L’École des femmes/Édition Louandre, 1910/Acte III

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L’École des femmes/Édition Louandre, 1910
L’École des femmes, Texte établi par Charles LouandreCharpentierŒuvres complètes, volume I (p. 455-468).
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ACTE III



Scène I

ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
Arnolphe.

Oui, tout a bien été, ma joie est sans pareille :
Vous avez là suivi mes ordres à merveille,
Confondu de tout point le blondin séducteur,
Et voilà de quoi sert un sage directeur.
Votre innocence, Agnès, avait été surprise.
Voyez sans y penser où vous vous étiez mise :
Vous enfiliez tout droit, sans mon instruction,
Le grand chemin d’enfer et de perdition.
De tous ces damoiseaux on sait trop les coutumes.
Ils ont de beaux canons, force rubans, et plumes,
Grands cheveux, belles dents, et des propos fort doux :
Mais comme je vous dis la griffe est là-dessous.
Et ce sont vrais satans, dont la gueule altérée
De l’honneur féminin cherche à faire curée.
Mais, encore une fois, grâce au soin apporté,
Vous en êtes sortie avec honnêteté.
L’air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre,
Qui de tous ses desseins a mis l’espoir par terre,
Me confirme encor mieux à ne point différer
Les noces où je dis qu’il vous faut préparer.
Mais, avant toute chose, il est bon de vous faire
Quelque petit discours qui vous soit salutaire.

(à Georgette et à Alain.)

Un siége au frais ici. Vous, si jamais en rien…

Georgette.

De toutes vos leçons nous nous souviendrons bien.
Cet autre monsieur-là nous en faisait accroire ;
Mais…

Alain.


    S’il entre jamais, je veux jamais ne boire.
Aussi bien est-ce un sot ; il nous a l’autre fois
Donné deux écus d’or qui n’étoient pas de poids.

Arnolphe.


Ayez donc pour souper tout ce que je desire ;
Et pour notre contrat, comme je viens de dire,
Faites venir ici, l’un ou l’autre, au retour,
Le notaire qui loge au coin de ce carfour.


Scène 2



Arnolphe, Agnès


Arnolphe, assis.


Agnès, pour m’écouter, laissez là votre ouvrage.
Levez un peu la tête et tournez le visage :
(Mettant le doigt sur son front.)
Là, regardez-moi là durant cet entretien ;
Et, jusqu’au moindre mot, imprimez-le-vous bien.
Je vous épouse, Agnès ; et, cent fois la journée,
Vous devez bénir l’heur de votre destinée,
Contempler la bassesse où vous avez été,
Et dans le même temps admirer ma bonté,
Qui, de ce vil état de pauvre villageoise,
Vous fait monter au rang d’honorable bourgeoise,
Et jouir de la couche et des embrassements
D’un homme qui fuyoit tous ces engagements,
Et dont à vingt partis, fort capables de plaire,
Le cœur a refusé l’honneur qu’il vous veut faire.
Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux
Le peu que vous étiez sans ce nœud glorieux,
Afin que cet objet d’autant mieux vous instruise
À mériter l’état où je vous aurai mise,
À toujours vous connoître, et faire qu’à jamais
Je puisse me louer de l’acte que je fais.
Le mariage, Agnès, n’est pas un badinage :
À d’austères devoirs le rang de femme engage[1] ;

Et vous n’y montez pas, à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité :
L’une est moitié suprême et l’autre subalterne ;
L’une en tout est soumise à l’autre qui gouverne ;
Et ce que le soldat, dans son devoir instruit,
Montre d’obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
À son supérieur le moindre petit Frère,
N’approche point encor de la docilité,
Et de l’obéissance, et de l’humilité,
Et du profond respect où la femme doit être

Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître.
Lorsqu’il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de baisser les yeux,
Et de n’oser jamais le regarder en face
Que quand d’un doux regard il lui veut faire grâce.
C’est ce qu’entendent mal les femmes d’aujourd’hui ;
Mais ne vous gâtez pas sur l’exemple d’autrui.
Gardez-vous d’imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
Et de vous laisser prendre aux assauts du malin,
C’est-à-dire d’ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu’en vous faisant moitié de ma personne,
C’est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne ;
Que cet honneur est tendre et se blesse de peu ;
Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu ;

Et qu’il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes.
Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons ;
Et vous devez du cœur dévorer ces leçons.
Si votre âme les suit, et fuit d’être coquette,
Elle sera toujours, comme un lis, blanche et nette ;
Mais s’il faut qu’à l’honneur elle fasse un faux bond,
Elle deviendra lors noire comme un charbon ;
Vous paraîtrez à tous un objet effroyable,
Et vous irez un jour, vrai partage du diable,

Bouillir dans les enfers à toute éternité :
Dont vous veuille garder la céleste bonté !
Faites la révérence. Ainsi qu’une novice
Par cœur dans le couvent doit savoir son office,
Entrant au mariage il en faut faire autant ;
Et voici dans ma poche un écrit important
(Il se lève.)
Qui vous enseignera l’office de la femme.
J’en ignore l’auteur, mais c’est quelque bonne âme ;

Et je veux que ce soit votre unique entretien.
Tenez. Voyons un peu si vous le lirez bien.

Agnès lit.

LES MAXIMES DU MARIAGE
OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE,
AVEC SON EXERCICE JOURNALIER.
I. MAXIME.
    Celle qu’un lien honnête
    Fait entrer au lit d’autrui,
    Doit

se mettre dans la tête,
    Malgré le train d’aujourd’hui,
Que l’homme qui la prend, ne la prend que pour lui.

Arnolphe.

Je vous expliquerai ce que cela veut dire ;
Mais pour l’heure présente il ne faut rien que lire.

Agnès poursuit.

II. MAXIME.
    Elle ne se doit parer
    Qu’autant que peut désirer
    Le mari qui la possède :
C’est lui que touche seul le soin de sa beauté ;
    Et pour rien doit être compté
    Que les autres la trouvent laide.

III. MAXIME.
    Loin ces études d’œillades,
    Ces eaux, ces blancs, ces pommades,
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris :
À l’honneur tous les jours ce sont drogues mortelles ;
    Et les soins de paraître belles
    Se prennent peu pour les maris.

IV. MAXIME.
Sous sa coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne,
Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups ;
    Car pour bien plaire à son époux,
    Elle ne doit plaire à personne.


V. MAXIME.
Hors ceux dont au mari la visite se rend,
    La bonne règle défend
    De recevoir aucune âme :
    Ceux qui, de galante humeur,
    N’ont affaire qu’à Madame,
    N’accommodent pas Monsieur.

VI. MAXIME.
    Il faut des présents des hommes
    Qu’

elle se défende bien ;
    Car dans le siècle où nous sommes,
    On ne donne rien pour rien.

VII. MAXIME.
Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui,
Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes :
    Le mari doit, dans les bonnes coutumes,
    Écrire tout ce qui s’écrit chez lui.

VIII. MAXIME.
    Ces sociétés déréglées
    Qu’on nomme belles assemblées
Des femmes tous les jours corrompent les esprits :
En bonne politique on les doit interdire ;
    Car c’est là que l’on conspire
    Contre les pauvres maris.

IX. MAXIME.
Toute femme qui veut à l’honneur se vouer
    Doit se défendre de jouer,
    Comme d’une chose funeste :
    Car le jeu, fort décevant,
    Pousse une femme souvent
    À jouer de tout son reste.

X. MAXIME.
    Des promenades du temps,
    Ou repas qu’on donne aux champs,
    Il ne faut point qu’elle essaye :

Selon les prudents cerveaux,
    Le mari, dans ces cadeaux,
    Est toujours celui qui paye.


XI. MAXIME...

Arnolphe.

Vous achèverez seule ; et, pas à pas, tantôt

Je vous expliquerai ces choses comme il faut.
Je me suis souvenu d’une petite affaire :
Je n’ai qu’un mot à dire, et ne tarderai guère.
Rentrez, et conservez ce livre chèrement.
Si le Notaire vient, qu’il m’attende un moment.


Scène 3



Arnolphe
.


Arnolphe.

Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît.
Il s’en est peu fallu que, durant mon absence,
On ne m’ait attrapé par son trop d’innocence ;
Mais il vaut beaucoup mieux, à dire vérité,

Que la femme qu’on a pèche de ce côté.
De ces sortes d’erreurs le remède est facile :
Toute personne simple aux leçons est docile ;
Et si du bon chemin on l’a fait écarter,
Deux mots incontinent l’y peuvent rejeter.
Mais une femme habile est bien une autre bête :
Notre sort ne dépend que de sa seule tête ;
De ce qu’elle s’y met rien ne la fait gauchir,
Et nos enseignements ne font là que blanchir :
Son bel esprit lui sert à railler nos maximes,
À se faire souvent des vertus de ses crimes,
Et trouver, pour venir à ses coupables fins,
Des détours à duper l’adresse des plus fins.
Pour se parer du coup en vain on se fatigue :
Une femme d’esprit est un diable en intrigue ;
Et dès que son caprice a prononcé tout bas
L’arrêt de notre honneur, il faut passer le pas :
Beaucoup d’honnêtes gens en pourraient bien que dire.
Enfin, mon étourdi n’aura pas lieu d’en rire.
Par son trop de caquet il a ce qu’il lui faut.
Voilà de nos François l’ordinaire défaut :
Dans la possession d’une bonne fortune,
Le secret est toujours ce qui les importune ;
Et la vanité sotte a pour eux tant d’appas,
Qu’ils se pendraient plutôt que de ne causer pas.

Oh ! que les femmes sont du diable bien tentées,
Lorsqu’elles vont choisir ces têtes éventées,
Et que… ! Mais le voici… Cachons-nous toujours bien
Et découvrons un peu quel chagrin est le sien.


Scène 4



Horace, Arnolphe


Horace.

Je reviens de chez vous, et le destin me montre
Qu’il n’a pas résolu que je vous y rencontre.
Mais j’irai tant de fois, qu’enfin quelque moment…

Arnolphe.

Hé ! mon Dieu, n’entrons point dans ce vain compliment :
Rien ne me fâche tant que ces cérémonies ;
Et si l’on m’en croyait, elles seraient bannies.
C’est un maudit usage ; et la plupart des gens
Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
Mettons donc sans façons. Hé bien ! vos amourettes ?
Puis-je, seigneur Horace, apprendre où vous en êtes ?
J’étais tantôt distrait par quelque vision ;
Mais depuis là-dessus j’ai fait réflexion :
De vos premiers progrès j’admire la vitesse,
Et dans l’événement mon âme s’intéresse.

Horace.

Ma foi, depuis qu’à vous s’est découvert mon cœur,
Il est à mon amour arrivé du malheur.

Arnolphe.

Oh ! oh ! comment cela ?

Horace.

La fortune cruelle
A ramené des champs le patron de la belle.

Arnolphe.

Quel malheur !

Horace.

Et de plus, à mon très grand regret,

Il a su de nous deux le commerce secret.

Arnolphe.

D’où, diantre, a-t-il sitôt appris cette aventure ?

Horace.

Je ne sais ; mais enfin c’est une chose sûre.
Je pensais aller rendre, à mon heure à peu près,
Ma petite visite à ses jeunes attraits,
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet m’ont bouché le passage,
Et d’un « Retirez-vous, vous nous importunez, »
M’ont assez rudement fermé la porte au nez.

Arnolphe.

La porte au nez !

Horace.

Au nez.

Arnolphe.

La chose est un peu forte.

Horace.

J’ai voulu leur parler au travers de la porte ;
Mais à tous mes propos ce qu’ils ont répondu,
C’est : « Vous n’entrerez point, Monsieur l’a défendu. »

Arnolphe.

Ils n’ont donc point ouvert ?

Horace.

Non. Et de la fenêtre
Agnès m’a confirmé le retour de ce maître,
En me chassant de là d’un ton plein de fierté,
Accompagné d’un grès que sa main a jeté.

Arnolphe.

Comment d’un grès ?

Horace.

D’un grès de taille non petite,
Dont on a par ses mains régalé ma visite.

Arnolphe.

Diantre ! ce ne sont pas des prunes que cela !

Et je trouve fâcheux l’état où vous voilà.

Horace.

Il est vrai, je suis mal par ce retour funeste.

Arnolphe.

Certes, j’en suis fâché pour vous, je vous proteste.

Horace.

Cet homme me rompt tout.

Arnolphe.

Oui. Mais cela n’est rien ;
Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.

Horace.

Il faut bien essayer, par quelque intelligence,

De vaincre du jaloux l’exacte vigilance.

Arnolphe.

Cela vous est facile. Et la fille, après tout,
Vous aime.

Horace.

Assurément.

Arnolphe.

Vous en viendrez à bout.

Horace.

Je l’espère.

Arnolphe.

Le grès vous a mis en déroute ;
Mais cela ne doit pas vous étonner.

Horace.

Sans doute,
Et j’ai compris d’abord que mon homme était là,
Qui, sans se faire voir, conduisait tout cela.
Mais ce qui m’a surpris, et qui va vous surprendre,
C’est un autre incident que vous allez entendre ;
Un trait hardi qu’a fait cette jeune beauté,
Et qu’on n’attendrait point de sa simplicité.
Il le faut avouer, l’amour est un grand maître :
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
Et souvent de nos mœurs l’absolu changement
Devient, par ses leçons, l’ouvrage d’un moment ;
De la nature, en nous, il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l’air des miracles ;
D’un avare à l’instant il fait un libéral,
Un vaillant d’un poltron, un civil d’un brutal ;

Il rend agile à tout l’âme la plus pesante,

Et donne de l’esprit à la plus innocente.
Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès ;
Car, tranchant avec moi par ces termes exprès :
« Retirez-vous : mon âme aux visites renonce ;
Je sais tous vos discours, et voilà ma réponse, »
Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds ;
Et j’admire de voir cette lettre ajustée
Avec le sens des mots et la pierre jetée.
D’une telle action n’êtes-vous pas surpris ?
L’amour sait-il pas l’art d’aiguiser les esprits ?
Et peut-on me nier que ses flammes puissantes
Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes ?
Que dites-vous du tour et de ce mot d’écrit ?
Euh ! n’admirez-vous point cette adresse d’esprit ?
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage ?
Dites.

Arnolphe.

Oui, fort plaisant.

Horace.
(Arnolphe rit d’un ris forcé.)

Riez-en donc un peu.
Cet homme, gendarmé d’abord contre mon feu,
Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade,
Comme si j’y voulois entrer par escalade ;
Qui, pour me repousser, dans son bizarre effroi,

Anime du dedans tous ses gens contre moi,
Et qu’abuse à ses yeux, par sa machine même,
Celle qu’il veut tenir dans l’ignorance extrême !
Pour moi, je vous l’avoue, encor que son retour
En un grand embarras jette ici mon amour,
Je tiens cela plaisant autant qu’on saurait dire,

Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire :
Et vous n’en riez pas assez, à mon avis.

Arnolphe, avec un ris forcé.

Pardonnez-moi, j’en ris tout autant que je puis.

Horace.

Mais il faut qu’en ami je vous montre la lettre.
Tout ce que son cœur sent, sa main a su l’y mettre,
Mais en termes touchants et tous pleins de bonté,
De tendresse innocente et d’ingénuité,
De la manière enfin que la pure nature
Exprime de l’amour la première blessure.

Arnolphe, bas.

Voilà, friponne, à quoi l’écriture te sert ;
Et contre mon dessein l’art t’en fut découvert.

Horace lit.

« Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m’y prendrai. J’ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connaître qu’on m’a toujours tenue dans l’ignorance, j’ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d’en dire plus que je ne devrais. En vérité, je ne sais ce que vous m’avez fait ; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu’on me fait faire contre vous, que j’aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d’être à vous. Peut-être qu’il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m’empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire sans qu’il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu’il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n’est que pour m’abuser ; mais je vous assure que je n’ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est ; car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez ; et je pense que j’en mourrais de déplaisir. »

Arnolphe.

Hon ! chienne !

Horace.


Qu’avez-vous ?

Arnolphe.

Moi ? rien. C’est que je tousse.

Horace.

Avez-vous jamais vu d’expression plus douce ?
Malgré les soins maudits d’un injuste pouvoir,
Un plus beau naturel peut-il se faire voir ?
Et n’est-ce pas sans doute un crime punissable
De gâter méchamment ce fonds d’âme admirable,
D’avoir dans l’ignorance et la stupidité

Voulu de cet esprit étouffer la clarté ?
L’amour a commencé d’en déchirer le voile ;
Et si par la faveur de quelque bonne étoile,
Je puis, comme j’espère, à ce franc animal,
Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal,...

Arnolphe.

Adieu.

Horace.

Comment, si vite ?

Arnolphe.

Il m’est dans la pensée
Venu tout maintenant une affaire pressée.

Horace.

Mais ne sauriez-vous point, comme on la tient de près,
Qui dans cette maison pourrait avoir accès ?
J’en use sans scrupule ; et ce n’est pas merveille
Qu’on se puisse, entre amis, servir à la pareille.
Je n’ai plus là dedans que gens pour m’observer ;
Et servante et valet, que je viens de trouver,
N’ont jamais, de quelque air que je m’y sois pu prendre,
Adouci leur rudesse à me vouloir entendre.
J’avais pour de tels coups certaine vieille en main,
D’un génie, à vrai dire, au-dessus de l’humain :
Elle m’a dans l’abord servi de bonne sorte ;
Mais depuis quatre jours la pauvre femme est morte.
Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen ?

Arnolphe.

Non, vraiment ; et sans moi vous en trouverez bien.

Horace.

Adieu donc. Vous voyez ce que je vous confie.



Scène V

ARNOLPHE, seul.

Comme il faut devant lui que je me mortifie !
Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant !
Quoi ? pour une innocente un esprit si présent !
Elle a feint d’être telle à mes yeux, la traîtresse,
Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse.
Enfin me voilà mort par ce funeste écrit.
Je vois qu’il a, le traître, empaumé son esprit,
Qu’à ma suppression il s’est ancré chez elle ;
Et c’est mon désespoir et ma peine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son cœur,
Et l’amour y pâtit aussi bien que l’honneur.
J’enrage de trouver cette place usurpée,
Et j’enrage de voir ma prudence trompée.
Je sais que, pour punir son amour libertin,
Je n’ai qu’à laisser faire à son mauvais destin,
Que je serai vengé d’elle par elle-même ;
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu’on aime.
Ciel ! puisque pour un choix j’ai tant philosophé,
Faut-il de ses appas m’être si fort coiffé !
Elle n’a ni parents, ni support, ni richesse ;
Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse :
Et cependant je l’aime, après ce lâche tour,
Jusqu’à ne me pouvoir passer de cet amour.
Sot, n’as-tu point de honte ? Ah ! je crève, j’enrage,
Et je souffletterais mille fois mon visage.
Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir.
Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrâce ;
Ou bien, s’il est écrit qu’il faille que j’y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents,
La constance qu’on voit à de certaines gens !



  1. Don Pedre se mit dans une chaise, fit tenir sa femme debout, et lui dit ces