L’Âme nue/L’Axe

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G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 209-210).








L’AXE


à félicien rops




Des larmes, des serments, des vœux, des mandolines,
Des extases pour un frisson de mains câlines ;
Des fêtes, des joyaux et des bouquets fanés ;
De longs soupirs d’angoisse autour des nouveau-nés ;
Des rires sans raison, des baisers aux étoiles,
Et des râles d’amour sous la rondeur des toiles ;
Des rêves d’un instant et des douleurs sans fin,
De lourds remords noyés dans les oublis du vin,
Des duels, des spadassins essuyant leur rapière
Et des vieillards en deuil pleurant sur une pierre ;

.

Des parjures, des rapts ; des martyrs, des héros ;
Les lauriers de la gloire ou le fer des bourreaux ;
Des suicides, des vols, des viols, des mains rougies ;
De tièdes lupanars entr’ouvrant leurs orgies
Quand les sergents du guet ont tourné les arçons ;
Le trafic de la chair avec l’or ; des chansons,
Des hontes, la sagesse hypocrite des prônes,
Et les filles de joie assises sur les trônes ;
Puis, des guerres : les rois rués contre les rois,
Les murs en feu, les champs pillés, les chefs en croix,
Le formidable choc des vaisseaux loin des terres ;
Puis des dieux inventés, des rites, des mystères,
Tout le mal, tout le bien, pour un vœu, vers un but !
Car l’Ordre a dit : « Peuplez le monde : allez en rut. »