L’École des biches/Épilogue

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J. P. Blanche (p. 269-271).

ÉPILOGUE


Les événements ont justifié la manière de voir et d’agir de Caroline. La passion du comte a été satisfaite par la possession de Marie ; une froideur bien calculée de la part de la jeune fille, froideur qui est plutôt de la retenue que de l’indifférence, en a empêché le développement.

Elle est donc, dans les moments d’apathie et d’ennui du comte, plutôt une ressource qu’un danger pour Caroline, d’autant plus qu’elle suit aveuglément les conseils de son amie.

Le comte, qui par ces arrangements, sans être trop excité, est tenu continuellement en haleine, s’en montre très-satisfait ; il n’en apprécie que mieux les qualités sérieuses de sa maîtresse, et se trouve avec raison, entre les deux jeunes femmes, un des heureux de ce monde.

Marie a quitté ses parents pour aller habiter maritalement avec son artiste, mais la prudente Caroline ne lui a pas laissé prendre une résolution si radicale sans préalablement lui avoir fait assurer par le comte une honnête indépendance.

Adrien, par la protection du comte, est devenu un artiste à la mode, et jouit déjà d’une assez jolie fortune. Sa maison, grâce à l’ordre et au goût de Marie, est, par son comfort et son élégance d’une tenue parfaite. Nos deux ménages se visitent réciproquement, et malgré des intérêts divers, leur bonne nature les retient toujours dans une heureuse intimité. Il n’est pas jusqu’à la soubrette Antonia qui ne se ressente de ce bonheur commun. Remplacée dans son service par une étrangère qu’on tient dans une position subalterne, elle a l’intendance de la maison de Caroline, et elle s’acquitte avec tant d’intelligence et de désintéressement de ces nouvelles fonctions, que, pour reconnaître un dévouement qui ne s’est jamais démenti, la maîtresse a fait de sa soubrette presque une amie, et l’a admise à sa table, comme elle l’a déjà admise dans son lit.

Louisa continue à vivre au mieux avec ses deux amants ; elle est parvenue à établir entre eux une telle intimité, qu’ils se font des confidences sur les découvertes qu’ils ont pu faire sur ce qu’elle désire, et que c’est à qui des deux réalisera le plus promptement ce qu’ils supposent devoir lui être agréable. Elle n’a pu cependant encore mener à bonne fin son lubrique projet. En attendant, elle s’en dédommage dans les visites que lui fait à l’insu de sa cousine son amie la toujours séduisante Marie, qui pense qu’un peu de distraction de temps en temps fait trouver meilleures les affections sérieuses.

Ce qui prouve, cher lecteur, qu’un peu de raison dans la pratique de la vie, même la plus légère, est un sûr moyen d’éviter bien des dangers, et le chemin le plus court de la fortune pour les femmes et du bonheur pour tous.

Paris, 1er décembre 1863.

FIN.