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L’Écho des jeunes, novembre 1891/Vers pour elle

La bibliothèque libre.
Sous la direction de Alex. Gerbée (p. 14-15).

VERS POUR ELLE



Poète !… je le suis quand j’admire tes yeux
Poèmes où se joint à la splendeur des cieux
Tout l’infini des mers profondes ;
Quand à tes pieds couché, je contemple ébloui
Les beautés de ton corps mollement enfoui
Dans un flot de dentelles blondes.

Quand mordu de désirs, je te vois sommeiller
Tes cheveux dénoués, épars sur l’oreiller
Te couronnant d’une auréole ;
Quand, pressentant déjà les bonheurs à tenir
Tu mets dans ton regard tout ce qui peut tenir
De chaleur dans une créole.

Quand, dans l’ombre, ta voix me dit des mots si doux,
Que pour mieux t’adorer, je me mets à genoux
Plein d’une extase enchanteresse ;
Quand loin de toi je rêve à tes mièvres attraits,
Quand délirant d’amour je m’enivre à longs traits
Des voluptés de ta caresse !

Ma poésie est sœur de ta brune beauté ;
C’est toi qui fait jaillir de mon luth attristé
Quelques notes moins douloureuses
De même que la brise odorante du soir
Fait vibrer tendrement le cyprès triste et noir
En frôlant ses branches noueuses.

Ni Raphaël perdu dans un ciel de langueur
Avec Fornarina se pâmant sur son cœur,
Ni Pétrarque chantant sa Laure,
Ni Buckingham qui fut si tendrement aimé,
Ni Don Juan blasphémant sur le sein parfumé
D’une vierge aux yeux pleins d’aurore,

Ni lord Byron rêvant, sombre, à sa Guiccioli,
Ni tous les amoureux qui dorment dans l’oubli
À côté de leurs amoureuses.
Ni clerc, ni chevalier, ni prophète, ni roi
Sur terre n’ont connu plus doux amour que moi,
N’ont passé d’heures plus heureuses !


Car tu sais tour à tour, tendre et naïve enfant,
Cacher ton petit cœur qui d’aimer se défend
Puis, soudain, pâle courtisane,
Fouetter d’un brusque appel mon désir qui s’endort
Au gré de mon plaisir devenant sans effort
Vierge chaste ou fauve sultane.

Tantôt, je vois encore dame Agnès sur sa tour
De son page fidèle attendant le retour,
Tantôt une mignonne aïeule
Pour quelque gros méfait grondant son petit-fils.
Suzanne, Phryné, Ruth, Madeleine, Laïs,
J’ai vingt femmes en une seule !

De tes baisers ardents nuit et jour altéré,
À ton culte divin je me suis consacré
Et je veux, au moment suprême,
Quand mon corps tremblera des affres du tombeau
De ma vie, un instant, ranimer le flambeau
Pour te dire encore : Je t’aime !…


Auguste Génin.