L’École des amis/Acte III

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L’École des amis
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome I (p. 283-313).
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ACTE III



Scène I.

ARISTE, UN VALET.
Ariste, au valet.

J’attendrai son retour. Sur-tout, qu’on l’avertisse,
Sitôt qu’il rentrera.



Scène II.

ARISTE, seul.

Sitôt qu’il rentrera.Faut-il que je ne puisse
Lui dire mon secret ? Monrose est étonnant
De ne pas voir quel est le péril imminent,
Où son humeur facile expose sa fortune.
La remontrance ici deviendroit importune ;
Et loin de s’éclairer par mes avis secrets,
Il iroit les traduire à ces gens indiscrets,
À qui sa confiance est un peu trop livrée.
Ô jeunesse, toujours d’elle-même enivrée !
Monrose est dans ce tems difficile à passer.
Il faut y suppléer, & ne nous point lasser.

Du moins j’ai réparé les fautes qu’ils ont faites.
Quoi qu’il puisse arriver, j’ai mis ordre à ses dettes ;
Il ne se perdra point.



Scène III.

ARISTE, MONROSE.
Ariste.

Il ne se perdra point.Nous nous cherchons tous deux.

Monrose.

Oui, je sors de chez vous.

Ariste.

Oui, je sors de chez vous.Quel est ce bruit fâcheux ?
Ce qu’on dit, est-il vrai ? Vous quittez le service ?

Monrose.

Je ferai, malgré moi, ce cruel sacrifice.

Ariste.

On vous prendroit au mot.

Monrose.

On vous prendroit au mot.Je vends mon Régiment,
Afin de m’acquitter. Puis-je faire autrement ?

Ariste.

Peut-être : rien ne presse encore ; il faut attendre…

Monrose.

Attendre ! Quoi, Monsieur ? Qu’ai-je encore à prétendre ?

C’est d’un autre que moi dont la Cour a fait choix.

Ariste.

Sçavez-vous si cet autre accepte ?

Monrose.

Savez vous si cet autre accepte ?Ah ! je le crois.

Ariste.

Ou vous le supposez. Est-ce une conséquence ?
On revient quelquefois de plus loin qu’on ne pense.
Empêchez cependant qu’on n’aille débiter
À la Cour, & par-tout, que vous voulez quitter.
Un bruit si ridicule a l’air d’une menace,
Ou du moins d’un dépit qui n’est pas à sa place.

Monrose.

Ce sont mes ennemis…

Ariste.

Ce sont mes ennemis…Non ; ce n’est point eux.
Il est bien d’autres gens qui sont plus dangereux.
Ne croyez pas, Monsieur, que je taxe personne
Dans ces réflexions que je vous abandonne.
Quand j’y pense, entre nous, je vois présentement
Que l’amitié se donne & se prend aisément ;
Elle est, comme l’amour, hazardeuse & légere.
Une conformité, frivole & passagere
D’âge, d’état, d’humeur, & sur-tout de plaisir,
Sans nul autre examen, suffit pour nous saisir.
Nous nous associons, comme on fait en voyage,
Sans savoir avec qui le hasard nous engage ;
Et l’on devient ami comme on devient amant.
Pour faire une maîtresse, il ne faut qu’un moment :

Mais l’amitié, du moins comme je l’envisage,
De part & d’autre exige un long apprentissage ;
Et vous devez savoir, à vos propres dépens,
Qu’un ami véritable est l’ouvrage du tems.

Monrose.

On peut me reprocher quelques momens d’ivresse,
Trop de facilité, des erreurs de jeunesse ;
Ma confiance a pû s’égarer quelquefois :
Dans la prospérité peut-on faire un bon choix ?
Et comment démêler l’amitié véritable
D’avec la flatterie alors inévitable ?
La Fortune nous met un bandeau sur les yeux.
Depuis qu’elle a changé la face de ces lieux,
Pouvais-je mieux choisir dans cette circonstance,
Que ceux qui sont venus m’offrir leur assistance ?
Je n’ai retrouvé qu’eux dans mon adversité.
L’ascendant, l’habitude, & la nécessité,
M’ont forcé d’accepter leurs secours salutaires ;
Ils se sont partagé le poids de mes affaires ;
Ils s’en sont emparés. S’ils ne sont pas heureux,
Que voulez-vous ? Du moins, je ne crains, avec eux,
Aucune ingratitude, aucune fourberie.

Ariste.

Mais ne craignez-vous rien de leur étourderie ?…
Pardonnez ; je m’échappe ici mal-à-propos.
C’est, je crois, vous en dire assez en peu de mots.
Du reste est-il permis de vous parler d’Hortense ?

Monrose.

Hélas !

Ariste.

Hélas !Qu’est-ce ? On soupçonne un peu votre constance.
Vous ne la voyez plus. D’où vient ce changement ?
Parlez ; auriez-vous pris quelqu’autre engagement ?

Monrose.

Quand la fortune change, & devient si cruelle,
Le cœur d’un malheureux devroit changer comme elle.
Ma constance est du moins un secret ignoré.
Je dévore mes feux, & j’en suis dévoré.

Ariste.

Qui peut vous imposer ce pénible silence ?

Monrose.

La probité l’exige, & l’intérêt d’Hortense :
Tous deux font qu’à ses yeux j’ai cessé de m’offrir.
J’ai craint de l’offenser, j’ai craint de l’attendrir.
Son repos m’est trop cher, pour oser le détruire,
Et je l’estime trop, pour vouloir la séduire.
La distance à présent est trop grande entre nous :
Il faut que son amant puisse être son époux.
Ainsi je dois cesser une vaine poursuite.
Je n’ai plus que les pleurs, le silence, & la fuite.

Ariste.

C’est assez. On me mande ; & je vais à la Cour.
Peut-être vous verrai-je avant la fin du jour.



Scène VI.

MONROSE, seul.

Il n’est plus tems ; ses soins ne me serviront gueres.



Scène V.

MONROSE, CLORINE.
Clorine.

On vous attend. Ce sont, je crois, des gens d’affaires ;
Ils en ont bien la mine.

Monrose.

Ils en ont bien la mine.Allons, je vais les voir.

Clorine.

Le départ de Madame est fixé pour ce soir.

Monrose.

Je sçais que je lui dois rendre un compte fidele.
Dis-lui que je m’occupe à travailler pour elle.



Scène V.

CLORINE, seule.

S’il vouloit la revoir, il feroit beaucoup mieux.
Mais la voici qui vient d’achever ses adieux.



Scène VI.

HORTENCE, CLORINE.
Hortence, avec un billet à la main.

Je suis au désespoir ; la méprise est cruelle :
Comment la réparer ?

Clorine.

Comment la réparer ?Madame, quelle est-elle ?

Hortence.

Mes gens se sont trompés.

Clorine.

Mes gens se sont trompés.Peut-on sçavoir en quoi ?

Hortence.

J’ai lû, sans y penser, ce qui n’est pas pour moi.

Clorine.

Ah ! n’est-ce que cela ? Quitte à brûler la lettre,
Et ne s’en pas vanter.

Hortence.

Et ne s’en pas vanter.Il faut la lui remettre
Absolument.

Clorine.

Absolument.Madame, à qui donc, s’il vous plaît ?

Hortence.

À Monrose. Et peut-être ai-je lû mon arrêt.
On finit ses malheurs, s’il veut être sensible :
Ce billet l’en assure.

Clorine.

Ce billet l’en assure.Ah ! seroit-il possible ?

Hortence.

Des offres qu’on lui fait il peut être charmé :
S’il n’est pas inconstant, du moins il est aimé.

Clorine.

Oui, c’est un grand attrait.

Hortence.

Oui, c’est un grand attrait.Hélas ! qu’elle est heureuse
De pouvoir à son gré se montrer généreuse !
Et d’employer ainsi…

Clorine.

Et d’employer ainsi…Je ne sçais ; mais enfin,
Cela sent la beauté qui touche à son déclin.

Hortence.

Va trouver Aramont… lui-même. Il faut lui dire
Que je veux lui parler, avant qu’il se retire.

Clorine.

Eh ! qu’en voulez-vous faire ? Ah ! si vous l’employez,
Vous l’allez bien charmer. Mais si vous m’en croyez…
Vous le voulez charger de rendre cette lettre ?

Hortence.

Sans doute.

Clorine.

Sans doute.En quelles mains allez-vous la remettre ?

Hortence.

La supprimeroit-il ?

Clorine.

La supprimeroit-il ?Ah ! n’en ayez pas peur.
D’un bout du monde à l’autre il iroit de bon cœur.
Ils la liront ensemble ; & puis, gare la glose !
Il fera ses efforts pour pervertir Monrose.

Hortence.

Il n’importe.

Clorine.

Il n’importe.Madame, il vous sacrifiera.

Hortence.

Plus il est son ami, mieux il me servira.

Clorine.

Monrose est son idole ; il l’aime ; il l’a vû naître :
Son zèle est sa folie ; il n’en est pas le maître.

Hortence.

Sçais-tu bien que je suis lasse de t’écouter ?



Scène VIII.

HORTENCE, seule.

J’ai donc une rivale ! Il n’en faut point douter.
La preuve que je tiens a de quoi me suffire.
Je ne suis pas la seule à qui l’Amour inspire,
En faveur de Monrose, un projet généreux !
Une autre s’intéresse à son sort malheureux !…
Si nous nous rencontrons dans la même pensée,
J’ai le secret plaisir de l’avoir devancée…
Mais on ne revient point… Ah ! que les Valets sont…

(Elle paroît inquiéte.)



Scène XI.

HORTENCE, UN VALET.
Le Valet.

J’ai lassé le paquet chez Monsieur Aramont.

Hortence, avec inquiétude.

Avez-vous bien pris garde à ne vous pas méprendre ?

Le Valet.

Oui. Son Valet de chambre aura soin de le lui rendre.



Scène X.

HORTENCE, seule.

Qu’ai-je fait ? Quand je veux l’empêcher de périr,
N’est-ce point un ingrat que je vais secourir ?
Eh ! dois-je me livrer à cette inquiétude,
Et le sacrifier à cette incertitude ?
N’est-ce que l’intérêt qui doit nous émouvoir ?
Pour être généreuse, a-t-on besoin d’espoir ?
Employons les moyens qui sont en ma puissance,
Et qu’il n’en ait jamais la moindre connoissance.
Il est perdu pour moi. Sauvons le seulement :
Que ce soit comme ami, si ce n’est comme amant.



Scène XI.

HORTENCE, CLORINE.
Clorine, éplorée.

On attend Aramont.

Hortence.

On attend Aramont.A-t-on quelques nouvelles ?

Clorine.

Oui, Madame, beaucoup ; & même assez cruelles.

Hortence.

Pourrois-je encore avoir de nouvelles douleurs ?

Clorine.

Armez-vous de courage ; il est d’autres malheurs…
Ils vous sont personnels.

Hortence.

Ils vous sont personnels.Serois-je condamnée
À passer sous le joug d’un cruel hyménée ?
Ma fortune sans doute aura tenté quelqu’un,
Et l’on m’accorde aux vœux d’un amant importun !

Clorine.

Vous n’avez plus à craindre aucune violence.

Hortence.

S’il est vrai, tu peux rompre un si cruel silence.
Tu pleures ? Les détours deviennent superflus ;
Parle.

Clorine.

Parle.Vous étiez riche, & vous ne l’êtes plus.
Cet Oncle de Monrose…

Hortence.

Cet Oncle de Monrose…Explique ce mystere.

Clorine.

Cet homme qu’on croyait un sûr dépositaire,
Que votre pere avoit chargé de votre bien…

Hortence.

L’auroit-il dissipé ?

Clorine.

L’auroit-il dissipé ?L’on ne retrouve rien ;
Rien du tout, en un mot.

Hortence.

Rien du tout, en un mot.Mais en es-tu bien sûre ?

Clorine.

Hélas ! que trop, Madame ; & je vous en assure.
À l’instant même on vient de lever le scellé.
J’ai tout sçu d’un témoin qui me l’a révélé ;
Et ce témoin, Madame, est un des Commissaires.

Hortence.

Que dit Monrose ?

Clorine.

Que dit Monrose ?Il est avec ces gens d’affaires.
D’un œil presque insensible il voyoit ses malheurs :
Les vôtres l’ont atteint des plus vives douleurs.
On diroit que lui-même il s’en croit responsable.
Dans son accablement il est méconnoissable.

Toute sa fermeté se change en désespoir.
Sans détourner les yeux, il n’a pas pû me voir ;
Il m’a caché des pleurs, que sans doute il dévore :
J’en ai versé moi-même ; … & j’en répands encore.

Hortence.

Ah ! c’est trop m’attendrir, & me désespérer.

Clorine.

En l’apprenant, j’ai cru que j’allois expirer.

Hortence, à part.

Quel bonheur ! j’ai sauvé ce qui m’est nécessaire.

Clorine.

Qu’allez-vous devenir ?

Hortence.

Qu’allez-vous devenir ?Ce sera mon affaire.

Clorine.

J’envisage pour vous quelques soulagemens,
Qui pourront…

Hortence.

Qui pourront…Qui sont-ils ?

Clorine.

Qui pourront… Qui sont-ils ?Ce sont vos diamans.
Vous en avez ; ils sont d’un prix considérable.
Du moins, vous vous ferez un sort moins déplorable.

Hortence.

Le Baron, par hazard, sauroit-il mon état ?

Clorine.

La nouvelle n’a fait encore aucun éclat.
Il peut n’en rien savoir.

Hortence, à part.

Il peut n’en rien savoir.Si cela pouvoit être !

Clorine.

Il n’était point ici quand… Je le vois paroître.

Hortence.

Songe un peu que je pars dans deux heures d’ici.



Scène XII.

HORTENCE, ARAMONT.
Aramont, à part.

Voyons donc si ma lettre aura bien réussi.

Hortence, à part.

Voici l’instant fatal ; tout mon cœur en frissonne.
(à Aramont.)
Monsieur, en arrivant, n’avez-vous vû personne ?

Aramont.

En entrant, on m’a dit que je devois vous voir,
Et je viens m’acquitter de ce premier devoir.

Hortence.

Puis-je compter sur vous ?

Aramont.

Puis-je compter sur vous ?Tout me sera facile.

Hortence.

Je le souhaite.

Aramont.

Je le souhaite.En quoi puis-je vous être utile ?

Hortence.

Avant de m’exposer, il faudroit m’assurer…

Aramont.

Choisissez le serment : je suis prêt à jurer.

Hortence.

Le service est unique ; & je vais vous surprendre.

Aramont.

Voilà précisément comme j’aime à les rendre.

Hortence.

Peut-être pourrez-vous le trouver indiscret.
Il faut bien du courage, & beaucoup de secret.

Aramont.

Je ferai l’impossible. En serez-vous contente ?

Hortence.

Vous vous engagez donc à remplir mon attente ?

Aramont.

Je m’en fais un plaisir, un devoir, une loi.
Je vous engage tout, mon honneur & ma foi.
Que je sois réputé le plus grand des parjures…

Hortence.

Je vais donc vous donner les preuves les plus sûres
De l’état que je fais de votre probité ;
Mon cœur va s’épancher avec sécurité.
Monrose vous est cher ?

Aramont.

Monrose vous est cher ?Beaucoup plus que moi-même.

Hortence.

Je vous crois trop sensible à son malheur extrême,

Pour craindre de vous mettre avec moi de moitié.

Aramont.

Sûrement.

Hortence.

Sûrement.Unissons… l’amour & l’amitié.
Cachez-moi la surprise où ce discours vous jette.
Votre ami va périr. Je sçais ce qu’il projette.
Puisque le sort s’obstine à le persécuter,
Vous ne l’ignorez pas, il va s’exécuter.
S’il vend son Régiment, sa perte est infaillible :
Il met à sa fortune un obstacle invincible.

Aramont.

Il est vrai ; son dessein est de quitter la Cour :
Son malheur l’y contraint ; ce sera sans retour.
Que ne puis-je empêcher ce cruel sacrifice ?
Ma fortune, mes biens, seroient à son service ;
Je saurois employer des moyens détournés :
Mais malheureusement mes pouvoirs sont bornés.

Hortence.

Oserois-je vous prendre à vos propres paroles ?

Aramont.

Je ne fais point ici des avances frivoles ;
Et je voudrois pouvoir me vendre ou m’engager.
Je n’ai qu’un revenu modique & viager ;
C’est à quoi me réduit la fortune cruelle.
Pour la premiere fois je murmure contre elle.
Les malheurs d’un ami me font sentir les miens.

Hortence.

Si quelqu’un par hazard vous offroit des moyens…

Aramont.

Je les saisirois tous : mais, hélas ! qui sera-ce ?

Hortence.

Moi-même.

Aramont.

Moi-même.Vous, Madame ?… Ah ! ah ! ceci me passe.

Hortence.

Ne pourrois-je être aussi généreuse que vous ?
Avez-vous des vertus qui ne soient pas pour nous ?

Aramont.

Je sçais qu’il n’en est point qui ne vous soit commune.
Mais avec tout cela, Madame, il en est une
Que l’on n’a point laissée à votre liberté :
C’est malheureusement la générosité.
Quoique vous jouissiez d’un bien considérable,
Vous ne pouvez en rien nous être secourable.

Hortence.

Enfin, si par hazard je le pouvois ?… Hé ! bien ?

Aramont.

Un si, rend tout possible, & ne conduit à rien.

Hortence.

Peut-être.

Aramont.

Peut-être.Eh non. Les lois, votre sexe, votre âge,
Vous mettent hors d’état…

Hortence.

Vous mettent hors d’état…Je sçais notre esclavage.
Si vous voulez pourtant ne vous pas opposer…
J’ai quelque superflu dont je puis disposer.

Aramont.

Comment ?

Hortence.

Comment ?C’est peu de chose ; & toutefois j’espere
Que ce secours pourroit, du moins…

Aramont.

Que ce secours pourroit, du moins…Quelle chimere !



Scène XIII.

HORTENCE, ARAMONT, CLORINE.
Clorine, toute effrayée.

Ah ! Madame… Monsieur, excusez, s’il vous plaît.
Je suis toute saisie…

Hortence.

Je suis toute saisie…Eh ! bien, qu’est-ce que c’est ?

Clorine.

Tout est perdu.

Hortence.

Tout est perdu.Quoi donc ?

Clorine.

Tout est perdu.Quoi donc ?Ce sont vos pierreries…

Hortence.

Clorine, parle bas.

Clorine, à voix entrecoupée.

Clorine, parle bas.Qui sont évanouies :
Je viens de les chercher ; mais inutilement :
Et vous êtes volée… indubitablement.

Hortence, froidement.

Que veux-tu que j’y fasse ?

Clorine.

Que veux-tu que j’y fasse ?Eh, comment donc, Madame,
Ne sçavez-vous pas bien que cela se reclame ?

Hortence.

Ce n’en est pas la peine.

Clorine.

Ce n’en est pas la peine.Ah ! vous me confondez.

Hortence.

Taisez-vous.

Clorine, examinant Hortence & Aramont.

Taisez-vous.Je ne sçais comment vous l’entendez ;
Mais je ne comprends rien à cette politique :
J’entrevois du mystere ici.

Hortence.

J’entrevois du mystere ici.Point de réplique.
Sortez ; retirez-vous.

(Clorine sort en regardant Aramont.)



Scène XIV.

HORTENCE, ARAMONT.
Aramont.

Sortez ; retirez-vous.Me serois-je mépris ?
Ce sont vos diamans qui vous ont été pris ?

Permettez ; je m’en vais chez tous les lapidaires,
Leur donner, sur ce vol, les avis nécessaires :
Il faut entre leurs mains arrêter ces bijoux.

Hortence.

Épargnez-vous ce soin, Monsieur, ils sont chez vous.

Aramont.

Chez moi ?

Hortence.

Chez moi ?Je les ai fait porter, sans vous l’apprendre.
Je craignois vos refus, & j’ai dû vous surprendre.

Aramont.

Vous me l’aviez bien dit.

Hortence.

Vous me l’aviez bien dit.Enfin j’ai vos sermens :
Songez à satisfaire à vos engagemens.
Le salut de Monrose est en votre puissance.

Aramont.

Ah ! c’est trop exiger de mon obéissance.

Hortence.

Son sort est dans vos mains, & vous m’en répondez.
Vous nous sauvez tous trois, si vous me secondez.

Aramont.

Oh ! parbleu, serviteur.

Hortence.

Oh ! parbleu, serviteur.Quelle froideur funeste ?
Cette foible ressource est tout ce qui nous reste.

Aramont.

Cessez de me séduire.

Hortence.

Cessez de me séduire.Eh ! quoi ! vous hésitez ?
Puis-je mieux employer des superfluités,
Qui ne seroient pour moi qu’une charge importune ?
N’auroit-il pas joui de toute ma fortune ?

Aramont.

Il l’auroit partagée.

Hortence.

Il l’auroit partagée.Eh ! peut-on me blâmer ?
C’est un infortuné que l’on m’a fait aimer…
C’est l’ami le plus cher que vous ayez au monde :
C’est sur vous à présent que notre espoir se fonde :
Par-là vous détournez son plus pressant malheur ;
Et bientôt il devra le reste à sa valeur.

Aramont.

Ce seroit le moyen de lui sauver la vie.

Hortence.

Hé bien, sauvez-le donc.

Aramont.

Hé bien, sauvez-le donc.J’en aurois bien envie ;
Mais si, par un malheur que je ne puis prévoir,
Monrose quelque jour venoit à le sçavoir ;
Comptez qu’il en auroit une douleur amere,
Et qu’il m’accableroit de toute sa colere.
Je le connois, Madame ; il seroit furieux.

Hortence.

Mais il seroit sauvé. Lequel aimez-vous mieux ?
Son courroux est-il plus à craindre que sa perte ?
Comment en feroit-il la moindre découverte ?

Il ne peut le sçavoir que de vous ou de moi.
Ainsi bannissez donc un ridicule effroi.
Comptez sur mon secret ; je compte sur le vôtre.

Aramont.

Ô sexe toujours sûr de triompher du nôtre !
L’action est si belle…

Hortence.

L’action est si belle…Ah ! j’éprouve en ce jour,
Que l’amitié n’est pas moins tendre que l’amour.
Allez ; que votre zele ait une heureuse suite.
De tous ces créanciers empêchez la poursuite.
Ce n’est pas tout.

Aramont.

Ce n’est pas tout.Encore ?

Hortence.

Ce n’est pas tout.Encore ?Oui ; j’exige de vous
Un service moins grand ; mais peut-être plus doux.
Rendez-lui ce billet, qui s’adresse à lui-même :
Il peut-être pour lui d’une importance extrême.



Scène XV.

MONROSE, HORTENCE, ARAMONT.
Monrose, à Aramont.

Je te cherche… Que vois-je(Voyant Hortence.)
Je te cherche… Que vois-je ? Hortence ? Ah ! si je puis,
Cachons-lui sa ruine, & l’état où je suis.

Hortence, à Monrose.

J’ai pris à vos malheurs la part qu’on y doit prendre.

Monrose, embarrassé.

Vous les adoucissez, en daignant me l’apprendre.
Continuez un soin qui m’est si précieux.
Madame, je comptois ne m’offrir à vos yeux,
Qu’après avoir donné quelque ordre à vos affaires.
Je m’occupois des soins qui vous sont nécessaires.

Hortence.

Monsieur, occupez-vous d’un objet plus pressant.
Ne nous direz-vous rien de plus intéressant ?

Monrose.

Je me trouve garant de votre destinée,
Et je compte qu’avant la fin de la journée…

Hortence.

N’avez-vous plus d’espoir du côté de la Cour ?
La fortune cruelle est-elle sans retour ?

Monrose.

Ce seroit me flatter contre toute apparence.
J’ai reçu mon arrêt avec indifférence.
Le sort peut à présent multiplier ses coups :
Les maux dont on me plaint sont les moindres de tous.

Hortence.

Mais d’un si grand malheur quelle sera la suite ?

Monrose.

Si de mon avenir vous daignez être instruite,
J’irai traîner ailleurs le reste de mes jours :
Du moins aucun remords n’en troublera le cours.

Un tendre souvenir me tiendra lieu du reste.

Hortence.

On voudroit détourner cet avenir funeste…
Monsieur, vous n’êtes pas si fort abandonné…
À des vœux impuissans l’on ne s’est pas borné…
Si le sort vous poursuit… (à part.)
Si le sort vous poursuit… Ô Ciel ! que vais-je faire ?
(à Monrose.)
Vous verrez que l’amour ne vous est pas contraire.
(lui donnant la lettre.)(à part.)
Tenez… Ma fermeté commence à succomber.
(à Monrose.) (à part.)
Lisez… À ses regards il faut me dérober.



Scène XVI.

MONROSE, ARAMONT.
Monrose, le billet à la main.

Hortence se déclare.

Aramont.

Hortence se déclare.On se lasse de feindre ;
On vous aime.

Monrose.

On vous aime.Voilà ce que j’avois à craindre.

Aramont.

À craindre ? Votre cœur n’en est-il plus charmé ?

Monrose, avec vivacité.

Ne me parle jamais d’aimer, ni d’être aimé.

Aramont.

Bon !

Monrose.

Bon !Il ne manquait plus à cette infortunée
Qu’un malheureux amour. Ah ! quelle destinée !

(Il lit bas.)
Aramont, à part.

Quel changement est-il arrivé dans son cœur ?

Monrose.

Si je veux renoncer à tout autre vainqueur,
Elle offre… Ah ! je succombe à son malheur extrême.
Vois comme elle m’écrit.

(Il donne le billet à Aramont.)
Aramont, étonné, & reconnoissant la lettre qu’il a écrite.

Vois comme elle m’écrit.Eh ! morbleu, c’est le même !

Monrose.

Ce billet-là t’étonne ?

Aramont, confus.

Ce billet-là t’étonne ?Il n’auroit jamais dû
Tomber entre vos mains ; & j’en suis confondu.

Monrose.

Eh ! quand elle pourroit régler son hyménée,
Que feroit-elle, hélas ! puisqu’elle est ruinée ?

Aramont.

Elle est ruinée !

Monrose.

Elle est ruinée !Oui.

Aramont.

Elle est ruinée !Oui.Je suis désespéré.
Tout de bon ?

Monrose.

Tout de bon ?C’est un fait.

Aramont.

Tout de bon ? C’est un fait.J’ai fort bien opéré.

Monrose.

Je vois que tu la plains !

Aramont.

Je vois que tu la plains !Point du tout, je me loue.
(à part.)
Ah ! s’il sçavoit le reste !

Monrose.

Ah ! s’il sçavoit le reste !Il faut que je l’avoue,
Je ne reconnois guère Hortence à cet éclat.

Aramont.

Pourquoi ne m’avoir pas instruit de son état ?

Monrose.

Cher ami, le sçavois-je ? On vient de me confondre.

Aramont.

Et moi, de même.

Monrose.

Et moi, de même.Il faut cependant lui répondre.

Aramont, en déchirant le billet.

En voici la réponse. Il n’y faut plus penser.

Monrose.

Je n’imagine pas pouvoir m’en dispenser.
Faut-il que je l’abuse, ou que je la méprise ?
Je ne puis.

Aramont, à part.

Je ne puis.Il faut donc avouer ma sotise.

(à Monrose.)
Si ce billet vous cause un si grand embarras,
On peut vous en tirer.

Monrose.

On peut vous en tirer.Que tu m’obligeras !

Aramont, à part.

Se déclarer un sot, est un grand sacrifice.

Monrose.

Ne me refuse pas un aussi bon office.

Aramont.

Vous vous tourmentez fort, vous vous creusez l’esprit
Pour faire une réponse à ce maudit écrit ;
Il n’en faut point.

Monrose.

Il n’en faut point.Pourquoi ?

Aramont.

Il n’en faut point.Pourquoi ?Non, vous dis-je ; & pour cause.
Il n’est point d’elle.

Monrose.

Il n’est point d’elle.Il n’est ?…

Aramont.

Il n’est point d’elle.Il n’est ?…Oui ; j’en sçais quelque chose.

Monrose.

Il n’est point d’elle ?… Eh ! mais elle me l’a donné.
N’en es-tu pas témoin ?

Aramont.

N’en es-tu pas témoin ?J’en suis fort étonné.
Les femmes vont toujours plus loin que l’on ne pense,
Et que l’on ne voudroit. J’ai fait une imprudence…

Monrose.

Est-il d’une autre ?

Aramont.

Est-il d’une autre ?Non.

Monrose.

Est-il d’une autre ?Non.De grace, explique-toi.

Aramont.

Tempêtez, fulminez ; que diable ! il est de moi.

Monrose.

De toi ?

Aramont.

De toi !Vous l’avez dit.

Monrose.

De toi !Vous l’avez dit.Quelle est ta phrénésie ?

Aramont.

Je voulois lui donner un peu de jalousie,
Pour tirer son secret. C’est un petit secours
Que j’avois employé pour aider vos amours.

Monrose.

Quelle fureur as-tu de signaler ton zele ?
Que sçais-tu si je veux qu’on me serve auprès d’elle ?
T’ai-je employé pour être éclairci de mon sort ?

Aramont.

Eh ! n’est-on pas assez puni quand on a tort ?

Monrose.

Ce seroit à présent, contre toute apparence,
Que je pourrois douter de son indifférence.
Hortence vient de faire éclater son mépris.

Aramont.

Oui !

Monrose.

Oui.Si du moindre amour son cœur était épris,
Elle auroit supprimé cette lettre fatale,
Que, sans doute, elle a dû croire d’une rivale.

Aramont.

Une amante ordinaire eût commencé par-là.

Monrose.

C’est un malheur de moins. Mais laissons tout cela,
Et songeons à l’état de cette infortunée,
Que, je ne sçais comment, mon oncle a ruinée.
Je tenois tout de lui ; je n’avois presque rien…

Aramont.

Il est vrai.

Monrose.

Il est vrai.Jusqu’ici j’ai vécu sur son bien ;
J’ai, jusques à sa mort, surchargé sa dépense :
Ainsi j’ai partagé les dépouilles d’Hortence.
Il me seroit affreux de vivre à ses dépens.
Autant que je pourrai, je dois, & je prétends
Réparer, en secret, des pertes aussi grandes.
Il me reste une Terre ; il faut que tu la vendes.

Aramont.

Eh ! ne vous chargez point de semblables remords.
S’il falloit réparer les sotises des morts,
Ma foi, leurs héritiers n’y pourroient pas suffire,
Ce n’est pas votre faute : on n’a rien à vous dire.

Monrose.

L’honnête homme ne doit s’en rapporter qu’à lui :
Il se juge lui-même, & jamais par autrui :

Sitôt qu’il se condamne, on ne sçauroit l’absoudre.
En un mot, je le veux.

Aramont.

En un mot, je le veux.Mais…

Monrose.

En un mot, je le veux.Mais…Il faut t’y résoudre.
Tiens ; voilà…

Aramont.

Tiens ; voilà…Qu’est-ceci ?

Monrose.

Tiens ; voilà…Qu’est-ceci ?Ma procuration.

Aramont.

Doucement, s’il vous plaît.

Monrose.

Doucement, s’il vous plaît.Point d’obstination.
L’affaire presse. Avant que sa ruine éclate,
Va, cours, vends à tout prix.

Aramont.

Va, cours, vends à tout prix.Ma foi, non.

Monrose.

Va, cours, vends à tout prix.Ma foi, non.Je m’en flatte.

Aramont.

À tort.

Monrose.

À tort.Épargne-toi d’inutiles refus.

Aramont.

Mais, vous dis-je…

Monrose.

Mais, vous dis-je…Je fuis ; je ne t’écoute plus.



Scène XVII.

ARAMONT, seul.

Monrose, écoutez donc… Il est bien loin… Que faire ?
C’est à vous, mon esprit, à me tirer d’affaire.
Vous avez à combattre, en ce moment fâcheux,
La probité, l’amour, & le diable avec eux.