L’Ève future/Livre 5/04

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Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 237-240).

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IV

L’éternel Féminin.


Caïn : — Êtes-vous heureux ?
Satan : — Nous sommes puissants.

Lord Byron : Caïn.


Lord Ewald, au front duquel brillaient des gouttes de sueur pareilles à des pleurs, regardait le visage, glacial maintenant, d’Edison : il sentait que, sous ce badinage strident et positif, se cachaient deux choses dans l’arrière-pensée une et infinie qui enveloppait cette démonstration.

La première, l’amour de l’Humanité.

La seconde, l’un des plus violents cris d’inespérance, ― le plus froid, le plus intense, le plus prolongé jusqu’aux Cieux, peut-être ! ― qui ait jamais été poussé par un vivant.

En effet, ce que disaient, en réalité, ces deux hommes, l’un avec ses calculs littérairement transfigurés, l’autre avec son silence d’adhésion, ne signifiait par autre chose que les paroles suivantes, adressées, inconsciemment, au grand X des Causes premières.

« La jeune amie que tu daignas m’envoyer, jadis, pendant les premières nuits du monde, me paraît aujourd’hui devenue le simulacre de la sœur promise et je ne reconnais plus assez ton empreinte, en ce qui anime sa forme déserte, pour la traiter en compagne. ― Ah ! l’exil s’alourdit, s’il me faut regarder, seulement, comme un jouet de mes sens d’argile, celle dont le charme consolateur et sacré devait réveiller, ― en mes yeux si las de l’aspect d’un ciel vide ! ― le souvenir de ce que nous avons perdu. À force de siècles et de misères, le permanent mensonge de cette ombre m’ennuie ! rien de plus : et je ne me soucie plus de ramper dans l’Instinct, d’où elle me tente et m’attire, jusqu’à m’efforcer de croire, toujours en vain, qu’elle est mon amour.

« C’est pourquoi, passant d’une heure et qui ne sais d’où je viens, je suis ici, cette nuit, dans un sépulcre, essayant, ― avec un rire qui contient toutes les mélancolies humaines, ― et m’aidant, comme je le peux, de la vieille Science défendue ― de fixer, au moins, le mirage, ― rien que le mirage, hélas ! ― de celle que ta mystérieuse Clémence me laissa toujours espérer. »

Oui, telles étaient, à peu près, les pensées que voilaient, en réalité, l’analyse du sombre chef-d’œuvre.

Cependant, l’électricien ayant touché un point d’une petite urne transparente, close, pleine d’une eau très pure, située à la hauteur du sternum de l’Andréïde, la forte tablette de charbon qui s’y trouvait incluse et qu’un imperceptible pas de vis avait, jusqu’à ce moment, presque tout à fait soulevée de cette onde, s’y replongea. Le courant se mit à gronder.

L’intérieur de l’armure sembla tout à coup un organisme humain, étincelant et brumeux, tout diapré d’or et d’éclairs.

Edison continua :

― Cette fumée odorante et couleur de perle, qui circule, comme une ouate, sous le voile noir de Hadaly, est simplement la vapeur de l’eau assimilée par la pile et que rejette ainsi, en la brûlant avec ses atomes violacés, la fulguration torride que vous voyez courir comme la Vie en notre amie nouvelle. Cette foudre, qui circule ainsi en elle, est prisonnière ici, et inoffensive. Regardez !

Ce disant, Edison prit, en souriant, la main de l’Andréïde, au plus fort grondement de l’aveuglante étincelle éparse en les milliers de fils nerveux de Hadaly.

― Vous voyez : c’est un ange ! ― ajouta-t-il avec son même ton grave, ― si, comme l’enseigne notre Théologie, les anges ne sont que feu et lumière ! ― N’est-ce pas le baron de Swédenborg qui se permit, même, d’ajouter qu’ils sont « hermaphrodites et stériles » ?

Après un silence :

― Passons, maintenant, à la question de l’Équilibre. Elle offre deux aspects : l’Équilibre latéral et l’Équilibre circulaire. Vous connaissez, n’est-ce pas, les trois équilibres, en physique : le stable, l’instable et l’indifférent : c’est leur unité qui maintient les mobilités de l’Andréïde. Vous allez voir que, pour faire tomber Hadaly, il faudrait une plus forte poussée que pour nous, à moins, toutefois, que vous ne désiriez, seulement, qu’elle tombe !