L’Âne d’or ou les Métamorphoses/I

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Traduction par sous la direction de Désiré Nisard.
Firmin Didot (p. 266-276).


LA MÉTAMORPHOSE.


LIVRE PREMIER.


Je veux ici coudre ensemble divers récits du genre des fables milésiennes. C’est une assez douce musique, et qui va chatouiller agréablement vos oreilles, pour peu qu’elles soient bénévoles, et que votre goût ne répugne pas aux gentillesses de la littérature égyptienne, à l’esprit des bords du Nil. Vous verrez mes personnages, ô merveille ! tour à tour perdre et reprendre, par l’effet de charmes opposés, la forme et la figure humaine. Je commence ; mais, d’abord, quelques mots sur l’auteur.

Les coteaux de l’Hymette, l’isthme d’Éphyre, le Ténare, sont en commun le berceau de mon antique lignée. Heureuses régions, si riches des dons de la terre, plus riches encore des immortels dons du génie ! Là, ma jeunesse studieuse a fait ses premières armes par la conquête de la langue grecque. Transporté plus tard sur le sol latin, étranger au milieu de la société romaine, il m’a fallu, sans guide et avec une peine infinie, travailler à me rendre maître de l’idiome national. Aussi je demande grâce à l’avance pour tout ce qu’un novice peut porter d’atteintes et à l’usage et au goût. Mon sujet est la science des métamorphoses. N’est-ce pas y entrer convenablement, que de transformer d’abord mon langage ? Du reste, tout est grec dans cette fable. Attention, lecteur ! le plaisir est au bout.

Certaines affaires m’appelaient en Thessalie, dont vous saurez que je suis originaire aussi ; car je me glorifie d’une descendance maternelle, dont la souche n’est rien moins que l’illustre Plutarque et son neveu le philosophe Sextus. Je gagnais donc la Thessalie, tantôt gravissant les monts, tantôt plongeant dans les vallées, et foulant tour à tour l’herbe des prairies et les sillons des guérets. Je montais un cheval du pays, au poil blanc sans tache ; et, comme la pauvre bête était rendue, que je n’étais pas las moi-même de me tenir en selle, je mis un moment pied à terre pour me dégourdir en marchant.

Je commence par bouchonner soigneusement mon cheval avec une poignée de feuilles, pour étancher la sueur qui le couvrait. Je lui passe et repasse la main sur les oreilles ; je le débride. Puis je le mets au petit pas, pour lui procurer le soulagement ordinaire, l’évacuation d’un liquide superflu. Or, tandis qu’allongeant le cou et se tordant la bouche, mon coursier prélève, chemin faisant, son déjeuner sur les prés de droite et de gauche, insensiblement je me trouve en tiers avec deux compagnons de route qui, d’abord, avaient eu quelque avance sur moi. Prêtant l’oreille à leurs discours, j’entendis l’un d’eux s’écrier avec un éclat de rire : Allons donc ! trêve de balivernes ! assez de ces contes absurdes ! À ce propos, moi, toujours affamé de ce qui est nouveau : Faites-moi part de votre entretien, leur dis-je. Sans être curieux, j’aime à tout savoir, ou à peu près. Voici une côte assez rude ; l’intérêt du récit va nous en faciliter la montée.

Mensonges fieffés ! reprit celui que je venais d’entendre. Autant vaudrait me soutenir qu’il suffit de marmotter deux ou trois mots magiques, pour faire refluer les rivières, enchaîner, fixer les flots de la mer, paralyser le souffle des vents, arrêter le soleil dans son cours, faire écumer la lune, détacher de leur voûte les étoiles, et substituer la nuit au jour.

Me mêlant alors tout à fait à la conversation : L’ami, dis-je, vous qui étiez en train de conter, reprenez, je vous prie, le fil de votre histoire, si ce n’est trop exiger de votre complaisance. Puis, me tournant vers l’autre : Vous qui faites ici la sourde oreille, qui sait si ce n’est pas là la vérité même ? Ah ! vous ne savez guère à quel point la prévention aveugle. Un fait est-il nouveau, mal observé, au-dessus de notre portée, c’est assez pour qu’il soit réputé faux. Examinée de plus près, la chose devient évidente, et, qui plus est, toute simple. Hier, je soupais en compagnie, et les convives donnaient à l’envi sur une tourte au fromage. Je ne voulais pas être en arrière, et j’avalais à l’étourdie une assez forte bouchée de cette pâte glutineuse, qui, s’attachant aux parois inférieures du gosier, m’interceptait la respiration. Un peu plus, je suffoquais. Or, il n’y avait pas longtemps qu’à Athènes, devant le portique du Pécile, j’avais vu, des deux yeux que voici, un opérateur avaler par la pointe un espadon de cavalerie tout des plus tranchants. L’instant d’après, le même homme, pour un denier, s’introduisait dans les intestins, par le bout dangereux, un véritable épieu de chasseur : si bien qu’on voyait la hampe ferrée de l’arme, ressortant du fond des entrailles de ce malheureux, dominer au-dessus de sa tête. Suspendu à cette extrémité, un enfant aux formes gracieuses et suaves exécutait mille évolutions aériennes, se repliant sur lui-même avec une souplesse onduleuse, à faire douter qu’il fût de chair et d’os. Nous autres assistants, nous restions ébahis. On eût dit le caducée du dieu de la médecine, avec ce beau serpent dont le corps flexible s’enroule si bien autour de ses nœuds et de ses tronçons de rameaux. Mais voyons ; reprenez le fil de votre histoire. Moi, je vous promets de croire pour deux, et, au premier gîte, vous aurez la moitié de mon souper. Le marché vous convient-il ?

On ne peut mieux, reprit mon homme ; mais il faudra tout recommencer. D’abord je jure, par ce divin soleil qui nous éclaire, que je ne dirai rien dont je ne puisse prouver l’exactitude ; et vous en aurez le cœur net à la première ville de Thessalie que nous allons rencontrer. C’est le sujet de tous les entretiens ; les faits y sont de notoriété publique. Mais il est bon aussi que vous sachiez qui je suis, quel est mon pays et ma profession. Je suis d’Égine. Je fais le commerce de miel d’Etna, fromages et autres denrées qui forment la consommation habituelle des auberges. La Thessalie, l’Étolie, la Béotie, sont le cercle de mes tournées ; je les parcours en tout sens. Ayant donc appris qu’à Hypate, ville capitale de toute la Thessalie, il y avait un grand marché à faire sur des fromages nouveaux d’un goût exquis, je m’y dirigeai en toute hâte, bien résolu à acheter toute la partie. Mais je m’étais mis en route du pied gauche, et, comme de raison, je manquai cette bonne affaire. Dès la veille, un gros spéculateur, nommé Lupus, avait tout accaparé. La nuit commençait à tomber, et las, de m’être tant pressé pour rien, je me rendis aux bains publics.

Tout à coup, j’aperçois Socrate, un de mes compatriotes, assis à terre, couvert à moitié des restes d’un méchant manteau, et devenu méconnaissable à force de maigreur et de malpropreté. Il avait tout l’air d’un de ces rebuts de la fortune qui vont mendiant par les rues. C’était un ami, une vieille connaissance, et pourtant je l’abordai sans être bien sûr de mon fait. Hé ! mon pauvre Socrate, lui dis-je, que veut dire ceci ? quel extérieur misérable ! quelle abjection ! chez toi on t’a cru mort ; on a pleuré, on a crié dans les formes. Il a été pourvu à la tutelle de tes enfants par acte de l’autorité provinciale. Ta femme, après t’avoir rendu les derniers devoirs, après s’être consumée longtemps dans les larmes, au point qu’à force de pleurer ses yeux ont failli perdre la lumière ; ta femme, dis-je, cède enfin aux instances de ses parents ; ta maison va voir, au lugubre appareil du deuil, succéder la fête d’un nouvel hymen. Et toi, je te retrouve ici (j’en rougis moi-même) sous l’apparence d’un spectre plutôt que d’un habitant de ce monde.

Aristomène, me dit-il, en es-tu donc à savoir ce que c’est que la fortune, et ses caprices inexplicables, et ses hauts et bas si brusques, si imprévus ? En disant ces mots, et pour cacher la rougeur de son front, il ramenait sur sa face un pan de ses haillons rapetassés, laissant à nu le reste du corps, de la ceinture en bas. Je ne pus tenir à ce spectacle de misère. Je lui tendis la main, et m’efforçais de le faire lever ; mais il s’obstinait à rester assis et à se cacher le visage. Non, disait-il, laisse la fortune jouir jusqu’au bout de son triomphe. Enfin cependant je le décide à me suivre ; et, dépouillant ma robe de dessus, je me hâte de l’en revêtir, ou plutôt d’en voiler sa nudité. Je le mets ensuite au bain. Onctions, frictions, j’administre tout moi-même, et je parviens, non sans peine, à faire disparaître l’énorme couche de crasse dont il était comme enduit. Cette toilette achevée, tout excédé que j’étais de fatigue, je le mène à mon auberge, soutenant de mon mieux ses pas chancelants. Là, je le fais entrer dans un lit bien chaud ; et bon dîner, bon vin, douces paroles, je mets tout en œuvre pour le réconforter.

Insensiblement, mon homme se laisse aller à causer et à rire. L’entretient s’anime, et devient même assez bruyant ; mais tout à coup un soupir déchirant sort de sa poitrine, et se frappant impitoyablement le front : Misérable ! s’écria-t-il, c’est pourtant ma maudite curiosité pour un spectacle de gladiateurs, dont on faisait grand bruit, qui m’a réduit à cette situation déplorable. J’étais allé, comme tu sais, en Macédoine pour mon commerce : mes affaires m’y ont retenu dix mois, après quoi je revenais la bourse bien garnie. Un peu au-dessus de Larisse, je pris la traverse pour arriver plus vite au spectacle en question ; mais voilà que, dans une gorge profonde et écartée, plusieurs bandits, de vrais colosses, se jettent sur moi, et je ne me tire de leurs mains qu’en y laissant tout ce que je possédais. Dans cette extrémité, je vins ici loger chez une hôtesse, nommée Méroé, déjà vieille, mais encore fort engageante, à qui je contai en détail les motifs de mon excursion prolongée, mes alarmes en revenant, et ma catastrophe en plein jour : le tout d’un ton lamentable, et en rassemblant mes souvenirs tant bien que mal. Celle-ci me fit l’accueil le plus gracieux. J’eus gratis un bon souper ; puis, dans un accès de tempérament, elle partagea son lit avec moi. Ouf ! une fois que j’eus tâté de sa couche et de ses caresses, impossible de me dépêtrer de cette maudite vieille ! Les pauvres hardes que ces honnêtes voleurs avaient laissées sur mon dos sont devenues sa propriété. Tout y a passé, jusqu’aux minces profits que j’ai pu recueillir en faisant le métier de fripier, tant que j’en ai eu la force. Enfin tu as vu quelle mine je faisais tout à l’heure. Voilà où m’ont réduit ma mauvaise étoile et cette honnête créature.

En vérité, repris-je, tu mérites encore pis, s’il y a pis que ce qui t’arrive. Quel odieux libertinage ! Quitter enfants et pénates, pour courir après une vieille peau de prostituée ! Chut, chut, dit-il, portant précipitamment l’index à sa bouche et promenant ses regards autour de lui, comme pour voir s’il n’y avait pas quelque péril à parler. Il y a quelque chose de plus qu’humain dans cette femme. Retiens ta langue imprudente, ou tu vas t’attirer sur les bras une méchante affaire. Oui-da ! m’écriai-je, c’est donc une puissance que cette reine de cabaret ? C’est une magicienne, dit-il ; elle sait tout : elle peut, à son gré, abaisser les cieux, déplacer le globe de la terre, pétrifier les fleuves, liquéfier les montagnes, évoquer les mânes de bas en haut, les dieux de haut en bas, éteindre les astres, illuminer le Tartare.

Allons donc, lui dis-je, baisse le rideau, plie-moi tout ce bagage de théâtre, et parle un peu comme tout le monde.

Veux-tu, me dit-il, un échantillon ou deux de ce qu’elle sait faire ? En veux-tu davantage ? Te dire qu’elle peut enflammer pour elle, non pas seulement les gens de ce pays, mais les habitants des Indes, mais ceux des deux Éthiopies ; bagatelles ! ce sont là jeux de son art. Tiens, écoute ce qu’elle a fait ici même, et devant mille témoins.

Un de ses amants s’était avisé de faire violence à une autre femme. D’un mot elle l’a changé en castor. Cet animal, qui ne supporte pas la captivité, se délivre de la poursuite des chasseurs en se coupant les génitoires : elle voulait qu’il en advînt autant à son infidèle, pour lui apprendre à employer ses forces ailleurs. Elle avait pour voisin un vieux cabaretier qui lui faisait concurrence : Elle l’a transformé en grenouille ; et c’est en coassant du fond de son tonneau, où il barbotte dans sa lie, que le pauvre homme appelle aujourd’hui les chalands. Elle a fait un bélier d’un avocat qui avait un jour plaidé contre elle ; il n’avocasse plus maintenant que des cornes. Enfin la femme d’un de ses amants laisse un jour échapper contre elle je ne sais quel propos piquant. La malheureuse était enceinte : chez elle soudain les voies de l’enfantement se ferment ; son fœtus devient stationnaire ; et la voilà condamnée au supplice d’une gestation sans terme. Il y a, de compte fait, huit ans qu’elle porte son fardeau ; son ventre est tendu comme si elle devait accoucher d’un éléphant.

Mais ce dernier trait et beaucoup d’autres ont fini par attirer sur Méroé l’indignation générale. On convient un beau jour que le lendemain on ira la lapider en masse, pour satisfaire la vindicte publique ; mais elle a déjoué le plan par son art. Comme la magicienne de Colchos, à qui un seul jour de répit obtenu de Créon suffit pour réduire en cendres et le palais et la fille et le père, cette autre Médée (c’est elle qui me l’a conté dernièrement, étant dans les vignes) n’eut besoin que d’opérer certaines pratiques sépulcrales autour d’une fosse, et soudain chaque habitant se vit claquemuré dans sa maison par la seule force du charme ; et cela, sans qu’il fût possible à personne de forcer une serrure, d’enfoncer une porte, de percer une muraille. Si bien qu’après deux jours de réclusion, c’était à qui proposerait de se rendre ; et tous criant à l’unisson, s’engagèrent sous les serments les plus sacrés à ne rien entreprendre contre elle, à la protéger même contre toute violence. Alors elle se laissa fléchir, et leva les arrêts de la ville. Quant à l’auteur du complot, toujours tenu en prison chez lui, par une belle nuit, lui et sa maison, sol, fondations et tout, furent transportés à cent milles de là sur une montagne à pic, où l’on manque d’eau. Et comme il s’y trouvait une ville dont les bâtiments pressés ne laissaient aucune place au nouveau venu dans leur enceinte, elle le planta là en dehors des portes.

Mon cher Socrate, repris-je alors, voilà qui est merveilleux, et qui n’est pas aussi gai. La peur me gagne à mon tour, et une peur qui compte. Vraiment je suis dans les transes. Si ta vieille, par ses intelligences surnaturelles, allait être instruite de nos propos ! Eh vite, dépêchons-nous de dormir ; et dès que le sommeil nous aura rendu les forces, éloignons-nous d’ici sans attendre le jour, et le plus tôt qu’il nous sera possible. Je parlais encore, que déjà le bon Socrate ronflait de son mieux, sous la double influence de la fatigue et du vin, dont il avait perdu l’habitude. Aussitôt je ferme la porte, j’assure les verrous, puis je me jette sur mon grabat, ayant pris la précaution de l’appuyer contre les battants en manière de barricade. La peur me tint d’abord éveillé et ce ne fut qu’à la troisième veille que mes yeux commencèrent à se fermer.

Je venais de m’assoupir. Tout à coup, avec un fracas qui n’annonçait pas des voleurs, la porte s’ouvre, ou plutôt elle est enfoncée par une force extérieure qui brise ou arrache les gonds, culbute ma petite couchette boiteuse et vermoulue, et me fait rouler sur le plancher. Là, je reste à plat ventre, emprisonné sous mon lit qui retombe sur moi et me cache tout entier. Je compris alors qu’il peut y avoir contraste entre le sentiment et sa manifestation extérieure. Souvent la joie fait verser des larmes. Moi, malgré l’épouvante qui m’avait saisi, je ne pus retenir un éclat de rire à cette métamorphose grotesque d’Aristomène en tortue. Tapi cependant sous cette cachette improvisée, je guettais tout inquiet, et en regardant de côté la suite de cette aventure. Je vois entrer deux femmes d’un âge avancé, dont l’une tenait une lampe et l’autre une éponge et une épée nue. Dans cet appareil, elles se placent aux deux côtés du lit de Socrate, qui continuait à dormir de plus belle ; et la femme au glaive parle ainsi : Panthia, ma sœur, le voilà ce bel Endymion, ce mignon chéri qui jour et nuit a usé et abusé de moi, pauvrette, et qui fait maintenant si bon marché de ma tendresse. C’est peu de me diffamer, il veut me fuir ; et moi, nouvelle Calypso, je n’aurai plus qu’à pleurer dans un veuvage éternel la perfidie et l’abandon de cet autre Ulysse. Puis, me montrant du doigt à sa sœur Panthia : Et cet excellent conseiller, cet Aristomène, qui a tramé cette fuite, et qui, plus mort que vif en ce moment, est là qui nous épie, rampant sous ce grabat, croit-il m’avoir impunément offensée ? Sous peu, dans un instant, tout à l’heure, j’aurai raison de ses sarcasmes d’hier et de sa curiosité d’aujourd’hui. À ces mots je sens une sueur froide circuler sur tout mon corps, un tremblement convulsif me remue jusqu’aux entrailles, et imprime de telles secousses à tous mes membres, que le lit s’agite et semble danser sur mon dos.

La douce Panthia dit alors : Que ne commençons-nous, ma sœur, par mettre en pièces celui-ci à la façon des bacchantes ? Ou bien, nous pourrons encore le garrotter bien serré, et le châtrer à notre aise. Non, dit Méroé (car je ne pus méconnaître l’héroïne de l’histoire de Socrate), laissons-le vivre, pour qu’il jette un peu de terre sur le corps de cet autre misérable. Alors, faisant pencher sur l’épaule gauche la tête de Socrate, elle lui plonge dans le cou de l’autre côté l’épée qu’elle tenait, jusqu’à la garde. À l’instant où le sang jaillit, elle le reçut avec précaution dans une petite outre et sans en répandre une seule goutte. Voilà ce que j’ai vu de mes propres yeux. Ce n’est pas tout. Pour ne rien omettre, sans doute, des rites d’un sacrifice, la tendre Méroé enfonce sa main dans la plaie, et, fouillant jusqu’aux viscères de la victime, en retire le cœur de mon malheureux camarade. Le coup lui avait tranché la gorge, et sa voix, ou plutôt un râle inarticulé, se faisait jour, avec l’air des poumons, au travers de l’horrible blessure. Panthia en boucha l’orifice avec l’éponge : Éponge, ma mie, disait-elle, enfant de la mer, garde-toi de l’eau douce. Cela fait, elle relève mon grabat, et, jambe de çà, jambe de là, les voilà qui s’accroupissent sur moi l’une après l’autre, et, lâchant leurs écluses, m’arrosent à l’envi d’une eau qui n’était pas de senteur.

À peine ont-elles repassé le seuil, que les battants de la porte se rejoignent, les gonds se replacent, les barres se rapprochent, les verrous se referment. Quant à moi, j’étais gisant à terre, tout haletant, tout trempé de cette dégoûtante aspersion, nu et transi comme l’enfant sort du ventre de sa mère ; ou plutôt j’étais à demi-mort, ne me survivant, en quelque sorte, à moi-même, que pour me sentir dévolu au gibet. Que deviendrai-je, lorsque demain on va voir ce pauvre garçon égorgé ? Quand je dirais ce qui en est, personne voudra-t-il me croire ? Un gaillard comme vous ne pouvoir tenir tête à une femme ? Vous aviez du moins la force de crier au secours. Un homme est égorgé, là sous vos yeux, et vous ne soufflez pas ! Pourquoi n’avez-vous pas été victime du même attentat ? Et les auteurs de cette atroce cruauté en auraient laissé vivre le témoin, tout exprès pour la révéler ! Ah ! vous avez échappé cette fois à la mort ! eh bien ! ce sera la dernière. Voilà ce qui passait et repassait dans ma tête. Et cependant la nuit tirait à sa fin.

Dans cette perplexité, je jugeai n’avoir rien de mieux à faire que de partir furtivement avant le jour, et de gagner au pied aussi vite qu’on peut le faire à tâtons. Je prends donc mon léger bagage, et, tirant les verrous, j’introduisis la clef dans la serrure. Mais vingt fois je tourne et retourne en tous sens, avant que cette honnête, cette excellente fermeture qui, pendant la nuit, avait si bien su s’ouvrir d’elle-même, voulût enfin me livrer passage. Holà ! quelqu’un, m’écriai-je ; allons, qu’on m’ouvre, je veux partir avant qu’il soit jour. Le portier, qui était couché à terre, en travers de l’entrée, se réveille à moitié. Eh ! vous ne savez donc pas, dit-il, que les routes sont infestées de brigands, vous qui parlez de partir à cette heure de nuit ? Si quelque crime vous pèse sur la conscience, si vous avez assez de votre vie, nous n’en avons pas, nous, de rechange à mettre en péril pour l’amour de vous. Mais, lui dis-je, dans un instant le jour va paraître. Et d’ailleurs je suis si pauvre ! qu’est-ce que des voleurs pourraient me prendre ? Ne sais-tu pas, imbécile, que dix contre un, fussent-ils autant d’athlètes, ne peuvent dépouiller un homme tout nu ? Le portier n’avait fait que se tourner de l’autre côté, et déjà s’était à moitié rendormi. Bon ! dit-il ; et sais-je moi si vous n’avez pas expédié votre camarade, celui que vous amenâtes hier coucher avec vous ; et si vous ne cherchez pas à décamper de nuit pour plus de sûreté ? À ces mots (j’en frissonne encore) je crus voir la terre se fendre, me montrant l’abîme du Tartare et la gueule de Cerbère déjà béante pour me saisir.

Je vis bien alors que ce n’était pas par bonté d’âme que Méroé avait épargné mon cou ; l’aimable créature me réservait pour la croix. Rentré dans ma chambre, je cherchai à la hâte quelque moyen d’en finir avec la vie. Mais je n’avais là sous main que mon grabat pour instrument de suicide. Grabat, lui dis-je, mon cher grabat, compagnon de mes infortunes, témoin avec moi des scènes de cette nuit, seul témoin, hélas ! que je puisse citer de mon innocence devant mes juges, prête-moi ton secours pour descendre plus vite aux enfers. Tout en parlant, je démonte la sangle du fond, je la façonne en manière de hart, je l’assujettis par un bout à l’extrémité d’un chevron qui formait saillie au-dessus de ma fenêtre, et je fais à l’autre bout un nœud coulant. Puis me hissant sur mon lit, pour prendre le fatal élan de plus haut, je passe ma tête dans le nœud ; mais au moment où je repoussais du pied le point d’appui, afin que, par le poids du corps et la tension du lien, la strangulation s’opérât d’elle-même, la sangle, qui était vieille et moisie, se rompt tout à coup. Je tombe lourdement sur Socrate, dont le lit se trouvait au-dessous ; je l’entraîne dans ma chute, et nous voilà tous deux roulant sur le carreau

Là-dessus le portier entre brusquement, en criant à tue-tête : Où êtes-vous donc maintenant, homme si pressé qui voulez partir, jour ou nuit ? Vous ronflez sous la couverture. Je ne sais si ce fut la commotion, ou l’effet de cette voix discordante, mais voilà Socrate qui se réveille ; et, le premier sur pied : Que les voyageurs ont raison, dit-il, de maudire ces valets d’auberge ! Je dormais d’un si bon somme ! et il faut que ce drôle, qui n’entre ici que pour voler, je parie, vienne faire tapage et me réveiller en sursaut. O bonheur inespéré ! comme je me relevai joyeux et alerte ! Honnête portier, m’écriai-je avec effusion, le voilà mon bon camarade, mon bon père, mon bon frère, que tu m’accusais cette nuit, ivrogne que tu es, d’avoir assassiné ! Puis serrant Socrate entre mes bras, je le couvrais de baisers. Mais l’infâme ablution dont m’avaient infecté ces harpies tout à coup le saisissant au nez : Arrière, dit-il en me repoussant ; tu ne flaires pas comme baume. Et les quolibets de se succéder sur l’origine de ce parfum. J’étais au supplice, tout en tâchant de riposter par quelque plaisanterie du même ton. Tout à coup, rompant les chiens, je lui frappe sur l’épaule : Allons, dis-je, profitons de cette fraîche matinée pour commencer le voyage. Je reprends mon petit paquet, et, notre écot payé, nous nous mettons en route.

Nous avions déjà fait un bout de chemin quand l’aurore vint à paraître ; et tout s’éclaire autour de nous. Alors, d’un œil empressé, je cherche sur le cou de mon camarade la place où j’avais vu l’épée se plonger. Étrange hallucination ! le sommeil et le vin ont-ils seuls créé ces affreuses images ? Voilà Socrate, sain, dispos, sans une égratignure ; plus de blessure, plus d’éponge, pas la moindre trace de cette plaie qui brillait si horriblement tout à l’heure. Puis, m’adressant à lui : Vraiment les médecins ont bien raison, quand ils prétendent que c’est aux excès de table qu’il faut attribuer les mauvais rêves. J’avais trop levé le coude hier au soir. Aussi la nuit ne m’a pas été douce, j’ai bien eu le plus abominable cauchemar… À cette heure encore, je crois me voir souillé, inondé de sang. Non pas de sang, reprit-il d’un ton ricaneur, mais bien de quelque autre chose. Au surplus, j’ai rêvé aussi, moi, et rêvé qu’on me coupait le cou. Une atroce douleur m’a saisi à la gorge ; il m’a semblé qu’on m’arrachait le cœur. Tiens, je respire encore à peine ; les genoux me tremblent, je chancelle en marchant. Il me faudrait, je crois, quelque chose à manger pour me remettre. Ton déjeuner est tout prêt, lui dis-je en ôtant mon bissac de dessus mon épaule, et m’empressant d’étaler du pain et du fromage devant lui. Asseyons-nous sous ce platane. De mon côté, je me dispose à prendre ma part du repas, tout en suivant des yeux mon convive, qui dépêchait avidement les morceaux. Tout à coup je le vois qui pâlit, qui jaunit, et va tomber en défaillance. L’altération de sa face était telle, que, mon imagination se peignant déjà les Furies de la veille à nos trousses, l’effroi me saisit comme j’avalais la première bouchée, et le morceau, bien que des plus modestes, s’arrêta dans mon gosier sans pouvoir ni descendre ni remonter. L’endroit était très fréquenté ; ce qui mit ma terreur au comble. Deux hommes cheminent ensemble ; l’un d’eux meurt assassiné : le moyen de croire à l’innocence de l’autre ?

Cependant Socrate ayant donné raisonnablement sur la provende, se mit à crier la soif. Notez qu’une bonne moitié d’un excellent fromage y avait passé. À deux pas du platane coulait une rivière ; une belle nappe d’eau, paisible à l’œil comme un lac, brillante comme l’argent, limpide comme le verre. Vois cette onde, lui dis-je, c’est aussi appétissant que du lait : qui t’empêche de t’en régaler ? Mon homme se lève ; et, après avoir cherché une place commode sur le bord s’agenouille et se penche le corps en avant, très empressé de mettre ce liquide en contact avec ses lèvres.

Mais à peine en ont-elles effleuré l’extrémité, que je vois soudain sa gorge se rouvrir. L’horrible plaie s’y creuse de nouveau. L’éponge s’en échappe, et avec elle deux ou trois gouttes de sang. Socrate n’était plus qu’un cadavre qui allait choir, la tête la première, dans le fleuve, si je ne l’eusse retenu par un pied et ramené à grand effort sur la berge. Là, après quelques larmes données bien à la hâte à mon pauvre camarade, je couvre son corps de sable, et j’en confie, pour toujours, le dépôt au voisinage de la rivière. Alors, tremblant pour moi-même, je m’enfuis précipitamment par les passes les plus écartées, les plus solitaires. Enfin, la conscience aussi troublée que celle d’un meurtrier, j’ai dit adieu à mon foyer, à ma patrie, et je suis venu, exilé volontaire, m’établir en Étolie, où je me suis remarié.

Tel fut le récit d’Aristomène. Mais son compagnon s’obstinant dans son incrédulité première : Fables, archifables que tout cela, dit-il. C’est bien l’invention la plus absurde ! Puis, se tournant de mon côté : Quoi ! vous, homme bien élevé, à en juger par votre extérieur et vos manières, vous ajouteriez foi à ces balivernes ? Moi, repris-je, je crois qu’il n’est rien d’impossible, et que tout se fait ici-bas par prédestination. Il n’est personne, prenez vous, moi, le premier venu, à qui il n’arrive journellement des choses étranges, de ces choses sans exemple, et qu’on ne veut pas croire, si l’on n’y a soi-même passé. J’ai, quant à moi, confiance entière dans le récit de votre camarade, et je suis, d’ailleurs, très reconnaissant de l’aimable diversion qu’il s’est chargé de faire aux fatigues et aux ennuis du chemin. Tenez, je crois que ma monture s’en réjouit aussi ; car me voici rendu aux portes de la ville, sans avoir exercé que mes oreilles, et en ménageant d’autant l’échine de la pauvre bête. Ici nous cessâmes de causer et de faire route ensemble. On voyait de là quelques habitations sur la gauche, et mes deux compagnons tournèrent de ce côté.

Pour moi, je fis halte à la première auberge que je trouvai en entrant en ville ; et m’adressant à l’hôtesse, qui n’était pas des plus jeunes, je lui fis quelques questions : Est-ce bien ici Hypate ? — Oui. — Connaissez-vous Milon, l’un des premiers de la ville ? Elle partit d’un éclat de rire. Le premier sans contredit, reprit-elle ; car il demeure au Pomerium, tout à fait en dehors des murs. — Raillerie à part, ma bonne femme, dites-moi, je vous prie, quel homme c’est, et où il loge. — Voyez-vous ces fenêtres là-bas, qui donnent sur la rue ? On entre de l’autre côté par une impasse. C’est la maison de votre homme, richard s’il en fut, tout cousu d’or, mais ladre fieffé, et décrié universellement pour ses vilenies. Il gagne gros à prêter à usure, et sur bons gages d’or ou d’argent. Il vit renfermé dans son taudis, avec sa femme qui lui ressemble de tous points. Une servante, une jeunesse composent tout son domestique. Quand il sort, on le prendrait pour un mendiant.

Le portrait me fit rire. Mon ami Déméas a eu vraiment une attention délicate, en me donnant, à moi voyageur, une pareille recommandation. Voilà un logis où je ne serai incommodé ni de la fumée, ni de l’odeur de la cuisine. La maison n’était qu’à deux pas ; je m’y rends, et je frappe en appelant à haute voix. La porte était soigneusement verrouillée. Enfin, une jeune fille se présente. Vous n’y allez pas de main morte, dit-elle. Hé ! sur quel gage, s’il vous plaît, prétendez-vous qu’on vous prête ? Il n’y a que vous qui ne sachiez pas qu’il n’entre chez nous que de bon or ou de bon argent. Allons, lui dis-je, faites-nous un autre accueil : votre maître est-il chez lui ? Oui, répondit-elle ; mais que lui voulez-vous ? J’ai une lettre pour lui de la part de Déméas, duumvir à Corinthe. — Je vais le prévenir ; attendez-moi là. Elle tire les verrous sur elle, et rentre dans la maison. Elle ne tarda pas à revenir, et, en rouvrant la porte : Mon maître désire vous voir, me dit-elle. Je la suis, et je trouve mon homme couché sur un lit très exigu, et au moment de souper. Sa femme était assise à ses pieds. Mon hôte, me montrant qu’il n’y avait rien sur table : Voilà, dit-il, tout ce que j’ai à vous offrir. C’est au mieux, répondis-je ; et je lui remets aussitôt la lettre de Déméas. Il y jette un coup d’œil rapide, et me dit : Déméas est bien aimable de me procurer un hôte de votre importance. Il fait alors lever sa femme, et m’invite à prendre sa place. Comme je m’en défendais poliment : Asseyez. vous là, me dit-il ; les sièges nous manquent. J’ai grand peur des voleurs, et mon mobilier s’en ressent.

Je lui obéis. À cette tournure élégante, continua-t-il, à cette modestie virginale, j’aurais bien deviné que vous étiez un jeune homme comme il faut, quand même la lettre de mon ami Déméas ne me l’aurait pas dit. Ne faites pas fi de ma pauvre demeure, je vous en prie. Vous voyez cette pièce ici à côté ; c’est un logement très convenable, daignez en faire votre appartement. Ce sera un grand relief pour ma maison, et pour vous l’occasion de suivre un glorieux exemple. Votre vertu va s’élever au niveau de celle de Thésée, dont votre père porte le nom. Ce grand homme ne dédaigna pas la chétive hospitalité de la vieille Hécale. Appelant alors la jeune fille : Photis, dit-il, emporte le bagage de notre hôte, et le dépose avec soin dans cette chambre. Prends dans l’office, et mets à sa disposition ce qu’il faut d’huile pour se frotter, de linge pour s’essuyer. Puis conduis-le au bain le plus proche. Il a fait un voyage pénible et de longue haleine : il doit être fatigué. À ces mots, désirant entrer dans les vues parcimonieuses de Milon et me concilier d’autant ses bonnes grâces : Grand merci, repris-je ; je ne manque jamais de prendre avec moi tout ce qu’il me faut quand je voyage. Quant aux bains, avec ma langue, je saurai bien les trouver. Mais je tiens par-dessus tout à ce que mon cheval, qui m’a été d’un excellent service, ne manque ni de fourrage ni de grain. Tiens, Photis, voici de l’argent pour en acheter.

Cela fait, et mon bagage étant rangé dans ma chambre, je sortis pour me rendre aux bains. Mais je passai d’abord au marché, afin de me pourvoir d’un souper. Il était splendidement approvisionné en poisson. Je marchandai ; et ce qu’on m’avait fait cent écus, je l’eus pour vingt deniers. Je sortais de ce lieu, quand je fis rencontre d’un certain Pythias qui avait été mon condisciple à Athènes. Il mit quelque temps à me reconnaître ; puis me sautant au cou, il m’embrassa tendrement. Qu’il y a longtemps que nous ne nous sommes vus, mon cher Lucius ! sur ma parole, pas depuis que nous quittâmes les bancs et la cité de Minerve. Et quel motif t’amène ici ? Demain tu le sauras, lui répondis-je. Mais que vois-je ? Il faut que je te félicite. Un train, des faisceaux ! tout l’appareil de la magistrature ! Je suis édile, dit Pythéas ; j’ai la haute main sur les approvisionnements. As-tu quelqu’un à traiter ? on pourra t’être utile. Je le remerciai de ses avances, ayant assez pour mon souper du poisson dont j’avais déjà fait emplette.

Mais Pythéas avisant mon panier, se mit à secouer les poissons pour les mieux examiner : Combien as-tu payé cette drogue ? — Vingt deniers. C’est tout ce que j’ai pu faire que de les arracher à ce prix. À ces mots, il me prend brusquement par la main ; et me ramenant dans le marché : Et à qui de ces gens-là as-tu acheté cette belle marchandise ? Je montrai du doigt un petit vieillard assis dans un coin. Mon homme alors les apostrophant du haut de son édilité : Est-ce ainsi, vous autres, que vous rançonnez nos amis ? Et des étrangers encore ! Vendre à ce prix de pareil fretin ! À force de surfaire, vous affamerez cette ville qui est la fleur de toute la Thessalie, et vous nous la rendrez déserte comme un rocher. Mais prenez-y garde. Et toi, je vais t’apprendre comment les fripons sont menés sous mon administration. Répandant alors mon poisson sur le pavé, il ordonne à l’officier qui le suivait de marcher dessus, et d’écraser le tout sous ses pieds. Après cet acte de vigueur, mon Pythias se tourne vers moi, et me dit : C’est un homme d’âge ; il est assez puni par l’affront public que je lui ai fait.

Tout ébahi de cette scène, et sans argent ni souper, grâce à l’officieuse intervention de mon habile homme d’ami, je me résigne à aller au bain. De là, plus lavé que restauré, je regagne le logis de Milon, et enfin ma chambre. Photis vint me dire que le patron me demandait. Moi, bien au fait des habitudes d’abstinence de la maison, je fis une excuse polie : je n’étais que fatigué du voyage, et j’avais moins besoin de nourriture que de repos. Mais il ne s’en contenta pas, il vint en personne ; et m’appréhendant au corps avec une douce violence, il tâche de m’entraîner. Je résistais, je faisais des façons : Je ne sors pas d’ici sans vous, dit-il, en appuyant cette protestation d’un serment. Il fallut se rendre, et le suivre, bon gré, mal gré, jusqu’à son méchant lit, où il me fit asseoir. Comment va notre cher Déméas, me dit-il ? Et sa femme ? et ses enfants ? et toute la maisonnée ? À chaque question, une réponse. Il s’informe ensuite avec détail des motifs de mon voyage. Je les déduis tout au long. Puis le voilà qui s’enquiert par le menu de tout ce qui concerne ma ville natale, ses notables habitants, son premier magistrat, etc., etc. ; tant qu’enfin il s’aperçut qu’épuisé d’un si rude voyage, et non moins harassé de cette enfilade de questions, je tombais de sommeil avant la fin de chaque phrase, ne pouvant plus même franchir certaines articulations. Il me permit alors de gagner mon lit. Je m’échappai ainsi du famélique souper de ce vieux ladre ; lourd de tête, mais léger d’estomac ; ayant tâté de son babil pour tout potage. Et, rentré dans ma chambre, je goûtai enfin le repos si ardemment souhaité.