Lèvres de Velours (D. E.,)/03

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Sous les Galeries du Palais-Royal, Chez la petite Lolotte (p. 29-39).
Chapitre III

Lèvres de Velours, bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE III


UN BALLET TEL QU’ON N’EN DANSE PAS À L’OPÉRA


Le soir venu, quand tout le monde est réuni, la comtesse, qui nous ménageait une surprise a recruté, pour nous donner une petite fête, de charmantes bayadères, huit espagnoles et une Américaine, fort habiles dans leur art, et qui, avec cela, ont le bon esprit, qui ne gâte rien, d’être des ferventes du culte de Lesbos. Cette annonce engageante nous mit l’eau à la bouche.

La comtesse prend place dans le fauteuil du milieu, comme la présidente naturelle des jeux qu’elle nous offre ; et, soudain un orchestre invisible, caché dans une pièce voisine, entame le prélude du ballet qu’on va danser sous nos yeux. Quand l’introduction est terminée, aux premiers accords d’une valse, les portes de la chambre s’ouvrent à deux battants, et se referment après avoir livré passage à quatre superbes houris, en tenue de ballet, la jupe de gaze très courte, s’arrêtant au bas des fesses, le corsage échancré très bas, laissant en dehors du nid, deux belles pommes d’amour, avec leurs pointes roses dressées ; des bas de soie couleur chair et des chaussons de danseuses complètent leur costume ; quand au maillot, nous nous apercevons bien vite qu’il est naturel, un maillot fait de cuisses nues, de jambes nues, de fesses nues ; la toison se découvre à chaque mouvement des danseuses, qui marquent d’abord le pas, en venant s’incliner pour nous saluer. Les voilà qui s’enlacent et tourbillonnent dans un petit cercle, découvrant à chaque tour de valse, sous la gaze qui s’envole, le contour opulent d’une mappemonde aux rondeurs éblouissantes, et la raie bien ouverte, qui la sépare en deux globes charnus ; puis, se prenant par la main, l’une fait pirouetter l’autre, la reçoit dans ses bras, le corps penché en arrière, laissant échapper du corset les deux globes rebondis, la jambe levée, la pointe du pied en l’air, montrant entrebaillée la grotte d’amour aux lèvres vermeilles, pendant qu’elles pivotent sur un pied, soutenues par leurs partenaires. S’enlaçant de nouveau, elles reprennent leur tourbillonnement, valsant huit mesures à droite, huit mesures à gauche, en faisant le tour de la chambre ; puis pirouettant sur place de droite à gauche, de gauche à droite, les jupes toujours envolées, elles nous offrent les plus aimables perspectives. Puis, c’est le tour des autres de pirouetter sur un pied, une jambe en l’air, montrant le centre des délices délicieusement entr’ouvert. Aux dernières mesures de la valse, elles se séparent, tournent isolées, et s’arrêtent avec un ensemble parfait, mettant un genou par terre au dernier temps de la valse.

L’orchestre attaque une gigue anglaise. Les danseuses s’installent dans des fauteuils, disposés en face des nôtres, une jambe sur l’autre, dans une plaisante posture, qui laisse voir le haut des cuisses nues et une partie des fesses. Cependant la porte s’ouvre, et une belle fille nue, qui n’a pour vêtements que des bas de soie noire, et des escarpins de danse, s’élance comme un cabri, retombe sur les mains, et fait son entrée les jambes en l’air. „Miss Pirouett”, annonce la comtesse. Miss Pirouett toujours sur les mains, nous montrant un superbe cul renversé, les cheveux épars sur le tapis, s’avance vers nous, retombe sur ses pieds, salue très gracieusement la maîtresse de céans, et s’incline, toujours en cadence, devant chacun de nous, exhibant un corps moulé, d’une blancheur de neige, avec une large toison dorée, très fournie, balançant sur sa poitrine une paire de seins ronds et fermes, qui n’ont pas besoin de soutien pour nous menacer de leur pointes vermeilles. Une luxuriante chevelure rayon d’or, longue et fine retenue dans le haut par un nœud de ruban bleu, voltige sur le corps, pendant qu’elle fait ses évolutions ; car dès qu’elle a fini ses révérences, miss Pirouett commence une gigue échevelée, se démène, se trémousse d’une façon désopilante. D’abord, les jambes croisées, elle danse la matelotte sur la pointe des pieds, imprimant un balancement voluptueux à tout son corps, les bras croisés sur sa poitrine au-dessous de la gorge, relevant les seins, qui forment ainsi la plus adorable saillie, puis décroisant les jambes, elle exécute un pas, battant le parquet de la pointe du pied et du talon, lançant tour à tour le pied à droite et à gauche, avec une agilité sans égale, découvrant dans ce mouvement, l’entrée vermeille de la grotte d’amour ; puis lançant un pied en l’air, elle montre, comme dans un éclair, la fente entr’ouverte, retombe pour battre des entrechats, rapides, précipités, battant ses pieds l’un contre l’autre, fait quelques sauts périlleux, qui la laissent voir comme une boule de chair, qui tourne en l’air. Enfin elle retombe sur les mains, se repose sur la tête, le corps droit, les jambes collées, faisant le chêne, puis, peu à peu, écartant les jambes, elle les tient presque horizontales, exhibant les deux routes de l’amour dans leur entier développement.

Cette vue enchanteresse suggère à la comtesse l’idée d’un entr’acte amoureux. Mercédès en effet se précipite sur les charmes qui l’attirent dont la vue allume ses sens, et vient servir à la mignonne un entremêts succulent. Mais comme miss Pirouett ne saurait garder longtemps cette position fatigante, nous volons à son secours, et danseuses et spectateurs se précipitent pour aider et pour assister à l’opération. Mercédès agenouillée, gamahuche miss Pirouett ; Lola, qui s’agenouille de l’autre côté, porte ses soins au noir bijou, et pendant que nous soutenons la ballerine par les jambes et par le milieu du corps, elles la caressent à qui mieux mieux déployant, chacune dans son coin, la plus savante dextérité qu’ait jamais atteinte une gougnotte consommée ; et quand l’orchestre finit ses dernières mesures, Miss Pirouett gigotte comme une possédée, joignant ses soupirs enchantés aux accords mourants de la gigue.

On conduit la mignonne, qui se relève la figure congestionnée, dans un fauteuil, où elle s’enfonce moelleusement, tandis que l’orchestre prélude pour la danse des almées.

Celles-ci font leur entrée, vêtues d’une gaze transparente, qui permet de voir tout le corps, comme s’il était sans voiles. Les quatre bayadères, se tenant par la main, s’avancent en se dandinant, balançant lascivement leurs corps, suivant le rythme, en s’inclinant devant nous. Elles gagnent le fond de l’appartement, puis, chacune entrant en scène à son tour, elles viennent exécuter l’une après l’autre la danse du ventre. La première, une fort jolie blonde potelée, exécute son pas avec toutes les plaisantes contorsions que comporte ce genre de chorégraphie. Elle s’avance en se déhanchant, tortillant du ventre et du derrière, comme si la danseuse se livrait enchevillée à un autre genre d’exercice. Puis c’est le tour d’une brune piquante, qui vient se tordre avec les mines les plus amusantes.

Quand les deux autre brunes, toutes les deux, ont dansé leurs pas isolés, retirées au fond de l’appartement, elles quittent leurs robes de gaze, et toutes les quatre ensemble, elles viennent recommencer toutes nues leur ravissant exercice, deux dansant en avant, les deux autres à reculons, nous offrant ainsi sous tous ses aspects, le double attrait simultané de la danse lascive des almées. Tout le corps danse à la fois, les fesses se remuent, se tortillent, se tordent, se froncent, s’écartent, se referment, faisant une énorme saillie au bas des reins cambrés ; les seins palpitent, sautent sur la gorge, montent et descendent, suivant les mouvements de la respiration agitée des danseuses, le ventre ondule, se tortille, entre, ressort dans un dandinement lascif, les genoux fléchissent, les cuisses s’écartent, les Almées s’accroupissent, montrant tous leurs appas élargis ; elles se relèvent, bondissent, battent des entrechats, et terminent par des contorsions lascives, formant pour finir un groupe ravissant. La plus vigoureuse est au milieu, tenant sous ses bras deux ballerines, qui appuient un pied sur sa cuisse, l’autre jambe en l’air, tandis que, renversée en arrière, la gorge en arrêt, elle reçoit sur ses lèvres un baiser voluptueux, que lui donne la quatrième danseuse, penchée sur elle.

En place pour le quadrille ! Chacune des Almées prend une des autres danseuses, dont elle doit être le cavalier. Elles ne dansent que les deux dernières figures. Miss Pirouett, qui est un vrai Clodoche, vient au milieu de la pastourelle prendre la place d’une Almée, pour exécuter un cavalier seul. Elle s’élance, saute à droite sur un pied, à gauche sur l’autre, bondit comme un démon, s’accroupit, jette ses jambes l’une après l’autre en avant, et termine son cavalier seul, ainsi accroupie, les fesses effleurant le parquet, chaque fois qu’elle lance son pied en avant en retirant l’autre, tandis que nous nous baissons, pour voir entre ses cuisses, le plaisant mouvement des petites lèvres de sa grotte, qui vont et viennent, elles aussi, obéissant à l’impulsion des jambes. Au second cavalier, Miss Pirouett, après quelques entrechats et deux coup de pied dans le lustre, achève la figure sur les mains, tandis que les ballerines dansent une ronde autour d’elle.

Un galop échevelé termine le ballet. Ici toutes les spectatrices, folles de rut, se précipitent dans la mêlée, et viennent prendre part au divertissement. Miss Pirouett s’est emparée de la maîtresse de céans, et la fait pirouetter de la jolie façon. Je reste spectateur de la sarabande m’amusant fort de ces plaisants ébats ; j’admire l’adorable contraste que présente ce fouillis d’étoffes et de chairs ; celles-là, en brillantes toilettes de ville, celles-ci dans le costume primitif d’Eve ; le frou-frou des soies de toutes couleurs se frottant au satin de ces chairs nues, blanches et roses ; le chatoiement des étoffes, et celui de ces peaux luisantes aux lumières, tout, ce pêle-mêle dansant une ronde échevelée, dans laquelle les dames se démènent avec une fureur érotique endiablée, s’excitant encore par le pelotage de ces chairs, chaudes et palpitantes, dont le délicieux contact allume dans leurs sens une ardeur dévorante, imitant de leur mieux les mouvements lascifs, les gestes les plus désordonnés de leurs modèles.

J’étais dans le ravissement ; et ce ravissement redoubla bientôt d’intensité, quand, le galop fini, tout ce joli monde, quittant ses vêtements dans un coin, reparut tout nu, avec des babouches aux pieds, exhibant leurs chairs palpitantes, la gorge encore secouée par la respiration haletante, après cette ronde échevelée. Les ballerines furent les premières apaisées : habitude et entraînement sans doute ; les dames soufflèrent encore un moment, à mon grand contentement, car je ne sais rien de si ravissant qu’une belle gorge, ainsi soulevée et ballottée.



Lèvres de Velours, vignette fin de chapitre
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