L'oubli (Guaita)
L’Oubli
Majestueux Néant des choses abolies !
Sépulcre des Grandeurs et linceul des Folies !
Gouffre vorace ! Mer insondable ! Lac noir !
Oubliette creusée au ventre du manoir !
Fosse commune, où ta chaux vive. Indifférence,
Ronge la Gloire humaine et l’humaine Espérance !
Où se sont écroulés de vieux cultes défunts,
Embaumés dans l’orgueil des mystiques parfums ;
Où s’effondrent les Noms, les Œuvres et les Actes :
Avalanche éternelle ! Énormes cataractes !
! faste ironique et hautain du tombeau !
Défi qu’il jette à la longévité du Beau !…
Oh ! sous le soleil cru, qui nous saura décrire
Les sépulcres en cercle et leur éclat de rire ?
C’est là votre rictus, ô crânes impudents
Qui montrez la hideur de vos trente-deux dents !
— Trépas ! [destruction physique] , je t’adore
Et te hais : je bénis et je maudis Pandore.
— Je t’aime et je te hais, de vertige rempli,
[Destruction morale], inéluctable Oubli !
Car tous deux vous brisez en sa fleur la Souffrance,
Et par vous poind au ciel l’aube de Délivrance ;
Mais vous tranchez l’Orgueil et la Gloire, tous deux,
Ô Spectres à la faux, superbement hideux !…
- Janvier 1884.