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Légendes chrétiennes/Les trois fils ou la fête de saint Joseph

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III


les trois fils, ou la fête de saint joseph.



Un bon fermier, nommé Joseph Nédélec, observait tous les ans la fête de saint Joseph, son parrain. Ce jour-là, on ne travaillait pas chez lui, et il assistait, avec tous les gens de sa maison, à une grand’messe qu’il faisait célébrer. Il avait trois fils. Une année, son fils aîné tomba malade le jour de la fête de saint Joseph, et il mourut le lendemain. Il le regretta beaucoup et fit dire un grand nombre de messes à son intention.

L’année suivante, son second fils tomba aussi malade le jour de la fête de saint Joseph, et mourut également le lendemain. Il en fut si affecté, qu’il faillit en perdre la raison. On disait dans le pays :

— Voyez donc ce qui est arrivé à Joseph Nédélec ! À quoi lui sert de célébrer la fête de saint Joseph, son patron, puisque ses enfants tombent malades ce jour-là même, et meurent le lendemain ?

Si bien que Joseph Nédélec lui-même dit :

— Eh bien ! je ne célébrerai plus la fête de saint Joseph, puisqu’il me prend mes enfants.

L’année qui suivit, quand vint le jour de la fête de son patron, Joseph Nédélec fit atteler les bœufs à la charrue dès le matin, et tous ses domestiques vaquèrent à leurs travaux, comme un jour ordinaire. Quant à lui, il monta sur sa haquenée blanche et se rendit à la ville voisine pour s’y divertir toute la journée.

Il avait un bois à traverser. À peine eut-il fait quelques pas dans ce bois, qu’il aperçut un homme pendu à la branche d’un chêne, au bord de la route.

— Quelque voleur, sans doute, à qui l’on a rendu la justice qu’il méritait, se dit-il.

Mais, à mesure qu’il approchait du pendu, il trouvait qu’il ressemblait beaucoup à son fils aîné. Cela l’impressionna un peu ; il passa outre cependant. Un peu plus loin, il trouva un second pendu, au bord de la route, et celui-ci ressemblait à son second fils.

— Que signifie ceci ? se dit-il.

Il en fut très-ému, et il eut peur. Il tourna la bride à son cheval et revint sur ses pas.

À peine fut-il sorti du bois, qu’il rencontra un vieillard à la barbe longue et blanche, et qui lui parla de la sorte :

— Bonjour à vous, Joseph Nédélec.

— À vous pareillement, grand-père, répondit-il.

— Attendez un peu ; n’allez pas si vite, je vous prie. N’avez-vous vu rien d’extraordinaire dans le bois ?

— Non sûrement, si ce n’est pourtant deux pendus ; des voleurs, sans doute.

— Ne les avez-vous donc pas reconnus ? Les avez-vous bien regardés ?

— Oui, il m’a semblé qu’ils ressemblaient un peu aux deux fils que j’ai perdus. Mais mes pauvres enfants sont morts, l’un depuis deux ans, et l’autre il y a juste un an aujourd’hui.

— Oui, et le troisième est en ce moment malade sur son lit et près de mourir aussi.

— Ma malédiction alors sur saint Joseph, qui m’enlève tous mes enfants !

— Ne parlez pas de la sorte, Nédélec, car si saint Joseph vous a enlevé vos enfants, c’est pour leur bien et le vôtre, parce que vous observiez, religieusement sa fête tous les ans. Vos enfants auraient mené une vie coupable et criminelle, s’il les eût laissés vivre ; ils auraient commis de grands crimes et auraient été pendus avant d’avoir atteint l’âge de vingt ans. Au lieu que, à présent, ils sont dans le ciel, ils sont sauvés ! Continuez d’observer religieusement la fête de votre patron saint Joseph, et vous vous en trouverez bien, un jour viendra.

Le vieillard disparut alors dans le bois, et Joseph Nédélec retourna promptement à la maison. En y arrivant, il fit dételer les chevaux et les bœufs, et cesser tous les travaux. Puis il passa le reste de la journée à prier saint Joseph, son patron.

Son troisième fils, qui était près de mourir quand il arriva à la maison, était complètement guéri pour le lendemain matin.

Joseph Nédélec continua, jusqu’à sa mort, d’observer religieusement la fête de saint Joseph.

Le vieillard qu’il avait rencontré, au sortir du bois, était le bon Dieu lui-même[1]

(Conté par Marguerite Philippe.)



  1. À rapprocher de la Pauvre vieille mère, des frères Grimm.