Légendes chrétiennes/Le diable et la sainte Vierge parrain et marraine

La bibliothèque libre.



V


le diable et la sainte vierge parrain et marraine.


(seconde version)



Un jour, un pauvre homme, un sabotier, dit-on, se mit en route de bon matin pour chercher parrain et marraine pour un fils qui lui venait de naître. C’était son neuvième enfant, et déjà, en pareil cas, il avait eu recours à presque tous ses voisins. Et puis, tout le monde ne se soucie pas de nommer les enfants des pauvres ; ceux des riches, c’est différent.

Il était triste et soucieux, et craignait d’essuyer un refus, là où il allait s’adresser. Chemin faisant, il rencontra un seigneur inconnu, bien mis, paraissant riche, mais qu’il n’avait jamais vu dans le pays.

— Où allez-vous ainsi, mon brave homme, lui demanda l’étranger, et pourquoi êtes-vous si triste ?

— Si je suis triste, monseigneur, répondit le pauvre homme, c’est que j’ai bien raison de l’être.

— Voyons, dites-moi ce que c’est, et peut-être pourrai-je vous être utile.

— Ma femme vient encore d’accoucher, et je vais chercher parrain et marraine pour le nouvel enfant que Dieu nous envoie ; mais, comme c’est le neuvième, je ne sais plus à quelle porte aller frapper.

— Eh bien ! si ce n’est que cela, tranquillisez-vous ; je serai le parrain de votre enfant. Assurez-vous d’une marraine, puis trouvez-vous demain matin, à dix heures, avec la marraine et l’enfant, dans le porche de l’église de la commune, et je vous y rejoindrai. À demain donc, et compter sur moi.

Et l’inconnu s’en alla.

Le sabotier continua sa route, un peu moins triste, et se félicitant de sa rencontre.

— Cet étranger doit être riche, se disait-il en lui-même, et ce sera, sans doute, un bon parrain pour mon enfant.

Comme il marchait, rêvant ainsi, il se trouva tout d’un coup en présence d’une belle dame qu’il n’avait jamais vue non plus, mais, qui lui parut aussi douce et bonne qu’elle était belle.

— Bonjour, mon ami, lui dit l’inconnue.

— Bonjour, madame, répondit l’homme, un peu troublé.

— Je sais que votre femme vient de vous donner un neuvième enfant, et que vous lui cherchez une marraine ; je sais aussi que vous avez déjà trouvé un parrain. N’allez pas plus loin, je servirai de marraine à votre enfant, et demain matin, à dix heures, je me trouverai dans le porche de l’église, où le parrain vous a donné rendez-vous. Soyez-y donc avec le nouveau-né et retournez à présent à la maison, auprès de votre femme.

La belle dame disparut alors dans un bois, au bord de la route, et le sabotier, content et joyeux s’en retourna à sa hutte et raconta à sa femme ses deux rencontres. Ils se réjouirent tous le deux de l’aventure et attendirent avec impatience.

À dix heures, le lendemain matin, chacun fut exact au rendez-vous, et l’enfant fut baptisé par le vieux recteur de la paroisse et reçut le nom de Robert. Le parrain donna au père plein son chapeau de pièces d’or toutes neuves et luisantes, et lui recommanda d’avoir soin de son filleul et de l’envoyer à l’école. Quand il aurait douze ans, il viendrait le prendre, pour l’emmener avec lui à son château, afin d’y achever son éducation.

La marraine insista pour qu’on lui apprît de bonne heure à prier, à être dévot à la sainte Vierge surtout, à respecter ses parents et à vivre dans la crainte de Dieu. Elle donna aussi au sabotier une nappe nourricière, qui lui procurerait à souhait la nourriture du corps et ne le laisserait manquer de rien, lui et sa famille.

Puis le parrain et la marraine s’en allèrent, mais non ensemble, suivant chacun une direction opposée.

Dès ce moment, l’aisance et le bonheur entrèrent dans la hutte du sabotier, et un changement si subit et si complet intrigua les habitants de la commune et leur fit même des jaloux.

L’enfant venait bien. Il était bien constitué et intelligent. Quand il eut six ans, le recteur de la paroisse commença de lui faire l’école, et il faisait des progrès rapides et apprenait tout ce qu’on lui montrait. Ses parents l’avaient voué à la sainte Vierge, et il allait tous les jours prier avec eux ou seul, dans une vieille chapelle qui se trouvait dans leur voisinage. Sa marraine lui apparaissait souvent dans cette chapelle, et elle lui donnait de bons conseils et l’exhortait à être dévot à la sainte Vierge, qui ne l’abandonnerait pas, dans le danger... Et elle le regardait d’un air triste et doux, et peu s’en fallait qu’elle ne pleurât. Ces entretiens avec sa marraine étaient remplis de charme pour Robert, et dès qu’il avait un moment à lui, il courait à la chapelle.

Quant à son parrain, depuis le jour du baptême, on ne l’avait pas revu, et il paraissait se soucier assez peu de son filleul.

Cependant, l’enfant courait vers ses douze ans. Un soir qu’il était seul dans la chapelle, priant devant l’image de la sainte Vierge, selon son habitude, sa marraine lui apparut, plus triste que d’ordinaire, et lui parla de la sorte :

— Courage, mon enfant ; n’oubliez pas la mère de Dieu, et elle, à son tour, ne vous oubliera pas, dans le danger. Car il est temps de vous l’apprendre, vous êtes menacé d’un grand danger, et cela de la part de votre parrain. Votre parrain, mon pauvre enfant, n’est pas un honnête homme, et il faut vous en méfier et ne lui obéir qu’après m’avoir demandé conseil. Vous le verrez sans doute aujourd’hui, et il vous dira de ne pas m’obéir et de ne prendre conseil que de lui ; mais, ne l’écoutez pas, et restez-moi toujours fidèle.

Et ayant ainsi parlé, elle disparut, et des larmes paraissaient briller dans ses yeux.

Robert fut troublé de ce qu’il venait d’entendre, et il pria, ce jour-là, plus tard que d’ordinaire. Comme il s’en retournait à la maison, rêveur et pensif, il rencontra un seigneur inconnu et qui lui fit peur, à première vue. C’était son parrain.

— Bonsoir, mon filleul, lui dit l’étranger ; comme te voilà déjà un grand et beau garçon!... Il est vrai que tu vas avoir douze ans, et tu sais sans doute (car ton père a dû te le dire) qu’il est convenu entre nous, ton père et moi, que le jour où s’achèvera ta douzième année, tu viendras avec moi, pour que je termine ton éducation.

Et comme l’enfant le regardait d’un air effaré et paraissait avoir peur :

— Ne crains rien, mon enfant, ajouta-t-il, car je t’aime bien, et dans mon château, tu seras beaucoup mieux que chez ton père, et tu y trouveras à souhait tout ce que tu pourras désirer : bonbons, jouets... enfin, rien ne t’y manquera. Ne veux-tu pas venir chez ton parrain, dis ?

Et il voulut l’embrasser. Mais l’enfant fit la moue, détourna la tête et dit :

— Ma marraine m’a dit de ne pas vous écouter.

— Ta marraine ? Mais tu la connais donc, ta marraine ?

— Oui, et je la vois souvent, quand je vais faire ma prière devant l’image de la sainte Vierge, dans la chapelle, et elle me dit d’être sage, d’aimer le bon Dieu et la sainte Vierge, et elle nous vient en aide, car elle nous a donné une nappe nourricière qui nous fournit tout ce que nous désirons à manger et à boire, au lieu que vous, si vous êtes bien mon parrain, comme vous le dites, vous ne vous souciez guère ni de votre filleul, ni de son père et sa mère, car vous ne venez jamais nous voir.

— Eh bien ! je te défends d’aller désormais à la chapelle où tu vois ta marraine, et prends garde de me désobéir... Du reste, bientôt tu viendras avec moi à mon château ; ton père le sait bien, et ta marraine aussi, et elle n’y peut rien.

Et il s’en alla, l’air fort mécontent.

Robert ne répondit rien à cette menace ; mais il était bien résolu à continuer d’aller à la chapelle, comme devant.

Et en effet, comme il s’y rendait, le lendemain, selon son ordinaire, il rencontra sur sa route son parrain, qui lui dit avec colère :

— Je t’ai défendu de retourner à cette chapelle !

L’enfant se mit à courir, et, comme il n’avait plus que quelques pas à faire pour atteindre la chapelle, il parvint à y entrer, tandis que son parrain, n’osant le poursuivre jusque-là, restait dehors à maugréer et à tempêter. La marraine l’y attendait, et il lui raconta tout.

— Courage ! lui dit-elle, et nous finirons par triompher de l’ennemi. Continuez de venir me voir tous les jours, malgré ce que pourra vous dire votre parrain. Votre père, hélas ! a promis de vous livrer à lui, quand vous aurez atteint l’âge de douze ans, et il faut que la promesse s’accomplisse. Dans quelques jours, le terme sera échu, et il viendra vous réclamer. Mais venez ici, de bon matin, avant le lever du soleil, et je ferai ce qu’il faudra pour vous arracher à l’ennemi.

— Mais qu’est-ce donc que mon parrain, marraine, pour être si méchant ?

— Vous le saurez plus tard, mon enfant. En attendant, restez-moi toujours fidèle, et faites tout de point en point comme je vous le dirai.

— Je le ferai, ma bonne marraine, soyez-en bien sûre.

Et la marraine et le filleul se séparèrent là-dessus.

La veille du jour fatal, la mère dit à son fils avec tristesse :

— Demain, mon fils, ton parrain doit venir te chercher, pour t’emmener avec lui à son château, et peut-être serons-nous longtemps sans nous revoir.

— Je le sais, ma mère, répondit Robert ; mais ne vous en inquiétez pas trop, et ayez, comme moi, confiance dans ma marraine, qui veille toujours sur nous et ne m’abandonnera pas, à l’heure du danger. Demain matin, de bonne heure, avant le lever du soleil, nous irons ensemble à la chapelle, pour nous mettre sous sa protection, et aussi sous celle de la mère de Dieu.

La mère approuva fort l’idée de son fils, et le lendemain, ils étaient tous les deux dans la chapelle, bien avant le lever du soleil, agenouillés devant l’image de la sainte Vierge, et l’implorant avec ferveur. Cependant, Robert ne voyait pas venir sa marraine, comme à l’ordinaire, et cela l’inquiétait. Ils redoublèrent de prières, à genoux, sur les dalles froides et nues, et la marraine ne venait toujours pas, et Robert commençait à avoir peur. Soudain, ils entendirent au dehors une voix qui leur glaçait le sang et qui criait :

— Robert ! Robert !... c’est ton parrain qui vient te chercher, car le moment est venu... Sors vite de là, et viens avec moi !...

Mais Robert ne répondait pas. Sa mère et lui, dans les bras l’un de l’autre et confondant leurs larmes, invoquaient la mère de Dieu, mettant en elle tout leur espoir. Cependant ils entendaient un grand bruit au dehors, avec des menaces, des blasphèmes, des malédictions. Puis la même voix criait encore, effrayante et plus pressante :

— Robert !... sors vite, ou j’emporte ton père à ta place !...

Robert jeta un dernier regard autour de lui, cherchant toujours sa marraine, et ne l’apercevant pas, éperdu de douleur, il s’écria :

— Adieu ! ma mère !

Et il se dirigea vers la porte. Mais sa mère se traînait à ses pieds et s’attachait à ses habits en criant :

— Ne sors pas, mon fils ; reste, reste ici, sous la protection de la mère de Dieu !

— Robert ! Robert !... J’emporte ton père, si tu ne viens pas à l’instant ! . . . cria encore son parrain, dehors.

Robert fit un nouvel effort pour sortir ; mais sa mère se précipita devant lui, sortit elle-même et referma la porte sur son fils.

— Où est mon filleul ? Il me le faut ! lui cria l’étranger, furieux et effrayant à voir.

— Il est là-dedans, dit-elle, en montrant la chapelle.

— Dis-lui de sortir vite, pour que je l’emporte, car il m’appartient.

— Non, je ne lui dirai pas de sortir ; allez le chercher là-dedans, si vous l’osez.

Et le diable (car c’était le diable), furieux et rugissant, tournait autour de la chapelle, en poussant des cris épouvantables ; mais il n’osait pas y entrer.

— Eh bien ! hurla-t-il enfin, puisqu’il en est ainsi, j’emporte le père et la mère, et ils seront damnés pour l’éternité !…

En entendant ces derniers mots, Robert sortit et dit :

— Me voici !

— Il était temps ! cria l’autre ; viens vite en croupe sur mon cheval, et partons !…

Et le diable s’avança pour mettre la main sur lui, mais, en ce moment, la marraine se dressa soudain entre le filleul et le parrain, et elle dit à ce dernier, d’un air d’autorité irrésistible :

— Ne touchez pas à cet enfant !…

Le démon poussa un cri épouvantable, remonta à cheval et disparut, au milieu du tonnerre et des éclairs.

Alors la marraine dit à son filleul :

— Retournez à la maison, à présent, avec votre père et votre mère, et ne craignez plus rien.

— Venez aussi avec nous, marraine, dit Robert.

— Je n’irai pas avec vous, mon enfant ; mais, quand vous serez encore en danger, j’arriverai pour vous protéger. Allez donc, et ayez confiance en moi.

Et ils se dirigèrent tous les trois vers leur habitation. Mais leur ennemi les guettait, caché au bord de la route. Il se précipita sur Robert et voulut le mettre sur son cheval, pour l’emporter. L’enfant résista, cria et appela sa marraine :

— Je ne veux pas aller avec vous. Ma marraine ! ma marraine ! venez vite à mon secours !...

La marraine arriva à l’instant et arracha l’enfant au ravisseur.

— Cet enfant est à moi, et je le veux ! cria le parrain, furieux.

— Venez donc le prendre, répondit la marraine avec calme.

Et il hurlait et écumait de rage ; mais il n’osait toucher ni à l’enfant, ni à sa protectrice. Il lui fallut encore céder, et il s’enfuit, en faisant un vacarme épouvantable.

— À présent, mon enfant, vous viendrez avec moi, dit alors la marraine à Robert.

Puis, s’adressant à son père et à sa mère :

— Et vous, retournez à la maison, bonnes gens, et soyez sans crainte au sujet de votre fils, car je ne l’abandonnerai pas.

Le père et la mère rentrèrent chez eux, et Robert suivit sa marraine, qui le conduisit à la chapelle. Là, elle lui parla de cette façon :

— Tout n’est pas fini, mon enfant, et il vous reste encore une épreuve difficile à subir. Il vous faudra, à présent, aller jusqu’au château de votre parrain, puisque votre père a eu l’imprudence de lui promettre que vous y iriez, quand vous auriez atteint l’âge de douze ans, et le moment est venu. Votre parrain, mon pauvre enfant, est le diable, et si vous manquiez à la parole donnée, ce serait votre père lui-même qui serait obligé d’aller en enfer à votre place.

L’enfant frémit en entendant ces paroles.

— Pourtant, ne craignez rien, continua sa marraine ; faites tout comme je vous dirai ; ayez confiance en moi, qui ne vous abandonnerai pas dans le danger, et vous sauverez votre père et vous-même, et d’autres personnes encore.

Puis elle le conduisit derrière l’autel, lui fit voir l’entrée d’un souterrain qui pénétrait dessous et lui dit :

— Entrez là, dans ce souterrain ; suivez-le jusqu’au bout, et quoi que vous puissiez voir et entendre, ne perdez pas courage ; je serai toujours à vos côtés, pour empêcher qu’il vous arrive du mal, bien que vous ne me voyiez pas.

Robert entra en tremblant dans le souterrain. Mais à peine y eut-il fait quelques pas qu’il cria :

— J’ai peur, marraine !... Il fait trop noir ici ; je n’y vois goutte.

— Allez toujours, mon enfant ; invoquez la sainte Vierge, et elle vous donnera le courage nécessaire.

Et il récita un Ave Maria et n’eut plus peur, et marcha alors résolument. Il arriva à l’extrémité du souterrain et y vit un château rempli de feu et de flammes, et d’où sortaient des cris, des imprécations, des blasphèmes, un vacarme épouvantable ! Son parrain l’aperçut qui n’osait plus avancer, et il courut au devant de lui.

— Ah ! te voilà donc enfin, mon filleul. Tu as bien fait de venir ; entre, et sois le bienvenu.

— Il faut tenir la parole donnée, répondit Robert, et je suis venu, pour dégager celle de mon père.

— Fort bien ! Viens donc que je te fasse visiter mon royaume.

Et son parrain, qui était le maître de ces lieux, le promena dans cet immense château aux nombreux compartiments, tous remplis de feu et de flammes, et où des diables hideux tourmentaient les pauvres âmes des réprouvés. Il vit des supplices et des tortures de toute sorte ; il vit des damnés qui se tordaient, et qui hurlaient dans des étangs de poix bouillante et des rivières de plomb fondu. Et ils maudissaient les plaisirs, les passions et les vanités du monde, cause de leur damnation, et blasphémaient Dieu, et l’appelaient tyran et bourreau. Robert frémissait d’horreur et détournait la tête, et bientôt il cria :

— Assez ! assez ! Je veux m’en aller d’ici !...

Et il essaya de s’enfuir et de retourner sur la terre. Mais son parrain s’y opposa, et il se mit alors à crier :

— Ma marraine ! ma bonne marraine, venez vite à mon secours !

Aussitôt sa marraine se trouva à côté de lui, blanche et radieuse, et calme, dans ces lieux remplis de ténèbres, de supplices et de douleurs. Et soudain, les damnés cessèrent de souffrir, et aux cris, aux imprécations, aux hurlements affreux succédèrent un grand calme et un grand silence, et le diable alla se cacher au fond de la plus profonde de ses fournaises ardentes.

— Prenez le pan de ma robe, mon enfant, dit alors la marraine à Robert, et allons-nous-en, car la promesse de votre père est maintenant accomplie, puisque vous êtes venu trouver votre parrain dans son château, où il n’a pas pu vous garder.

Robert prit le pan de la robe de sa marraine, et celle-ci, l’entraînant à sa suite, s’envola à travers les ténèbres, comme un ange blanc, laissant après elle une longue traînée de lumière. Dès qu’ils furent partis, les supplices, les tortures, les cris, les imprécations et les blasphèmes recommencèrent de plus belle.

Robert se retrouva bientôt dans la chapelle, avec sa marraine, et celle-ci lui parla alors de cette façon :

— Te voilà heureusement revenu de ton voyage dans l’enfer, mon enfant, et ton parrain n’a plus aucun pouvoir ni sur toi ni sur ton père. Mais il te faut encore aller en purgatoire. Ne crains rien ; ce second voyage ne sera pas aussi pénible que le premier, et aie toujours confiance en moi, et je ne t’abandonnerai pas, au moment du danger.

Et elle le fit descendre dans le même souterrain, sous l’autel, et il arriva sans encombre au purgatoire. Là, il vit encore des malheureux suppliciés et torturés de toutes les façons, et en grand nombre, de tous les âges et de toutes les conditions, même des papes, des évêques et des prêtres. Pourtant, ils paraissaient souffrir moins que ceux qui étaient dans l’enfer, et ils étaient moins horribles à voir. Il reconnut parmi eux son grand-père et sa grand’mère, décédés depuis quelque temps. Et ils tendaient leurs mains suppliantes vers lui et lui criaient :

— Délivrez-nous ! délivrez-nous d’ici !

À cette vue, il fut sur le point de défaillir.

— Hélas ! leur dit-il, je ne puis vous délivrer moi-même, mais je prierai ma marraine de le faire.

— Qui est donc ta marraine ?

— Je ne le sais pas bien ; mais elle est très-puissante, elle fait tout ce qu’elle veut.

Il revint alors sur ses pas, triste et pensif, mais sans éprouver d’obstacle, cette fois, et il se retrouva dans la chapelle. Sa marraine l’y attendait. Il lui raconta tout ce qu’il avait vu et entendu, et lui demanda si elle ne pouvait pas délivrer son grand-père et sa grand’mère.

— Avant cela, lui répondit-elle, tu dois faire un troisième voyage, mais dans lequel je t’accompagnerai, cette fois, et qui sera beaucoup moins pénible et moins désagréable que les deux autres. Je veux, à présent, te faire visiter aussi ma demeure.

Et elle le conduisit dans le paradis. Comme c’était différent des lieux ténébreux et maudits qu’il avait visités précédemment ! Ici, tout était lumière, chants, mélodies, parfums délicieux, joie et bonheur !...

Sa marraine le présenta au bon Dieu, qui le reçut en souriant et lui dit :

— Soyez le bienvenu, heureux protégé de ma mère !

Et ce fut alors seulement qu’il reconnut que sa marraine était la sainte Vierge.

Celle-ci l’envoya bientôt après au purgatoire pour y chercher son grand-père et sa grand’mère, qu’il y avait vus, lors de son premier voyage. Il y alla tout joyeux et les ramena, heureux et chantant les louanges du Seigneur.

Son père et sa mère vinrent aussi les rejoindre bientôt après, et ils se trouvèrent ainsi réunis dans le royaume de Dieu.

Ceci montre, bonnes gens, combien il est dangereux de prendre pour parrain le premier venu.

(Conté par Rose Kerambrun, Prat (Côtes-du-Nord), août 1873.)