L’École des biches/Quinzième entretien

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J. P. Blanche (p. 223-243).

QUINZIÈME ENTRETIEN.

louisa, marie, martin, un garçon.

(Un coupé s’arrête à la porte dérobée du café Anglais. Louisa et Marie en descendent lestement, et montent aussitôt l’escalier des cabinets particuliers.)

louisa (à un garçon qui se présente).

Monsieur Martin ?

le garçon.

Voilà ! no 5 : trois couverts, dîner pour six heures ; personne n’est encore arrivé. Entrez, mesdames. Ces dames n’ont besoin de rien ?

louisa.

Non ; si nous avons besoin de quelque chose, nous sonnerons.

marie (apercevant deux bouquets).

Sais-tu que ton monsieur fait bien les choses ? Des bouquets ! Quelle galanterie !

louisa.

Oui, il a du bon.

(Ces demoiselles s’étant débarrassées de leurs manteaux et de leurs chapeaux, s’approchent du feu en se serrant les mains et en s’embrassant.)

marie.

Que je suis contente de te revoir !

louisa.

Et moi donc ! Quel heureux hasard t’a fait venir à l’atelier le même jour que moi ! Car maintenant tu ne vas pas souvent voir madame.

marie.

Quelquefois : il ne faut pas être ingrate.

louisa.

Que tu es gentille d’avoir accepté mon invitation ! Au reste, c’est Martin qui en a eu l’idée. Quand je lui ai parlé de notre rencontre, que je lui ai dit combien j’étais joyeuse de t’avoir retrouvée, toi, ma meilleure amie de l’atelier, il a voulu te connaître, et n’a pas eu de cesse que je n’eusse ton acceptation. Je vais donc te le présenter. Il est bon enfant, va !

marie.

Mais comment Charles prend-il la chose ?

louisa.

Il fait l’aveugle. Dame ! je ne pouvais pas cependant vivre d’amour et d’eau claire !

marie.

Comment as-tu connu M. Martin ?

louisa.

J’avais depuis longtemps envie d’aller au bal de l’Opéra ; je fis tant que Charles consentit à m’y conduire en compagnie de la grande Mariette, qui, connaissant parfaitement les us et coutumes de l’endroit, se chargeait d’être mon introductrice et de faire que je ne m’y ennuyasse pas.

marie.

Sa confiance était bien placée !

louisa.

Tu vas voir : À peine arrivés, Mariette me fit quitter le bras de Charles, sous prétexte qu’il nous ferait reconnaître, et m’entraîna dans la foule. C’est alors qu’elle rencontra M. Martin, qu’elle attaqua, mais qui la reconnut de suite à sa grande taille. Comme je m’étais mêlée à leur entretien sans contrefaire ma voix, M. Martin, frappé de mon organe et de ma prononciation, dit : « Si, comme je n’en doute pas, le plumage ressemble au ramage, voilà une petite femme qui ferait une excellente actrice ! — Je ne demanderais pas mieux, répondis-je ; mais je ne connais personne de théâtre pour me lancer. — Qu’à cela ne tienne ! et si vous parlez sérieusement, je m’offre pour vous servir de guide. Venez dans ma loge ; nous causerons mieux que dans ce corridor, où l’on est heurté par tout le monde. » Cette proposition très-bien accueillie, nous voilà bientôt dans sa loge, démasquées et désencapuchonnées. « Je vois que je ne me suis pas trompé : des yeux superbes et un physique aussi distingué que la voix. Si avec cela nous avons de la bonne volonté, je réponds du succès » Là-dessus, me prenant les mains, qu’il baisait, il me demanda de nouveau si je désirais sérieusement entrer au théâtre. Sur ma réponse affirmative, il me demanda mon nom et mon adresse. Je lui dis que je demeurais chez ma tante et que je dépendais d’elle ; que je pensais qu’elle ne s’opposerait pas à ce projet ; qu’elle en serait plutôt contente, surtout quand on lui parlerait de la certitude de ma réussite. Il me promit donc de venir voir ma tante le lundi suivant, et de prendre avec elle des arrangements.

Cette fois, avant de remettre mon masque, je lui permis un baiser sur le front, puis, nous étant rajustées, nous lui serrâmes la main en lui disant adieu, et retournâmes rejoindre Charles, qui était inquiet de ne pas nous voir.

marie.

Soyez donc complaisant ! Menez donc vos maîtresses au bal !

louisa.

Pouvais-je refuser de telles offres ! Tiens, ce n’est pas amusant d’être toute la journée assise dans un atelier !

marie.

Et comment ça s’est-il arrangé chez ta tante ?

louisa.

Au mieux. Martin est venu ; il a offert à ma tante d’être mon professeur, de me faire entrer au Conservatoire, et de faire tous les frais nécessaires jusqu’à mes débuts. Juge si ma tante a accepté ; d’autant qu’il a dit qu’il ne demandait rien qu’un peu de reconnaissance.

marie.

Nous savons ce que c’est que cette reconnaissance.

louisa.

Ce n’est pas difficile à deviner. Quand la confiance fut un peu établie, je devins sa maîtresse et je n’en suis pas fâchée.

marie.

Tu l’aimes donc ?

louisa.

Mais oui !

marie.

Et Charles ?

louisa.

Et Charles aussi, mais ce n’est pas de la même façon. Je t’assure qu’avoir deux amants bons garçons, ça n’est pas désagréable ; il y a même souvent de l’agrément. Je voudrais les rendre assez amis pour coucher entre eux deux !

marie.

C’est cela, pour que chaque trou ait sa cheville !

louisa.

Que veux-tu dire par là ?

marie.

Que ton devant et ton derrière seraient occupés et fêtés en même temps.

louisa.

Est-ce que c’est possible ?

marie.

On dit que ça se fait, et avec grande jouissance encore !

louisa.

Ah ! Tu en sais quelque chose ?

marie (rougissant).

Non… mais on me l’a dit.

louisa.

Tu n’es pas franche, tu en sais plus long que tu ne veux dire. Voyons, sois bonne fille ; ne me cache rien ; contente ma curiosité.

marie.

Plus tard ; mais tu seras discrète même avec tes amants ?

louisa.

Foi de bonne camarade ! Mais pourquoi ne le veux-tu pas de suite ?

marie.

Ne m’en demande pas davantage. Maintenant, apprends-moi donc dans quel emploi on veut te faire débuter ?

louisa.

Dans les jeunes amoureuses comiques et les travestis ; je dois dans quelques jours m’essayer à la scène lyrique dans Babinet, de l’amour, qué qu’c’est qu’ça ? C’est un fort joli rôle de petit garçon. Mais, pour paraître la première fois en culotte, je n’oserai jamais. Martin, pour m’y habituer, m’a fait faire un habit d’homme ; je dois même l’essayer ce soir. Suis-je assez bien faite ? je ne le sais pas. Toi, la maîtresse d’un peintre, tu dois t’y connaître. Tiens, je n’ai mis ni pantalon ni corset, dans la prévision de l’essai du costume : tu vas me dire en conscience ce que tu penses ?

(Sans attendre la réponse de Marie, chemise, jupons et robe sont retroussés jusqu’au nombril.)

marie (que la vue de ce corps charmant
anime, dévore tout des yeux, mais
ne se permet aucun attouchement).
louisa.

Eh bien ! qu’en dis-tu ?

marie.

Ne te tiens donc pas les jambes raides ; pose-toi naturellement. Les attaches de tes pieds sont fines et leur donne une grâce infinie ; ton mollet est d’une bonne grosseur et bien placé ; le genou petit et la cuisse ronde ; pas de ventre et des hanches pas trop fortes, que veux-tu de plus ? Tourne un peu ; voyons le derrière ! Quelle chute de reins ! quel joli cul ! Qu’il est bien fait ! comme il est blanc !

louisa.

Et ferme ! Tâte, ma chère. On dirait que tu n’oses y toucher. Pelotte, pelotte donc ! Ferme ! ferme !

(Marie, qui mourrait d’envie d’en venir là, ne résiste plus à cet encouragement. Elle ne se contente pas de caresser le cul de Louisa, elle le baise ; puis, coulant une de ses mains entre les cuisses, elle gagne en dessous les lèvres du con de son amie, et, y ayant introduit son doigt, elle sent son clitoris tout gonflé.)

marie.

Tu bandes, petite coquine !

louisa.

Oh ! oui, branle, branle fort ; ne crains rien ; donne-moi ta bouche, darde-moi ta langue. Tiens, à présent, voilà ma gorge ; suces-en les bouts ! Ah ! que j’ai de plaisir ! Ah ! Marie, que tu fais bien jouir ! Assez ! assez !…

(Marie arrête le jeu de son doigt sur le clitoris, mais n’en continue pas moins ses baisers de feu et ses attouchements sur les autres parties du corps.)

louisa (un peu calmée).

Ah ! que c’est bon !

marie (à louisa, qui relève sa robe).

Que cherches-tu ? que veux-tu faire ?

louisa.

Je voudrais voir à mon tour ton petit chat, que j’ai à peine touché, enfermé qu’il est dans ton pantalon.

marie.

Attends, je vais retrousser mes jupes, et les maintenir le plus haut possible ; ensuite, me coucher sur ce canapé ; tu pourras facilement, par la fente de mon pantalon, contenter ton envie.

louisa.

Est-il joli ! Comme les poils sont soyeux ! comme les lèvres sont vermeilles et fraîches ! Et cette langue qui s’en échappe, qui se durcit à mon toucher, tout cela appelle le baiser ! Tiens… tiens… je le mangerais !

marie.

Oh ! dépêche-toi, Louisa ; le temps passe, et j’ai peur que nous ne soyons surprises.

louisa.

Eh ! bon Dieu ! c’est vrai ; nous avons oublié de pousser le verrou ! Vite, rajustons-nous avant que Martin n’arrive.

(Nos deux femmes s’entr’aident réciproquement. À peine le désordre de leur toilette réparé, que paraît M. Martin.)

martin.

Enfin, me voici, mesdames, je me suis fait un peu attendre ; vous serez assez indulgentes pour m’excuser : un fâcheux m’a retenu.

louisa (l’embrassant).

Tu es tout excusé. (Se tournant vers Marie.) M. Martin… un véritable ami, et aussi un peu mon amant. (À Martin, désignant Marie.) Mademoiselle Marie… ma bonne camarade de l’atelier, aujourd’hui dans les arts.

marie.

C’est-à-dire maîtresse d’un artiste. Tu ferais croire à monsieur que moi aussi je me destine au théâtre.

martin.

Vous ne feriez peut-être pas si mal. Jolie comme je vous vois, que de chances de réussite !

marie.

Il faut avoir, outre la beauté, le diable au corps… et je ne l’ai pas.

martin.

Ne pourrait-on vous le mettre ?

louisa.

Martin !… déjà ?… Ne lui réponds pas, Marie.

martin.

Voici, mesdames, votre menu : des ostendes, une bisque, une barbue sauce crevettes, perdraux et bécasses truffées, écrevisses à la bordelaise et une friandise, champagne frappé ou Bordeaux.

marie.

Peste ! quel dîner incendiaire !

martin.

Ne suis-je pas là pour éteindre les feux ?

louisa.

Martin !… encore !…

martin.

Voici le dîner servi ; mettons-nous à table.

louisa.

Je prends Marie à côté de moi.

martin.

Comme tu voudras ; alors, je me mets en face de vous : ce sera le supplice de Tantale, que je ferai bien cesser à ma volonté, à preuve que je vais vous embrasser toutes deux. (Il exécute.)

louisa.

Vilain homme ! Reste donc tranquille ! Quel plaisir as-tu à toujours embrasser ?

martin.

N’est-ce rien que de contenter deux sens, la vue et le toucher, et avec deux jolies femmes encore !

louisa.

Avec moi, bien… mais avec Marie… tu n’en as pas le droit !

martin.

Mademoiselle Marie a des yeux qui annoncent la bonté ; et quand on est bon, on est heuheux du bonheur que l’on a procuré aux autres.

louisa.

Joli bonheur !

martin.

Qu’avez-vous fait en m’attendant ?

(Louisa et Marie se serrent la main en signe d’intelligence.)

louisa.

Nous avons parlé de vous.

martin.

En avez-vous dit beaucoup de mal ?

louisa.

Assez !…

marie.

Laisse-moi dire… Louisa m’a avoué qu’elle vous avait pris sans amour, qu’elle voulait faire son chemin, qu’elle avait besoin d’un protecteur, d’un pilote expérimenté qui pût écarter les dangers du voyage et la mener à bon port, qu’elle avait cru rencontrer en vous les qualités qu’elle cherchait ; et comme vous ne demandiez rien en récompense des services offerts ; elle vous avait accepté, l’avenir réservé. Par la suite, elle a reconnu en vous des qualités rares, au moral comme au physique. Elle a éprouvé pour vous d’abord de la reconnaissance, puis ensuite de l’amitié, et enfin de l’amour. Elle prétend que vous l’aimez pour elle-même, que vous faites tout pour lui procurer un plaisir ou lui éviter un chagrin, et que vous poussez cela si loin que, sachant qu’avant vous elle avait un amant qu’elle aimait, et que c’était un brave garçon, loin de chercher à l’en détourner, vous l’aviez engagée à redoubler de soins, de manière à ce que sa délicatesse ne fût pas mise à une trop rude épreuve.

martin.

J’ai fait ce que m’indiquait le simple bon sens. Nous ne sommes pas les maîtres de faire changer nos sentiments, et pourquoi vouloir posséder seul le cœur d’une femme ? Sommes-nous jaloux si un ami a un ou plusieurs amis ? Pourquoi n’en serait-il pas de même des femmes ? N’ont-elles pas en elles de quoi contenter plusieurs amants ? Vouloir tout l’amour d’une femme, n’est que de l’égoïsme et de l’orgueil. Je soutiens que la fidélité du corps est contre nature. La constance dans les sentiments du cœur me suffit, et c’est la seule que je réclame dans une femme.

louisa (un peu échauffée par le champagne).

Tiens, mon chéri, viens m’embrasser ; tu parles comme un ange. Pour ta peine, je te permets d’embrasser aussi Marie.

(Martin s’empresse de profiter de la permission de Louisa ; il se lève, et lui donne un véritable baiser d’amant, c’est-à-dire langue en bouche ; il traite de même, Marie sans qu’elle ait eu le temps de s’en défendre.)

louisa.

Voilà, vilain libertin, comme vous abusez des bontés qu’on a pour vous !

martin.

Mademoiselle Marie est indulgente ; elle voudra bien me pardonner ce larcin, qui m’a fait tant de plaisir !

louisa.

Cela se voit assez sur ton pantalon !

martin.

C’est l’effet de ton baiser qui me met dans cet état.

louisa.

Menteur !

martin.

Viens faire ta paix avec lui. Donne-moi cette main.

(Louisa se laisse prendre la main et la porter à l’endroit accusateur ; mais au moment où Martin veut en même temps, pour réparer sa faute, lui donner un nouveau baiser, Louisa, par un brusque mouvement de tête, l’évite, et va sur la bouche de son amie aspirer une jouissance désirée et partagée.)

martin.

Je crois que je ferai bien de mettre le prisonnier en liberté.

(Commençant à défaire les boutons de son pantalon.)

louisa.

Qu’allez-vous faire, Martin !… Si le garçon entrait, on nous prendrait pour des filles. Nous pourrions passer ces folies chez toi ; mais ici, dans une maison publique !… Ah ! je ne reconnais ni ta prudence ni ta raison.

martin.

Eh bien ! allons chez moi. Nous y essaierons ton costume d’homme. Mais que chuchotiez-vous donc ainsi à l’oreille ?

louisa.

Elle me dit que si tu étais bien gentil, tu nous conduirais chez toi ; tandis que nous essaierions le costume ; tu irais faire un tour à ton club ; que tu reviendrais au bout d’une heure, et qu’alors tu me trouverais tout habillée. Consens, et tu n’auras pas à t’en repentir, je te le promets.

marie.

Vous le voulez bien, n’est-ce pas ?

martin.

Puisque vous le voulez toutes les deux, il le faut bien, mais vous conviendrez qu’il est un peu dur de me forcer à quitter ainsi deux jolies femmes.

louisa.

Mais puisqu’on ne te demande qu’une heure… à peine le temps d’essayer le costume.

martin.

Le costume !… le costume !… Alors préparez-vous ; je vais régler la carte. (Il sort.)

louisa.

Eh bien !… comment le trouves-tu ?

marie.

Très-aimable !

louisa.

Tu vois, il a de suite consenti à ma demande ; il se doute bien de ce que nous allons faire ; il a jugé que sa présence nous gênerait, et dans la crainte de m’être désagréable, il a tout accordé.

marie.

Il est garçon ?

louisa.

Non, il est marié, et séparé de sa femme ; il n’y a donc pas avec lui le même inconvénient qu’avec Charles.

martin (entrant).

Mesdames, la voiture est avancée ; êtes-vous prêtes ?

louisa et marie.

Nous voici ; partons.