sauf quelques fragments. À cette heure, on possède en entier celui qu’a publié récemment M. Alessandro Luzio et qui provient d’un manuscrit de la fin du xvie siècle, copié par un Allemand et conservé à Vienne, en Autriche. Tout laisse croire que le copiste allemand a eu sous les yeux un imprimé. C’est l’avis de M. Luzio, qui n’est pas d’accord sur ce point avec les autres arétiniens d’Italie. En effet, on ne connaît aucun exemplaire imprimé des giudicii de l’Arétin. Et, cependant, les raisons de M. Luzio me semblent bonnes. Des pamphlets comme celui qui nous occupe ne pouvaient avoir d’effet sur l’opinion publique (et c’est à cela qu’ils étaient destinés) que s’ils étaient répandus à un grand nombre d’exemplaires, et l’on sait que l’Arétin a fait publier à part plusieurs de ses lettres sur les grands événements de son temps.

D’autre part, M. Luzio, qui a vu le manuscrit de Vienne, affirme que le copiste allemand devait connaître mal l’italien et n’aurait pu copier aussi correctement un manuscrit. Il aurait donc eu entre les mains un imprimé perdu aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, en 1534, l’Arétin tenait encore pour François ier dont il attaque, dans son pronostic, tous les ennemis, à commencer par Charles-Quint, dans le parti duquel il allait bientôt passer. Aussi dédie-t-il son pamphlet Alla Sacra Maesta Christianissima et il l’intitule : Pronostico dell’anno MDXXXIIII composto da Pietro Aretino, Flagelle dei Principi et quinto evangelista. Ce n’est pas au hasard que l’Arétin se targue de cette dernière qualité. Pourquoi s’appellerait-il cinquième évangéliste ?… Il y a là-dessous un jeu de mots dont il nous donne la clef au paragraphe 31 : Del Flagello dei Principi, qui commence ainsi : Pierre Arétin qui eut comme ascendants Luc, Jean, Marc et Mathieu[7]… En effet, y ayant quatre évangélistes, Pierre Arétin, fils de Luca ou Luc, l’un d’eux, c’est-à-dire venant après lui, peut bien prétendre être le cinquième évangéliste, si l’on veut bien entendre par évangéliste un prophète. L’Arétin n’a pu résister au plaisir d’équivoquer d’une façon assez embarrassée sur le nom de son père le cordonnier et pour cela il n’a pas hésité à changer l’ordre des quatre évangélistes et à torturer le sens de ce mot. Et c’est la seule mention connue, pensé-je, que l’Arétin ait faite du nom de son père[8].

L’Arétin ne se vantait pas à tout propos de son origine plébéienne. On lui a reproché de ne pas s’être beaucoup occupé de son père. Et les sarcasmes du Franco, du Doni et du Berni touchant le métier de cordonnier qu’exerçait le bonhomme nous montrent assez combien ces allusions devaient être désagréables au Divin. Il faut dire que longtemps on n’a pas pris ces plaisanteries au sérieux parce que les ennemis de l’Arétin ont inventé contre lui trop de calomnies pour que ce qu’ils ont avancé soit admis sans discussion s’il n’est étayé par des documents irréfutables. Mais, ne se manifestant pas avec beaucoup de vivacité à l’égard de son père, l’amour filial de notre Pierre se reporta tout entier sur sa mère, une très belle fille du peuple nommée Tita. L’Arétin l’aima tendrement. On en a conclu qu’elle était mariée. Et rien n’est moins certain. Messer Luca pouvait bien vivre en concubinage avec Monna Tita. Elle a passé pendant quelques siècles pour une mérétrice de bas étage et certains arétiniens voudraient maintenant en faire une sainte ! Il n’y a pas apparence de cela. L’Arétin pouvait bien aimer sa mère de tout son cœur, au cas même où elle eût été une prostituée. Au demeurant, on n’est pas au courant de la vie que mena la Tite, mais on est certain avant tout de sa beauté, dont furent touchés de nombreux artistes qui voulurent la rendre immortelle.

En somme, l’origine de l’Arétin est obscure, mais nullement monstrueuse. On est loin du sacrilège qui, lui donnant pour parent un tertiaire et une béguine, faisait de lui l’Antéchrist même ; selon la légende encore accréditée qui veut que le père de cette incarnation du mal, encore à venir, soit un religieux et sa mère une religieuse. On sait aussi que l’Arétin eut deux sœurs qui se marièrent.

L’enfance de notre Pierre fut assez négligée. Il était précoce, lisait tout ce qui lui tombait sous la main, dévorant avant tout avec passion les romans chevaleresques, les divers épisodes épiques dont sont formés i Reali di Francia, ces royaux de France dont plus tard il devait combattre l’influence très considérable à cette époque en Italie où ils ne sont pas encore oubliés aujourd’hui. Il alla bientôt à Pérouse où, faisant déjà des vers, il étudia la peinture. Un livre découvert à la Marciana par M. d’Ancona, en prouvant la précocité poétique du jeune Arétin, démontre aussi qu’il se destinait pour les arts : Opera nova del fecundissimo giovene Pietro Aretino zoé strambotti, sonetti, capitoli, epistole, barzellette e una desperata ; et à la fin : Impresso in Venetia per Nicolo Zopino nel MCCCCCXI a di XXII di Zenaro. L’Arétin avait alors 19 ans. Les sonnets sont précédés de cet avertissement : quelques choses d’un adolescent Arétin Pierre étudiant en cette faculté et en peinture. Un sonnet dans lequel il est question d’un Pérugin indique assez que l’Arétin était alors à Pérouse. Un capitolo trouvé plus tard sur une colonne, à Rialto, en novembre 1532, fait aussi allusion à ces tentatives artistiques :

Ô combien cela t’aurait rapporté plus de fruit et de louange
Si tu n’avais pas laissé ton pinceau,
S’il est vrai que tu aies été peintre un temps, comme je l’ai entendu dire,
Plutôt que de vouloir devenir, ô petit misérable,
De Maître, poète.

En 1517, l’Arétin alla à Rome. Il y fut vite connu et craint à cause de ses satires. Il entra au service du pape Léon x et du cardinal Jules de Médicis. Après avoir fait une violente opposition à l’élection d’Adrien vi, le détesté pape flamand, en prenant pour interprètes Marforio et Pasquin, l’Arétin quitta Rome avec le cardinal et ne revint que lorsque celui-ci fut élu pape sous le nom de Clément vii, le 19 nov. 1523. L’Arétin avait alors 31 ans. Il jouissait à la cour de Clément de beaucoup de considération et pouvait beaucoup sur l’esprit du pontife[9].

En 1524 éclate le scandale des figures de Jules Romain, gravées par Marc Antoine. En 1525, l’Arétin écrit les 16 sonnets. Il est en guerre avec le Dataire Giberti, qui tente de le faire assassiner par le Bolonais Achille de la Volta. À peine remis de ses blessures, Messer Pietro quitte Rome pour aller retrouver Jean des Bandes-Noires qui l’accueille à bras ouverts. Le fameux capitaine meurt en 1526. L’Arétin, revenu à Rome, assiste au sac de la ville. Clément vii meurt, et l’Arétin, ne se sentant plus en sûreté, se réfugie à Venise, où il arrive le 25 mars 1527, et s’y établit, disant aux cours un adieu définitif. C’est alors qu’homme libre par la grâce de Dieu, il s’intitule : le Fléau des Princes, le Véridique et le Divin. « Pourquoi, s’est demandé Jacobus Gaddius[10], s’arrogea-t-il la divinité avec le consentement de ses contemporains ? Je ne sais. À moins que peut-être il ne voulût signifier qu’il exerçait les fonctions de Dieu, en foudroyant, au semblant de très hautes montagnes, les têtes les plus élevées. »

À Venise, l’Arétin trouve le moyen de s’enrichir en écrivant des lettres. Passant, tour à tour, du parti de François ier dans celui de Charles-Quint, respecté par le Roi et par l’Empereur, honoré par les papes, l’Arétin, comblé d’honneurs, dispose de la plus haute puissance de son temps. On le craint, on le flatte, il a de nombreux ennemis dont il est à l’abri, et ses amis sont plus nombreux encore. Ils font partie de toutes les classes de la société. Son nom est fameux jusqu’en Perse. Il habite, sur le Canale Grande, un palais somptueux détruit aujourd’hui. Au lieu d’intendant et de majordome, ce sont six belles filles qui dirigent sa maison ; on les appelle les Arétines. Il choisit ses maîtresses comme ses commensaux, dans la noblesse aussi bien que parmi le peuple. Sa maison est ouverte à tous comme un port de mer. C’est une hôtellerie pour les pèlerins affligés, pour les lettrés affamés et pour toute sorte de chevaliers errants. Généreux à l’excès, il donne ce qu’il possède, ne parvenant pas cependant à s’appauvrir. Chaque jour, de sa petite écriture nette et nerveuse, il écrit des lettres destinées, par menaces ou par flatteries, à provoquer des dons, à entretenir l’admiration et une sainte terreur de sa plume étincelante. Il écrit vite, improvisant, en quelque sorte, des comédies où l’on a pu voir en lui un précurseur de Molière, des écrits satiriques et libres selon la mode du temps, des paraphrases religieuses pour lesquelles il doit ambitionner en vain le chapeau de cardinal. Il compose des poèmes chevaleresques qui n’en finissent plus et qu’il détruit lui-même, mais pour se consoler en écrit des parodies. L’influence de ces faciles écrits se fait sentir non seulement en Italie, mais en France, en Espagne, en Allemagne. Il règle le goût, s’intéresse aux artistes et entasse chez lui les œuvres d’art.

À peine à Venise, il rencontre le Titien, qui devient son compère, et commence immédiatement son premier portrait qui, trois mois après, fut envoyé au marquis de Mantoue. L’amitié du peintre et du Divin ne devait plus cesser. Parmi ses amis on peut citer encore le Sansovino, Sébastien del Piombo, le Sodoma, Jules Romain, Giovanni da Udine et même Michel-Ange qui, s’il semble n’avoir jamais voulu donner de ses œuvres à l’Arétin, qui sollicitait ce don, n’en tenait pas moins le Fléau des Princes en haute estime, écrivant : « Le Roi et l’Empereur avaient en très grande grâce que la plume de l’Arétin les nommât. »

Dans le palais qu’il habitait se pressait chaque jour la foule des artistes, des disciples, des patriciens, des aventuriers, des ecclésiastiques, des mérétrices, des ganymèdes et des étrangers. L’Arétin plaisante et rit souvent à gorge déployée. Il est l’homme le plus libre du monde, il ne craint personne. Il reçoit des présents de tous les souverains. François ier et Charles-Quint lui ont donné des chaînes d’or mais ne l’ont point enchaîné. Il se croit le droit de changer de parti. Il a conscience de sa puissance. Et, seul parmi les gens de lettres de son temps, il n’est pas parasite. On a dit que c’était un maître-chanteur, mais on a exagéré. Il a des talents et peut rendre des services. Il n’est que trop juste qu’on les lui paye. Il ne ménage rien et dit hardiment sa pensée. Il a reproché au roi de France d’avoir, à cause de son alliance avec les Turcs, plongé dans le cœur de la chrétienté le couteau ottoman. Fléau des Princes, il les flagelle par droit divin. L’opinion publique lui était, après tout, très favorable, et les prédicateurs ne se gênaient pas pour déclarer que, poursuivant le dessein de réformer la nation humaine, la nature et Dieu ne pourraient pas trouver de meilleur moyen que de produire beaucoup de Pierre Arétin.

Le Divin ayant quitté les cours en a maintenant une dans laquelle il se promène en despote bon enfant, incapable de maîtriser ses colères sans durée, et bon de cette bonté qui faisait dire à Jean des Bandes-Noires qu’elle était la source de la plupart des désagréments éprouvés par Messer Pietro. Et, de fait, il veut que tout le monde soit heureux autour de lui. Pour cela il est très humain avec les femmes de sa maison, jovial, hospitalier et généreux, tenant table ouverte, libéral au point de donner cela même à quoi il tient le plus. Le regard du Divino va de la vue merveilleuse qu’on découvre de son palais au groupe des joueurs, aux artistes qui disputent sur l’idéal, il s’arrête avec complaisance sur les belles courtisanes, sur les honnêtes dames et sur les ganymèdes aux formes lascives. Car s’il aime beaucoup les femmes et si deux fois au moins il a connu le véritable amour qui est passionné, respectueux et même sans espoir, il ne méprise pas des plaisirs qui, comme aujourd’hui même, choquant l’autorité, ne passaient pour honteux qu’aux yeux d’un très petit nombre de particuliers. Il ne faut pas oublier que Giovannantonio Bazzi n’a pas peur d’être appelé le Sodoma, que le Berni, le Tasse, Michel-Ange et bien d’autres eussent mérité le même surnom. Mais pour l’amant de Laura la cuisinière, de la comtesse Matrina, de la vertueuse Angelo Serena, de la malheureuse et frivole Perinia Riccia, le caprice socratique n’a que l’importance passagère d’un divertissement. Il a des filles et s’occupe de leur établissement. Le Divino, que l’Arioste a célébré, que François ier, charmé par son esprit, avait voulu attirer à sa cour, que Charles-Quint fit chevaucher à son côté, que le pape Jules iii baisa au front et auquel il conféra l’ordre de Saint-Pierre, eut une vieillesse magnifique, et l’Ammirato dit qu’on aurait difficilement vu un vieillard plus beau et plus pompeusement vêtu. Les fables les plus grossières ont couru sur les circonstances qui entourèrent la mort du Flagello dei principi. On a retrouvé un témoignage authentique et précis de son décès. C’est un certificat notarié et revêtu du firman ducal fait à la requête d’un certain Domenico Nardi da Reggio, probablement pour couper court aux bruits calomnieux qui commençaient à courir sur la mort de l’Arétin. Il contient les déclarations de Pietro Paolo Demetrio, curé de San Luca, paroisse du Divin, à Venise. Ce curé atteste, en 1581, c’est-à-dire 25 ans après la mort de Pierre, avoir enseveli chrétiennement l’Arétin et dit qu’il mourut de mort subite, tombant d’une chaise caquetoire, et que le jeudi saint avant de finir ses ultimes jours il se confessa et communia, pleurant extrêmement, et le bon prêtre affirme que cela s’est bien passé ainsi comme il l’a vu lui-même.

C’est que l’Arétin n’était pas un mécréant. Il avait un confesseur, le père Angelo Testa, et suivait les offices. S’il se moque des moines, il respecte infiniment la religion. Jules iii n’a pas voulu en faire un cardinal. Et ce refus me paraît avoir eu des raisons plus politiques que morales. L’Arétin était, autant que bien d’autres, digne de la pourpre cardinalice et n’aurait peut-être pas fait si mauvaise figure sur le trône pontifical !


L’Arétin a laissé une œuvre importante[11] ; outre ses lettres laudatives, ses pamphlets et ses poésies de circonstance, il a donné une tragédie en vers, Orazia, et cinq comédies en prose : Le Maréchal, la Courtisane, l’Hypocrite, la Talanta, le Philosophe, où l’on découvre des mérites du premier ordre. On a bien avancé que l’Hypocrite aurait été le prototype du Tartufe, Molière ayant connu cette pièce à Grenoble, grâce à Chorier[12]. Les ouvrages religieux du Divin eurent une vogue considérable. Il paraphrase les psaumes pénitentiels. parle de l’Humanité du Christ, de la vie de la Vierge Marie, de la Passion de Jésus-Christ, de la vie de Sainte Catherine. Il a composé une œuvre chevaleresque dont les strophes se comptaient par dizaines de mille, mais il la détruisit lui-même, ne nous laissant que des poèmes inachevés comme le Lagrime d’Angelica ou la Marfisa et des parodies également inachevées, comme l’Orlandino qui eut un très grand succès, et l’Astolfeide dont on ne connaît qu’un exemplaire conservé à la Bibliothèque Nationale et sur lequel on trouve cette note manuscrite : Non ce ne sono che Tre Canti. Molte Coglionerie, e pochissime cose.

On a dit de l’Arétin qu’il était un grand prosateur, mais un poète médiocre. Je suis d’avis que cette opinion est en partie très injuste, car le Divin a été pour le moins un poète satirique du premier ordre. Certaines de ses pasquinades[13] ne sont pas inférieures à quelques beaux morceaux de Victor Hugo, dans les Châtiments.

Pour ma part, je suis d’avis que l’on devrait restituer à l’Arétin la paternité de quelques ouvrages comme la Puttana errante[14], la Zaffetta, la Tariffa delle Puttane que l’on attribue à Lorenzio Veniero. Ce Lorenzo Veniero, qui devait plus tard siéger au Sénat et remplir de hautes fonctions dans le gouvernement de la République Vénitienne, avait vingt ans lorsque Francesco Zeno l’amena à l’Arétin pour que celui-ci le formât. Et ma conviction est faite : la Puttana errante, la Zaffetta et son Trentuno ont trop de points de ressemblance avec les Ragionamenti pour qu’il soit possible de les attribuer à un autre qu’à l’Arétin lui-même. Je pense que le Divin ne se souciait pas de s’attirer des désagréments en se moquant ouvertement des mérétrices. Il avait sans doute à se venger de cette Elena Ballerina, qui est la putain errante, et de la Zaffetta. Il a plu à l’Arétin de mettre ses sarcasmes sur le compte du jeune Veniero, qui ne demandait pas mieux et qui, sans doute, était très fier de se faire passer pour l’auteur d’ouvrages d’une audace aussi brillante. Et, cependant, l’Arétin a beau dire que la Puttana est l’œuvre du Venerio, son creato, il a beau, au début de la Zaffetta, parlant au nom du Veniero, se gausser de ceux qui disent que la Puttana errante est un ouvrage arétinesque ; il ne faut pas se laisser prendre à ces supercheries et à ces coquetteries d’auteur. Au fond, l’Arétin regrette d’avoir dépensé tant d’esprit dont bénéficie son disciple, il reprend les traits les mieux venus de ses poèmes et s’en ressert dans les Ragionamenti, y mentionnant La Putain errante en se gardant bien de parler du Venerio. Le Tarif des putains de Venise ressemble trop à la Putain errante et à la Zaffetta pour ne point provenir de la même imagination. Cette composition, dont le titre italien est La Tarifa delle Puttane di Venegia, a été écrite sans doute entre la première et la deuxième partie des Ragionamenti. L’Arétin la mentionne dans la première journée de cette deuxième partie. Il la fit probablement paraître plus tard, y ayant mis des allusions à lui-même et au Veniero pour qu’on ne découvrît pas quel en était l’auteur.

Bref, si l’Arétin n’a pas écrit les trois ouvrages dont il a été question, il leur a beaucoup emprunté, et cela n’est pas dans ses habitudes. Il tire, en général, de son propre fonds tout ce qu’il écrit. Il travaille si vite que plagier ne pourrait que le retarder inutilement. D’ailleurs, n’a-t-il pas dit dans une phrase qu’on pourrait rapprocher d’un vers de Musset : « Il vaut mieux boire dans son hanap de bois que dans la coupe d’or d’autrui. »

Je ne veux nullement avancer, au demeurant, que l’Arétin, qui était presque un autodidacte, n’ait pas subi l’influence d’auteurs qui l’ont précédé ou même contemporains. Sans parler de Boccace et des autres Italiens dont la lecture a formé son esprit en lui donnant une direction, il serait injuste de ne pas citer l’Espagnol Francisco Delicado qui paraît avoir eu une influence immédiate sur le talent du Divin. Ce Francisque ou François Délicat, dont la vie, le rôle et les œuvres sont encore mal connus, vivait en Italie. Il était à Rome en même temps que l’Arétin et alla à Venise la même année que lui. Il publia, en 1528, avant que l’Arétin ne composât ses Journées putanesques, une nouvelle dramatique intitulée La Lozana Andaluza, qui pourrait bien être le prototype des Ragionamenti, ayant elle-même pour mobile la fameuse Célestine. L’Arétin entendait l’espagnol, comme il apparaît à la lecture de ses dialogues. Il a dû connaître La Lozana Andaluza et sans doute son auteur, qui était un lettré et un savant. Quoi qu’il en soit, il ne le mentionne nulle part.

La Lozana Andaluza fut composée à Rome pendant le séjour qu’y fit Délicat, de 1523 à 1527. Il la retoucha à Venise avant de l’y publier. J’attribuerais volontiers à ce Francisque Délicat un ouvrage qui a été longtemps donné comme étant de l’Arétin et qui a comme titre le nom d’un fameux éditeur vénitien. Je veux parler du Zoppino, dans lequel on reconnaîtra volontiers bien des traces du goût espagnol. En tout cas, le Zoppino n’est pas de l’Arétin, tout le monde est d’accord à ce sujet. D’autre part, au Malotreto ou cahier xxxix de la Lozana Andaluza, Délicat mentionne le Zoppino qui ne devait paraître à Venise qu’en 1539, après les Six Journées ou Caprices de l’Arétin. Et l’on trouverait bien des ressemblances entre la Lozana Andaluza et le Zoppino qui tous deux, sans doute, furent composés à Rome et retouchés à Venise. Délicat devait écrire l’italien, et dans son séjour à Venise il se mit au courant du dialecte vénitien auquel il a emprunté un certain nombre de locutions qui paraissent dans le Zoppino. Il ne cite pas une fois l’Arétin, sans doute parce que celui-ci ne l’avait pas cité non plus. Il intitule son dialogue : Ragionamento del Zoppino, etc., imitant en cela l’Arétin, à moins que celui-ci n’ayant connu le Zoppino à Rome n’en ait imité le titre avant qu’il ne fût imprimé.

Néanmoins, l’Arétin échappe, quant à son ouvrage même des Caprices, à tout reproche d’imitation et de plagiat, de même que Francisque Délicat ne peut être appelé un imitateur de la Célestine, bien qu’elle ait été le modèle de la Lozana Andaluza dont elle diffère de toutes les façons. Mes hypothèses sur l’influence et les ouvrages de Francisque Délicat n’infirment point, du reste, mes opinions touchant la Putain, la Zafetta et le Tarif qui me semblent devoir être remis au compte de l’imagination féconde du Divin. Il ne s’est caché de les avoir écrits que parce qu’à Venise, attaquer nommément la renommée des mérétrices de la République et même des courtisanes romaines, cela pouvait être infiniment plus dangereux que de se moquer du roi de France, et surtout cela ne devait rien rapporter.


On a pensé que le Divin, dont le nom est populaire en France, y était trop mal connu, et l’on a choisi pour le faire connaître les ouvrages dans lesquels sa personnalité s’est affirmée le plus et qui lui font une place à part parmi les écrivains de tous les temps. On n’a donné ici que les seize Sonnets luxurieux qui paraissent être de l’Arétin. On sait que ces sonnets ont été portés jusqu’à 26, nombre qui ne répond pas à celui des figures de Jules Romain.

Il n’existe pas encore de travail définitif touchant l’histoire de ces sonnets ; néanmoins celui[15] du savant Alcide Bonneau, à l’érudition élégante et inépuisable duquel on doit la plupart des travaux publiés par Liseux, fait autorité. Pour ce qui a trait aux fameux dessins de Jules Romain, gravés par Marc-Antoine Raimondi, ils ont complètement disparu. On a donné récemment une réimpression des sonnets, copiée sur l’édition de Liseux. On y a ajouté les fac-similés d’une série de calques datant du xviiie siècle et qui auraient été faits sur les gravures de Marc-Antoine[16]. Mais n’y a-t-il pas là-dessous quelque supercherie ? Ces images coïncident presque entièrement avec la description qu’avait donnée Bonneau de l’apparence que devaient avoir les gravures disparues. Mais sont-ce bien là des calques datant du xviiie siècle ou bien ne s’agirait-il pas plutôt d’une habile reconstitution faite d’après la description de Bonneau et où l’on a mis quelques différences pour que l’authenticité des calques parût moins discutable ? Je ne sais. Toujours est-il que cette publication a été saisie après son apparition et son éditeur poursuivi.

On ne comprend pas bien dans ces conditions pourquoi la Bibliothèque nationale n’en possède pas un exemplaire. Sans doute, l’institution du Dépôt légal ne fonctionne pas avec toute la régularité désirable ; mais un ouvrage ayant été saisi, le premier geste de l’autorité devrait être d’en pourvoir la Bibliothèque, dont on se désintéresse trop. On dit que les magistrats, en cas de saisie comme celle dont il est question ici, s’empressent de compléter leurs collections. Et sans doute il y a trop de collectionneurs dans la magistrature pour que d’un ouvrage saisi il ne reste un seul exemplaire destiné à la Nationale.

On a dit que l’éditeur était parvenu à se faire rendre son édition. Cependant, je crois qu’elle ne lui a pas été rendue, mais qu’il en a tiré une nouvelle, les exemplaires que l’on vend maintenant me paraissant plus petits et moins beaux que ceux que j’ai vus en 1904. Néanmoins, je ne pourrais pas affirmer le fait, parce qu’en 1904, ne m’occupant pas encore de l’Arétin, je n’ai pas regardé avec beaucoup d’attention la publication qui venait de paraître.

En se servant du recueil du Cosmopolite[17], Alcide Bonneau a pu reconstituer avec beaucoup de vraisemblance l’ouvrage fescennin du Divin. Ce n’est pas que parmi les autres sonnets il n’y en ait pas qui puissent être aussi attribués à l’Arétin. Ainsi le sonnet qui sert de préambule à la Corona de Cazzi, comme on a appelé postérieurement les Sonnets luxurieux, peut fort bien être également de l’Arétin. Le premier quatrain est aussi le premier du sonnet qui sert de poème à la Tariffa delle Puttane di Venegia, que, pour ma part, j’attribue à l’Arétin.

Pour ce qui regarde les Ragionamenti, on a traduit ici la première partie qui se compose de trois Journées. Il y manque l’Avertissement dans lequel l’Arétin dédie son ouvrage à sa guenon en jouant sans doute sur le mot mona[18] qui avait à Venise un autre sens que l’on entend assez si l’on a parcouru les priapées que le Vénitien Baffo composa au xviiie siècle. La troisième Journée est la plus célèbre. Dès le xvie siècle, elle était imitée plutôt que traduite en français, et aussi en espagnol (1549). C’est d’après cette paraphrase intitulée Colloquio de las Damas et due à Fernand Xuarés que Gaspard Barth composa sa fameuse traduction latine intitulée Pornodidascalus.

La seconde partie est également formée de trois Journées qu’Alcide Bonneau a respectivement intitulées : l’éducation de la Pippa, les Roueries des Hommes, la Ruffianerie. Dans la première de ces Journées, la Nanna enseigne à sa fille, la Pippa, l’art d’être mérétrice. Le second jour, il s’agit des bons tours que les hommes s’ingénient à jouer aux courtisanes trop confiantes. Et le troisième jour, la Nanna et la Pippa, assises dans leur jardin, écoutent la Commère et la Nourrice parler de la Ruffianerie, c’est-à-dire des rapports entre les putains et les maquerelles. On a souvent donné le Zoppino, le Ragionamento des Cours et le Dialogue du Jeu comme étant la troisième partie des Ragionamenti. C’est là une erreur. Le Zoppino n’est pas de l’Arétin et les Six journées forment une œuvre distincte et complète. Le Ragionamento des Cours n’a pas encore été traduit ; il mérite cependant de l’être. Quant au Dialogue du Jeu, on en a traduit des fragments, et il n’est pas indigne non plus qu’on en publie une version complète.

Les traductions que l’on donne ici paraîtront souvent plus exactes que celles qui les ont précédées. Le traducteur de l’édition de Liseux, malgré tous ses mérites, n’a pas évité quelques contresens regrettables comme celui-ci au deuxième dialogue où il traduit spazzare ogni gran camino par « balayer la poussière des plus larges chemins ». Ce qui n’était évidemment pas ce que voulait dire le Divin, les ramoneurs étant de son temps plus communs que les cantonniers. On a aussi serré le texte italien de plus près. C’est ainsi qu’on a rendu schiavina, non pas seulement par « manteau », mais par « esclavine », et que traduire le fu renduto da me migliaccio per torta par « je lui rendis mille pour un » a paru une étrange façon de faire passer dans l’officine de l’usurier une locution populaire qui sortait sans doute du fournil du boulanger. On n’a pas reculé non plus devant les répétitions que n’avait pas évitées l’Arétin qui écrivit ses Ragionamenti en 48 jours. Il a paru que l’office du traducteur ne doit pas être d’améliorer le style de son auteur, et l’on n’est pas éloigné de croire, au demeurant, que les répétitions ne sont nullement un indice de mauvais style comme on pense communément aujourd’hui, où l’on alourdit et embarrasse souvent la phrase en voulant se servir de mots différents là où la répétition d’un mot serait aussi bien raisonnable.

Enfin, on a mis des notes partout où cela a été possible. On souhaite qu’elles éclaircissent un texte très agréable à la vérité, mais rempli d’allusions à des événements, à des coutumes, à des personnages dont le public n’a pas idée aujourd’hui.

En ce qui concerne les sonnets, on en a parfois adouci les termes, et malgré cela on est persuadé que ces poèmes n’ont pour ainsi dire rien perdu de leur vivacité gaillarde. D’ailleurs, le lecteur est libre de remplacer les mots qui lui paraissent faibles par les plus forts qu’il connaisse, et suppléant ainsi par la perspicacité de son entendement à ce que le traducteur a dû gazer, par pudeur, il formera avec certitude son opinion sur l’œuvre du Divin Pierre Arétin dont on a écrit en son temps qu’il était la régle de tous et la balance du style.


G A



  1. Si l’on a pu citer Rabelais et Molière comme des auteurs sur lesquels le Divin a exercé son influence, il serait injuste de ne pas ajouter que, de notre temps, Hugues Rebell, qui était un grand lecteur des publications de Liseux, a dû à l’Arétin une très grande partie de ses mérites d’écrivain.
  2. « Toutes les nuances des attitudes galantes ont été traitées avec étant d’énergie par le célèbre Pierre Arétin, qui vivait dans le quinzième siècle (sic), qu’il n’en reste rien à dire aujourd’hui ». Thérèse philosophe, 2e partie. Cette opinion, exprimée dans un des ouvrages les plus licencieux du xviiie siècle, représente bien l’idée que l’on se fait encore en général du Divin.
  3. Cette traduction fut d’abord publiée sur le texte italien en dix volumes (1879-1880). Petite édition mixte franco-latine.

    J’ai eu entre les mains une traduction très rare, mais peu intéressante. Il s’agit des Dialogues de l’Arétin, surnommé le fléau des Princes, le véridique, le divin. Paris, 1884, 4 vol. in-8o. Cet ouvrage a été imprimé sur la presse à bras par le traducteur A. Ribeaucourt et tiré à 15 exemplaires seulement.

  4. L’ouvrage suivant a fait longtemps autorité : Vita di P. Aretino ; par le comte G.-M. Mazuchelli (Padoue, 1741, 1749). Il y en a un abrégé en français, par Dujardin, sous le pseudonyme de Boispréaux (La Haye, 1750). On trouve bien quelques choses intéressantes dans Mazuchelli, mais aussi un très grand nombre d’erreurs et d’injustices. C’est avec raison qu’Alcide Bonneau l’appelle Biographe du genre hostile.
  5. Cf. Alessandro Luzio : La famiglia di Pietro Aretino. Giornale Storico della litteratura italiana, t. iv.
  6. Uno Pronostico satirico di Pietro Aretino (MDXXXIIII) edito ed. illustrato da Alessandro Luzio, Bergamo, 1900.
  7. Pietro Aretino, il quale hebbe in ascendente Luca, Giovanni, Marco et Matteo…_
  8. On pourrait aussi expliquer ce jeu de mots en avançant que l’orgueilleux Arétin a voulu se moquer des quatre grandes familles vénitiennes désignées sous le nom des quatre évangélistes. C’étaient les Giustiniani, les Bragadini, les Cornari et les Bembi. Le cardinal Bembo était un ennemi du fils du cordonnier Luca. Et jouant sur ce nom, l’Arétin, fils de Luc (c’est le nom d’un évangéliste), pouvait se donner comme le cinquième évangéliste, lui qui valait bien un Bembo, quatrième évangéliste. Ceci renforcerait l’hypothèse que Luca serait le nom patronymique de notre Pierre.
  9. Baschet. Documenti inediti su Pietro Aretino. (Archivo storico italiano, s. iii, t.  iii, 2e partie.)
  10. Cité par Bayle (Dict.).
  11. Qu’on me pardonne d’être réservé touchant la bibliographie arétinesque. Elle est très embrouillée et l’érudit qui entreprendrait de la débrouiller rendrait aux Lettres un service signalé. Mais, pour ma part, je ne suis pas bibliographe…
  12. Il semble que l’Arétin ait joui d’une grande vogue parmi les lettrés du Dauphiné. Sans les Ragionamenti, nous n’aurions pas la Satire sotadique de Chorier. Dans son ouvrage sur l’Arétin (Hachette, 1895), M. Pierre Gauthiez cite une pièce dont le Divin est un des personnages : le Courtisan parfait, tragi-comédie par M. D. G. B. T. Grenoble, Jean Nicolas, 1668. — Cette pièce est attribuée à Gabriel Gilbert.
  13. Voir Pasquinale di Pietro Aretino ed anonime per il conclave e l’elezione di Adriano vi, pub. et ill. da Vittorio Rossi. Palermo-Torino, C. Clausen, 1891, in-16.
  14. La Puttana errante est un poème en quatre chants qui n’a rien à voir avec l’insipide Dialogue de Marguerite et de Julie qu’on a aussi intitulé la Puttana errante. C’est dans cette plate élucubration, qui n’a rien d’arétinesque, que l’on trouve l’énumération des 35 postures.
  15. Les sonnets luxurieux du divin Pietro Aretino, texte italien, le seul authentique et traduction littérale par le traducteur des Ragionamenti, avec une notice sur les sonnets luxurieux, l’époque de leur composition, les rapports de l’Arétin avec la Cour de Rome et sur les dessins de Jules Romain, gravés par Marc-Antoine. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis. (Paris, 1882)
  16. Les sonnets luxurieux de l’Arétin (I sonnetti lussuriosi di Pietro Aretino), texte italien et traduction en regard accompagnée de la notice et de commentaires de Is. Liseux (la notice et les commentaires sont en réalité d’Alcide Bonneau) et publiés pour la première fois avec la suite complète des dessins de Jules Romain d’après des documents originaux (Paris, 1904), pet. in-4o oblong, cartonné, imprimé en deux couleurs, encadrements typographiques. 160 pages de texte, 16 fac-similés et 17 gravures en taille douce. Ces 17 gravures comprennent un frontispice et les gravures achevées par un artiste moderne d’après les calques. Il me semble que dans l’exemplaire que j’ai vu en 1904, on donnait le fac-similé de la grandeur des soi-disant calques originaux. Il me semble aussi que le fac-similé de chaque calque se trouvait en regard de la gravure achevée, médiocre d’ailleurs.

    Dans l’exemplaire que je viens d’avoir entre les mains, les figures ne sont reproduites qu’à mi grandeur des soi-disant originaux.

  17. Alcide Bonneau fait remarquer que : « dans ce Recueil, les Sonnets sont intitulés Corona di Cazzi ; Sonnetti (sic) Divi Aretini. » Cela n’est pas tout à fait exact ; dans le Cosmopolite on trouve : Divi Aretini Sonnetti, et ce mauvais latin qui choquait Alcide Bonneau devient plus macaronique encore au titre du premier Sonnet : Divi Aretini Sonnetto primo. Le recueil dit du Cosmopolite est peu connu. En voici le titre : Recueil des pièces choisies rassemblées par les soins du Cosmopolite. Anconne, chez Vriel Bandant, à l’enseigne de la liberté, MDCCXXXV. J’en ai vu une réimpression (1835 ?) qui présente quelques différences dans le titre et dans le texte. L’exemplaire ancien que j’ai lu portait cette note manuscrite :

    « Ce recueil a été formé par M. le Duc d’Aiguillon, père du dernier mort imprimé par lui et chez lui en sa terre de Verets, en Touraine et tiré au nombre de douze exemplaires seulement.

    La femme de son intendant qu’il avait fait prote et qui était dans un entresol où elle travaillait, lui cria un jour : Monsieur le Duc, faut-il deux R au mot F . . . . . . ? Il répondit gravement, il en vaudrait bien la peine ; mais l’usage est de n’y en mettre qu’un. L’épître à Madame de Miramion qui est à la tête de l’ouvrage, ainsi que la Préface, sont de M. de Moncrif. On trouve à la fin du volume une traduction en vers français des Noëls Bourguignons qui n’existe que là.

    Ce recueil d’ordures est sans contredit le plus complet et le plus rare qu’il y ait, il renferme beaucoup de Pièces qu’on rechercherait, bien inutilement ailleurs. »

  18. On connait le sens de moniche.