L’Âme des saisons/L’acacia

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Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 89-91).
L’ACACIA


Premiers vers pour Elle


Mille abeilles bruissaient dans la fraîche ramée
Du vieil acacia, dont l’ombre parfumée
S’allongeait en velours sur le gazon fleuri,
Et l’heure fut exquise où vous avez souri,
Câline, et demandé des vers.
Câline, et demandé des vers. La tiède brise,
Frôlant le chèvrefeuille en fleurs et le cytise,
Nous apporta soudain le chant d’un rossignol.
Ce fut d’abord un son flûte, suivi d’un fol
Épanouissement de notes cristallines,
Jet sonore fusant en gouttelettes fines.


Pour expirer parmi les frissons du taillis
En un mystérieux et frêle gazouillis.
Alors, — vous souvient-il ? — une métamorphose
Imprima son cachet céleste à toute chose,
Rendant l’herbe plus verte et les parfums plus doux
Et la nature belle à tomber à genoux !
La fleur fut un cantique et l’arbre une prière ;
Le paysage entier trembla dans la lumière ;
La Terre tressaillit et, dans le grand ciel bleu,
Plus visible apparut le sourire de Dieu...
 
Et dans vos yeux, remplis de la douceur des choses,
Je lus l’émotion langoureuse des roses,
L’ivresse des oiseaux et le bonheur confus
De l’herbe ensoleillée et des chênes touffus,
Et tout le magnifique et pénétrant mystère
De la bonté divine éparse sur la Terre.
Et vous fûtes rêveuse et grave un long moment,
Et vous avez baissé la tête doucement...

Oh ! vous me demandiez des vers, Mademoiselle,
Et vous ne songiez pas que la voix solennelle
De la Terre rythmait des accents glorieux
A faire honte aux vers les plus mélodieux,


Que la coupole bleue au-dessus de nos têtes
Eclipsait en splendeur les rêves des poètes,
Que la ramée avait des murmures plus doux
Que des accords de lyre, et que vous étiez, vous,
Le poème vivant et la strophe très pure
Où chantaient les frissons de toute la nature !


Juin 1901