L’Âme des saisons/Le livre allemand

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Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 273-277).
VII


LE LIVRE ALLEMAND


A Nuremberg, les enfants sages
Lisent un beau livre d’images
Où, pignons blancs et sapins verts,
C’est adorablement hiver.

Le gui, le houx au noir feuillage,
Les claires roses de Noël
Et le lierre poudré de gel
Grimpent le long de chaque page.


Le texte en losanges légers
S’ouvre à la pointe des clochers
Et se rengorge en courbes molles
Autour des cigognes qui volent.

Tantôt il abrite en un creux
Un moulin à barbe de glace,
Et tantôt un bois blanc où passe
Une vieille courbée en deux.

Parfois il cerne un étang bleu
Où des demoiselles patinent
Qui haussent leurs manchons d’hermine
Des deux mains contre leurs narines.

Mais il fait ses plus beaux circuits
Autour des messes de minuit
Qui sur la neige pure luisent
Aux vitraux roses des églises.

Ensuite il montre en s’évasant
La chasse au loup rouge de sang
Qui, roulant sur la neige, grince
Aux lévriers à museaux minces.


D’autrefois c’est, dans les Carpathes,
Un ours rougissant le poignard
D’un robuste et roux montagnard
Qui gît terrassé sous sa patte.

Souvent il neige à gros flocons
Sur les saules, et les garçons,
En mitaines épaisses, roulent
Une énorme et bleuâtre boule.

Souvent, frôlant d’un col câlin
La barrière aux coussins de glace,
Un chevreuil mange dans la main
De la fille du garde-chasse.

Souvent aussi Petit Poucet,
Chaussé des bottes de sept lieues,
Traverse à grands pas la forêt,
Suivi d’un vol de hochequeues.

Mais le soir rougeoie à travers
La dentelle des sapins verts,
Et seul, sur la plaine sans borne,
Un chasseur souffle dans sa corne.


Deux gnomes barbus, dans un coin,
Mangent les crêpes qu’avec soin
Une vieille en bonnet de toile
Fait virevolter sur la poêle.

Tout en blanc, le bonhomme Hiver
Sous la pleine lune chemine,
En serrant contre sa poitrine
Une branche de sapin vert.

Des étoiles d’un blond de miel
Piquent le velours bleu du ciel,
Et un lièvre aux oreilles brunes
Tourne sa tête vers la lune.

Sous l’auvent dentelé de gel,
Au-dessus de la neige, plane
Un ange svelte et diaphane
Avec un arbre de Noël.

Mais lors c’est fête en Allemagne,
Devant le joli sapin vert
Qui berce en rêve tout l’hiver
De la plaine et de la montagne !


Mais lors c’est fête et pleurs aux yeux
Devant le doux arbre des cieux
Qui de ses mille cierges brille
Si bellement sur la famille !

Levant leurs verres smaragdins,
On voit les gardes-chasse boire,
Gais et barbus, le vin du Rhin
Et le kirsch de la Forêt noire.

Les ménagères, l’œil brillant,
Ouvrent des bahuts et des coffres,
Et Gretchen en tablier blanc
Apporte une pile de gaufres.

Rouge devant le sapin vert,
Rêve une fluette fillette,
Pendant que, bouche de travers,
Un gosse croque une noisette.

Mais les petits aux bras tendus
Roulent sous l’arbre et font risette,
Comme des angelots joufflus,
A Marie et petit Jésus.