L’Éducation sentimentale (1845)/XXI

La bibliothèque libre.
L’Éducation sentimentale (1845)
Œuvres de jeunesseLouis ConardVolume III (p. 147-166).

XXI

Quelle joie pour nos amants de se revoir après deux mois d’absence ! Mme Émilie les avait passés bien tristement, loin du cœur qui comprenait le sien, et des yeux où elle aimait à se mirer ; les murs de sa chambre avaient entendu, sans doute, bien des soupirs mélancoliques, et si sa vitre eût pu parler, nous eussions su de quels tendres regards elle suivait les nuages qui voyageaient vers le pays du bien-aimé, telle qu’une châtelaine au bord de sa fenêtre à ogives et rêvant au troubadour parti à la croisade. Elle comptait les jours sur son calendrier, écrivait une lettre, en attendant une autre, relisait les anciennes ; elle allait dans l’appartement d’Henry, et contemplait à loisir les rideaux, le parquet, les chaises, le lit, tous ces muets témoins de leur bonheur.

Mlle Aglaé était venue souvent la voir, il n’y avait rien de caché pour elle, on lui confiait tout, du moins on lui laissait tout deviner, et, quand les aveux étaient faits, on la priait de venir en aide, elle s’y prêtait de bonne grâce. C’était une femme née pour cela, elle connaissait tant de comédies et savait par cœur si bon nombre de poésies amoureuses qu’elle eût pu donner des leçons pour conduire une intrigue ou faire un mariage, depuis la présentation ou la première entrevue jusqu’au dénouement. On rencontre ainsi, dans le monde, de ces créatures vite expérimentées, qui possèdent comme une science toutes les astuces de la vie, sans avoir jamais agi pour elles-mêmes, et toutes les finesses de l’amour, sans avoir aimé ; elles se mêlent de tout, voient tout, dépensant leur activité en intrigues, soulèvent des passions, excitent des haines, vous torturent pour s’amuser et vous repoussent par orgueil, vivant dans les désirs et mourant vierges. Mlle Aglaé était de cette race, elle avait l’air d’une coquette, elle en savait plus qu’une fille, et c’était une prude.

Les bagues qu’Émilie et Henry s’étaient échangées, c’était elle qui les avait commandées ; elle avait choisi le peintre pour leurs portraits ; et leurs lettres passaient par ses mains ; mais si elle en respectait scrupuleusement le cachet, une fois lues par son amie, elle se les faisait lire et relire, les aimant presque autant que si elles lui eussent été adressées.

Elle était si bonne pour eux, si intelligente de tous les caprices, que quelquefois elle restait en tiers dans leur tête-à-tête, de sorte qu’Henry, au lieu de faire la cour à une femme, la faisait à deux ; il fallait bien en effet lui dire quelque douceur, et Mlle Aglaé aimait beaucoup ce jeu, qui plaisait moins à Mme Émilie.

— Elle nous est bien dévouée, dit celle-ci à Henry le lendemain de son retour, mais je ne veux plus qu’elle vienne quand tu seras là, je ne veux pas qu’un autre que toi entende ce que je te dis ; elle restera quand il y aura du monde, d’autres personnes, quand nous ne serons pas seuls.

Elle s’informa de ce qu’il avait fait pendant ses vacances.

— Où allais-tu pour lire mes lettres ? moi, je m’enfermais dans ma chambre, et puis je les cachais sur mon cœur. T’a-t-on demandé si tu avais une maîtresse ? qu’as-tu répondu, Henry ? A-t-on voulu savoir si elle était belle ?

Elle lui fit jurer ensuite qu’aucune autre ne lui avait plu et que le souvenir de son Émilie, comme un talisman infaillible, l’avait gardé de toute séduction, ce qu’Henry jura vingt fois, car elle le lui demandait souvent, non pas qu’elle le soupçonnât d’aucun oubli mais pour être plus sûre.

Les premier et les quinze de chaque mois, il y avait toujours réunion comme l’année passée ; les mêmes personnes s’y rendaient, ces jours-là Émilie était plus triste :

— Je n’aime pas, disait elle, qu’il y ait tant de monde autour de nous. Pourquoi me faut-il le souffrir ! comme toutes ces figures me pèsent et m’ennuient ! comme ces femmes sont folles et vaniteuses, n’est-ce pas ? Elles te plaisent à toi ? tu les aimes, elles te regardent, elles cherchent à t’attirer.

Elle le regardait avec ses grands yeux noirs langoureux.

— J’ai tant peur de te perdre, vois-tu, je n’ai plus rien à espérer maintenant que la continuation de ton amour, c’est pourquoi je crains tout, tout me fait ombrage ; je me dis : « il m’aime, mais demain m’aimera-t-il ? peut-être qu’une autre plus belle ou plus ardente… ».

— Tais-toi, tais-toi, disait Henry, égaré comme aux premiers jours de cette passion, tu sais bien que non, tu l’avouais tout à l’heure.

— Elle doit être si fière, la femme que tu aimes ! ton amour est comme une couronne, il faut penser à ceux qui vous l’envient.

— Mais qu’est-ce qui te l’envie ?

— Tout le monde, ou tout le monde peut me l’envier ; tu ne sais pas comme moi, enfant, toutes celles qui te convoitent, je les observe, va ; méfie-toi d’elles !

— Tu te trompes.

— Oh ! non, j’ai raison et bien raison ; et puis qui ne céderait pas ? tu es si beau, si doux ! ta voix surtout !

Et elle le serrait sur son cœur dans une tendre étreinte qui semblait triste.

D’autres fois Henry venait à elle, elle le repoussait :

— Ne m’aime plus, je ne veux plus t’aimer, je te rendrais trop malheureux, je te ferais mourir.

Puis se reprenant tout à coup, comme si elle eût commis un crime :

— Non, aime-moi au contraire… aime-moi comme tu m’aimes, plus encore, de toute ton âme… ne me laisse pas seule, car, quand tu n’es plus là, mon cœur est vide… ne m’abandonne pas, car je mourrais !

Leur passion, longtemps fermentée, commençait à s’aigrir comme les vieux vins. Arrivés à un certain degré, tous les sentiments, même les plus doux, tournent au sérieux, comme les idées les plus graves tournent au grotesque.

Émilie devenait plus absolue et plus dure même, dans sa tendresse ; Henry de jour en jour se sentait dominé par elle ; elle lui commandait et il obéissait, éprouvant du plaisir de se laisser aller aux mains de cette femme, dont l’amour, chaque jour plus fort, l’envahissait comme une conquête. Elle remplaçait pour lui toute affection et tout sentiment ; elle le soignait, l’habillait, lui arrangeait les cheveux et choisissait la couleur de ses habits, comme une mère fait de son jeune fils ; elle le conseillait et le surveillait comme un père, et il lui confiait ses projets et ses espérances comme à un ami. Elle l’engageait à suivre une ligne droite et à faire vite son chemin dans le monde.

Il fallait, quand il sortait de la maison, qu’il lui indiquât l’heure précise où il rentrerait, et, s’il tardait un peu, elle avait des angoisses mortelles qu’il n’eût été écrasé par une voiture, mordu par un chien enragé ou qu’il ne se fût noyé en passant les ponts.

Quelquefois, vers le matin, quand Henry, couché à ses côtés, s’était endormi de fatigue, l’immobilité de ses traits assoupis l’effrayait tout à coup, elle se penchait sur ses narines pour écouter son souffle, elle avait peur qu’il ne fût mort. Cette idée-là la poursuivait souvent :

— Si tu m’échappais, disait-elle, si tu étais malade, si tu mourais, que deviendrais-je ?

Un jour, en se promenant ensemble, ils passèrent près d’un cimetière et elle pleura.

Les femmes n’aiment pas la mort ; cet amour profond du néant que les poètes de notre âge portent dans leurs entrailles, elles s’en effraient ; l’être qui donne la vie se courrouce de ce que la vie n’est pas éternelle. Ne leur dites pas que vous aimez les orbites creux des crânes jaunis et les parois verdâtres des tombeaux ; ne leur dites pas qu’il y a en vous une aspiration énorme de retourner à l’inconnu, à l’infini, comme la goutte d’eau qui s’évapore pour retomber dans l’Océan ; ne leur dites pas, ô penseurs au front pâle, de vous accompagner dans votre voyage ni de gravir la montagne avec vous, car elles n’ont pas l’œil assez sûr pour contempler les précipices de la pensée, ni la poitrine assez large pour respirer l’air des hautes régions. Mais ce n’est pas là ce qu’Henry lui demandait, encore moins ce qu’elle demandait à Henry.

Elle lui demandait de ne plus fréquenter Morel, car Morel était un homme qu’elle détestait, il riait toujours, if plaisantait sur tout ; elle lui demandait de ne pas aller au spectacle, de ne pas être longtemps absent de la maison, de ne pas danser quand on dansait — car il avait appris — de se dire alors malade ou fatigué et de rester assis à côté d’elle ; elle devenait jalouse, jalouse de Mlle Aglaé, de Mme Hortense, de Mme Lenoir, de Mme Dubois, jalouse de toutes les femmes, des plus vieilles et des plus laides. Quand il en était venu chez elle, elle accusait Henry de les avoir trop regardées ou de leur avoir trop parlé.

— Tu ne veux donc plus de moi ? disait-elle, que t’ai-je fait ?

Et quand Henry lui avait prouvé par cent caresses qu’elle s’effrayait à tort :

— C’était pour voir si tu m’aimais encore, disait-elle, car je sais bien que tu m’aimes toujours.

Elle l’engageait aussi, depuis quelque temps, à parler plus souvent à M. Renaud et à reprendre avec lui les longues conversations de l’année passée ; il fallait se faire aimer encore plus fort, et le circonvenir tout à fait, afin de le tromper plus facilement.

— M’abaisser à faire semblant d’être son ami, répondit Henry, jamais ! il me dégoûte ; n’est-il pas ton mari, d’ailleurs ? tu lui appartiens.

— Non, c’est à toi, reprenait-elle en l’entourant de ses bras, à toi, et pas à un autre.

— Tu lui as appartenu toutefois… avant moi il t’a eue, il t’a possédée en maître.

— Pas comme toi, ami… oh ! pas comme toi.

— Qu’importe ! je dois le haïr, à ma place tu ferais de même. Eh bien, je le hais, car j’en suis jaloux de cet homme ; il peut t’aimer celui-là et te le dire devant tout le monde.

Il se sentait, en effet, pour lui de ces mouvements de haine qui vous poussent aux grandes colères quand ils sont trop contenus ; la figure du père Renaud, qui naguère lui plaisait assez, lui déplaisait maintenant à outrance ; il s’indignait de la grossière familiarité de ce rustaud, qui tutoyait sa maîtresse et l’embrassait devant lui, sans qu’il pût se ruer dessus ou lui cracher au visage.

Quelquefois, en effet, il venait à l’esprit d’Henry des doutes terribles ; il se figurait Émilie dans sa chambre, comme elle était chaque soir, avec sa lampe de nuit dont la lumière tremblotante, passant à travers la porcelaine, blanchissait les rideaux blancs, comme lorsqu’il y venait, retenant son haleine et se glissant le long des murs, et là, tout à coup, à sa place, il se figurait le père Renaud s’approchant, riant de son ignoble sourire, s’approchant encore et l’embrassant sur ses lèvres. Les mêmes mots qu’elle lui disait, il pensait qu’elle pouvait les lui dire, à cet autre homme ; il se rappelait ses caresses, ses tressaillements, ses délires, et il s’avouait avec terreur qu’il avait pu avoir tout cela comme lui, qu’il les avait peut-être encore, et que cela durerait toujours. Alors la rage lui prenait l’âme, et il fouillait avant dans ce doute amer, désireux d’y trouver des sujets de haine et des tortures nouvelles.

Jadis ils se faisaient l’amour sans crainte et sans angoisses ; sûrs d’eux-mêmes, ils s’abandonnaient au plaisir d’aimer sans prévoir les obstacles et les dangers, mais depuis quelque temps ils étaient pris tout à coup de terreurs subites, qui les faisaient pâlir ; le cri d’une porte, un bruit de pas, le vent dans les arbres, l’air qui siffle dans la serrure, tout leur faisait peur. « C’est lui ! c’est lui ! se disaient-ils toujours, nous sommes perdus ! »

Ils étaient devenus timides et superstitieux, ils s’inquiétaient de leurs songes et tâchaient d’y découvrir un sens caché qui pût les éclairer sur leur avenir.

— Tu te marieras, disait quelquefois Émilie à Henry, tu aimeras une autre femme, tu m’oublieras.

— Et toi, reprenait-il avec amertume, penses-tu que ton amour soit plus durable qu’un autre ?

Celui-là durera autant que moi, disait-elle ; c’est ma vie, mais c’est le tien qui cessera le premier. À force de s’entendre répéter cette prédiction, notre héros s’en effraya, et comme sa vanité s’en révoltait par avance, il se surveillait lui-même et s’excitait à cet amour déjà si enraciné dans son cœur. Il avait mille scrupules curieux, mille délicatesses ; le désir porté vers une autre femme lui semblait un vol et un sacrilège ; il s’en gardait comme du diable, vouant à sa maîtresse un culte exclusif et entier. Il savait bien, néanmoins, qu’il y en avait de plus belles qu’elle dans le monde, mais aucune belle de la même manière, aucune aussi belle pour lui.

Il eût voulu que la longue bergère de tapisserie où elle s’asseyait dans la journée eût été faite exprès pour elle et donnée par lui ; que le tapis où elle marchait pieds nus, un autre n’y jetât pas les yeux ; que sa bouche même, lorsqu’elle s’ouvrait pour les mots les plus simples et les plus nuls, ne s’ouvrît que pour lui seul ; que toute sa vie, en un mot, eût été comme une mélodie secrète et particulière qu’il eût composée avec ses mains.

Jadis, dans les premiers temps de leur union, ils s’étaient fait la confidence de toute leur vie ; ils l’avaient voulu tous deux, pour se connaître plus intimement jusque dans les profondeurs de leur passé, et que leur cœur leur fût ouvert jusque dans ses fondations et dans ses ruines.

Henry lui avait raconté son amour d’enfant, à sept ans, pour la petite fille qui jouait avec lui, son autre amour pour une autre dame qu’il avait croisée dans la rue, puis sa passion plus longue pour la marchande de corsets, devant laquelle il passait en allant au collège, et son bonheur facile sur le sein des filles publiques, et tous ses rêves, et tous ses désirs. Quant à Mme Émilie, elle n’avait pas tant aimé quoiqu’elle fût plus vieille. Elle s’était mariée jeune à M. Renaud, qu’elle avait cru adorer, disait-elle, parce qu’il la trouvait jolie ; mais bientôt, veuve de ses illusions, elle s’était trouvée dans une solitude affreuse. C’est alors qu’un homme s’était présenté, un homme qu’elle ne nommait pas, celui-là elle l’avait aimé, il était parti, elle n’y pensait plus, il y avait si longtemps de cela ! il y avait dix ans. Comme il reste toujours, même dans les confidences les plus sincères, quelque chose qu’on ne dit pas, il est probable qu’elle avait plus éprouvé dans la vie qu’elle n’en avait raconté, mais fut-ce la pudeur, l’amour ou l’inexpérience à parler de ces matières qui l’avait empêchée d’en dire davantage ?

Or les jours qu’ils n’étaient pas heureux — cela leur arrivait quelquefois maintenant, sans cause extérieure, sans motif — ils se reprochaient ces aveux et s’accusaient l’un l’autre de les avoir faits incomplets.

— Tu l’aimes encore, disait-elle.

— Est-ce que j’y pense ?

— Ne mens pas, Henry, tu rêves à elle, tu la regrettes.

— Qui donc ?

— Que sais-je ? moi, celle ou une de celles que tu as aimées.

— Mais je n’aime que toi, tu le sais bien, je n’en ai jamais aimé d’autre.

— Est-ce vrai, enfant, disait-elle en clignant les yeux, est-ce vrai ?

Et elle s’approchait de lui.

— Tu le demandes ? disait-il en l’entourant de ses bras et l’attirant sur son cœur.

— Répète-le donc… dis-le-moi toujours.

Ou bien c’était elle qui était pensive et soupirait :

— Qu’as-tu ? disait Henry.

— Je n’ai rien… laisse-moi.

— Oui, je te laisse, pense à lui, va.

— À qui ?

— Que sais-je ? m’as-tu seulement dit son nom ? tu me caches tout.

— Lui ! grand Dieu ! qu’il soit maudit si jamais j’y songe !

— Comme tu me maudiras plus tard, quand un autre me rappellera à ta pensée.

— Peux-tu le croire ! est-ce vrai ? railles-tu ?

Et elle le regardait fixement, dardant sur lui sa prunelle enflammée.

— Dis-moi que tu ne le pensais pas, Henry… vite donc, dis-le, j’attends.

Henry l’avait peut-être pensé cinq minutes avant, mais il ne le pensait plus cinq minutes après.

Voilà comme une vague angoisse les tourmentait dans leur bonheur, ils avaient de tristes pressentiments auxquels succédaient des retours d’espoir. Ils ne riaient plus, même seuls et se parlant bas ; ils n’osaient plus sortir dans Paris de peur qu’on ne les surprît ensemble. Mme Émilie ne raillait plus M. Renaud, qu’elle tracassait pourtant toujours un peu quand il était question de Mme Lenoir, Henry lui-même ne pouvait découvrir si cette jalousie était feinte ou réelle, tant elle mettait de persistance à en parler devant son mari et à s’en taire quand il n’était pas là.

Les journées s’écoulaient ainsi, mais les nuits toujours âcres et brûlantes. Elle lui semblait chaque fois plus belle, elle avait des variétés de volupté où son amant se trouvait pris comme dans des trahisons successives, il sentait qu’il l’aimait jusque dans ses entrailles et qu’elle l’appelait à lui d’une force invincible. Parfois il se débattait sous ces liens, mais il retombait toujours. C’était une séduction qui grandissait à la contempler, un vertige qui l’attirait.

Pendant qu’Henry, le cœur navré d’amour, tour à tour sombre et joyeux, ennuyé par moments et enivré dans d’autres, continuait à vivre dans cette maison, dont les murs, en passant près d’eux, lui envoyaient des réfractions chaudes, intelligents de ce qu’il sentait, Jules commençait à apprendre l’hébreu et s’efforçait aussi à lire le grec. Sa table était surchargée de livres : histoire, atlas, voyages, album d’antiques gravures d’après les grands maîtres, poètes anciens en un petit volume, savants modernes en plusieurs gros in-folio. Il ne lisait pas tout cela, mais il rêvait dessus.

Comme les gens auxquels il eût pu confier ses peines ne les auraient pas comprises, en même temps que les natures assez intelligentes pour sympathiser lui manquaient, il lui avait fallu d’abord se résigner à une solitude complète et vivre pour lui seul, en lui seul ; aussi les phases diverses de son existence s’accomplirent-elles sous les yeux de tous, sans que personne y vît rien, car les plus grandes péripéties de ce drame tout psychologique ne s’étendirent pas au delà des vingt et quelques pouces de circonférence qu’avait sa tête.

Sevré, jeune d’illusions et y croyant encore, privé de plaisirs bruyants et ennuyé de rêver, distractions paisibles, il lui arriva un jour de se prendre en pitié, lui et tout l’attirail de sa vie, de vouloir sortir enfin de l’espèce de prison invisible où il tournait sur lui-même, comme un ours dans sa cage. Comme il était fatigué de la pensée ou de ce qu’il croyait telle, il voulut goûter de l’action. Ainsi, chaste, il voulut tout à coup la volupté ; né bourgeois, il désira la richesse ; fait par le ciel plus doux que les agneaux, il s’éprit du bruit des clairons et médita le choc des armées. Il aima donc toutes les passions, appela à lui tous les appétits, toutes les aspirations, toutes les convoitises ; elles arrivèrent vite l’une après l’autre, comme autant de cavales sauvages qui galopent à l’aise, hennissantes et la crinière au vent, dans la large plaine de son cœur.

D’abord ce fut l’argent.

Il l’aima comme un prodigue et comme un voleur pour avoir des grands gazons ombragés de chênes séculaires, des forêts où les chevreuils courent sur les mousses, un palais à péristyle de marbre, avec des statues antiques et une galerie de vieux tableaux, une serre chaude où les palmiers poussent en pleine terre, où l’on peut sentir les aloès et les cactus, manger des fruits inconnus, toucher des feuillages tout étranges ; pour avoir un étalon noir, avec un cordon d’or dans la bouche et une peau de lion sur le dos, monté par un nègre athlétique, en jaquette de soie rouge à fermoir d’argent, nu-bras, nu-jambes, à formes magnifiques et à allure puissante ; pour avoir une foule de valetaille bien engraissée, qui se tasse dans l’antichambre et vous verse à boire quand vous mangez ; pour faire du jour la nuit, prendre la glace en été, les fruits en hiver, se chauffer avec de l’acajou, se laver les pieds avec du kirsch, mener une vie insolente et dédaigneuse, se sentir adoré de la canaille et détesté des bourgeois, nourrir une foule de gredins et éclabousser une masse d’imbéciles. Il eût voulu marcher dans une mine d’or, pour sentir, dans les entrailles de la terre, les exhalaisons chaudes des métaux.

Mais il ne pensa pas à en gagner, trop occupé à y rêver.

Bientôt, son désir ayant acquis des proportions idéales, la vie moderne lui sembla trop petite, et il remonta à l’antiquité pour trouver des sujets de plaisir et matière à convoitise. C’est là, pour la première fois, qu’il vit les coupes d’or ciselé reluire à la lueur des flambeaux et les frontispices des temples briller au soleil ; il ne pensa plus, dès lors, qu’à ces immenses festins qui éclairaient les ténèbres, où les rois chantaient avec leurs concubines, pendant que le vin coulait au bruit des instruments et que les esclaves criaient dans les supplices ; il comprit Caligula se roulant sur ses tas d’or, et Cléopâtre buvant des diamants.

Ils n’ont pas joui seuls, ces êtres venus pour étonner les hommes ; le rêveur frissonne encore à ces souvenirs du monde antique, retrouvant sans doute au fond de lui-même quelque chose de cette joie insensée et de ces spasmes d’orgueil.

Jules s’amusait à ces songeries, et quand il était las, il en prenait d’autres. Lorsqu’il eut ses idées arrêtées sur la construction d’une maison, et qu’il vit que celle d’un millionnaire est moins belle qu’une cabane de chaume avec des pampres et du raisin ; lorsqu’il comprit que le confortable n’est que la misère honnête, et qu’il eut amassé assez de haine contre les bottes fines et les gants blancs, il ne désira plus être riche, un million de rente lui paraissant à peine tolérable, puisqu’il n’eût pu, avec le double, se faire traîner par des tigres, ou promener sur une galère à trois rangs de rameurs, à voile de pourpre et à mâts de bois odorant, avec des bouffons et avec des singes.

Ayant donc renoncé à l’argent, il se tourna vers la femme, demandant à cet autre rêve le bonheur qu’il cherchait. Il la voulut intacte et pure comme le jour qu’elle sortit des mains de Dieu. Il se créa d’abord un type absolu, auquel il rapportait toutes les ressemblances qu’il apercevait dans le monde, il les rejetait vite, indigné, désolé. Il était en quête des plus longues chevelures, des torses les plus droits, des peaux les plus blanches, des poignets minces, des profils corrects ; il pensait toujours à l’éternelle beauté de cette créature, marchant nue sur les rivages des îles lointaines, au milieu des coquilles, sur un sable jaune, il se la figurait dormant sous de grands arbres, couchée dans un hamac de bambous. Tous les rêves de beauté que les hommes ont faits successivement, à chaque année de leur jeunesse, il les fit, il les reprit à son tour, passant comme eux par toutes les variétés du désir, par toutes les formes du corps ; tout ce qu’ils ont eu d’ardeurs furieuses et de mélancolies d’amour, il les eut, il les sentit en lui, depuis ces regards intenses et doux que les pasteurs, dans la Genèse, versaient sur les filles de Sion, le soir, au bord des citernes où ils menaient boire leurs troupeaux, jusqu’au baiser court et sec du talon rouge, jusqu’à l’étreinte cynique du Directoire.

Il convoita tout cela, l’appelant à lui par la pensée comme à son usage personnel ; vous le croyiez austère et continent, et il vivait avec la sultane voilée qui s’en va aux bains dans son palanquin, portée par quatre nègres, escortée de quatre eunuques le sabre au poing ; il songeait aux ennuis du sérail et à ces longs yeux noirs qui brillent dans la coupure du voile blanc. Mais il aimait aussi les pâles figures d’Holbein, avec leurs yeux bleus et leurs cheveux blonds, mélancolie des vieux âges qui n’est plus la nôtre.

Avec Horace il rêvait à l’esclave ionienne qui danse au son des crotales et vous jette du falerne au visage ; elle a sur l’épaule une marque de dent, que son maître lui a faite hier en lui promettant de l’affranchir. Comme elle s’entend à tourmenter les cœurs et à capter les héritages !

De la passion grecque, sévère, gracieuse et soupirante, il entra dans l’amour romain, ce vieil amour chaud et cuit du Latium, sentant la chèvre et la peau de bête, et qui s’en va à partir de César, se ramifiant à toutes les folies, s’élargissant dans toutes les lubricités, tour à tour égyptien sous Antoine, asiatique à Naples avec Néron, indien avec Héliogabale, sicilien, tartare et byzantin sous Théodora, et toujours mêlant du sang à ses roses, et toujours étalant sa chair rouge sous l’arcade de son grand cirque où hurlaient les lions, où nageaient les hippopotames, où mouraient les chrétiens.

Il adorait la courtisane antique, telle qu’elle est venue au monde un jour de soleil, la femme belle et terrible, qui bâtit des pyramides avec les présents de ses amants, devant qui se déploient les tapis de Carthage et les tuniques de Syrie, celle à qui l’on envoie l’ambre des Sarmates, l’édredon du Caucase, la poudre d’or du Sennahar, le corail de la mer Rouge, les diamants de Golconde, les gladiateurs de Thrace, l’ivoire des Indes, les poètes d’Athènes ; il y a à sa porte, attendant qu’elle s’éveille, le satrape du roi de Perse, l’ambassadeur des Scythes, les fils de sénateurs, les archontes, consuls, et des peuples venus pour la voir. C’est la créature pâle, à l’œil de feu, la vipère du Nil qui enlace et qui étouffe ; elle bouleverse es empires, mène les armées à la guerre et s’évanouit sous un baiser ; elle connaît les philtres qui font aimer et les boissons qui font mourir, les mères en épouvantent leurs fils et les rois languissent pour elle d’amour.

Afin de reconstruire en entier ce souvenir perdu, il rêvait tout le jour à la folie de Salomon, aux jardins de Sémiramis, à la galère qui fuyait à Actium, à la lampe fumeuse de Messaline et à son capuchon de couleur fauve ; il méditait les mystères de l’Atrium avec la colère de Juvénal, et les orgies de l’empire dans la haute phrase de Tacite.

Dédaigneuse et discrète, blanche et fardée, la tête raide dans sa fraise à la Médicis, il vint ensuite à aimer aussi la grande dame du xvie siècle, qui lit la reine de Navarre, va rire à Montfaucon en voyant le corps des pendus ; c’est l’amie de Brantôme, l’honneste damoiselle qui aime les mascarades, les pastilles à la vanille, les gants de Florence, parle italien d’une façon doucereuse, et raffole en secret de quelque jeune page du roi, qu’elle débauchera bientôt et puis qu’elle tuera par jalousie, à moins qu’elle ne s’empoisonne de désespoir.

Il chercha encore dans les romans du siècle dernier, dans les livres à tranches rouges et dans les brochures anonymes couvertes en gros papier gris, les histoires des libertins gaillards de Dancourt et des veuves suspectes teneuses de lansquenets ; il fréquenta fort les comédiennes du temps de la vieille comédie, les demoiselles à taille mince et à larges paniers, petites perfides au teint de rose qui ruinaient les traitants pour quelque bel esprit râpé qui leur faisait des vers ; il fallait leur donner un gros cocher poudré, un attelage tous les six mois et un hôtel sur le boulevard. C’est du milieu de ce monde-là pourtant, entre le priapisme de Piron et les fadeurs de M. de Bernis, que l’on fit Desgrieux pleurant aux genoux de Manon, et que Jean-Jacques écrivait sa nuit chez Mme d’Épinay.

Jules alla jusqu’au bout, jusqu’à la fin ; il passa par la sensualité étroite de Faublas, et il eut pitié de ce vice en jupon qui se cache dans les voitures et derrière les portes, déshonorant l’adultère par la vulgarité de sa bassesse ; il lui préféra cent fois les monstruosités de Justine, cette œuvre belle à force d’horreur, où le crime vous regarde en face et vous ricane au visage, écartant ses gencives aiguës et vous tendant les bras ; il descendit dans ces profondeurs ténébreuses de la nature humaine, prêta l’oreille à tous ces râles, assista à ces convulsions et n’eut pas peur. Et puis la poésie n’est-elle pas partout — si elle est quelque part. — Celui qui la porte en lui la verra sur le monde, pareille aux fleurs, qui poussent sur le marbre des tombeaux et sur les plus fraîches pelouses ; elle s’exhale vers vous du cœur de la vierge et du sommeil de l’enfant, comme de la planche des échafauds et de la lumière des incendies.

Arrivé à l’idéal de la matière, il prit la matière en haine, car cette exclusion de toute idée, cette négation de toute bonté l’irritait comme quelque chose d’essentiellement faux en soi, contrepartie isolée et monotone d’une autre chanson plus connue ; il était las de cette chair toujours heureuse et du mensonge perpétuel de son sourire, il avait compassion des gens qui s’arrêtent là, assez naïfs pour n’en pas rire.

Alors la virilité de sa nature s’épanouit comme une plante robuste, il eut besoin de périls inutiles et de dangers à courir, il aima les vieux casques des chevaliers, leurs longues épées lourdes qu’on soulève à deux mains ; il frissonnait en touchant aux cuirasses bosselées que portaient les larges poitrines, et sentait les appétits de batailles que le son des trombones fait courir dans nos membres ; le pas des régiments marchant sous ses fenêtres, le sabre des cavaliers battant sur les flancs de leurs chevaux, et les grandes lignes d’hommes s’avançant dans les plaines, il aimait tout cela comme un enfant ; il prolongeait sa veillée à lire dans Plutarque les guerres d’autrefois où les héros, les armes brisées, combattaient les mains nues, montaient à l’assaut avec un poignard, et, tombés sur le dos, mouraient la figure au soleil ; il suivit aussi les acclamations du triomphe d’Alexandre, les cris des hordes barbares accourant vers Rome, les Arabes galopant sur la plage d’Afrique, les partisans faisant la guerre dans la montagne, et il regretta le temps où, la plume au chapeau et l’escopette au poing, on se découpait galamment six contre six, tous à cheval, armés de toutes pièces, jusqu’au dernier restant.

Ce désir de valeur passé, ce fut la mer, pour entendre craquer la mâture du vaisseau dans les nuits d’orage, pour écouter les coups sourds de la voile, ou bien, appuyé sur l’avant et sifflant dans la brise, regarder l’horizon où va apparaître un nouveau monde.

Il lut encore l’Imitation de Jésus-Christ et admira les vitraux peints des cathédrales. Au crépuscule, il se promenait dans la nef, marchant sur les dalles silencieuses, écoutant l’orgue et rêvant aux symphonies des séraphins ; il contemplait les visages placides étendus sur les tombeaux, en pensant à ces âmes qui ont passé leur vie ici-bas à colorier les pages des missels ou à tailler des têtes d’anges dans la pierre ; mais quand, abaissant ses regards de la voûte ou résonnaient les cloches, il voyait des fidèles agenouillés, répétant leurs prières, un étonnement infini et comme un abîme de dérision s’élevait tout à coup dans son cœur.

Voilà quelle était la vie qu’il menait dans sa petite ville pendant qu’Henry, à Paris, menait la sienne chez Mme Renaud ; l’un se laissait aller au courant de ses idées et l’autre au courant de son cœur. Jules ne s’amusait guère, mais il y avait certains jours cependant où il se délectait dans son égoïsme spirituel, comme un aigle dans les nuages.

La masse d’amour que le ciel lui avait donnée, il ne la jeta pas sur un être ou sur une chose, mais il l’éparpilla tout alentour de lui, en rayons sympathiques, animant la pierre, conversant avec les arbres, aspirant l’âme des fleurs, interrogeant les morts, communiant avec le monde. Il se retirait petit à petit du concret, du limité, du fini, pour demeurer dans l’abstrait, dans l’éternel, dans le beau. Il aimait moins de choses à force d’en aimer davantage, il n’avait plus d’opinions politiques à force de s’occuper d’histoire.

Il tâchait d’avoir, pour la nature, une intelligence aimante, faculté nouvelle, avec laquelle il voulait jouir du monde entier comme d’une harmonie complète. Il projetait d’étudier la géologie pour se reporter aux époques où les mastodontes, les dinotherium possédaient la terre, alors que, sous des arbres gigantesques, vivaient des serpents monstrueux, quand l’Océan se retirait des collines et commençait ses oscillations cadencées dans son grand lit de sable. Il regardait les chênes balançant leurs rameaux et bruissant dans leurs feuillages, comme d’autres contemplent les cheveux qui flottent et les lèvres qui tremblent. Il mêlait dans une méditation commune les fourmilières, ces cités sonores, les génisses qui bêlent, les enfants qui pleurent, l’alouette qui chante et le ravin qui rugit. Il écoutait la voix des chats faisant l’amour sur la gouttière et leurs cris de langueur douloureuse, comme la romance de l’amant à sa maîtresse et tout ce que la bien-aimée répond à celui qui fait battre son cœur.

L’histoire aussi lui ouvrait ses perspectives infinies : tantôt c’était l’Inde, l’Inde antique et sacerdotale, avec ses éléphants blancs et ses dieux taillés dans les souterrains ; ou bien l’Égypte, sous la boue sèche de son vieux Nil, à l’ombre de ses granits, la Grèce en bandelettes blanches et chantant son hymne ; ou bien les époques obscures où l’humanité s’éveillant, inquiète et douteuse, cherchait ses vieux dieux et en trouvait de nouveaux.

Encore superficiel et obscur, tout à la fois ardent et paresseux, il allait malgré lui de telle idée à telle autre, s’arrêtant à une lettre et passant par-dessus une langue, plein d’hésitations et d’assertions, s’enthousiasmant pour un système ou pour une image ; en faisant de l’analyse il se préoccupait trop de la synthèse, de sorte que le détail lui échappait, et quand il en venait à l’ensemble, les particularités le gênaient, se heurtant et se contredisant les unes les autres. Il croyait trop aux forces de son intelligence ; il avait les yeux plus grands que le ventre ; il s’habitua cependant à ne pas réclamer de l’idéal plus de clartés qu’il n’en a, de la vie humaine plus de bonheur qu’elle n’en comporte. Il eut du mal à se faire à ce rude régime, car il était né avec de grandes dispositions pour chercher le parfum de l’oranger sous des pommiers, et à prendre des vessies pour des lanternes.

Il avait entamé sa jeunesse par l’amour, et il l’avait close par le désespoir.

Il avait eu successivement toutes les passions, naïvement, sérieusement, mais, au lieu de les faire jouer, elles s’étaient fondues d’elles-mêmes et dissipées dans une poésie impossible ; puis il avait vu qu’il faut laisser les passions à leur place et la poésie à la sienne, et il se mettait alors à étudier tout cela dans un ordre logique, sans se plaindre que les épines déchirent ni que la pluie mouille.

N’aimant guère sa patrie, il comprit l’humanité ; n’étant ni chrétien ni philosophe, il eut de la sympathie pour toutes les religions ; n’admirant plus la Tour de Nesle et ayant désappris la rhétorique, il sentait toutes les littératures.

À l’époque où nous sommes arrivés de ce récit, il avait divisé sa vie en deux parts : il s’occupait d’une histoire des migrations de l’Asie et de la composition d’un volume d’odes. Il avait pour son histoire un plan simple et fécond, il la voulait tailler en larges masses, la diviser par groupes bien composés, et dominer le tout par une unité puissante et réelle ; quant à ses vers, il travaillait à assouplir le rythme à tous les caprices de la pensée, c’était une couleur en relief, avec des fantaisies saisissantes, une musique ailée.

Volontairement, et comme un roi qui abdique le jour qu’on le couronne, il avait renoncé pour toujours à la possession de tout ce qui se gagne et s’achète dans le monde, plaisirs, honneurs, argent, joies de l’amour et triomphes de l’ambition ; il disait à son cœur de cesser ses orages et à sa chair d’amortir ses aiguillons ; chez lui, comme chez les autres, il étudiait l’organisme compliqué des passions et des idées ; il se scrutait sans pitié, se disséquait comme un cadavre, trouvant parfois chez lui comme ailleurs des motifs louables aux actions qu’on blâme et des bassesses au fond des vertus. Il ne voulait respecter rien, il fouaillait tout, à plein bras ; jusqu’à l’aisselle, il retournait la doublure des bons sentiments, faisant sonner le creux des mots, cherchant sur les traits du visage les passions cachées, soulevant tous les masques, arrachant les voiles, déshabillant toutes les femmes, entrant dans les alcôves, sondant toutes les plaies, creusant toutes les joies.

Aussi avait-il très peu d’illusions, quoiqu’il fût, direz-vous, dans l’âge classique des illusions ; il ne rêvait pas la femme éthérée ni l’amélioration du genre humain, ni des amours d’Andalouse, ni des guitares dans des gondoles, ni d’un être qui comprît son cœur, ni croyance qui désaltérât son âme, et autres choses de même farine que l’on rencontre dans les feuilletons.