L’Âme nue/Sur un berceau

La bibliothèque libre.
G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 49-51).








SUR UN BERCEAU


à roger de francmesnil



Enfant, pauvre petit qui tends tes deux poings roses,
Comme deux fleurs d’hiver sur la neige des draps,
Être vague qui ris et qui pleures sans causes,
Enfant, la vie est dure et tu la connaîtras.



Dure et longue, la vie, hélas ! la vie humaine,
Et demain, dès l’aurore, il faudra marcher seul,
Pour faire avant le soir la grand’route qui mène
Des plis du berceau blanc vers les plis du linceul.


Debout ! Le jour a lui sur la côte escarpée :
L’or du soleil, dans les lointains, crépite et bout.
Va : c’est l’heure ; voici la cuirasse et l’épée,
Et souviens-toi d’aller sans faillir, jusqu’au bout !


 
Fausses vertus, lois sans raison, devoirs factices,
Efface de ton cœur les mensonges dévots :
Cherche la vérité par-dessus nos justices ;
Crois en Dieu si tu peux, crois en toi si tu vaux.



Chéris la mer, la grande impuissante éternelle
Qui console des vœux déçus et des regrets :
La nature bénit ceux qui vivent en elle,
Le calme naît au cœur du calme des forêts.


 
Crains l’homme, aime ton âme et méprise l’insulte ;
Sois humble avec toi seul et sois fier devant tous.
Bons ou mauvais, défends tes amis et ton culte ;
Pardonne aux criminels et respecte les fous.

Laisse l’être à tous ceux que ta force te livre ;
Ne rougis pas ta main dans la chair des mourants :
Car tous sont tes égaux devant le droit de vivre,
Et les plus outragés sont parfois les plus grands.



Ne daigne point haïr ; sois fidèle à tes pactes ;
Sois franc ; ris peu ; sois doux pour ceux qu’on fait souffrir,
Mais garde de juger les raisons ou les actes,
Car rien n’est absolu que l’espoir de mourir.