L’Écho foutromane/05

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Aux dépens des fouteurs démagogues (Gay et Doucé) (p. 70-81).
Déclaration à ma parfumeuse


L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

DÉCLARATION CATÉGORIQUE

À MA PARFUMEUSE


Connois, Iris, le désir qui m’anime :
Amour demande une double victime ;
À son autel il faut sacrifier,
Reçois mon cœur, je l’offre tout entier :
Non pas ce cœur, être métaphysique,
Tout consumé d’une ardeur platonique,
Qui s’exhalant en soupirs superflus,
Brûle sans cesse et ne fait rien de plus.
L’amour exige un cœur moins illusoire,
Dont la vigueur ait acquis quelque gloire,
Qui, plein d’audace et ferme en sa vertu,

Dans vingt combats ne soit point abattu ;
Tel qu’à ton nom, surtout en ta présence,
Je sens le mien dans son impatience,
En frissonnant, soudain se ranimer,
Roidir, grossir, s’allonger, s’enflammer,
Et redressant à ta seule pensée
Sa tête altière à l’instant élancée,
Quitter au loin d’un effort assuré
Ce noir duvet dont il est entouré.
Voilà le cœur que l’amour me demande.
Ce n’est le tout : il lui faut double offrande :
Il veut encor que le même lien
En réunisse un autre avec le mien.
Or celui-ci n’offre qu’une ouverture
Dont le corail fait toute la bordure :
Moins il se livre et plus il est goûté.
Son vrai mérite est l’élasticité,
Qu’il charme alors qu’un premier jour l’éclaire !
Timide, il a plus de droits pour nous plaire.
C’est un anneau d’un ovale parfait
Qui rehaussé par un tendre duvet,
Semble cacher à l’œil qui le désire,
Sa douce approche après qui l’on soupire.
Rare bijou, relégué par l’amour,
Sous un coteau qui domine à l’entour.

Un fort taillis le couvre, l’environne :
Des deux piliers qu’il termine et couronne,
L’amour plaça son foyer au milieu,
D’où comme un astre il met partout le feu.
Ces piliers sont d’une forme ronde :
Les séparer est l’œuvre où l’on se fonde
Et ce travail est celui de l’amour ;
Il s’y consume et la nuit et le jour.
Mais maint obstacle, appelé pruderie,
Fausse pudeur, crainte ou coquetterie,
Rend ces piliers souvent lents à s’ouvrir,
Ou se rouvrant pour mieux se réunir,
Jusqu’au moment qu’on cède à la nature
L’amour se plaît à leur belle structure.
Ils sont, au tact, d’un poli séducteur,
L’albâtre même indique leur blancheur.

Fais, tendre Amour, qu’à mes yeux ils s’entr’ouvrent,

Que ces regards, cette main y découvrent
Ce cœur divin où tendent mes efforts :
Livre à ma flamme, à mes tendres transports,
Ce cœur, hélas ! où déjà mon cœur entre.
Va-t-il l’atteindre, et placé vers le centre,
Vers le taillis ose-t-il s’enfoncer ?
Ah ! dans ce bois, son œil fier va percer.

La foible issue à son audace offerte,
Étoit fermée ; elle est plus qu’entr’ouverte.
Il y pénètre, il s’y voit tout plongé :
Mêlés tous deux, l’un par l’autre engagé,
Dans ce beau lieu qu’ils trouvent de délices
Et que l’amour goûte ces sacrifices !





LE PRÊCHE

CONTE.


Le jeune Ormon brûloit pour Isabelle,
Et, dit l’histoire, en étoit bien reçu :
À ses désirs la trouvant trop rebelle,
Plan de la vaincre aussitôt est conçu,
Et le roman est à peine tissu,
Qu’il veut déjà conclure avec sa belle.

Il eut bien tort : rester sur le désir,
Filer la scène avec un peu d’adresse,
Prier, presser, et n’oser réussir,
Voir la pudeur combattre la tendresse,

Ces doux oublis que l’on pourrait saisir,
Les respecter jusqu’au sein de l’ivresse,
Je m’y connois, c’est le sel du plaisir.

Mais en amour comme aux champs de la gloire,
Qui dit François, dit un enfant gâté.
Notre étourdi moins tendre qu’emporté,
Ne veut que vaincre, et brusquant la victoire,
Dans son amante éveille la fierté.
Il échoua : le trop de confiance,
Presque toujours nuit à la volupté.

Triste, confus, voyant son imprudence,
Il tente en vain d’excuser son ardeur.
Que peut-il dire, hélas ! pour sa défense !
Par un succès on calme la pudeur ;
Mais un échec fut toujours une offense :
Pleurs de couler, pleurs et soupirs perdus.
Dans son boudoir aussitôt on s’enferme,
Sans être ouverts les billets sont rendus,
Un mois, deux même, Isabelle tient ferme.

Un soir enfin le malheureux Ormon,
Par un des gens est instruit qu’Isabelle,
Le lendemain doit se rendre au sermon.
Mon homme y court, se glisse à côté d’elle,
Tremble, palpite, est presque au désespoir

De ce qu’on semble ignorer sa présence ;
Mais on l’a vu, car on craint de le voir.

Or, messieurs, chut, notre orateur commence :
« Vous ne serez jamais de bons chrétiens,
Si votre cœur ne pardonne l’offense,
Chapitre trois, Paul aux Corinthiens ! »

À ce début la belle est tout oreille.
Paul a raison, il pensoit à merveille :
Perdre à la fois son amant et le ciel,
Seroit avoir par trop de maladresse,
Et pour montrer qu’on a l’âme sans fiel,
On fixe Ormon d’un œil plein de tendresse,
Au premier point : « On peut mourir demain,
Dans le tombeau faut-il porter sa haine ?
Ah ! pour s’aimer Dieu fit le genre humain ! »

La belle alors que son bon cœur entraîne,
Se reprochant sa conduite hautaine,
Regarde Ormon, et lui serre la main ;
Au second point redoublant d’éloquence :
« Il est encore un plus sacré devoir :
Rendez le bien en place de l’offense,
À ce prix seul Dieu vous laisse un espoir ! »

La belle alors révoquant sa défense :
— Mon cher Ormon, je vous attends ce soir.



L’OBSTACLE

CONTE.


  Muse, au fait, évitons les mots ;
  Tous nos conteurs pour l’ordinaire
  S’épuisent en avant-propos,
 N’en faisons point, allons droit à l’affaire.

 Un jouvenceau, jeune, et taillé pour plaire
  Après avoir bien soupiré,
Pressé, promis, menti (car c’étoit de se taire)
Parvint près de sa belle au moment désiré.
  Mon drôle pénétré de joie,
  Les yeux en feu, tremble d’ardeur
  En cherchant à gagner la voie
  Qui doit le conduire au bonheur ;
 Il l’atteignoit, quand par triste aventure,
  Sans pouvoir avancer d’un pas,
 Il se démène, il souffle, il sue, il jure ;
 (On peut je crois jurer en pareil cas !)
  Disons le fait, dame nature,
Avoit mêlé d’amour la gentille serrure,
  Si bien que la clef n’entroit pas.
 Certain barreau… mais on m’entend de reste,
  Sans qu’il soit besoin d’achever ;

Qu’Amour, jeunes beautés, veuille vous préserver
  D’un accident aussi funeste !
 Ainsi soit-il. Venons à notre amant,
Le désir dans ses sens par l’obstacle s’enflamme,
Il redouble d’efforts, mais inutilement.
D’amour et de colère, enrageant en son âme,
 Son chalumeau déjà baissoit d’un ton
(On peut se fourvoyer quand on marche à tâton)
Dans le sentier prochain… Arrêtons, et pour cause.
  Car ce sentier… ma foi, je n’ose
 Vous le nommer ; mais je peux, sans qu’on glose,
Dire que sa Vénus ne fut plus qu’un giton.
À ce nouvel assaut n’étant point préparée,
  En vain la belle imperforée,
Lui crie : — Arrêtez donc ! quel est votre dessein ?
  — Rien de plus simple que la chose,
Répond le gars, chez vous je trouve porte close,
  J’écris mon nom chez le voisin.





LE BON PÈRE

CONTE.


Des cendres de Pindare est né le grand Rousseau ;
Horace à Despreaux a légué son génie ;
  Des mains du chantre d’Ausonie,
  Voltaire a reçu le pinceau.
Mais en vain je parcours les beaux siècles de Rome,
  Je n’aperçois pas un seul homme,
Qui d’un conte plaisant régale mon cerveau.
  Est-ce que dans cet heureux âge
  Aimer était un temps perdu ?
 De la beauté le brillant avantage,
  N’étoit-il rien sans la vertu ?
  Je n’en savois pas davantage,
  Mais j’avois cru tout bonnement
Qu’amour en tout pays, objet de notre hommage,
  S’annonçoit par le sentiment,
 Et finissoit par un plus doux usage ;
Ou du moins aujourd’hui c’est la marche qu’il prend,
Comme vous le verrez en achevant la page.
  Dans un pays de bonnes gens,
Où règnent le plaisir, la paix et l’abondance,

  Vivoit depuis quinze ou seize ans,
La nièce de Robert que l’on nommoit Laurence.

Ses yeux n’étoient point beaux, son teint n’étoit point blanc,

Sa taille étoit très forte, et son front un peu grand.
 Et cependant sa démarche légère,
 Son air content invitoit au plaisir,
 Elle allumoit certain désir de plaire,
 Que l’on pourroit d’un seul mot définir,
 Si l’on faisoit tout ce qu’on pourroit faire.
 Vivoit aussi dans la même maison,
Le neveu de Robert : c’étoit un gros garçon,
 Large d’épaule et bien pris dans sa taille.
Un soir qu’on finissoit d’enfermer la moisson.
Laurence et son cousin assis sur de la paille
Convoitoient les trésors qu’ils venoient de serrer.
Disant : — Si nous avions tout ce gain en partage,
  Bientôt un heureux mariage…
L’hymen est le seul Dieu qu’une fille à cet âge
  Se presse toujours d’implorer.
 — Qui prendrois-tu, Laurence, si ton père
Laissoit errer tes vœux sur le choix d’un mari ?
Je voudrois, répond-elle, un jeune homme sincère,
Dans lequel je trouvasse un amant, un ami,
  Et qui sauroit assez me plaire,

  Pour mettre mon cœur à l’abri
  De cette inconstance ordinaire
 Qui suit l’hymen même bien assorti.
— Et moi, reprit André, je voudrois une femme,
Qui ne ressemblât point à celle que j’ai vu,
Qui préférât encor les qualités de l’âme,
  À ce qu’on nomme la vertu :
 Ah ! si tu n’étois point la nièce de ma mère !
 Au même instant il la prend dans ses bras.
 Laurence avoit les yeux fixés en terre,
  Et cachoit mal son embarras,
 Quand tout à coup elle aperçoit son père,
  Qui quittoit le voisin Lucas.
Elle se lève, court sans avoir rien à faire.
Le père qui voit bien qu’on ne l’attendoit pas,
Leur dit en souriant : — Finissez votre affaire,
La mienne est de courir chercher vite un notaire,
  Et c’est où je porte mes pas.




LE PASSANT


Un passant tout déguenillé,
Gueusoit d’une manière immonde :
Il étoit si mal habillé,

Qu’il scandalisoit tout le monde.
Le drôle le faisoit exprès,
Et s’en gobergeoit en lui-même.
Mais on mit les archers après,
Tant l’impudence étoit extrême !
Voilà les témoins assignés.
Tous les hommes le reconnurent,
Et sur ses traits bien désignés,
Hautement contre lui conclurent.
Les femmes furent son appui :
Car toutes, dans leur témoignage,
Dirent : — Je ne sais si c’est lui ;
Je n’ai pas pris garde au visage ;


FIN