L’Échec de la guerre sous-marine/02

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L’Échec de la guerre sous-marine
Revue des Deux Mondes6e période, tome 47 (p. 861-894).
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L’ÉCHEC
DE
LA GUERRE SOUS-MARINE

II[1]
LA PROTECTION DES NAVIRES MARCHANDS

La destruction du plus grand nombre possible d’ennemis restera toujours le meilleur moyen d’atténuer les effets de la guerre : en usant l’arme, on émousse le tranchant. On constate que, depuis le début des hostilités, la courbe des pertes subies par les marines marchandes alliées est parallèle à la courbe des sous-marins en service. Les pertes de tonnage sont en raison directe du nombre de submersibles à la disposition des Empires centraux. Il est impossible qu’il en soit autrement, si la faculté destructive de ces unités reste constante. Il faut donc s’appliquer à la diminuer : c’est l’objet du service de protection de la navigation commerciale.

Nous avons vu que, malgré tous nos efforts, nous ne pouvions ni détruire tous les sous-marins, ni les empêcher de sortir de leurs bases. Les opérations de bombardement et d’embouteillage des points d’appui ne sauraient être d’une complète efficacité. Quant à la prise de possession de ces bases elles-mêmes, qui serait un moyen radical, on y a certainement songé, mais ces projets n’ont malheureusement jamais été suivis d’exécution par suite des difficultés fondamentales qu’ils présentaient. Tant qu’il restera des sous-marins à flot, il faudra garantir le tonnage marchand contre leurs entreprises. Les mesures de protection envisagées à cet effet sont les unes autonomes, les autres extérieures au navire. Nous allons les étudier séparément.


L’ARMEMENT DE LA FLOTTE MARCHANDE

Parmi les procédés de défensive auxquels on a eu recours pour protéger cargo-boats et paquebots, celui qui a consisté à leur permettre de riposter aux attaques d’artillerie des sous-marins est, sans contredit, le plus intéressant. Là encore, nous avons eu tout à créer.

Nous n’avions pas prévu la guerre sous-marine. Hâtons-nous de dire que nous avons une excuse : c’est que les Allemands ne l’avaient pas prévue plus que nous. Une simple constatation le démontre. A l’heure de la déclaration de guerre, les Allemands ne possédaient que 28 submersibles. S’ils se fussent doutés du parti qu’ils pouvaient tirer du submersible, en tant qu’instrument de course, ce n’est pas 28, c’est 200 de ces unités qu’ils nous eussent opposées le 2 août 1914. Les conditions de la guerre eussent été, de ce fait, profondément changées à notre désavantage. Les transports de troupes d’Algérie et de l’Inde, le passage des corps d’occupation britanniques en France, les relations entre la Métropole et les Colonies, le ravitaillement des Alliés, toutes ces opérations, qui se sont accomplies librement eussent été à ce point troublées que notre résistance elle-même en eût été gravement compromise.

Ne prévoyant pas l’attaque, nous n’avions rien préparé, rien conçu pour nous en préserver. Aucune autorité compétente n’avait même envisagé l’hypothèse que les bâtiments de commerce pussent être attaqués par des sous-marins. Si d’aventure un officier, à l’ombre des platanes de la place d’Armes de Toulon, s’avisait de prédire les horreurs prochaines de la guerre sous-marine, on le traitait de visionnaire. Les commandants de sous-marins convaincus passaient pour des illuminés. Un Lord de l’Amirauté anglaise n’avait-il pas énoncé : « que la navigation sous-marine était le produit d’une imagination maladive ? » Pouvait-on admettre que des infiniment petits tentassent d’arracher aux superbes dreadnoughts la maîtrise des mers et de disputer le passage de l’Océan aux innombrables « tramps » de la Grande-Bretagne ?

Non seulement nous n’armions pas nos bateaux marchands, mais, à la veille des hostilités, nous enlevions l’armement à ceux qui en possédaient un. J’ai vu opérer une de ces commissions de remise du matériel existant sur les croiseurs auxiliaires du type Ville de la Ciotat. En recensant sur les terre-pleins les vieux canons modèle 1885, les circulaires de bronze aux formes surannées et tout cet attirail démodé d’écouvillons, de seaux à incendie, de mèches à canons, un sourire de pitié s’esquissait sur les lèvres des membres de la Commission. Qu’elle était routinière, cette Marine, pour conserver si longtemps dans ses inventaires pareille nomenclature d’objets préhistoriques ! Au feu les écouvillons ! A la fonderie les circulaires de bronze ! Au pilon l’âme des lourdes pièces de 14 m/m ! A la vieille ferraille tous ces articles rouillés et poussiéreux ! Que pouvait faire une Ville de la Ciotat contre un simple torpilleur moderne ? A quoi bon dresser des canons sur cette torche que le moindre coup de 65 millimètres pouvait embraser ? Nous ne prévoyions, ni les uns ni les autres, les destinées glorieuses de ce paquebot qui sombra dans la Méditerranée le 24 décembre 1915 en combattant avec des armes analogues à celles dont nous allions le priver. Aussi, le jour où l’Allemagne déclencha la guerre sous-marine, a-t-il fallu organiser à l’improviste la défense des navires marchands.

Le long du douloureux calvaire de la flotte de commerce, calvaire jalonné par les naufrages, il ne reste plus sur l’immense tombe muette même une épave pour prier. Il est cependant possible de trouver des points de repère, des « caps, » comme disent nos marins, permettant d’en fixer les étapes. Une première période s’étend du 2 août 1914 au 3 novembre 1915, jour du naufrage du Calvados. Pendant ces quinze mois, nos navires de commerce sont les victimes passives des sous-marins allemands. Avec l’arrivée de l’amiral Lacaze à la rue Royale commence l’ère de la résistance héroïque. Quoique faiblement armés, nos braves capitaines répondent coup pour coup à la canonnade allemande. Le 31 janvier 1917 nous entrons dans la dernière phase, la plus horrible. Les Allemands, jetant le défi à tous les droits de l’humanité, coulent sans avertissement toutes les coques passant à la portée de leurs torpilles : cependant nos paquebots, nos cargo-boats, nos voiliers, jusqu’à nos bateaux de pêche, continuent, malgré la menace des corsaires, leur route hasardeuse, et peu à peu les marins alliés s’ingénient aux procédés de destruction de sous-marins que nous avons précédemment exposés.


Le 7 novembre 1915, étant à Philippeville, je perçus dus coups de canon sourds provenant du large. Les habitants de la petite ville africaine n’en avaient point entendu depuis le 2 août 1914, date où le Breslau était venu bombarder leurs rivages. Ils apprirent ce jour-là qu’un submersible allemand, ayant coulé un navire devant les jetées, était présentement occupé à détruire le sémaphore du Cap de Fer. Une escadrille germanique avait, en effet, franchi le détroit de Gibraltar. Étant tombée sur le Marcian, dans la nuit du 2 au 3 novembre, l’une des unités de la flottille avait été accueillie par des feux d’artillerie et avait dû abandonner le transport anglais qui rentrait à Oran avec une trentaine de tués et de blessés. Alors, elle avait poursuivi sa route, et détruisait maintenant tous les navires qu’elle rencontrait le long du littoral fréquenté de l’Algérie : notamment le Calvados, le Tornio, le Woodfield, le Sidi Ferruch, l’Yser.

Le Calvados était parti de Cette à destination d’Oran, transportant un bataillon du 4e tirailleurs. La rencontre se produisit le 4 novembre, à l’ouvert du détroit de Gibraltar. L’allemand fonça sûr le Calvados, et ouvrit le feu à grande distance. Un coup de canon trouait les tuyaux de la sirène, et la vapeur s’échappait avec violence. Les obus pleuvaient sur le pont : l’un d’eux atteignit le paquebot au-dessus de la flottaison. Il n’y avait pas un seul canon à bord pour riposter au pirate. Le Calvados n’avait même pas la ressource d’appeler à l’aide ; il possédait bien une cabine de T. S. F. mais aucun opérateur. L’évacuation du navire fut ordonnée. Pendant qu’elle s’achevait, le sous-marin plongea et défila lentement à 100 mètres du Calvados, de bâbord à tribord, périscope haut, et envoya sa torpille, alors qu’il restait encore plus de 400 personnes sur le pont. Le récit de ce sinistre n’a jamais été publié ; mais nous ne sommes plus à l’époque où Darius faisait fouetter la mer pour la punir de n’être pas soumise à ses ordres. La censure ne put empêcher la Méditerranée d’inscrire l’histoire de ce drame tout le long de ses grèves où elle rejeta les corps des noyés. En Algérie, personne n’ignora les conditions du naufrage qui furent pour la première fois portées à la tribune de la Chambre des députés par l’honorable M. Broussais au cours des débats sur l’interpellation relative à la guerre sous-marine.

Je tiens d’un rescapé du Calvados ce détail typique. Son attentat commis, le sous-marin était revenu en surface ; sur le pont une partie de l’équipage assistait à l’agonie des naufragés et les raillait en les désignant du doigt. L’un de ces misérables, — il portait des galons, — interpellant l’officier qui s’agrippait à la carapace métallique, lui cria en français : « Vous êtes bien là ! Restez-y ! » et il souleva ironiquement sa casquette. Ce que put être l’attente sur le radeau pendant vingt-cinq heures, au milieu d’infortunés qui déliraient, je renonce à le décrire. Aussi bien ne me suis-je appesanti sur cette pénible affaire que pour arriver à la question de l’armement des navires de commerce.


La preuve était faite que l’Allemagne exécuterait ses pires menaces et qu’il fallait en toute hâte organiser la résistance. Déjà en septembre 1915 nous avions été conduits à affecter deux canons à tous les bâtiments transportant des troupes. Avec l’arrivée de l’amiral Lacaze, l’armement de la flotte marchande se généralise. On décide de donner un canon à tous les cargo-boats de ravitaillement, ainsi qu’à tous les vapeurs de la flotte commerciale, sur le désir exprimé par leurs propriétaires, qui se mettent avec le plus grand patriotisme aux ordres de la Marine. L’installation commence aussitôt à l’aide de toutes les pièces disponibles : 47 millimètres et Go millimètres pris sur les torpilleurs, 65 millimètres et 47 millimètres japonais et italiens ; 65 millimètres de côte, 75 millimètres de campagne, etc. Cet armement disparate soulevait des difficultés pour l’approvisionnement en munitions. En mars 1916, les 47 et les 65 paraissent d’ailleurs inefficaces pour lutter contre les 88 allemands : on réalise l’unité de calibre avec le seul canon dont nous possédions alors un nombre d’exemplaires suffisant pour en doter les navires de commerce. Un affût de bord est établi pour ces canons. Le programme d’armement comprenait : deux pièces de ce calibre, — qu’il ne m’est pas permis de désigner avec plus de précision, — pour les vapeurs de 500 tonnes, un à l’avant, l’autre à l’arrière, et un ou deux canons de 47 millimètres, 57 millimètres ou 65 millimètres pour les vapeurs de moins de 500 tonnes. Les voiliers recevaient un armement spécial. Le programme devait être mené par étapes. Dans les premiers mois de 1917, 520 vapeurs étaient armés de deux pièces. Le calibre en question n’avait été choisi que provisoirement, à défaut de matériel mieux adapté aux conditions du tir à la mer. L’artillerie des sous-marins ayant été accrue en nombre et en calibre (les nouveaux sous-marins possèdent un ou plusieurs 150), il importe de doter nos navires marchands d’une arme capable de contre-battre l’adversaire. C’est pourquoi nous devons substituer au modèle adopté en 1916 des canons d’un calibre de plus en plus fort, en commençant par les bateaux marchands de gros tonnage.

Parmi les modèles employés à bord figure le 75 de campagne qui, après avoir fait entendre sa voix victorieuse sur les champs de bataille de la Marne et de l’Yser, a voulu essayer sur les sous-marins allemands l’efficacité de ses tirs de barrage. Mais les sous-marins vont bientôt se trouver en face de navires armés d’une artillerie beaucoup plus puissante : dès la fin de l’année, sera achevé le vaste programme que nous venons d’esquisser et qui substitue l’artillerie de gros calibre à l’artillerie moyenne. Nos bâtiments de commerce n’ont d’ailleurs pas attendu cette transformation pour se défendre. Une résistance célèbre est celle du Gard, commandant Henri Robert, de la Compagnie transatlantique. L’amiral Lacaze en a rendu compte à la Chambre des députés. Le bâtiment était armé de deux canons qui n’avaient reçu aucune transformation : c’était donc un matériel très lent. Or, il a combattu le 5 mai 1917 avec ses deux canons, non pas contre un, mais contre deux sous-marins. « Ceux-ci estimaient sans doute, a dit le ministre de la Marine, qu’avec leur pièce de 105, prenant le bâtiment chacun de leur côté, ils en auraient raison. Eh bien ! l’un d’eux, qui s’est approché à 4 000 mètres, a été peut-être coulé, l’autre, qui était à 8 000 mètres, a pris la fuite. » La bataille avait duré de cinq heures vingt-cinq à neuf heures du matin.


Le navire marchand n’engage la lutte que s’il y est acculé : avant tout, il doit chercher à se dissimuler. Tel est le but des engins fumigènes dont nous possédons deux types : l’un n’est qu’une simple bouteille de gaz liquéfié, dont l’évacuation produit un refroidissement de l’atmosphère, déterminant un brouillard artificiel ; l’autre consiste en une bouée qui, jetée à la mer, laisse échapper une fumée épaisse. Le navire muni de ce nouvel anneau de Gygès peut échapper à la vue de l’assaillant à la faveur d’un rideau opaque et se diriger vers l’endroit où il recevra du secours. Ainsi nous avons appelé à notre aide toutes les forces de la nature : les nuées elles-mêmes nous protègent contre l’invention diabolique des Allemands.

On pourrait à ce propos, — et si le sujet n’était pas si tragiquement douloureux, — évoquer les fabuleux souvenirs de la mythologie et chercher des symboles à nos modernes conceptions. Ecoutons plutôt le récit du commandant du Vaucluse, attaqué le 16 juin 1917 : « Pour parer aux effets du tir si parfaitement réglé du sous-marin, écrit ce capitaine, nous mettons les appareils fumigènes en route et lançons a la mer les six flotteurs qui nous restent (quatre ont été éventrés par un obus). Sur les six, quatre fonctionnent bien et forment rapidement un rideau de fumée dense qui nous abrite et déroute le tir ennemi. Nous manœuvrons en conséquence. Le sous-marin désorienté cesse son feu un instant, puis tire par intervalles ; peut-être aperçoit-il notre mâture au-dessus du-nuage. En tout cas, son tir n’est plus le même, et les points de chute sont éloignés du navire. Le tir du cargo se précise et encadre presque aussitôt le but à 4 600 mètres. Un obus doit l’avoir touché, car la fumée de l’explosion apparaît noirâtre et il ne s’écoule pas deux minutes entre le dernier coup de canon du sous-marin et le moment où il disparait. Il est dix heures trente-cinq : le combat a duré quarante minutes. »

Le camouflage a rendu lui aussi de précieux services. Les expériences effectuées en Angleterre dans le courant de l’année 1917 ont fait ressortir les avantages qui, dans de nombreuses circonstances, résultent de certaines dispositions picturales de la coque. Le but poursuivi est de tromper l’ennemi attaquant à la torpille sur la distance et la route du navire visé, élément nécessaire au réglage du tir. La Marine française a créé une section de camouflage qui se préoccupe d’appliquer les enseignements de l’Amirauté britannique. Il est curieux de contempler aujourd’hui, dans les ports, les steamers ornés d’arabesques bizarres qui rappellent les fantaisies de l’Ecole cubiste. C’est à croire que les plus extravagants parmi les impressionnistes et les décadents les plus morbides ont inspiré ces dessins, et opposé ces couleurs vives au bleu limpide de l’horizon. Ni les luministes de Meilhac et Halévy, ni les cubistes des Salons d’avant-guerre n’avaient certainement prévu cette conséquence militaire du trouble visuel, que ne manquent pas de ressentir les curieux qui s’arrêtent devant leurs élucubrations. Mais sur nos navires, une conception savante préside à l’agencement de ces arabesques qui font parfois sourire ceux qui n’en comprennent point l’intérêt.

Il faut savoir que la couleur par elle-même ne joue qu’un rôle secondaire dans le camouflage qui oblige le commandant de sous-marin à prolonger son examen au périscope. On avait essayé, tout d’abord, d’obtenir une diminution de la visibilité des navires en utilisant le principe du mimétisme. De ce côté, l’insuccès a été complet. Une coque, moins apparente sous un certain éclairage, pour une cause déterminée, sera, au contraire, rendue par cette même cause plus visible sous un éclairage différent du premier. Or, les éclairages sur mer varient à l’infini. Mais on peut abuser l’adversaire sur la direction, la dimension et la distance du navire, grâce à des contrastes de couleurs, l’œil, ne possédant pas la faculté de s’accommoder à la fois à des nuances très diverses et ne distinguant bien que l’une d’elles. On peut induire l’assaillant en erreur sur la marche du bâtiment en l’égarant sur le sens dans lequel fuient ses horizontales, en supprimant toutes les lignes verticales ou parallèles entre elles et en général tous les plans réguliers et prévus. On peut changer l’aspect de ces lignes en créant de fausses étraves, de faux arrières, de fausses cheminées, etc. Ce qui prouve l’importance des services rendus par cet art subtil du camouflage, c’est que nos ennemis entraînent leurs officiers à s’y accoutumer au cours d’exercices d’attaque sur des cibles camouflées. Chez nous, l’ancien Jeu de Paume des Tuileries a été affecté à l’École technique de camouflage. La salle en est tapissée d’ébauches sur lesquelles on essaye avec les prismes des périscopes les effets des ingénieuses dispositions imaginées par les artistes en illusion.


Fournir aux navires à la mer des renseignements relatifs à la position des sous-marins en opération est un des moyens les plus pratiques, un des plus importants facteurs de la sécurité de la navigation, de même que la faculté de pouvoir demander une assistance immédiate contribue puissamment à la défense du navire attaqué. Ce double résultat est l’objet de la T. S. F. Au début de la guerre, aucun bâtiment, sauf les paquebots, n’en était pourvu. Le Calvados a succombé avec un bon nombre de braves tirailleurs en vue des côtes de l’Oranie, faute d’avoir pu frapper l’air de ses appels de détresse. Actuellement, presque tous les bateaux français de plus de 500 tonnes possèdent un poste de radio-télégraphie. On devine que ce ne fut pas une mince affaire que de réaliser l’instruction des 2 000 spécialistes indispensables, pour assurer ce service technique. Aujourd’hui, afin de parer aux avaries et aux chutes d’antennes résultant de l’explosion des torpilles ou des obus, un certain nombre de paquebots importants sont munis de postes de secours dont l’emploi tend à se généraliser.

Il nous faudrait parler aussi des immenses efforts accomplis pour doter la marine marchande d’engins de sauvetage efficaces. Il ne s’agit plus seulement de défendre les passagers contre l’immersion, il faut les protéger contre l’asphyxie, en leur distribuant des masques, car on peut tout craindre des Allemands qui ne reculeront pas plus ici qu’ailleurs devant l’emploi même des gaz toxiques. Aux horreurs des noyades en masse ils s’empresseront d’ajouter celles des brûlures d’ypérite.

L’éducation de la flotte de commerce a été confiée aux centres d’A. M. B. C. (Armement militaire des Bâtiments de Commerce) qui doivent assurer le bon entretien du matériel et l’instruction du personnel embarqué. Ils surveillent la mise à bord du matériel, opèrent la visite de ce matériel, entraînent les hommes destinés à utiliser les armes et les engins. Ils délivrent aux capitaines tous les documents concernant la défense. Les officiers des centres d’A. M. B. C, répartis dans tous les ports de commerce, se tiennent en contact avec les capitaines ; ils entretiennent avec eux des rapports continuels, recueillent leurs observations et leur communiquent tous les renseignements utiles. Se rendant à bord lors de l’arrivée des navires, afin d’inspecter la défense, ils y l’ont installer les armes réglementaires et procèdent aux tirs d’essais. C’est toute une catégorie nouvelle de combattants qu’il a fallu former. Ainsi, la marine de guerre étend son réseau tutélaire sur tous ceux qui sillonnent les mers : elle est le guide de ces marins de commerce qui ont dû s’improviser canonnière, torpilleurs, timoniers, et qui sont actuellement de précieux artisans de la victoire en même temps que les fidèles commissionnaires de notre ravitaillement.


PATROUILLEURS ET CONVOYEURS

On ne s’est pas borné à apprendre aux navires de commerce à se défendre eux-mêmes. On a eu également recours à des mesures de protection extérieure. La nature du concours apporté sur ce point par la marine de guerre a soulevé dans tout le pays des discussions passionnées. Des arguments ont été présentés pour ou contre tes décisions prises. La vérité est, — on s’en rend compte en suivant l’évolution des idées qu’a suggérées la pratique de la guerre, — qu’aucun procédé ne donne entièrement satisfaction. — Ces procédés peuvent se classer en deux catégories : les uns ont pour but d’éviter au navire de rencontrer l’ennemi ; les autres constituent une protection au sens propre du mot.

Dès le début de la campagne, les Amirautés britannique et française se sont mises d’accord pour arrêter les dispositions à prendre par les navires de commerce, dans les ports et en cours de navigation, en vue de tromper l’ennemi et de parer ses attaques. Ces prescriptions ont été condensées dans un fascicule constamment tenu à jour et qui porte le titre suivant : « Instruction générale pour les capitaines des bâtiments de commerce en vue de leur protection contre les sous-marins et de la sécurité de la navigation dans les parages minés ou fréquentés par des corsaires. » Ces ordonnances sont impératives. Les capitaines ayant eu des rencontres avec l’ennemi comparaissent devant des commissions d’enquête. Leurs interrogatoires donnent lieu à des procès-verbaux détaillés dont l’étude sert de base à l’évolution des moyens défensifs à adopter. Ils sont également le point de départ de faveurs ou de sanctions. De plus, pour inciter les armateurs à suivre les suggestions du département de la Marine, diverses détaxes d’assurances sont accordées : 10 pour 100 aux bâtiments armés, 4 pour 100 à ceux qui sont munis de T. S. F. etc.

Nous touchons à une question très délicate : celle des atteintes portées à la liberté de la navigation. Cette liberté ne pouvant être complètement assurée, il faut rechercher une méthode apportant le maximum de sécurité et le minimum de trouble dans les relations commerciales maritimes, dont il faut garantir à la fois la rapidité et la continuité.

La première idée qui s’est présentée à l’esprit a consisté dans la pratique des routes patrouillées. Elle a été adoptée sur la proposition des Anglais, en mars 1916, lors de la conférence des amiraux alliés à Malte. Le trafic demeurait libre, sous réserve pour les capitaines de suivre certaines routes, fixées d’avance, dont la surveillance était confiée à des patrouilleurs. Pour augmenter la densité du patrouillage, on fut amené à supprimer la surveillance sur certains tronçons qui durent être franchis de nuit ; d’où un retard important dans le trafic. En outre, les routes ainsi fixées étant vite connues de l’ennemi, celui-ci y concentra son action. Ces routes durent être changées fréquemment et subirent de tels allongements que, sur les plaintes justifiées des armateurs, les Alliés, après un second échange de vues, abandonnèrent, à la conférence de Corfou en mai 1917, un système qui n’avait d’autre avantage que d’apporter aux passagers l’illusion d’une sécurité précaire.

Le convoyage auquel nous avons aujourd’hui recours présente de très grands avantages sur le patrouillage des routes. S’il n’a pas été adopté dès le début de la campagne sous-marine, cela tient en premier lieu à l’insuffisance numérique des convoyeurs, ensuite aux entraves que la formation de chaque convoi apporte au trafic. Certes, il en résulte de grandes pertes de temps, soit à cause des stationnements, soit par suite de l’abaissement de la vitesse de route au niveau des plus mauvais marcheurs. De ce fait, le rendement du tonnage a été diminué, entre France et Algérie notamment, et entre le littoral de l’Atlantique et l’Angleterre, dans des proportions d’autant plus regrettables que ce tonnage est plus rare et plus nécessaire. Mais à quoi bon accélérer la vitesse, si c’est pour augmenter les risques ? « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Malgré la lenteur de ces trains de navires, malgré les exigences du ravitaillement, les Alliés ont cru devoir persister dans leur méthode.

On sait ce qu’est un convoi. Les bâtiments sont rassemblés à la sortie des ports, ou groupés au large en vue des côtes où ils atterrissent. Des navires d’escorte se mettent à la tête, ou flanquent la ligne, et celle-ci navigue sous la protection des navires de guerre. Employée à la fin de 1915 pour le transport de l’armée d’Orient, cette méthode dut être abandonnée au bout de quelques semaines à cause de l’usure qu’elle avait déterminée chez les torpilleurs. Elle fut reprise en janvier 1917, dans des conditions qui la réhabilitèrent complètement. Pour assurer la sécurité des transports de charbon entre l’Angleterre et la France, il fut convenu que tous les navires affectés au service du French-Coal seraient concentrés chaque soir dans certain port de la Manche et traverseraient la mer, de nuit, en convois escortés. Ces bâtiments de faible vitesse pouvaient être accompagnés par de simples patrouilleurs et suivaient de très près le littoral anglais et français sous la protection des éléments de surveillance côtière. Le procédé eut un plein succès et les pertes de convois furent insignifiantes. Peu à peu, tous les navires trafiquant sur les côtes de France, ou entre la France et l’Angleterre, furent encadrés dans ces convois. Des garages furent établis en divers points de nos côtes pendant les périodes dangereuses. Toute une organisation fut constituée à cet effet entre Dunkerque et Saint-Jean-de-Luz et elle continue à fonctionner d’une façon des plus satisfaisantes.

Le système des convois s’étendit ensuite aux navires traversant la Méditerranée. Sur les grandes routes de l’Atlantique la navigation d’abord libre fut canalisée dans de larges fleuves à l’intérieur desquels chaque navire devait suivre une route déterminée passant par un certain nombre de points surveillés. Près des rivages anglais ou français, ces routes aboutissaient à des entonnoirs où les bâtiments étaient groupés en convois. L’entrée en service des croiseurs submersibles qui opèrent on pleine mer vient de nous obliger à prolonger nos convois sur tout le parcours entre France et Amérique. On se préoccupe, en plus, d’organiser aux atterrages des États-Unis un réseau de protection analogue à celui qui existe sur le littoral européen.

Une telle navigation comporte, disions-nous, des points de garage. C’était, jusqu’à ces derniers temps, un dogme qu’il fallait de préférence voyager de nuit. Je me souviens, au cours d’une traversée d’Egypte, quelle était la confiance des passagers quand les ténèbres envahissaient la mer. Pendant toute la journée ils n’avaient cessé d’interroger anxieusement l’horizon, mais, le soir venu, lorsque les hommes d’équipage fermaient les sabords pour aveugler les moindres rais de lumière et que l’on glissait sous un ciel sans lune, chacun regagnait sa cabine et s’endormait avec la conviction que tout danger était momentanément écarté. Hélas ! depuis que les sous-marins, ne pouvant plus faire usage de leur artillerie, attaquent à la torpille, il leur est indifférent d’atteindre les convois de jour ou de nuit. Ils lancent en effet leur torpille avec autant de sûreté sur les silhouettes des navires qui se détachent en caravane comme des ombres chinoises que sur ceux dont la coque se présente en pleine lumière. De nuit les submersibles lancent de très près. Il n’est pas douteux, du reste, que l’obscurité ne leur permette de venir se poster à l’affût sans être, comme pendant le jour, constamment dérangés par les patrouilles, surtout par celles de l’aviation. Il se peut aussi que les bâtiments facilitent la lâche des submersibles en n’observant pas scrupuleusement les prescriptions réglementaires, en particulier celle de masquer leurs feux.

Quoi qu’il en soit, l’efficacité des mesures que nous avons prises se démontre par les résultats suivants : dans la Manche il n’a été coulé de jour que 3 navires durant les mois de juin et de juillet, alors que 200 navires environ traversent quotidiennement le détroit. M. Lloyd George, jugeant le système, a pu écrire : « Depuis l’institution des convois, le nombre des navires coulés a décru et, pour la période de mars à juin 1918, les pertes, sur les routes principales transocéaniques, sont tombées à 1,23 pour 100 ; 93,8 pour 100 des navires étant convoyés. Pour toutes les branches du commerce, ces convois ont été fournis pour 61,691 voyages avec une perte de 373 navires, soit une proportion de 0,61 de pertes. »


En outre, du fait de l’isolement des navires attaqués, la certitude de l’impunité dans laquelle vivaient les commandants allemands et qui était la conséquence de cet isolement, était, pour ceux-ci, un encouragement à commettre des actes de piraterie odieuse, dont on peut espérer que le retour est désormais impossible.

À bord du brick-goélette la Léontine, criblé d’obus, et qui s’obstine à ne point couler, « les Allemands font irruption pour y placer des bombes. Voyant tant de gens tués ou blessés, ils supposent que tout l’équipage est là sur le pont et ne songent pas à fouiller le navire. Le mousse, un enfant qui se rend compte que l’explosion peut causer sa mort, implore les agresseurs, demande grâce. Des coups de revolver répondent à ses lamentations : des rires et des chants accueillent ses plaintes : une bombe explose ; le mousse meurt… » De quelle époque lointaine date ce crime ? Sommes-nous au temps des flibustiers ? Non. Le rapport, dont nous citons un extrait, est du 20 mars 1917, et il porte la signature du lieutenant de vaisseau directeur de la Police de la navigation à Lorient.

De telles attaques, qui font songer à celles des Pavillons Noirs montant à l’abordage des jonques chinoises, furent rares ; non que les Allemands aient reculé devant l’atrocité de pareilles scènes, mais parce qu’elles ne se présentaient pas toujours sans risque pour eux, quand, au lieu de mousses inoffensifs, ils rencontraient des hommes armés. En revanche, avant le convoyage, les marins du Kaiser excellaient dans l’art de détruire les bateaux sans avertissement. Voici quelques exemples de sinistres dus à ce procédé sommaire et cruel :

Prenons d’abord celui du Cacique de la Compagnie générale Transatlantique. Le Cacique passait le 20 février 1917 au large de Pile d’Yeu, quand, à treize heures trente, et sans que personne eût aperçu le sous-marin, le navire reçut une torpille qui le frappa entre la machine et la cale numéro 2. Les panneaux de cette cale volèrent en miettes et, par les tôles disloquées de la coque, l’eau s’engouffra. Un instant le capitaine attendit, espérant que son navire resterait à flot, mais l’eau continuant à entrer, l’ordre d’évacuation fut transmis à tout l’équipage. Les hommes se répartirent dans deux canots. La mer était grosse ; la brise augmentait de violence. « Vers dix heures trente, raconte le deuxième capitaine, le canot 4 où le commandant avait pris place chavire dans une lame. Des appels se font entendre. Le canot numéro 2 dans lequel je me trouve manœuvre aussitôt pour porter secours aux naufragés. Il essaie par deux fois de se tenir debout au vent sans pouvoir y réussir. La nuit tombe lentement… les appels désespérés cessent… » Vingt et un hommes du Cacique succombent dans ces conditions. Le reste de l’équipage ne peut atterrir qu’après un séjour de quatre-vingt-douze heures dans l’embarcation où il a enduré des souffrances inouïes.

Le torpillage de l’Isère, de la même compagnie que le Cacique, n’est pas moins tragique. « Le 23 juin 1917, à huit heures du matin, raconte Yves Minier, chef mécanicien, après avoir fait une ronde dans la machine, je me disposais, aidé du personnel du troisième quart, à continuer la visite du treuil n° 3, lorsqu’une effroyable détonation se fit entendre, suivie d’une gerbe d’eau énorme par le travers de la cale 2 et de la chambre des chaudières. Nous avions vraisemblablement été touchés par une torpille. À ce moment, chacun se précipita aux embarcations qui étaient suspendues en dehors du navire. Nous avions eu à peine le temps de les mettre à l’eau que le navire disparaissait d’un coup, entraînant dans sa perte tous ceux qui étaient à bord, engloutissant et démolissant les deux embarcations. Après la disparition du navire, et alors qu’il cherchait une épave, M. Gachet affirme avoir aperçu le périscope d’un sous-marin filant à grande allure émergeant à 50 centimètres environ au-dessus de la surface de l’eau. Les quelques rescapés et moi n’avons dû notre salut qu’aux ceintures de sauvetage dont nous nous étions munis. Chacun de nous, remonté à la surface, s’agrippait à des débris de bois que l’explosion avait transformés en épaves. Nous fûmes sauvés, une heure et demie après le désastre, par le chalutier français Aiglon où nous reçûmes du capitaine et de son équipage les soins les plus dévoués. » Le capitaine dont il est question ici était le lieutenant de vaisseau Gilbert de La Rochefoucauld, descendant du célèbre philosophe, qui puisa, sans doute dans la lecture des « Maximes » de son ancêtre, des forces pour allier « cette rudesse de loup de mer » dépeinte par les rescapés, à la générosité du grand seigneur. Dans ce naufrage de l’Isère, seul de tous les officiers, Yves Minier réussit à se sauver avec dix-sept hommes dont l’un mourut à bord de l’Aiglon. Le capitaine Loréal, le deuxième capitaine Rothou, deux autres officiers et neuf hommes furent noyés.

Si les pertes en vies humaines ont été proportionnellement aussi élevées et les difficultés du sauvetage aussi grandes à bord des cargos dont l’équipage n’a d’autre chose à faire que de veiller à sa propre sécurité, que dire lorsqu’il s’agit d’un paquebot, où il faut encore assurer l’évacuation des passagers ? Dans ce cas, la présence des convoyeurs ne suffit plus pour éviter qu’il y ait de nombreuses victimes. La Compagnie des Messageries maritimes fournit à cet égard la documentation la plus tristement abondante avec le Karnak, le Magellan, le Sinaï, l’Annam, l’Himalaya, le Calédonien, l’Athos, l’Australien, le Polynésien. Parmi ces naufrages, que les Messageries Maritimes ont supportés avec tant de stoïcisme, celui de l’Athos est incontestablement le plus dramatique. Ce beau paquebot, qui jaugeait 14 000 tonnes et fut mis en service depuis le début des hostilités, ramenait d’Extrême-Orient 2 164 personnes (en majorité des coolies chinois placés sous la garde de tirailleurs sénégalais). Deux torpilleurs convoyaient ce chargement précieux. Le 17 février, à douze heures vingt-sept, par 35°84 de latitude Nord et 18°32 de longitude, l’Athos, bien qu’il fût encadré de très près par ses convoyeurs, reçut une torpille par le travers de la cloison étanche qui sépare les machines de la cambuse. Le bateau est perdu, l’évacuation s’impose. « Elle s’effectue avec un calme admirable. » Quelques membres de l’équipage s’étant groupés autour du commandant Dorise, celui-ci les invite à le quitter. « Mes enfants, il n’y a plus rien à faire, dit-il, merci, il faut s’en aller. » Et il demeure seul avec le contrôleur des postes, Maurel. On embarque d’abord les femmes et les enfants « dans un ordre parfait. » Mais le bâtiment se couche de plus en plus. Ceux qui y restent encore, — et ils sont en grand nombre, — se réfugient sur le flanc tribord de l’Athos qui émerge jusqu’à la quille. A ce moment, cédant sous leur propre poids, les chaînes d’ancre se « décapèlent » et, fouettant les flancs du navire, fauchent, ainsi qu’une gigantesque faucille, la moisson de naufragés le long de la carène. Les tirailleurs de garde de police coulent à leur poste, l’arme au pied, baïonnette au canon, pareils a des statues de bronze. Bien que les deux torpilleurs empêchent le sous-marin d’émerger, et se portent au secours des naufragés, cette catastrophe n’en fait pas moins 721 victimes dont 106 tirailleurs sénégalais et 4 officiers du bord sur 5.

L’accident du Medjerda de la Compagnie mixte va nous fournir une nouvelle preuve de la cruauté allemande. Cet accident eut lieu à la tombée de la nuit (dix-neuf heures dix) dans le golfe de Tortosa, à 3 milles à peine de la terre. Le navire frappé en plein dans les machines, l’eau s’engouffra comme une trombe dans les compartiments : en une minute, le navire qui s’était aussitôt enfoncé de l’arrière disparaissait verticalement. La rapidité vertigineuse de cette disparition n’avait pas donné à l’équipage le temps matériel de couper les attaches des embarcations. Seuls quinze radeaux qui étaient simplement posés sur les ponts flottèrent et permirent de ramasser tous les passagers qui n’avaient pas été tués par l’explosion ou engloutis dans les différentes parties du navire. Alors on vit émerger le sous-marin. Braquant son canon sur les naufragés sans défense, il fit le tour des épaves. « Sur son kiosque le commandant et quelques hommes fumaient des cigarettes, heureux de leur forfait. » Ensuite il s’éloigna et lança une fusée éclairante, — sans doute afin de prévenir que l’acte de barbarie était accompli. Un soldat rescapé affirme : « Le sous-marin évoluait tranquillement parmi les épaves, jouissant de son œuvre. Des officiers et des marins boches prenaient des vues photographiques pour commémorer cette vision ! » La vision de 300 êtres humains disparaissant dans les flots !

Devant l’évocation de tant d’horreurs, on hésite à poursuivre ; pourtant, avant de quitter le pont des paquebots et des cargo-boats, nous devons essayer de donner quelque idée des angoisses de ceux qui ont été victimes de ces torpillages sans préavis. Quoique pendant des heures et des jours, peut-être, ils aient vécu dans la crainte du tragique événement, la détonation sinistre annonçant l’arrivée de la torpille éclate toujours au moment où l’on s’y attend le moins. Une immense gerbe d’eau, polluée de charbon et de matières grasses, s’élève et retombe lourdement sur le spardeck. Le vapeur donne de la bande, il s’incline. L’ordre court de l’avant à l’arrière : « Chacun à son poste d’évacuation ! » L’équipage et les passagers, le cœur serré, se rendent à leurs embarcations respectives. Lorsque la mer est plate, le débarquement s’opère sans trop de difficultés ; mais d’autres fois, la « levée » de la houle le long du bord contrarie les opérations de sauvetage. Des scènes atroces se déroulent… Cependant, à quelques encablures, un tout petit prisme de cristal, monté sur un pédoncule, réfléchit l’image de cette détresse. Aucune pitié chez le commandant de sous-marin : il contemple sur le cliché de verre dépoli le déroulement de ce film cinématographique, sans songer que ce sont des vies humaines, des vies de femmes, d’enfants… des espoirs à jamais brisés qui sombrent réellement sous la trajectoire mathématique de sa torpille.

Avant l’institution des convois, le sous-marin pouvait encore émerger parmi les épaves ; il ne risquait rien. « Votre nom ? D’où venez-vous ? Où allez-vous ? » Ces questions étaient jetées à la cantonade et le pirate disparaissait. Sur la mer déserte, dans leurs embarcations chargées à couler bas, les rescapés s’inquiétaient du vent qui fraîchissait et interrogeaient l’horizon bleuissant, incertains si la nuit qui les envahissait leur apporterait la mort ou la délivrance…


LA PUISSANCE DESTRUCTIVE DES SOUS-MARINS

Tels sont les divers modes de protection de la navigation commerciale. Dans quelle limite ont-ils amoindri le danger sous-marin ? On se rendra compte des résultats obtenus en étudiant le nombre moyen des navires coulés, par jour et par unité ennemie, à des époques successives. Cette moyenne qui, en mars 1917, atteignait en Atlantique 0,55, soit plus d’un bâtiment par quarante-huit heures et par sous-marin, n’a cessé de décroître depuis cette date. En mai, il n’est plus que de 0,40 ; en juillet, de 0,21 ; en août, de 0,19. En mars 1918, de 0,14 et en avril de 0,10, soit cinq fois moins fort que l’année précédente. Dans les mêmes parages, le montant du tonnage coulé par jour, par un sous-marin, est passé de 889 tonnes en mai 1917 à 293 en mars et 248 en avril 1918. En Méditerranée, où l’action défensive est beaucoup plus difficile, la moyenne est sujette à variations assez brusques ; elle est parfois tombée à 0,11.

Une des principales raisons de cet état de choses tient à la réduction des pertes par l’action de l’artillerie ennemie. Pendant les six premiers mois de 1917, la moyenne des attaques au canon sur l’ensemble des navires alliés et neutres était supérieure à 250 par mois, savoir : janvier, 186 ; février, 247 ; mars, 274 ; avril, 299 ; mai, 246 ; juin, 250. A partir de cette date, la moyenne décroît sensiblement : 95 en août, 64 en octobre, 58 en novembre, 60 en décembre. En outre, à mesure que le nombre des attaques diminue, leur réussite devient de plus en plus problématique. Au début, les submersibles coulaient leur proie presque à coup sûr. Le nombre des navires coulés dans les premiers mois de 1917 est respectivement de 151 en janvier, 243 en avril, 174 en juin, donnant une moyenne de 85 pour 100 environ de réussites sur les attaques entreprises. Dans le dernier trimestre de la même année, le total des pertes est de 39, 38, 37, accusant un pourcentage de 60 pour 100 sur les attaques. Encore faut-il considérer que la majeure partie des bâtiments coulés durant l’automne 1917 comprend des voiliers, si difficiles à défendre qu’on a dû les échanger avec l’Amérique pour des steamers. Les premiers iront faire voile dans le Pacifique, les seconds prendront à leur compte les dangers de la navigation dans la zone dangereuse.

Un dernier chiffre va nous donner une idée des progrès accomplis. Le nombre des bâtiments attaqués au canon est de 24 en juin et de 17 en juillet 1918, sur lesquels 4 vapeurs et 12 voiliers seulement ont été coulés, presque tous neutres et non armés. Encore les trois cargos coulés l’ont-ils été dans l’Atlantique par des croiseurs submersibles contre lesquels nous ne sommes pas suffisamment protégés. Ainsi, et quoiqu’il y ait eu pour cette raison recrudescence pendant le mois d’août, on peut dire que les attaques au canon ont été pratiquement abandonnées par les Allemands.

L’importance de ce fait est indéniable. L’emploi de la torpille, auquel nous avons contraint nos ennemis de recourir, est loin de valoir pour eux l’usage du canon. L’assaillant doit se rapprocher de son but et lancer en plongée, c’est-à-dire dans des conditions souvent difficiles. Il n’est guère aisé d’apprécier exactement le succès de ces attaques. Un grand nombre d’entre elles ont échoué sans être même connues des bâtiments qui les subissaient. La proportion des navires atteints, par rapport aux navires qui ont vu l’attaque, oscille autour de 80 pour 100. Il est facile de calculer les conséquences de cette nouvelle tactique en rapprochant le chiffre des unités coulées par la torpille de celui des bâtiments détruits au canon. Il semblerait que la diminution que nous avons constatée plus haut dans le nombre des attaques au canon dût correspondre à un nombre plus élevé d’attaques à la torpille ; or, il n’en est rien. Le total de ces dernières, qui était de 233 en juin 1917, baisse dans la suite de la façon suivante : juillet, 173 ; août, 166 ; septembre. 121 ; octobre, 145 ; novembre, 136 ; décembre, 171. En juin 1918, nous ne relevons plus que 84 attaques, en juillet 85 et en août 100[2], signes certains de l’efficacité des mesures préventives qui obligent les sous-marins à opérer dans des régions où la densité du trafic est plus faible. Enfin, tous les bâtiments frappés par le cône menaçant ne sont pas perdus. Pour les sept derniers mois de 1917, le nombre des navires coulés dans toutes les mers a été de 148, 128, 83, 107, 93, 111. En juin 1918, sur 100 attaques, 55 sont suivies d’effet et en août 45. Le pourcentage s’abaisse graduellement de 75 à 50 pour 100 environ.

Par suite de la dépense considérable de torpilles à laquelle ils doivent satisfaire, nos ennemis sont amenés à construire et à régler hâtivement les moteurs : d’où infériorité manifeste de leur valeur. Nous avons vu que le pourcentage des navires coulés par rapport à ceux qui avaient été attaqués est tombé à 60 p. 100 environ. Au début de la guerre nos ennemis torpillaient presque à coup sûr ; le rapport en question atteignait le chiffre énorme de 96 p. 1001

Remarquons en effet que le sous-marin, pour lancer la torpille, doit se placer à quelques centaines de mètres et souvent dans les rangs des unités d’escorte. Il court ainsi beaucoup plus de risques d’être détruit que le submersible qui jadis engageait à longue distance un duel d’artillerie ou même la plupart du temps se bornait à donner des coups sans en recevoir. Le fait se produisait journellement au temps où nos bâtiments de commerce n’étaient pas armés. Si nous avons vu s’accroître le nombre des destructions de sous-marins, n’oublions pas que nous le devons surtout au changement de tactique de l’ennemi, qui nous permet d’agir sur lui à courte distance à l’aide de grenades sous-marines. Dernièrement, le vapeur Bandy entrait dans la cale sèche de Toulon pour y réparer une brèche causée par une torpille ; son équipage racontait que le sous-marin qui l’avait avarié avait été pris à partie par les patrouilleurs qui avaient réussi à le couler. Cet exemple ne constitue pas une exception. Les commandants allemands se rendent de mieux en mieux compte du danger qui les attend, lorsqu’ils décèlent leur présence au milieu d’un convoi. Il en résulte une nervosité dont se ressentent leurs attaques : celles-ci n’ont plus cette sûreté qui les caractérisait autrefois, quand la grenade sous-marine n’était pas connue.

L’Amirauté germanique sent tout l’intérêt qu’il y aurait pour elle à revenir à l’usage du canon. Elle a jeté sur la route de l’Atlantique des croiseurs submersibles armés de pièces de 150, dans l’espoir qu’ils pourraient renouveler sur des navires isolés leurs exploits d’antan. Par bonheur, l’expérience prouve que nos cargo-boats peuvent se défendre même contre les nouveaux corsaires. Outre que les cargos ont sur ces derniers l’avantage de la commande de l’artillerie, ils sont beaucoup moins vulnérables qu’eux. Un obus dans les superstructures n’empêche point un vapeur de continuer sa route, tandis que la moindre perforation de la coque sera fatale au bâtiment sous-marin.

Il n’est donc point douteux que nous ayons atténué les effets destructifs des submersibles ennemis. Si l’on prend la peine de suivre la carrière de quelques-uns d’entre eux, on s’aperçoit que plus de trente sous-marins ont été coulés dans les trois premiers mois de leur mise en service. Ce sont surtout les commandants inexpérimentés qui paient les frais de la guerre. Le nombre des « as » allemands tend à se réduire. Depuis qu’ils sont gênés par notre défensive, les commandants et les équipages n’ont plus le loisir d’acquérir cette virtuosité que possédaient leurs aînés. Ajoutons d’ailleurs que ceux-ci, la devaient surtout à la certitude de l’impunité. Celui qui, en plein jour et par mer calme, a coulé la Lusitania a perpétré son forfait sans même avoir le mérite d’accomplir une opération militaire dangereuse ou même difficile. C’est le cas pour la plupart de ces commandants de sous-marins allemands, dont la liste, hélas ! commence par un nom de chez nous : Arnaud de la Perrière, commandant de l’U-35, se targue d’avoir englouti plusieurs centaines d’existences humaines à bord de nos vaisseaux. Le kaiser lui a exprimé sa reconnaissance pour avoir coulé dans la Méditerranée 2 navires de guerre, 1 croiseur auxiliaire, 5 transports de troupes, 124 paquebots, 62 voiliers, 2 chalutiers, représentant un total d’environ 500 000 tonnes. Imagine-t-on rien de plus sinistre que ces congratulations entre bourreaux ? Maintenant, déconcertés par la résistance que leur opposent les bâtiments de commerce, les commandants allemands s’abaissent de plus en plus souvent à torpiller les navires-hôpitaux. Le récent torpillage du Llandovery Castle porte à 12 le nombre de ces navires, couverts par la Croix-Rouge, qui ont été coulés depuis mars 1916 par les Allemands, entraînant la perte de 715 personnes qui auraient dû être considérées comme intangibles : blessés, médecins, infirmières.


La réduction du nombre des sous-marins en service d’une part, l’atténuation de leur puissance d’autre part devaient amener fatalement une diminution correspondante dans la destruction du tonnage allié. La courbe de ce tonnage, y compris les pertes dues aux risques de toute nature, accidents de mer, etc. est surtout intéressante à étudier à partir de 1917. Elle part de 409 000 tonnes en janvier et passe progressivement par les totaux suivants : février 574 000 tonnes, mars 694 000, avril 893 000. Là est le point culminant de la campagne. De ce faite inquiétant, elle s’abaisse presque sans interruption jusqu’en juin 1918, savoir : année 1917[3] (tonnage brut), mai 630 000 tonnes, juin 712 000, juillet 575 000, août 543 000, septembre 369 000, octobre 487 000, novembre 333 000, décembre 452 000. Au cours de 1918, la situation s’améliore sensiblement : nous perdons 338 000 tonnes en janvier, 383 000 en février, 381 000 en mars, 305 000 en avril, 355 000 en mai, 279 000 en juin, 313 000 en juillet, 327 000 en août. Si l’on compare les résultats de la guerre sous-marine pendant les deuxièmes trimestres de 1917 et de 1918, on se rend compte qu’il a été coulé 2 236 000 tonnes l’année passée contre 939 000 tonnes en 1918, soit pour cette année plus de la moitié moins.

Ainsi tous les chiffres concordent. Qu’il s’agisse de la destruction des unités ennemies et de l’état de leur mise en service, du coefficient journalier indiquant la puissance destructive individuelle des submersibles, du nombre des attaques par canon ou torpille, du rapport entre ces attaques et leur réussite, etc. nous arrivons toujours à la même constatation. Inquiétante, presque mortelle durant le premier trimestre 1917, la guerre sous-marine n’a cessé de décliner jusqu’au mois de juin 1918. Il est vrai qu’ici se place une recrudescence de l’activité sous-marine. Dans le courant de juillet, on enregistre 313 000 tonnes coulées et 327 000 tonnes en août, soit une augmentation de 48 000 tonnes sur le mois de juin. Mais ce résultat était prévu. En effet, les Allemands veulent à tout prix relever le moral de leur peuple qui commence à douter de la légitimité de sa cause et stimuler le zèle de leurs équipages qui s’avisent parfois de refuser le service. Des ordres pressants sont donnés aux commandants de couler le plus possible de navires en s’adressant principalement aux gros tonnages. En outre, les nouveaux croiseurs submersibles agissent sur les côtes de l’Amérique où ils jettent un certain désarroi. Ces flottilles profitent de la surprise que leur intervention provoque et du fait que les bâtiments naviguant dans ces parages ne sont pas tous armés pour attaquer au canon. Mais, après ce trouble passager, la courbe commence à, descendre. Les résultats du mois de septembre, ne sont pas encore connus dans leur détail exact, mais on sait que dans l’ensemble les pertes ne dépasseront pas 220 000 tonnes. Ce que l’on peut de toute façon affirmer, c’est que ce mois sera nettement plus avantageux que le mois de juin lui-même. Déjà la comparaison du tonnage coulé en 1917 et 1918 accuse une réduction de 51 pour 100. Nous ne pouvons ni ne voulons prédire l’avenir. Nous avons cependant de bonnes raisons de croire, bien qu’il faille encore s’attendre à des pertes cruelles, que les Allemands ne retrouveront, plus leurs succès passés.

Aussi nos ennemis font-ils tous leurs efforts pour entretenir les illusions de leur peuple sur l’efficacité de leur campagne. Une fois de plus ils recourent au mensonge et au bluff. Du 1er janvier au 30 avril 1918, ils déclarent avoir coulé 2 600 000 tonnes, alors que le chiffre réel est de 1 262 000 tonnes. Pour une même période, tandis que la liste des navires donnés comme torpillés par les commandants de sous-marins allemands, représentait un total de 2 900 000 tonnes, les communiqués officiels des Empires centraux donnaient des chiffres des pertes qui, totalisés, atteignaient 450 0000 tonnes !

De même encore, ils prétendent que la diminution de nos pertes tient à une activité moins grande de la navigation alliée. Voici des statistiques qui établissent l’inexactitude de cette assertion. En juin 1918, mois au cours duquel nous notons que nos sacrifices ont été les moins lourds, le tonnage des vapeurs de 500 tonnes brutes et plus, entrés ou sortis des ports du Royaume Uni de ou vers les ports d’outre-mer, a été de 7 430 386 tonnes. Les mouvements dans les ports français (entrées et sorties de vapeurs de plus de 500 tonnes) ont porté sur 5 761 942 tonnes brutes, contre 5 709 000 tonnes en mai. Le trafic de certains ports français a, d’ailleurs, augmenté d’une façon considérable.

Le succès du convoyage est attesté par les résultats suivants : de janvier à juillet derniers, sur 3 262 vapeurs escortés aux côtes d’Espagne, un seul fut torpillé, et sur 1363 navires escortés pendant la même période en Angleterre, aucun ne fut attaqué avec succès par l’ennemi- Sir Chiozza Money, secrétaire parlementaire du contrôleur de la navigation marchande, a déclaré aux Communes que, depuis juin 1916, près de 31 millions de tonnes, représentant une capacité de transport de 42 millions de tonnes, ont été escortés à travers l’Océan jusqu’aux côtes britanniques et françaises, et les pertes ont été seulement de 1,31 pour 100 du tonnage brut ou 1,29 pour 100 du tonnage utile. Ces chiffres, arrêtés au 29 juin dernier, s’appliquent à tous les risques de mer, sous-marins ennemis, mauvais temps, etc… et ils intéressent les bateaux britanniques, alliés et neutres. Quant au tonnage allié et neutre à destination de la Grande-Bretagne, il a subi, depuis le 1er janvier 1918, une perte d’un peu plus d’un et demi pour cent. » Même constatation en Italie où l’amiral del Bono déclare : « Nous avons eu dix-sept navires coulés en avril 1917 ; en avril 1918, nous n’en avons perdu que trois. En mai 1917, nous avons perdu dix navires ; et quatre seulement en mai 1918. En juin 1917, nous en avons perdu dix ; et en juin dernier, deux seulement, malgré l’offensive autrichienne. Au total, neuf navires coulés pour le trimestre d’avril-juin 1918, contre trente-sept pendant la même période en 1917. »

Mais pourquoi multiplier les exemples quand il n’en est pas de plus convaincant que celui donné par la lettre suivante de M. Baker au président Wilson ? « Le premier vaisseau américain portant un personnel militaire a levé l’ancre le 8 mai 1917, ayant à bord le corps sanitaire de l’hôpital de base n° 4 et les membres du corps des infirmiers de réserve. Le général Pershing et son état-major se sont embarqués le 20 mai 1917. Les chiffres des embarquements du mois de mai 1917, jusqu’au mois de juin 1918 compris, sont les suivants : — Année 1917 : mai, 1 718 hommes ; juin, 12 261 ; juillet, 12 988 ; août, 18 323 ; septembre, 32 523 ; octobre, 38 259 ; novembre, 23 016 ; décembre, 48 840. — Année 1918 : janvier. 46 776 ; février, 48 027 ; mars, 83 811 ; avril. 117 212 ; mai, 244 345 ; juin, 276 372. Fusiliers marins, 14 544. Total : 1 million 019 115 hommes. Grâce à la protection efficace donnée par la flotte à notre système de transports, le nombre de soldats perdus en mer est seulement de 291. » Depuis cette date, les soldats américains ont passé l’Atlantique à raison de 300 000 par mois en moyenne (313 000 en août). Et nous savons, d’après les déclarations de M. Baker, que les approvisionnements et les équipements de cette immense armée sont déjà parvenus en France. Voilà, un résultat qui clôt éloquemment le chapitre de la puissance destructive des sous-marins ennemis.


Nous pouvons maintenant mesurer le prodigieux effort accompli par les marins alliés pour conjurer le péril sous-marin et déterminer exactement les résultats obtenus. D’aucuns ont déclaré que la guerre sous-marine a fait « faillite. » Nous hésiterions, pour notre part, à prononcer le mot de faillite, tant qu’il restera un seul sous-marin en croisière. Et on ne saurait traiter avec dédain une arme qui a pu encore engloutir, dans le mois qui vient de s’écouler, près de 200 000 tonnes de navires alliés ou neutres, détruire successivement des paquebots comme le Justicia de 32 000 tonnes et torpiller en Méditerranée, en l’espace de quelques semaines, trois courriers français dont le naufrage a causé la mort de plusieurs centaines d’hommes, l’un d’eux ayant disparu en quelques minutes. Bornons-nous pour le moment à signaler « l’échec » de cette guerre dont l’ennemi attendait un résultat qui lui a définitivement échappé.

Les sous-marins nous font et nous feront encore du mal, pourquoi le nier ? La vérité est assez consolante pour être exposée telle qu’elle est. Ne commettons pas la faute de nous abuser sur les difficultés qu’il nous reste à vaincre. Ce qui a fait réellement faillite, ce sont les folles prétentions de l’Amirauté allemande, qui pensait asservir le monde entier à l’aide de sa politique sous-marine. Il est bon de le rappeler ici : ce ne fut pas sans peine quo l’amiral Tirpitz décida son gouvernement à se lancer dans cette aventure. Non point que l’Allemagne reculât devant l’opprobre d’une telle décision, mais parce qu’elle craignait de s’attirer la colère des Etats-Unis. La thèse des partisans de la guerre sous-marine fut que la menace américaine resterait vaine, et précisément à cause des sous-marins : pas un soldat U. S. A. ne pourrait franchir l’Atlantique et d’ailleurs avant qu’aucun renfort américain pût arriver en Europe, l’Angleterre aurait été contrainte à demander la paix allemande… Aujourd’hui, nous serions presque tentés de remercier l’amiral Tirpitz d’avoir réussi à convaincre ses auditeurs.

Au lieu d’ignorer volontairement le danger actuel et futur de la guerre sous-marine, mieux vaut le regarder en face et prendre toutes les mesures propres à le combattre. Le tonnage brut mensuel détruit, y compris les risques de toute nature, est tombé à 250 000 tonnes en moyenne par mois. Afin de réduire encore ce chiffre, nous avons devant nous tout un programme à remplir. Nous devons multiplier l’usage du microphone par la constitution de groupes offensifs d’écoute. N’hésitons pas, chaque fois que cela paraîtra possible, à prélever tous les éléments qui ne sont point indispensables à la sécurité des convois ou des routes d’approche, pour passer à l’attaque. Il convient en effet de ne laisser échapper aucune occasion de rechercher les sous-marins et de les détruire. Au début, il est bien certain que, devant la menace de la campagne sous-marine, il nous a fallu tout d’abord songer à parer les coups avant d’essayer d’en porter, c’est-à-dire à contrecarrer les desseins de l’adversaire qui possédait l’initiative de la manœuvre. Nous devons maintenant arracher cette initiative aux sous-marins ennemis. A mesure que nos moyens se coordonnent et s’amplifient, il importe de ne pas perdre de vue la riposte qui peut seule en toute guerre amener une décision. Ne négligeons aucun des procédés qui sont en notre pouvoir, construisons des navires contre-sous-marins, des hydravions à grand rayon d’action, des submersibles destinés à la chasse de l’ennemi. Perfectionnons surtout nos grenades et nos bombes dont l’efficacité est unanimement reconnue et augmentons leur charge ; munissons tous nos navires marchands de pièces de gros calibre. Déjà, les pertes subies par l’ennemi lui ont enlevé une bonne part de sa valeur offensive ; il devient prudent : profitons de notre ascendant sur lui. Essayons de détruire les nids de pirates. Les opérations contre Ostende et Zeebrugge nous tracent la marche à suivre ; arrosons de bombes aériennes les docks qui recueillent les sous-marins et bombardons leurs points d’appui jusqu’au jour où la supériorité de nos effectifs nous permettra de nous en emparer à main armée.

Après avoir mis les navires marchands à l’abri des attaques au canon, toute notre attention doit se porter désormais sur leur protection contre la torpille. A cet égard, il semble que des mesures plus rigoureuses pourraient être prises pour l’armement des vaisseaux et l’arrimage de leur cargaison. Des travaux extrêmement intéressants ont été poursuivis à ce sujet par l’inspecteur général du génie maritime, Doyère. Il ne dépend pas seulement de la rue Royale que ces études aboutissent et passent dans le domaine de la pratique. On a remarqué que des bâtiments chargés de certaines marchandises, par exemple de balles de foin ou de sacs de farine, avaient été rendus de ce fait presque insubmersibles. Le foin en se gonflant, la farine en formant un mastic sous l’action de la mer, avaient aveuglé les brèches de la coque. On pourrait utiliser cette propriété d’occlusion automatique des voies d’eau. Malheureusement, la sélection des marchandises lors de leur mise à bord compliquerait et retarderait encore les opérations de chargement qui s’opèrent déjà trop lentement. Quoi qu’il en soit, nous devons travailler à corriger dans la mesure du possible les effets foudroyants des torpilles, en prolongeant la flottabilité des navires.


LE PROBLÈME DU TONNAGE

En admettant qu’après l’adoption ou le perfectionnement de toutes les mesures de protection que nous venons d’exposer, les pertes du tonnage à la disposition des alliés restent encore ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est-à-dire se maintiennent à une moyenne mensuelle de 250 000 tonnes, — quelles seront les conséquences d’une telle situation eu égard aux personnes embarquées, aux cargaisons et aux navires ?

A la fin de 1917, et non compris les matelots de la flotte de guerre, environ 1 100 hommes d’équipage et 1 700 passagers militaires français avaient disparu au cours d’événements de mer. Si douloureuses que soient ces pertes, qu’on veuille bien songer que plus d’un million de soldats ont circulé dans la Méditerranée durant ce laps de temps : on conviendra que la proportion est, — relativement, — peu élevée. Or, la Méditerranée est certainement la zone où les transports souffrent le maximum de dommages. Nous venons de voir que plus d’un million d’Américains avaient pu franchir l’Atlantique en perdant seulement 291 hommes, On peut affirmer qu’à l’avenir, et à condition de prendre les précautions voulues pour le sauvetage des naufragés, nos pertes resteront faibles, et ne sauraient en aucune façon porter obstacle aux mouvements de troupes.

Pour évaluer, en second lieu, la valeur des cargaisons coulées, considérons que près de la moitié des navires naviguent en partie sur lest : on peut donc chiffrera 175 000 tonnes environ par mois la perte de cargaisons, les navires coulés se composant à la fois de cargos dont la portée en lourd est plus élevée que la jauge brute et de paquebots dont cette jauge est supérieure au poids du fret transporté. Or, c’est par plusieurs dizaines de millions de tonnes par an que se chiffre l’ensemble du trafic maritime mondial. Nous en serons quittes pour grever d’un pourcentage équivalent au taux des pertes, les matières de ravitaillement qui doivent être transportées par mer.

Tout se résout en fin de compte en un problème de tonnage qu’il s’agit de savoir économiser, utiliser et reconstituer. En France, on ne se rend pas suffisamment compte de l’intérêt national qu’il y a pour nous à restreindre nos importations ; nous devrions instituer une législation et organiser une police spéciale pour rechercher et réprimer tous les gaspillages. Il serait également nécessaire d’instaurer un système de permis d’embarquement, afin de n’autoriser le libre passage sur mer que pour ceux qui prouveraient que leur voyage répond à un besoin d’ordre public. Une grande partie des passagers qui ont été noyés sur le Balkan eussent été très en peine pour fournir une telle justification. Ce renoncement à certains voyages désirés, cette restriction volontaire dans nos consommations personnelles, considérons-les comme un devoir envers notre pays et envers nos alliés. Songeons en même temps à intensifier notre production nationale ; trouvons sur notre sol des objets de remplacement, des « erzatz » diraient nos ennemis.

Quant à l’utilisation du tonnage, elle se ressent de la pratique des convois. La rotation des navires s’en trouve, avons-nous dit, très sensiblement ralentie. Sans renoncer à un système qui a réussi, nous pouvons cependant accélérer les traversées en augmentant le nombre des vaisseaux convoyeurs et en améliorant le groupement des navires, selon leur vitesse de route. C’est ce à quoi visent les plus récentes résolutions des amirautés alliées. Le chargement et le déchargement des navires dans les ports méritent d’appeler tout spécialement notre attention. L’Etat en a assumé la responsabilité en recourant à la réquisition générale de la flotte. Le moins que j’en puisse dire, c’est que le contrôle de l’utilisation du tonnage est insuffisamment exercé. Nos ports ne possèdent ni les moyens matériels, ni la main-d’œuvre nécessaires pour assurer la prompte disponibilité des navires. Ceux-ci séjournent beaucoup trop longtemps au fond des bassins et nous avons fort à faire pour en tirer un parti convenable.

Reste la grave question de la reconstitution du tonnage. La France, qui s’est entièrement consacrée à la fabrication du matériel de guerre, a cru devoir laisser exclusivement à ses alliés le soin de reconstituer le tonnage perdu. Nous sommes bien loin d’approuver cette politique de renoncement, et nous déplorons que les questions vitales touchant à l’avenir de notre marine marchande n’aient pas jusqu’ici dépassé la rampe du Palais-Bourbon. Toutefois, et pour l’objet précis qui nous occupe aujourd’hui, il est bon de constater que les chantiers navals anglais, américains, japonais, sont à même de répondre tonne pour tonne à la destruction des navires marchands. La situation dans l’ensemble est rassurante. Au 31 décembre 1917, le déficit du tonnage créé par la guerre chez les Alliés et les neutres était de 2 632 000 tonnes brutes. Dans le premier trimestre 1918, le montant des pertes et des constructions mondiales de navires est respectivement de 1 102 000 tonnes, et de 864000, soit une différence de 238 000 tonnes seulement, donnant une moyenne mensuelle de moins de 80 000 tonnes ; mais, en avril, le chiffre des constructions dépasse de 20 000 à 40 000 tonnes le total des destructions et tout nous permet de croire que désormais le bilan continuera à se solder en faveur de la reconstitution du tonnage. A on juger par les plans colossaux qui ont été projetés par nos alliés, Américains, Anglais et Japonais, l’avenir nous donne toute confiance.

M. Schwab, directeur général de la Navigation aux États-Unis, a déclaré, au retour d’une inspection, que l’Amérique comptait produire l’an prochain 10 millions de tonnes de portée en lourd, soit 6 600 000 de jauge brute, ce qui dépasserait largement le total des pertes des Alliés. De son côté, dans son discours à la Chambre des députés, M. André Tardieu a exposé que l’effort américain se traduisait de la façon suivante : 1 104 000 tonnes de portée en lourd pour le premier semestre 1918 ; 2 412 000 tonnes pour le deuxième semestre. Il a donné comme certain pour 1919 : 7 320 000 tonnes. « Cela revient à dire, a-t-il ajouté, que la flotte américaine de haute mer qui compte, au 1er janvier 1918, 5 370 000 tonnes de portée en lourd, en comprendra au 1er janvier prochain 7 788 000 tonnes, et que, non déduits les torpillages et les pertes pour risques de mer, au 1er janvier 1920, le chiffre maximum sera de 19 288 000 tonnes, le chiffre minimum de 15 116 000 tonnes. » Dès maintenant, voici ce qui est acquis. Le 4 juillet de cette année, les Américains ont lancé 95 bateaux d’une portée en lourd de plus de 466 000 tonnes. Le Japon leur vient en aide on acceptant la commande de 30 navires de 253 000 tonnes de portée en lourd. En Angleterre, le déficit des constructions par rapport aux pertes, après avoir été de 121 000 tonnes en moyenne, fin 1917, est descendu tout dernièrement à 30 000 tonnes, et l’on compte obvier à la pénurie de main-d’œuvre, qui est la cause première de ce résultat. Ce qu’il faut retenir, c’est que, dans le courant du deuxième semestre 1918, la comparaison entre les pertes et les récupérations se traduit par une différence en faveur des dernières : le tonnage construit dépassera bientôt mensuellement 500 000 tonnes, alors que les pertes de toute nature souffertes par la marine marchande alliée ou neutre paraissent devoir se stabiliser à un chiffre voisin de 250 000 tonnes par mois.

Mais il ne s’agit pas seulement de récupérer ce que l’on perd, il faut encore augmenter le « shipping » de l’Entente par rapport à ce qu’il est actuellement. M. Borel, dans le discours qu’il a prononcé à la Chambre des députés le 6 septembre dernier, a fait ressortir que le programme d’importation de la France était de 7 millions de tonnes en chiffres ronds contre 6 millions l’année passée et 4 442 000 tonnes en 1916. La demande pour l’ensemble des besoins alliés s’élève à 27 millions de tonnes contre 22 millions l’année dernière : ils sont donc en augmentation sensible, ce qui ne surprendra personne, puisqu’il s’agit d’entretenir et de ravitailler une nouvelle armée sur le sol français. La question de la marine marchande passe ainsi au premier plan de nos préoccupations nationales ; la vie des peuples de l’Entente et le sort de leurs armées en dépendent.


En définitive, la campagne sous-marine nous oblige à tenir un nouveau front exigeant l’armement de 5 000 navires et 3 000 avions qui sont montés par plusieurs centaines de mille hommes. Elle nous entraîne à des consommations considérables de charbon et d’acier. Elle anéantit de grandes richesses que nos ennemis évaluaient dernièrement à 50 milliards. Elle détourne des fabrications militaires une véritable armée d’ouvriers travaillant sur les cales de constructions. Les chiffres suivants permettent d’apprécier son importance : il y a un an, 45 000 hommes seulement étaient employés dans les chantiers navals des Etats-Unis. Aujourd’hui, ces chantiers occupent 300 000 mécaniciens et autres ouvriers pour la seule construction des coques de navires, et 250 000 pour la construction des machines, des chaudières, des cabestans et treuils et autres appareils accessoires. C’est une nouvelle guerre d’usure à laquelle il nous faut faire face. Nous y sommes préparés et les Alliés disposent de ressources suffisantes pour alimenter leurs armées tout en payant aux sous-marins allemands le lourd tribut qu’ils nous imposent.

Raison de plus pour accentuer notre effort. C’est lorsqu’il voit poindre l’aurore de la victoire que le soldat combat avec le plus d’ardeur. Aujourd’hui, nous pouvons l’écrire en toute conscience ; le péril sous-marin est conjuré. Nous n’avons plus à craindre ni la disette des importations, ni la rupture de nos communications maritimes, ni même une entrave réelle dans le passage de nos vaillants alliés à travers l’Atlantique. Mais, ainsi que le déclarait M. Georges Leygues, notre succès, « loin de nous autoriser à ralentir notre effort, nous commande de le redoubler, car l’ennemi va mettre en service de nouveaux submersibles et tenter une offensive où il jouera son va-tout. Nous devons être prêts à briser définitivement l’arme sous-marine qui est déjà fortement émoussée. »

Les leçons de cette guerre établissent qu’elle est, avant tout, une œuvre d’imagination. Il faut jeter beaucoup d’idées dans le sillon, qui les fait germer, puis les débarrasser de l’ivraie et sarcler les plants robustes, pour que jaillisse la moisson féconde des épis. Or, s’il est un domaine où l’invention scientifique et l’ingéniosité, la plus primitive soit-elle, paraissent devoir exercer leur influence déterminante, c’est bien celui de la guerre sous-marine où tout est ruse, embûches, guet-apens, comme aux âges préhistoriques des luttes entre les hommes lacustres, mais aussi où tout ce qui combat dispose des engins les plus modernes et les plus perfectionnés. Aussi notre premier hommage doit-il s’adresser aux dirigeants des Amirautés alliées, à ces médecins qui, penchés sur le chevet du malade, ont trouvé l’antidote au poison subtil, à ceux qui ont réparé la brèche que creusaient dans le cœur des navires portant notre sang et nos richesses, le microbe le plus meurtrier.

Le plus grand service que nous aient rendu les marines alliées, et en premier lieu l’Amirauté britannique, est de n’avoir point désespéré. Il a fallu à la nation anglaise une grande force d’âme pour partager la sereine confiance de M. Lloyd George et de son gouvernement devant la destruction de sept millions de tonnes de navires au 31 décembre 1917, ce qui représente le tiers de l’immense flotte d’avant-guerre du Royaume-Uni.

Le jour de la fête de l’Indépendance américaine, accoudé au péristyle du Ministère de la-Marine, je regardais défiler d’un pas souple les bataillons des États-Unis. Autour de M. Georges Leygues se tenaient groupés les chefs de notre Marine, les amiraux de Bon, Tracou, Salaün et les attachés navals étrangers. Je lisais sur leur visage la joie d’assister à cet événement mémorable. Tandis que parvenaient jusqu’à eux les rumeurs enthousiastes de la foule parisienne, je devinais leur pensée : « Oui, songeaient-ils, une part de ces ovations s’adresse justement aux marines alliées, car c’est grâce à elles que ces valeureuses légions purent franchir l’Atlantique dans des conditions de sécurité inespérée. Instruits par l’exemple de la « méprisable petite armée du général French, » les Allemands n’ont pas voulu douter de la valeur de nos nouveaux frères d’armes, mais ils avaient affirmé que ceux-ci ne passeraient pas… Ils ont passé… Ils sont là ! » Or, voici qu’un avion de chasse survient de l’Occident et plane au-dessus des Américains : ils lèvent les yeux, ils reconnaissent l’oiseau de France qui les accueillit en vue de la terre d’Europe et dont l’aile tutélaire protégea la route hasardeuse de leur vaisseau. Alors c’est à ces marins qui mènent la rude vie du large, c’est à ces héros obscurs que vont toutes mes pensées. Les soldats qui luttent sur la ligne de feu ont la consolation de penser que leurs sacrifices sont connus de tous et sanctifiés par d’unanimes prières. La vie de nos matelots est comme entourée de mystère ; leurs actions d’éclat sont sans témoins, dans le vide infini de l’Océan. La plume du reporter ne les accompagne point dans leurs patientes et ingrates croisières. J’ai voulu soulever un coin du voile qui les cachait à l’admiration du pays.

Dernièrement, le Président de la République, au cours d’un voyage fait à Brest, à Camaret, à Toulbroch et la pointe Saint-Mathieu, cette sentinelle avancée du front de mer, constatait l’incessant labeur de l’arsenal, dans l’organisation des convois, dans la recherche et la poursuite des sous-marins ennemis, dans le développement des écoles d’écoute, dans l’utilisation des ballons captifs, des dirigeables, des hydravions, des avisos, des torpilleurs, etc, M. Poincaré adressait le 1er août au ministre de la Marine une lettre où l’on relève le passage suivant : « Je souhaite que mes félicitations si hautement méritées par ceux que j’ai vus, atteignent au loin ceux que je n’ai pu voir et qui, sur toutes les mers, se dévouent silencieusement à la France. La France ne les oublie pas. Elle sait qu’en assurant, pendant la longue durée des hostilités, nos communications maritimes avec nos alliés, ils auront, eux aussi, comme leurs camarades de l’armée de terre, héroïquement contribué à la victoire. »

Quel plus bel hommage pourrait-on rendre à nos marins ?

Quant à l’Allemagne, ainsi que le proclamait notre Président du Conseil, « dans l’abîme d’une défaite irréparable, elle emportera la honte de la plus grande tentative de mal qu’un peuple de barbarie ait pu rêver. » Sur les échelons de la barbarie germanique, la guerre sous-marine occupe un des plus hauts degrés. Il est impossible que le peuple allemand ne se rende pas compte bientôt de la profondeur du gouffre où les suggestions de l’amiral Tirpitz l’ont engagé. Le vice-chancelier von Payer vient de faire cet aveu : « La guerre sous-marine n’a pas eu des effets aussi rapides et sûrs qu’on l’escomptait. Il est vain de se disputer maintenant pour savoir à qui en est la faute. Nous ne sommes pas les seuls dans celle guerre qui nous soyons trompés. » En effet, tous les belligérants ont commis des fautes ; mais la guerre sous-marine, qui a été la plus lourde des fautes, est plus qu’une faute. D’une part, une campagne odieuse, déshonorante pour la nation qui s’y prête et sombrant dans la désillusion, d’autre part, l’Amérique, partant pour une nouvelle croisade, nous apportant la victoire dans les plis du drapeau étoile, le monde entier soulevé d’horreur… tel est pour l’Allemagne le bilan du crime sous-marin.


RENE LA BRUYERE.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.
  2. D’une façon générale, le mois d’août marque une légère recrudescence de la guerre sous-marine, mais nous verrons que le mois de septembre sera de beaucoup le meilleur que nous ayons connu.
  3. Ces chiffres sont ceux qui ont été confirmés par l’Amirauté britannique ; les derniers mois peuvent être sujets à rectification. A noter que les Alliés se refusent à publier le montant des pertes dues à la seule action de l’ennemi.