L’Âme nue/Aurore

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G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 133-135).
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AURORE






Le soleil naît. D’un jet de lumière, il arrose
Les nuages errant dans l’or clair du matin,
Si rosés qu’on dirait des pétales de rose
Qui s’effeuillent sur du satin.


Fraîche, l’eau court et glisse entre les herbes neuves ;
Dans la pénombre humide où chantent les remous,
Les vieux saules en pleurs, prostrés comme des veuves,
Trempent leurs bras grêles et mous.

Le sable micacé luit au versant des berges ;
Les calices, baignés de la splendeur du jour,
S’ouvrent en palpitant comme le cœur des vierges
S’ouvre aux premiers frissons d’amour.


Le vent jeune qui rit en froissant les feuillées
Agace les troncs bruns et crispe les roseaux,
Et la chanson de l’air sous les branches mouillées
Réveille le chant des oiseaux.


Salut au ciel joyeux, au ciel couleur de cuivre !
Et de l’occident pâle à l’orient vermeil,
Les bêtes, savourant le grand bonheur de vivre,
Regardent monter le soleil.


Un long cri de gaîté s’envole de la terre :
Et sous son dais brodé de nuages mouvants,
L’astre roi, dieu des dieux, penché comme un bon père,
Bénit la vie et les vivants…

— Mais te voici ramper, vieille louve aux pas traîtres,
Buveuse de sang chaud, filleule de la mort !
La Faim, l’ogresse Faim hurle au ventre des êtres,
Qu’elle tenaille et qu’elle mord.


Alors, partout, des quatre horizons, l’air immense
S’emplit d’un douloureux et sourd gémissement :
Et l’œuvre de carnage antique recommence,
Doucement et sinistrement.