L’Âme des saisons/Angoisse du soir

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Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 54-55).
ANGOISSE DU SOIR


Le soir tombe. Il fait frais. Les horizons se voilent.
Je vais par un sentier humide. Les perdrix
Parmi les jeunes blés râlent d’étranges cris.
Le vent fait frissonner les premières étoiles...

Le rossignol s’est tu dans les branches. Mon cœur
A peur. Je ne sais quelle inquiétude pèse
Sur les choses. Le vent pleure dans les mélèzes.
Un pivert rit d’un rire éclatant et moqueur...


Décidément, il sera temps que je boutonne
Mon pardessus, le vent étant traître ce soir.
Le ciel se fronce et l’on dirait qu’il va pleuvoir.
Décidément, le paysage entier frissonne...
 
O mon cœur, ô mon cœur, qu’est-ce donc que tu as?
Pourquoi si triste, alors que ce matin encore,
Dans le ruissellement de roses de l’aurore,
Tu remplissais l’azur de tes alléluias ?
 
Il n’est rien arrivé de nouveau que je sache...
Alors, pourquoi si morne et pourquoi si meurtri ?
Pourquoi pareil au rouge-gorge dont le cri
Saigne et qui vole vers les ronces et s’y cache ?
 
Le bonheur est en fleurs parmi les jours prochains,
Et ce matin encore, une ivresse divine
Te faisait battre et tressaillir dans ma poitrine...
O mon cœur,ô mon cœur, qu’est-ce donc que tu crains ?
 
Hélas ! on ne saura jamais ce qui se passe...
On a comme besoin de sangloter un peu.
On craint la sourde nuit qui rampe, on craint le feu
Des étoiles brûlant froidement dans l’espace...


1904.