L’Écornifleur/49

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Ollendorff (p. 264-268).

XLIX

COURS COMPLET

La leçon de Marguerite est le spectacle du matin. Les baigneurs ne manquent pas d’y assister. Ils jugent des poses. Je ne suis point mécontent : Marguerite progresse, et, il faudrait être de mauvaise foi pour le contester, je connais mieux mon affaire. Mes études dans ma mansarde, mes exercices de cabinet donnent un excellent résultat, et je suis en possession de mes moyens. Afin de me consacrer entièrement à l’instruction de Marguerite, j’ai écarté Monsieur Vernet, en le soutenant mal, en lui faisant boire une gorgée d’eau, en lui montrant, par un tremblement factice de tout mon corps, qu’il était de trop et que, s’il s’obstinait, je mourrais à la peine.

Au contraire, j’ai dit à Marguerite :

— « Je veux vous soigner et faire quelque chose de vous. »

— « Oh ! dit-elle, apprenez-moi bien à nager ! »

Je n’éprouve plus, à la manier, la gêne du premier jour. Mes mains vont, viennent librement. Moins de paroles ! Des exemples.

Je ne dis pas :

— « Faites marcher les jambes ! »

Mais, d’une main, la tenant fortement par la boucle, de l’autre je prends un de ses pieds, je l’amène jusqu’à la cuisse et le renvoie avec vigueur. Je le lâche lorsque le mouvement est exécuté d’une manière satisfaisante, et je dirige l’autre jambe. Je surveille aussi avec une attention continue le jeu des bras. J’ai remarqué qu’en l’aidant par le menton, j’affectais douloureusement les muscles de son cou. Ce sera désormais sous la poitrine même que je plaquerai solidement ma main.

— « Appuyez-vous ferme ! » lui dis-je.

Et elle s’appuie, confiante, écrase entre mes doigts ses seins délicats.

Après l’exercice sur le ventre, l’exercice sur le dos. C’est notre succès. En quelques séances, nous sommes parvenus à nous étonner.

— « Bombez la poitrine ! »

Je n’ai plus le ton rogue, la mine ennuyée. Mes paroles se sont ouatées. On ne prend pas les jeunes filles avec du vinaigre. Une main sous ses hanches, l’autre sous ses épaules, je l’installe commodément sur la vague.

— « Vous me tenez, au moins ? »

— « Je vous tiens. Bombez, bombez ! »

Et je ne la tiens plus. Elle flotte seule, légèrement prise d’effroi, et me regarde avec de bons gros yeux doux qui implorent, le souffle mesuré selon mes ordres.

Je m’éloigne un peu et je fais signe à Monsieur et Madame Vernet :

— « Mon œuvre ! »

Ils sourient :

— « Voilà du merveilleux ! »

Mais ce n’est pas tout. Je saisis avec précautions dans mes mains les pieds de Marguerite, et je les pousse, évitant les heurts, les crêtes de vague. Elle navigue comme un radeau, comme sur des roulettes et ferme les yeux sous un rayon de soleil. Nous nous promenons ainsi le long du rivage. Nous excitons l’admiration, l’envie, et je suis persuadé qu’autour de nous on se retient pour ne pas applaudir.

Dès que Marguerite s’oublie et se creuse :

— « Bombez ! ou je lâche tout ! »

Elle se cambre d’épouvante, la tête enfoncée, la ligne de flottaison aux coins des yeux et des lèvres, les seins et le ventre à fleur d’eau.

Si elle était plus pâle, si ses cheveux se dénouaient, si ses mains ne flattaient pas la vague près de sa hanche, comme le dos d’un animal qu’on sait méchant, j’aurais l’air de ramener Virginie morte à ses parents.

Moi, je ne pense pas à mal. Et elle ?

Du bout des ongles, je fais « guili, guili, » à la plante de ses pieds. Aussitôt elle m’échappe, agite les bras, veut s’accrocher à quelque chose, et disparaît.

Quand je l’ai relevée et qu’elle a rendu avec effort toute l’eau bue :

— « Je ne veux pas que vous me fassiez des chatouilles », crie-t-elle.

— « Chut ! dis-je, taisez-vous ! »

Mais frémissante, comme une vierge de chapelle qui s’animerait tout à coup sous la piqûre d’une araignée, par son attitude elle redouble ma confusion.