L’Âme des saisons/Le cantique des parfums

La bibliothèque libre.
Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 109-113).
LE CANTIQUE DES PARFUMS


Ma Bien-aimée est comme une rose dans l’ombre.
Je la cherche partout et ne la trouve pas,
Encore qu’elle veille en l’air suave et sombre.
Un peu de tiède pluie a mouillé les lilas…
Ma Bien-aimée est comme une rose dans l’ombre.

J’ai tordu mes deux mains sur ma poitrine en feu.
Je le jure, ô troublants parfums, benjoin et myrrhe
De la mystique nuit qui brûle devant Dieu,
Elle est ma Rose et c’est son parfum que j’aspire !
J’ai tordu mes deux mains sur ma poitrine en feu.


Je veux aimer d’amour Celle qui est venue.
O rossignols, chantez. Il me semble parfois
Que voilà cent-mille ans que je l’ai attendue…
O rossignols, chantez de vos plus folles voix !
Je veux aimer d’amour Celle qui est venue.

J’ai retrouvé enfin mon âme dans ses yeux.
Je me souviens ; l’Enfant fut toute pâle, à cause
Des mots trop inconnus et trop délicieux,
Et puis elle devint plus rose que la rose…
J’ai retrouvé enfin mon âme dans ses yeux.

Ma Bien-aimée est douce ainsi qu’un clair de lune.
Sa chevelure est comme un bois voluptueux.
Oh ! je veux, à deux mains serrant sa tête brune,
Boire jusqu’au matin la flamme de ses yeux !
Ma Bien-aimée est douce ainsi qu’un clair de lune.

Que n’es-tu près de moi, puisque tu es ma Sœur !
Que n’es-tu près de moi, puisque la nuit est belle,
Puisque fleurent les fleurs de l’ombre et que mon cœur
Ainsi qu’un rossignol voluptueux t’appelle !
Que n’es-tu près de moi, puisque tu es ma Sœur !


Ecoute !… Il fait si pur que les anges frémissent…
Un rossignol sanglote et meurt de volupté.
Les marronniers, bombés sous la lune, bleuissent
Dans le scintillement de l’azur enchanté.
Ecoute !… Il fait si pur que les anges frémissent…

Voici le soir divin que j’ai rêvé pour nous.
Sois calme. Il ne faut plus maintenant de paroles.
Je t’aime. Dieu sourit dans l’ombre. Il fait si doux
Qu’on entend le baiser pudique des corolles…
Voici le soir divin que j’ai rêvé pour nous.

Ne tarde pas. Je t’aime et t’attends, ô ma Reine !
Nous entendrons ronfler les hannetons balourds,
Et, sous les lampes d’or des étoiles lointaines,
Tes yeux seront pareils à des fleurs de velours.
Ne tarde pas. Je t’aime et t’attends, ô ma Reine !

Oh ! je t’aime, et je veux te le dire en pleurant.
C’est vrai que j’ai vécu dans la tristesse immense
Du vide où tournoyaient mes rêves expirants ;
Mais maintenant la vie angélique commence.
Oh ! je t’aime, et je veux te le dire en pleurant.


Tu es bonne et tu sais les choses de mon âme.
Quand tu me vis, ô Sœur ! tes doux yeux sans orgueil
Versèrent en mon cœur leur caressante flamme,
Et ton sourire fut joli comme un bouvreuil.
Tu es bonne et tu sais les choses de mon âme.

Laisse mon front brûlant s’appuyer à ton front,
Laisse-moi m’enivrer, après toutes ces fièvres,
De ton âme d’azur que mes lèvres boiront
Sur la coupe de rose et de feu de tes lèvres !
Laisse mon front brûlant s’appuyer à ton front.

Ce soir est trop divin pour un cœur solitaire.
Les séraphins, flottant dans l’azur vaporeux,
Mêlent au balsamique arôme de la Terre
L’oriental encens des sanctuaires bleus.
Ce soir est trop divin pour un cœur solitaire.

Oh ! nous ne comprendrons le soir mystérieux
Qu’avec ta chère tête à la mienne appuyée,
Qu’avec tes yeux noyés d’ivresse dans mes yeux
Et ta mignonne main à la mienne liée.
Oh ! nous ne comprendrons le soir mystérieux…


L’air est un bain de miel, de myrrhe et d’aromates.
Dans la nuit sans baisers où je te sens frémir,
Mon cœur est un brasier de roses écarlates…
O Bien-aimée, il fait une nuit à mourir !
L’air est un bain de miel, de myrrhe et d’aromates.


1906.