L’Écornifleur/41

La bibliothèque libre.
Ollendorff (p. 215-219).

XLI

ÉGLISES

Généralement, après déjeuner, nous visitons une église, toutes les églises que le bon Dieu a fait faire dans les environs. Nous lisons d’abord les inscriptions des croix. L’épitaphe d’un enfant nous excite à dire : « Pauvre petit ! » ; celle d’un vieillard, « qu’en somme il était en âge de mourir et qu’il n’a pas à se plaindre : la mort, en ce cas, est plus dure pour ceux qui restent que pour ceux qui partent ! »

Nous avons une manière brusque de retirer le pied quand nous marchons par mégarde sur une tombe, et, prudemment, nous écartons les hautes herbes des sentiers. Une poule noire dérangée s’envole avec un cri perçant : nous frémissons.

MADAME VERNET

Ne croirait-on pas que c’est une âme ?

MONSIEUR VERNET

Elle ne montera pas haut dans le ciel : elle est trop noire.

C’est la première plaisanterie d’une longue série. Nous plaisantons parce que nous avons vaguement peur. Nous entrons dans l’église en hésitant, comme on s’enfonce dans l’eau froide.

MONSIEUR VERNET

On a beau n’être pas dévot : cela fait toujours quelque petite chose.

Marguerite a trempé sa main dans l’eau bénite jusqu’au poignet et nous en offre. Incapable de refuser, j’essuie ma part avec mon mouchoir, et Monsieur Vernet, moins esprit fort, laisse égoutter la sienne au bout de ses doigts. Le premier sacrilège seul coûte. Cette insulte à l’eau divine non suivie d’une punition immédiate nous encourage : nous pouvons regarder l’église en amateurs, et nous serions hommes à remettre nos chapeaux si la fraîcheur ne nous semblait douce. L’église est nue et suintante, mais la chaire et son escalier sont d’un bois tellement vieux que Monsieur Vernet parle hardiment de style Renaissance. Il monte en tâtant la rampe, ouvre la porte de la chaire, égratigne les moulures, flaire les trous de mites, et n’oublie pas de crier :

— « Mes chers frères ! »

— « Oh ! Victor ! Oh ! mon oncle », disent ensemble Madame Vernet et Marguerite, qui prient à genoux. Je n’en pense pas moins. Monsieur Vernet s’en tient là. L’éclat de sa voix l’a effrayé. L’église, personne blessée, a gémi de toute la sonorité de ses voûtes, et Monsieur Vernet descend, penaud, sa raillerie coupée en deux.

Il regarde respectueusement des vitraux, des crosses, des agneaux frisés aux pattes croisées sous le menton. Ces dames achèvent leur prière. Je me promène de long en large, mon chapeau me battant les cuisses, et j’admire le catholicisme non comme religion, mais comme poésie. Je fais retentir aussi mes talons sur les dalles pour produire des « échos ».

Nous sortons. Marguerite est déjà à son poste, la main pleine d’eau bénite. Mais nous n’en avons pas besoin, puisque nous sortons. Nous écartons le buste avec un merci sec, et, sous le portail même, lestés d’une impression pénible, nous nous couvrons par un geste de défi. Notre impertinence se redresse comme une herbe foulée. Monsieur Vernet dit leur fait aux curés.

MADAME VERNET

Il faut un peu de religion, mais pas trop. Je trouve ridicules les détails, les cérémonies. Je crois en Dieu, voilà tout, et au diable dans une certaine mesure.

Marguerite cueille un coquelicot sur une tombe. Elle le mettrait à son corsage, si quelqu’un voulait parier avec elle n’importe quoi. Elle en arrache les feuilles écarlates et les fait claquer entre le pouce et l’index.

De mon côté, par négligence ou bravade, je butte contre des mottes, je marche au bord des allées et j’écrase les pieds des morts.

MONSIEUR VERNET

On respire.

Il ferme la porte du cimetière.

Autour du clocher, les corbeaux tracent leurs cercles, poussent leurs croassements, agacent le coq muet, comme pour le provoquer à donner de la voix.

MONSIEUR VERNET

Quand ils ne sont pas dedans, ils sont dessus.

Il rit. Nous rions tous.