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L’Égypte et l’Occupation anglaise/03

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L’Égypte et l’Occupation anglaise
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 91 (p. 169-186).
L’ÉGYPTE
ET
L’OCCUPATION ANGLAISE

III.[1]
SITUATION FINANCIÈRE.


XI. — DETTES ÉGYPTIENNES. — BUDGET DE 1888.

Ismaïl-Pacha était tombé le 20 juin 1879, laissant la place libre aux réformes, et la bataille de Tel-el-Kébir n’avait eu lieu que le 12 septembre 1882. Trois ans entre ces deux dates ! Ces trois années avaient été si mal employées qu’elles avaient abouti à l’humiliation du nouveau souverain, à l’insurrection du Soudan, à l’insubordination et à la déroute de l’armée égyptienne, à des massacres d’Européens, au bombardement et à l’incendie d’Alexandrie, et, pour couronner cette œuvre lamentable, à l’occupation étrangère.

La faute de ces malheurs ne retombe pas sur le khédive, trop jeune pour avoir pu se montrer énergique, mais sur ses ministres, ses conseillers et sur un colonel maladroitement ambitieux.

Le terrain devenu libre par suite de l’abdication obligée d’Ismaïl, on songea à reprendre les réformes projetées par la commission d’enquête. Le premier décret que signa le khédive, à la date du 10 août 1879, eut pour conséquence de fixer les bases d’un cadastre général, afin d’assurer une égale répartition de l’impôt foncier entre tous les contribuables. On rétablit le contrôle-général, et sir Evelyn Baring et M. de Blignières en furent déclarés titulaires. Leur pouvoir était des plus étendus. L’un, contrôleur-général des recettes, veillait à la perception de tous les revenus de l’état et à leur versement dans les caisses respectives ; il prenait sous sa direction tous les agens des perceptions, sauf les fonctionnaires chargés de la perception des droits judiciaires près les tribunaux de la réforme. Il avait le droit de les nommer, de les suspendre et de les révoquer, le ministre des finances ne servant en cela que d’intermédiaire. L’autre, contrôleur-général de la comptabilité et de la dette publique, veillait à l’exécution de tous les règlemens qui touchent aux dettes de l’état. Il vérifiait la comptabilité du trésor et de toutes les caisses publiques. Il n’avait pas, cependant, à apprécier l’utilité des dépenses faites par le gouvernement, et ne pouvait refuser son visa qu’aux mandats qui dépasseraient les crédits ouverts. Les contrôleurs prenaient part à la préparation du budget, — car il y en aurait un désormais, — mais sans empiéter sur les attributions des ministres, qui, seuls, restaient juges d’affecter un crédit à telle ou telle nature de service. Le khédive nomma encore une nouvelle commission d’enquête au sujet de l’impôt foncier ; elle avait pour objet de réunir les différens décrets et règlemens relatifs à ce genre de taxe, et de faire ressortir les inégalités qui s’y trouvaient. Il fut également décrété que l’administration spéciale des chemins de fer et du port d’Alexandrie serait composée de trois administrateurs : un Égyptien, un Anglais et un Français. La Société générale, le Crédit lyonnais et la Banque d’escompte de Paris reçurent l’autorisation de créer un Crédit foncier égyptien dont le siège serait au Caire. Pour éviter une débâcle, qui toujours menaçait, on suspendit l’amortissement de l’emprunt de 1864 ; il en fut de même pour l’intérêt et l’amortissement de l’emprunt de 1867, comme aussi pour le paiement de l’intérêt de l’amortissement des titres concernant les emprunts de 1865 et 1866.

Antérieurement à ces mesures, qui n’étaient prises que pour préparer les esprits à la loi de liquidation, MM. de Rothschild, sur les indications prudentes de leur représentant au Caire, obtinrent de son altesse Tewfik un décret déclarant insaisissables les biens de la famille khédiviale, cédés à ces banquiers, le 13 octobre 1878, en garantie d’un prêt de 212 millions de francs.

La loi de liquidation, importante entre toutes les lois promulguées au début du nouveau khédiviat, fut édictée le 17 juillet 1880, sur la proposition de commissaires désignés par les gouvernemens d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie, de France, de Grande-Bretagne d’Italie et de Russie. Elle eut pour objet d’établir, ainsi que je l’ai démontré et que je le rappelle en peu de mots, les bases d’après lesquelles s’effectueraient et s’effectuent toujours les services de la dette consolidée, les dispositions prises pour en payer les intérêts, de notifier la suppression des emprunts 1864 et 1867, de faire connaître les attributions de la caisse publique, de définir les propriétés de l’état et les propriétés des daïras Sanieh et Khassa, toutes deux propriétés du khédive, ce qui devait former la liquidation de la dette consolidée, et enfin d’abroger la loi de la moukabala, loi qui libérait à perpétuité les propriétaires de tout impôt foncier s’ils payaient, par anticipation, la moitié des impôts de plusieurs années.

Le 18 novembre 1876, la dette nationale égyptienne accusait l’énorme chiffre de 113,573,301 livres sterling, qui, à 25 francs la livre, font près de trois milliards[2].

De 1876 à 1887, l’amortissement a été de 260 millions de francs.

L’Egypte a donc aujourd’hui un passif de 2 milliards 575 millions 700 mille francs. Sauf 1 million de livres sterling employé par les ingénieurs anglais pour de nouveaux travaux d’irrigation, l’augmentation de la dette nationale est due à ce que le trésor a payé les dettes antérieures à 1876, les déficits des années 1877 à 1885, et les indemnités revenant aux personnes qui ont souffert du pillage et des incendies de la ville d’Alexandrie.

C’est un Anglais, M. Edgar Vincent, bien connu de ceux de nos compatriotes qui ont visité les bords du Nil, qui est le conseiller financier ou, pour mieux dire, le ministre des finances d’Egypte. En voyant annuellement s’accroître le passif du budget de ce malheureux pays, si richement favorisé cependant par le soleil et l’eau, on soupçonne que les conseils du conseiller financier laissent à désirer. Il prépare, me dit-on, de nouveaux emprunts : si le fait est exact, il est permis d’affirmer que les affaires d’Egypte, — à ce point de vue comme à tant d’autres, — sont entre les mains de personnes inférieures à leur tâche[3].

Rien de mieux pour connaître la situation matérielle d’une nation que d’en éplucher le budget ; il n’y a guère, évidemment, que celui qui le rédige et le pare en quelque sorte qui en connaisse à fond les finesses, les replâtrages, les déceptions prévues et les regains probables, mais l’ensemble est toujours instructif, et celui de l’Egypte l’est tout comme un autre.

Pour rendre intéressant, autant que possible, celui que je vais très sommairement résumer, afin de ne pas ensevelir le lecteur sous une avalanche de chiffres, il est bon de faire l’historique des dettes et emprunts divers de l’Egypte. Ne pas connaître la composition des charges que supporte ce pays serait n’en rien savoir. Il en est de même d’un individu, des familles : est-ce bien les connaître que d’en ignorer les ressources et l’étendue de ces ressources ? C’est un travail hérissé de dates et de nombres, mais qui doit trouver grâce auprès des financiers ; il n’est même écrit que pour eux.

Emprunts divers contractés par le gouvernement égyptien de 1862 à 1870.— Ils s’élevaient originairement à 1 milliard 637 millions de francs nominaux. En mai 1876, ils se trouvaient réduits par suite d’amortissemens successifs à 1 milliard 369 millions de francs. À cette époque, un décret avait décidé l’unification de la dette égyptienne, celles de la daïra Sanieh et du gouvernement, puis la constitution d’une dette générale portant intérêt à 7 pour 100, remboursable en soixante-cinq ans. La dette, une fois totalisée, devait s’élever à 2 milliards 275 millions de francs, y compris la majoration du capital à accorder aux détenteurs des titres qui rapportaient plus de 7 pour 100. Mais ces prévisions étaient insuffisantes, et, à la suite des travaux de la commission d’enquête, il fut reconnu qu’il fallait emprunter plus de 350 millions, tant pour liquider les dettes antérieures à 1876 que pour combler les déficits des années suivantes.

Cette fâcheuse découverte fut cause que le décret de mai 1876 ne reçut pas son exécution ; on le modifia par une loi du 18 novembre même année, qui arrêta aux chiffres suivans les sommes dues : à 109,815,400 francs les emprunts 1864, 1865 et 1867, emprunts à court terme laissés en dehors de l’unification ; à 1 milliard 475 millions la dette unifiée, et à un capital nominal de 425 millions les obligations créées avec privilège sur les revenus des chemins de fer et du port d’Alexandrie. Il fut convenu que l’on ne comprendrait pas dans la dette unifiée les 220,385,000 francs des dettes consolidées et flottantes de la daïra Sanieh. La dette totale de l’Egypte restait donc réduite à 2 milliards 230 millions. La différence entre cette somme et celle du 7 mai provient de la suppression ou de la réduction des majorations qui devaient être accordées à certaines dettes au moment de l’unification.

Emprunts à court terme. — Le capital nominal des emprunts 1864, 1865 et 1867, était, au 18 novembre 1876, de 110 millions de francs. Aux termes du décret rendu à cette date, les annuités nécessaires pour l’amortissement et le paiement des intérêts de ces emprunts devaient être prélevées, comme première charge, sur les fonds provenant de la moukabala. J’ai dit que la loi de ce nom, promulguée en 1871, déclarait que tout contribuable qui aurait versé au trésor une somme égale à six années de ses contributions foncières serait dégrevé, à perpétuité, de la moitié de ses contributions ; plus tard, un décret du 16 juillet 1873 décida que la moukabala serait payée en douze années au lieu de six, par portions égales. Le décret du 7 mai 1876 suspendit la loi, qui lut encore rétablie en novembre, et qui, finalement, fut supprimée par un décret du 6 janvier 1880, confirmé par la loi de liquidation. L’impôt foncier, après tant de tâtonnemens, a donc été rétabli à son taux primitif tel qu’il était avant « l’effet des réductions résultant du paiement de la moukabala. »

Une somme annuelle de 3,750,000 francs doit être prélevée pendant cinquante ans sur les revenus budgétaires pour être répartie à titre d’indemnité entre les propriétaires qui avaient payé leurs impôts par anticipation.

La loi de liquidation a prescrit l’émission de 49 millions de francs en litres de l’Unifiée pour la conversion de ce qui restait dû, à cette date, sur les emprunts 1864, 1865 et 1867. — La conversion a été faite au taux de 80 pour 100 de la valeur nominale de ces emprunts, et en obligations de la dette unifiée au taux de 60 pour 100.

Dette unifiée. — Son capital était, d’après le décret du 18 novembre 1876, de 1 milliard 455 millions de francs, auxquels il faut ajouter l’émission, en 1880, de titres d’une somme de 49 millions pour la conversion des emprunts à court terme. Il y a eu des amortissemens annuels évalués à 125 millions, qui, au 31 décembre 1881, ont réduit la dette unifiée à 1 milliard 400 millions.

Les intérêts de cette dette ont été fixés d’abord à 7 pour 100, avec retenue d’un septième des 7 pour 100 pour l’amortissement ; cette retenue devait cesser si, avant la fin de 1885, la dette unifiée était tombée à 1 milliard. Un décret du 22 avril 1879 a réduit l’intérêt de 7 à 6 à partir du 1er janvier, avec retenue de 1 pour 100 pour l’amortissement jusqu’au 1er mai 1886. Un autre décret, en date du 26 avril 1880, a décidé que le coupon du 1er mai 1880 ne serait payé qu’à raison de 4 pour 100 par an du capital nominal. Enfin, la loi de liquidation a fixé ce même intérêt à 4 pour 100, sans retenue. C’est l’intérêt qui se paie aujourd’hui.

Les revenus bruts affectés au service de la dette unifiée avaient été évalués comme suit dans le décret du 7 mai 1876 :

Revenus des provinces de Garbieh, Menoufieh, Behera et Siout 76,803,025 fr.
Octrois du Caire et d’Alexandrie 12,980,650
Douanes 15,991,925
Droits des tabacs 6,600,373
Revenus du sel 5,000,000
Fermages 1,500,000
Revenus des écluses et droits de navigation sur le Nil 750,000
Pont de Kasr-el-Nil 375,000
Total 120,000,973 fr.


Ces chiffres étaient évidemment exagérés, car, en 1877, les revenus n’ont donné que 86 millions 1/2 de francs ; l’exagération porte principalement sur les revenus des provinces ; le trouble apporté dans l’assiette de l’impôt foncier par la loi de la moukabala explique ces différences.

Aux termes de la loi de liquidation, les garanties sont les suivantes : revenus des quatre provinces ci-dessus désignées, sous déduction de 7 pour 100 pour frais de perception ; recettes des douanes et droits perçus à l’importation des tabacs, déduction faite des dépenses d’administration. En cas d’insuffisance, la somme nécessaire pour compléter le coupon doit être prélevée sur les ressources générales du trésor. Les autres affectations ont été supprimées. Les revenus affectés sont perçus par les agens du gouvernement, qui sont tenus de les versera la caisse de la dette publique chargée du paiement des coupons.

Pour 1888, les revenus affectés sont évalués comme suit :


Revenus nets des provinces 57.114. 950 fr.
— des douanes et des tabacs 23.611.250
Total 80.726.200 fr.


Aux termes du décret de 1876, la dette unifiée devait être amortie en soixante-cinq ans : la loi de liquidation n’a fixé aucun délai pour l’amortissement. Les principales ressources affectées à cette destination par la loi précitée sont : les excédens des revenus affectés au paiement des coupons, les excédens des revenus affectés à la dette privilégiée et ceux des revenus généraux de l’état. L’amortissement a été suspendu par la convention de 1885, qui a fixé de nouvelles conditions pour l’amortissement de toutes les dettes, ainsi qu’on le verra en examinant les arrangemens de l’emprunt garanti. Dette privilégiée. — Le capital nominal de cette dette avait été fixé, par le décret du 18 novembre 1876, à 425 millions de francs ; mais comme la loi de liquidation a autorisé l’émission de nouveaux titres de la Privilégiée pour une somme de 144 millions, le capital primitif se serait augmenté d’autant, si des amortissemens s’élevant à 11,175,000 francs ne l’avaient réduit, au 31 décembre 1887, à 557,420,000 francs. Les intérêts ont été fixés, en 1876, à 5 pour 100 du capital nominal et sont toujours restés au même taux. La dette privilégiée devait être amortie en soixante-cinq ans, mais l’amortissement a été suspendu par la convention du 18 mars 1885. Les revenus affectés au service de la dette privilégiée, par le décret du 18 novembre 1876, étaient les revenus des chemins de fer et du port d’Alexandrie, donnant une somme de 27,300,000 francs. En outre, les sommes nécessaires au service de cette dette, — intérêts et amortissemens, — restaient en tout cas « la première charge de la commission de la dette publique, » selon l’article 3 du décret du 18 novembre 1876. La loi de liquidation a affecté au paiement annuel des coupons une somme de 29,700,000 francs prise sur les revenus nets des chemins de fer, des télégraphes et du port d’Alexandrie ; elle a fixé l’amortissement à soixante-cinq ans, mais, comme pour les dettes précédentes, l’amortissement a été suspendu par la convention de 1885.

Les revenus bruts des chemins de fer, des télégraphes et du port d’Alexandrie sont évalués comme suit, pour l’exercice de 1888 :


Chemins de fer 33.333.325 fr.
Télégraphes 897.425
Port d’Alexandrie 2.434.875


Mais, les frais d’administration prélevés, il ne restera plus de ces chiffres réunis qu’une somme de 20,800,000 francs, qui sera versée comme de coutume, à la caisse chargée du paiement des coupons. L’amortissement a été suspendu par la convention du 18 mars 1885.

En 1884, les chemins de fer égyptiens parcouraient une étendue de 1,518 kilomètres. Le télégraphe y a précédé les voies ferrées.

Daïra Sanieh et daïra Khassa. — En 1876, la dette consolidée de la daïra Sanieh, ou domaine privé du khédive, était de 220,385,000 fr. Aux termes d’un contrat intervenu le 12 juillet 1877, entre MM. Goschen et Joubert, agissant pour les créanciers et le directeur de la daïra, les deux dettes ont été réunies en une seule, au même capital nominal, avec intérêts de 5 pour 100 au minimum, et à 6 pour 100 si les terres donnaient net 7 pour 100. Le 1 pour 100 de différence devait servir à l’amortissement. Les revenus nets des propriétés du khédive étaient abandonnés aux porteurs de titres, auxquels, en outre, on donnait hypothèque sur elles. Enfin, il fut convenu que le khédive fournirait sur sa liste civile une subvention de 1 pour 100 de capital, lorsque les revenus nets ne seraient pas de 8 pour 100, et qu’il prélèverait encore sur sa liste civile les sommes nécessaires pour compléter les 5 pour 100,jusqu’à concurrence de 6,250,000 francs. MM. Goschen et Joubert avaient le pouvoir de nommer deux contrôleurs ayant « un droit absolu d’inspection et de contrôle » et formant avec le directeur-général, nommé par le khédive, le conseil supérieur de la daïra Sanieh.

Par contrat du 13 juillet 1877, passé entre MM. Goschen et Joubert et le directeur de la daïra Khassa, — autre domaine privé du khédive, — le khédive accordait une majoration de 10 pour 100 aux porteurs des bons daïra. Il était créé un titre spécial sur ces majorations montant à 17,400,000 francs, et son altesse affectait 50,000 livres sterling, ou 1,250,000 francs, à prélever sur sa liste civile, pour payer l’intérêt à 5 pour 100 et l’amortissement, lin décret du 22 avril 1879 a décidé que cette dernière somme serait prélevée à l’avenir sur les revenus généraux de l’état.

La loi de liquidation a prescrit la conversion au pair des titres de la créance daïra Khassa en titres de la daïra Sanieh, et a stipulé que la somme de 850,000 francs affectée au service des intérêts de cette dette serait versée par le gouvernement à l’administration de la daïra Sanieh.

La même loi a déclaré les terres des deux daïra propriétés de l’état ; elle a fixé les intérêts des titres à 5 pour 100, dont quatre garantis sur les ressources générales et 1 pour 100 d’intérêt complémentaire, payable, si le produit net des terres excédait la somme nécessaire au paiement des 4 pour 100. Cet intérêt complémentaire n’a, du reste, jamais t’té payé. L’amortissement doit être fait au moyen des prix de vente des terres et des revenus nets excédant 5 pour 100.

En vertu de la loi de liquidation, les contrôleurs des propriétés khédiviales sont nommés par le vice-roi d’Egypte, sur la proposition officieuse des gouvernemens français et anglais, et forment, avec le directeur-général, un conseil de direction.


Le capital de la dette daïra Sanieh était, en 1876 et 1877, de 220.385.750 fr.
On a créé pour la conversion de la créance daïra Khassa 17.436.750
Total 237.822.500 fr.

somme sur laquelle il n’avait été amorti, à la date du 31 décembre 1887, que 21,835,000 francs.

Emprunt domanial. — L’emprunt domanial a été émis en vertu d’un décret du 26 octobre 1878. Son capital nominal était de 212 millions 1/2 de francs. L’intérêt a été et reste fixé à 5 pour 100 du capital nominal. Pour garantir cet emprunt qui a été émis par MM. de Rothschild, le gouvernement égyptien a consenti hypothèque au profit des porteurs de titres sur 425,729 feddans de terre ou 181 mille hectares, et sur des maisons situées au Caire et à Alexandrie, dont les membres de la famille khédiviale avaient fait cession à l’état. Ces immeubles ont, en outre, été donnés en gage aux porteurs de titres et remis à une commission de trois membres, un Français, un Anglais et un indigène, chargés de les administrer et de les retenir en qualité de tiers détenteurs, jusqu’au complet amortissement de l’emprunt. En cas d’insuffisance de revenus, les sommes nécessaires doivent être prises sur les ressources générales du trésor.

Par acte additionnel du 14 avril 1880, passé entre le gouvernement et MM. de Rothschild, représentant les porteurs de titres, les revenus de la province de Keneh ont été éventuellement affectés au paiement des sommes nécessaires pour compléter le service de l’emprunt, au cas où le gouvernement ne paierait pas ces sommes dans les délais fixés par la convention. Les ressources applicables à l’amortissement de l’emprunt domanial devaient être fournies, aux termes du contrat originaire, par les produits des ventes de terres et de maisons et l’excédent des revenus.

Aux termes de la convention du 14 avril 1880,on doit appliquer à l’amortissement, outre les prix de vente de terres et de maisons : 1° une somme fixe et annuelle de 1,620,500 francs à prélever sur les revenus des terres, et, en cas d’insuffisance, sur les ressources générales de l’étal ; 2° le montant des coupons afférens aux obligations précédemment amorties autrement que par suite de vente de biens domaniaux ; 3° l’excédent des revenus des domaines après paiement des coupons de l’amortissement fixe.

La convention du 18 mars 1885 a suspendu l’amortissement annuel de 1,620,000 francs ; les autres ressources destinées à l’amortissement sont toujours applicables. Sur les biens domaniaux, 10,061 feddans sont grevés jusqu’en 1892 d’une charge annuelle de 525,000 francs, destinée au paiement des coupons et à l’amortissement d’un emprunt hypothécaire contracté par la princesse Tetwida Hanem avant la cession à l’état.

Au mois de décembre 1887, le capital de l’emprunt domanial restant à amortir était de 173,230,000 francs.

Emprunt garanti. — Le dernier emprunt contracté par le gouvernement est l’emprunt garanti par les puissances conformément à la convention du 18 mars 1885. Il a été émis, en vertu d’un décret du 28 juillet 1885, au taux de 3 pour 100 du capital nominal ; le prix d’émission a été fixé à 95 1/2 pour 100. Le montant nominal de 235,600,000 francs a produit une somme effective de 224,998,000 francs, destinée à faire face, avec certains fonds de liquidation de 1880 restant disponibles, aux indemnités dues par suite de l’incendie d’Alexandrie en 1882 (106 millions de francs ! ), puis au règlement du déficit de 1885 et des années antérieures, aux travaux d’irrigation, à l’indemnité pour rachat de pensions, puis enfin aux fonds réservés pour le service de la trésorerie. Une annuité fixe de 7,875,000 fr. est affectée au paiement des coupons et de l’amortissement ; cette annuité est prélevée comme première charge sur les revenus affectés au service des dettes Privilégiée et Unifiée.

Au 31 décembre 1887, il restait à amortir 230 millions nominaux.

La convention du 18 mars 1885 avait établi sur les coupons de la Privilégiée, de la Daïra, de l’Unifiée et des Domaines, un impôt de 5 pour 100 à percevoir sur les semestrialités venant à échéance en 1885 et 1886, et qui devait être remboursé aux porteurs de titres, si les revenus affectés et non affectés des exercices 1885 et 1886 donnaient un excédent de recettes. Cet impôt a été remboursé au commencement de 1887. Cette même convention a, en outre, suspendu l’amortissement des dettes Privilégiée et Unifiée, plus l’amortissement annuel de 1,620,500 francs de l’emprunt domanial. Toutefois, si les revenus affectés aux dettes Privilégiée, Unifiée, Garantie, et les revenus non affectés, laissent un excédent après paiement de toutes les dépenses, la moitié de cet excédent doit être appliquée d’abord à l’amortissement de l’emprunt garanti, jusqu’à concurrence de 2,500,000 francs, et puis ensuite à l’amortissement des dettes Privilégiée, Unifiée et Domaniale.

J’en ai fini avec l’historique aride, mais instructif, de toutes ces dettes, de tous ces emprunts, et il ne me reste plus qu’à aborder le budget égyptien de l’année présente. Avant d’y loucher, je veux faire remarquer que, même en avril 1881, au lendemain de 1 avènement du khédive actuel, l’Égypte offrait encore assez de garantie pour emprunter ce qu’elle eût voulu, et dans son propre pays, en quelque sorte. J’ai, en effet, sous les yeux, un acte passé entre son excellence Riaz-Pacha, alors ministre des finances, et la Banque ottomane représentée par M. A. Fredirici, son agent en Égypte, acte par lequel ladite banque ouvrait un compte courant à ce ministre de 125 millions de francs. Elle s’engageait à payer le tribut dû à la Sublime-Porte par le gouvernement khédivial, ainsi que les intérêts dus sur les actions de la compagnie universelle du canal de Suez cédée au gouvernement britannique.

Je passe au budget. M. Edgar Vincent, le conseiller anglais, établit ainsi, pour l’année 1888, son budget ou la situation financière de l’Egypte : Recettes : 249,600,000 fr. Dépenses : 248,988,000 fr.[4]. C’est donc, à première vue, un excédent de plus de 700,000 francs, admirable résultat s’il n’était pas plus apparent que réel ; mais, avant de le démontrer, il est bon de connaître dans leur détail les ressources du trésor.

Les contributions directes produisent 144 millions ; les indirectes 48,800,000 fr. ; les revenus des administrations de recettes, 45 millions ; les recettes des services administratifs, 11,632,000 ; les locations des propriétés de l’état, 2,021,000 francs ; les recettes de Souakim ou du Soudan égyptien, 394,000 francs ; les retenues sur les traitemens, 1,800,000 francs. De tous ces chiffres réunis, il faudrait déduire 8,900,000 francs pour non-valeur, ce qui nous ramènerait au chiffre total des recettes donné plus haut. Les dépenses se divisent comme suit : liste civile du khédive, 9,132,000 francs ; frais d’administration et de perception, 46,800,000 francs ; dépenses des administrations des recettes, 2,240,000 francs ; le Soudan, pour occupation de ce qu’il en reste, 500,000 francs ; pensions, 14,700,000 francs ; sécurité publique, 10,500,000 fr. ; tribut à la Porte et dette publique, 127,450,000 fr. ; dépenses imprévues et dépenses rémunératrices, 500,000 francs ; suppression partielle de la corvée, 6,375,000 francs.

J’ai dit que la comparaison des recettes et des dépenses faisait ressortir un excédent de 624,000 francs ; mais il y a lieu de prélever, sur les recettes appliquées au service des emprunts garanti, privilégié et unifié, une somme de 103 millions, produite par les revenus nets des quatre provinces affectées à cet objet, et en revenus des douanes, des chemins de fer et du port d’Alexandrie[5]. Or, la somme nécessaire au service des emprunts n’est que de 90 millions de francs[6]. Cet excédent, provenant de revenus formant le privilège des créanciers, devrait être affecté à l’amortissement ; il sert, au contraire, à couvrir un déficit de pareille somme existant dans le budget administratif. D’un autre côté, le conseiller financier reconnaît, dans une note remise au président du conseil à l’appui du budget, qu’il a compté sur diverses recettes évaluées à 0 millions de francs environ, dont la réalisation sera difficile ou ne s’effectuera qu’imparfaitement. Il est donc permis de supposer que le compte de l’exercice 1888 se soldera par un déficit de 7 à 8 millions au maximum, et que, sous ce rapport, il aura une très malheureuse ressemblance avec ses aînés.

Il est encore un point du budget sur lequel il convient de se livrer à quelques réflexions. L’impôt foncier constitue la principale ressource du gouvernement égyptien ; son produit est porté au budget de 1888 pour l’énorme somme de 134 millions, répartis sur 4,885,968 feddans de terre ; l’impôt par feddan est donc de 65 fr. 75 par hectare. Dans aucun pays du monde la terre n’est si fortement imposée, et maintenant l’on comprend pourquoi le fellah est de tous les êtres le moins heureux, et celui qui retire de cette terre qu’il cultive avec tant d’amour le moins de profit. Ce qui complète la situation, c’est que l’impôt est aussi mal réparti que possible, et cela malgré les diverses tentatives faites par les Anglais pour obtenir un meilleur résultat. Toutes ont piteusement échoué.

Malgré l’aridité du sujet et la pesanteur spécifique du chiffre, il faut bien, si l’on veut connaître l’Egypte, être mis au courant de ce que sont ses ressources. Voici aux contributions directes, dans les sommes à recouvrer en 1888, des indications intéressantes : l’impôt professionnel donne 915,000 francs ; celui des propriétés urbaines, 743,000 francs ; les moutons et les chèvres, 200,000 fr. ; voitures et pressoirs, 60,000 francs.

Le produit brut des contributions indirectes est évalué comme il est indiqué aux chapitres suivans : douanes, 26,265,000fr. ; octrois, 8 millions ; pêcheries et droits de navigation, 4,151,000 fr. ; timbre et enregistrement, 2,550,000 fr. ; droits divers, 2,287,000 fr.

Les chemins de fer, qui font partie de ce qu’on appelle les administrations de recettes, donnent 33,385,000 francs ; les paquebots-poste, 3 millions ; les télégraphes et les postes, 3,800,000 francs ; le port d’Alexandrie et les phares, 4,726,000 francs ; les ports (autres que ceux d’Alexandrie), 87,000 francs.

Je dois faire remarquer, en passant, que l’Egypte est le pays dont le réseau des voies ferrées est le plus développé proportionnellement à sa surface, mais non à la densité de sa population. Mille kilomètres de canaux, plus les deux grandes branches du Nil, sont ouverts à la navigation toute l’année. Avant la perte du Soudan, la vallée du Nil était, sur les confins du désert, obligée pour ses échanges d’employer les caravanes.

Les recettes administratives sont celles qui sont perçues, par les tribunaux indigènes et ceux dits de la réforme, sur les actes notariés, actes judiciaires, droits d’huissiers, vente de papiers timbrés, amendes, etc. ; par le ministère de l’instruction publique, pour pensions des élèves, et par le ministre de la guerre, pour rachat du service militaire.

La retenue sur le traitement du personnel s’exerce sur 10,642 employés, qui touchent annuellement plus de 36 millions de francs. La retenue est de 5 pour 100 depuis le 1er janvier 1888.

Les dépenses, comme je l’ai indiqué plus haut, sont divisées en dix chapitres. Dans le premier, la liste civile du khédive figure pour 2,295,000 francs ; les allocations à la famille khédiviale s’élèvent jusqu’à 5,300,000 francs ; il est probable que ce chiffre subira une diminution en 1889, plusieurs de ces hauts personnages ayant demandé des terres en échange de leurs pensions. Les administrations centrales des sept ministères n’ont pas moins de 1,133 employés qui, annuellement, émargent 23,200,000 francs : c’est par employé, bien près de 5,000 francs, — somme très supérieure à la moyenne qui se paie en France.

La présidence du conseil des ministres, non compris le président du conseil, qui émarge aux affaires étrangères, revient à 136,000 fr. ; le conseil législatif, une sinécure, seulement à 204,000 francs. Le ministère des affaires étrangères, 300,000 francs. La caisse de la dette publique, tout près de 1 million ou 38,408 livres égyptiennes ; le ministère des finances absorbe beaucoup : 2,500,000 francs : l’imprimerie nationale, admirablement dirigée par un Français, et dont les travaux sont absolument remarquables, 150,000 fr. seulement.

L’administration centrale de l’instruction publique, — y compris les écoles réunies de toute l’Egypte, — revient à 2,068,000 fr. ; c’est moins, — on peut aisément le remarquer, — que ce que coûte le personnel de l’administration centrale des finances. Rien n’est plus significatif ; quand le fait contraire se produira, l’Egypte sera sur la voie de sa régénération, et ce ne sera pas trop tôt.

Le ministère de la justice, c’est-à-dire son administration centrale, est inscrit au budget de 1888 pour 876,000 francs ; les tribunaux de la réforme coûteront 3,540,000 francs, et les tribunaux indigènes reviendront à 3,900,000 francs.

Le ministère des travaux publics, l’un des plus importans par les soins que les digues, les canaux et les barrages du Nil nécessitent, disposera, pour l’année présente, de 12 millions ; le cadastre, de 700,000 francs seulement. Chaque année, l’Égypte musulmane envoie à La Mecque un tapis saint ; ce cadeau lui coûte 1,100,000 francs : grosse somme qui ne lui gagne pourtant pas l’affection des derviches soudanais, les saints de l’islam.

Le service du personnel de la perception nécessite 1,813 employés, émargeant au complaisant budget une somme de 2,400,000 fr. Celui du personnel administratif des provinces coûte, avec 1,819 employés, 2,600,000 francs. Il convient d’ajouter aux dépenses de ces deux services une somme de 127,047 livres égyptiennes, ou 3,239,000 francs pour dépenses générales. Le personnel des douanes et, autres dépenses adhérentes à ce service coûtent au trésor 2,200,000 francs. Le service des octrois, dont l’un de nos compatriotes, M. Mazuc, est l’habile directeur, occupe 1,607 employés, tant au Caire, à Alexandrie, que dans d’autres villes. Il revient, y compris 2,670 livres égyptiennes de dépenses diverses, à près de 1,300,000 francs. C’est en voulant faire éloigner M. Mazuc, malgré la volonté du khédive, que son excellence Nubar-Pacha est tombée.

Le personnel chargé de surveiller l’extraction du sel et du natron[7] coûte, avec les frais d’exploitation, 700,000 francs. Une commission de vente de 25,000 livres égyptiennes est accordée aux débitans. Les pêcheries, qui occupent 346 employés, chargent le trésor d’une somme annuelle de 295,000 francs.

Les dépenses des chemins de fer, des télégraphes et du port d’Alexandrie s’élèvent à un total de 16 millions. On a vu plus haut que ces administrations sont affectées au paiement de la dette.

Il y a dans toute l’étendue de l’Égypte 144 bureaux de poste, auxquels sont attachés 903 employés, chargeant le trésor, avec d’autres services intérieurs, d’une somme de 2 millions 1/2 de francs. Treize paquebots-poste font le service d’Alexandrie à Constantinople et les services de Syrie et de la Mer-Rouge.

Le directeur de toutes ces administrations postales est un Syrien ; on en fait un grand éloge. Ce n’est pas un des spectacles les moins curieux que celui de voir, à certaines heures du jour, les bureaux de son hôtel envahis par une multitude d’Arabes, de Coptes, d’Asiatiques et d’Européens, chacun demandant en son langage, à des employés polyglottes, des timbres, des lettres ou des renseignemens.

L’effectif de l’armée égyptienne, ainsi que je l’indiquerai dans le paragraphe qui lui sera consacré, a été arrêté, pour 1888, à 9,112 hommes, et la dépense de son entretien figure au budget pour la somme de 7,885,000 francs. La solde y est pour plus de moitié, et pour cause : 55 officiers supérieurs anglais, — du grade de major à celui de général en chef, — reçoivent pour leur part 953,000 francs, soit une jolie moyenne de plus de 17,000 francs. 30 sous-officiers anglais touchent, de leur côté, 124,746 francs ; c’est donc, pour chacun d’eux, la jolie paie de 4,158 francs. C’est tout simplement monstrueux, et quand Gordon s’écrie que l’Égypte est la proie de vautours, il dit vrai. Avec de pareilles soldes à payer annuellement, on comprend sans peine pourquoi les Anglais de tous grades aiment un séjour en Égypte, d’autant plus que tout cela est agrémenté d’indemnités de fourrages et de logemens. 415 officiers égyptiens, — capitaines, lieutenans et sous-lieutenans, — ont une solde moyenne de 3,000 francs. Enfin, la troupe, composée de 8,612 sous-officiers, caporaux, soldats et un millier de femmes, ne coûte que 1,160,000 francs ; un peu plus de 200,000 francs plus cher que tous les officiers et sous-officiers de la Grande-Bretagne séjournant en Égypte.

Dans une contrée protégée par de la gendarmerie et de la police anglaise, on doit payer un haut prix l’avantage de n’être ni volé ni assassiné, et, en effet, les deux corps organisés militairement, ne comprenant pas moins de 7,302 individus de tous grades, reviennent à 6,200,000 francs. C’est un abus criant, d’autant plus que jamais on n’a été plus volé ni plus assassiné. Là-dessus, tout le monde est d’accord.

Les pensions que le gouvernement accorde très libéralement aux fonctionnaires de toutes nationalités ayant été à son service, grèvent aussi très lourdement le budget. Ici, du moins, personne ne songera à crier au scandale, à dire que, s’il est utile de protéger un peuple contre une anarchie imaginaire, on n’est pas pour cela autorisé à le dépouiller. Il n’y a pas moins de 17,633 pensionnaires ou employés et soldats retraités, émargeant par au 14,660,000 francs.

Le tribut que l’Égypte paie à la Sublime-Porte et ce qu’il lui faut débourser pour les intérêts de sa dette n’absorbent pas moins de 50 pour 100 des revenus du pays. J’en trouve la preuve dans le budget de l’année courante :


Tribut payé à la Porte 16.953.000 fr.
Tribut payé à ville de Cavala, où Méhémet-Ali naquit 5.500
Tribut pour la ville de Zeila 34.000
Dette garantie 3 pour 100 7.831.000
Dette privilégiée 5 pour 100 27.717.000
Dette unifiée 4 pour 100 55.682.000
Intérêts des actions du canal de Suez 5.044.000
Service de la dette daïra Khassa 867.000
Annuité de la moukabala 3.825.000
Complément des ressources nécessaires au service des emprunts domaniaux et de la daïra Sanieh 8.925.000
Soit un total de 126.883.500 fr.

Le montant des recettes est de 244,800,000 francs.

Une somme de 14 millions est inscrite depuis deux ans au chapitre des dépenses pour l’exécution de certains travaux qui, précédemment, étaient l’œuvre des corvéables. On veut abolir la corvée peu à peu, et cette somme est destinée à payer des travailleurs pris à la journée.


XII. — ADMINISTRATION DES DOMAINES.

Les domaines représentent la onzième partie du territoire égyptien, soit une étendue de 181,841 hectares. Je rappelle qu’ils sont dirigés avec un rare entendement des hommes et des choses par un éminent financier, M. Bouteron, représentant des intérêts de MM. de Rothschild. Pour l’année 1888, le budget de l’administration des domaines s’élève, en recettes, à 19,760,707 francs, et en dépenses, à 24,633,002, ce qui donne un déficit ou, si l’on aime mieux, une insuffisance de revenus de près de 5 millions de francs, et il ne peut en être autrement, le gage donné aux créanciers étant bien loin de valoir le montant de la somme qu’ils ont prêtée.

L’administration centrale des domaines a son siège au Caire ; elle occupe 109 employés, qui coûtent tous les ans 483,000 francs. Le personnel supérieur chargé des irrigations, des usines, des constructions, de l’assiette de la propriété et du sous-lotissement, compte 14 ingénieurs ou conducteurs, et les frais de ce service s’élèvent à plus de 250,000 francs. Trois avocats dirigent le contentieux ; quant au personnel permanent des cultures, il ne comprend pas moins de 3,390 employés, auxquels il faut ajouter 50,000 ouvriers environ, revenant par an à 1,451,716 fr. Le prix de la journée n’est pourtant en moyenne, pour un terrassier, que de 0 fr. 70. Qu’en penseraient les terrassiers grévistes de Paris !

Des 118,841 hectares hypothéqués, il n’en reste plus, par suite des ventes qui ont servi à l’amortissement, que 157,084, dont 48,000 cultivés directement par l’administration et 91,000 en location. Les principales cultures sont celles du coton, du blé, du riz, de l’orge, des fèves et du bersim, sorte de trèfle qui, dans les villes, transforme en près minuscules les stations de voitures[8].

Les 91,000 hectares loués le sont pour une somme totale de 7,700,000 francs, soit à 84 fr. 64 par hectare ; l’impôt à la charge de l’administration. Celle-ci a fait construire 250 kilomètres de routes, les seules qui existent en Égypte. L’irrigation à vapeur, l’égrénage du coton, le décorticage du riz et les ateliers de réparation lui coûtent par an plus de 1 million de francs. Ces quatre derniers services emploient 50 machines fixes et 314 locomobiles, dont l’ensemble représente une force de 4,562 chevaux et une valeur de 2,800,000 francs.

Le service des intérêts des deux emprunts auxquels les domaines servent de gage exige une somme annuelle de 9,600,000 francs ; en sorte qu’en y ajoutant 5 millions d’impôts, et le rendement n’étant que de 19,700,000 francs, l’administration paie 75 pour 100 de son revenu brut. En réalité, le gage est inférieur de moitié à la valeur de l’emprunt. Je rappellerai au lecteur que les créanciers ont comme garantie les revenus généraux de l’état, et à défaut de ses revenus le privilège des rendemens de la province de Kéneh, qui s’élèvent à 8 millions de francs environ.


XIII. — COMMERCE GÉNÉRAL.

C’est en jetant un coup d’œil sur le commerce général de l’Égypte avec les autres nations qu’il est aisé de voir combien la situation actuelle est ruineuse pour les Égyptiens, préjudiciable aux Français et profitable aux Anglais. Sans besoin de commentaires, sans nécessité d’aucun raisonnement, on constate que la Grande-Bretagne, dans une période de cinq ans, soit de 1874 à 1879, n’a importé en moyenne et en marchandises de sa fabrication qu’une valeur de 69 millions de francs seulement. En 1836, son chiffre d’importation s’est élevé jusqu’à 92 millions.

La France qui, pendant la même durée, importait la valeur de 23,700,000 francs, a vu ce chiffre tomber, en 1886, à 23 millions. Nous perdons près de 1 million lorsque l’Angleterre en gagne 23.

L’Egypte, de 1874 à 1879, avait exporté annuellement en produits du sol pour une valeur de 339 millions de francs. En 1886, cette valeur est tombée à 263 : différence en moins, 76 millions. Comme tout ce qu’elle exporte est dû à son agriculture, il en résulte la preuve évidente que celle-ci est en pleine décroissance depuis que des mains étrangères, inexpérimentées, se sont mises à la diriger[9]. N’ai-je pas raison de dire que ce tableau du commerce général de l’Egypte se passe de commentaires et qu’il est l’éclatante justification de mes critiques ?


EDMOND PLAUCHUT.

  1. Voyez la Revue du Ier et du 15 décembre 1888.
  2. En réalité 2,839,332,525 francs.
  3. Un nouvel emprunt de 60 millions de francs rient d’être réalisé, et on annonce une prochaine émission de 80 millions.
  4. J’ai calculé la livre égyptienne à 25 fr. 50, quoiqu’elle atteigne souvent un cours plus élevé. Sa valeur réelle est de 25 fr. 923.
  5. Détail des revenus :
    Provinces 58.258.000 fr.
    Douanes 24.083.000
    Chemins de fer, télégraphes et port d’Alexandrie 20.664. 000
    Total 103.005.000 fr.

  6. Emprunt 6.831.000 fr.
    Dette privilégiée 27.718.000
    Dette unifiée 55.682.000
    Total 90.231.000 fr.
  7. Carbonate de soude cristallisé très commun en Égypte et en Hongrie.
  8. Les terres de l’administration des domaines représentent comme valeur la moyenne des terres d’Égypte. Les chiffres suivans donnent à peu de chose pris le rendement des produits et leur valeur.
    Prix moyen
    Blé, 14 hectol. 71 par hectare 11 fr. 79 l’hectolitre.
    Paille de blé, 1,533 kil. 1 fr. 88 les 100 kil.
    Orge, 10 hectol. 50 7 fr. 47 l’hectolitre.
    Paille d’orge, 688 kil. 1 fr. 36 les 100 kil.
    Fèves, 11 hectol. 37. 10 fr. 48 l’hectolitre.
    Paille de fèves, 809 kil. 0 fr. 73 les 100 kil.
    Fenu grec, 7 hectol. 6. 11 fr. 27 l’hectolitre.
    Pois chiches, 11 hectol. 52 14 fr 29 —
    Coton, 293 kil. 145 fr. 65 les 100 kil.
    Graines de coton, 10 hectol. 20 7 fr. 21 l’hectolitre.
    Riz, 1,589 kil. 15 fr. 73 les 100 kil.
    Maïs, 14 hectol. 12. 9 fr. 17 l’hectolitre.
    Chanvre, 1,716 kil. 103 fr. 10 les 100 kil.
    Arachides, 43 hectol. 33 8 fr. 52 l’hectolitre.
    Sésame, 8 hectol. 28 26 fr. 22 —
    Lentilles, — 10 fr. 22 —
    Lupins, — 8 fr. 12
  9. .
    Pays importateurs Valeur moyenne par an des marchandises importées de 1874 à 1879 Valeur des marchandises importées en 1886
    Amérique 2.129.270 fr. 1.626.690 fr.
    Angleterre et possessions 69.309.716 92.356.602
    Autriche-Hongrie 15,017.808 23.647.728
    France 23.748.230 22.958.260
    Grèce 444.834 2.342.196
    Indes, Chines et Japon 6.568.796 2.099.162
    Italie 5.325.624 7.031.388
    Russie 1.517.256 11.579.594
    Turquie 2.484.612 33.889.492
    Contrées diverses 1.250.028 5.328.994
    Total 127.861.174 fr. 202.860.100


    Pays exportateurs Valeur moyenne par an des marchandises importées de 1874 à 1879 Valeur des marchandises importées en 1886
    Angleterre 226.292.352fr 156.962.432
    Amérique 717.886 555.256
    Autriche-Hongrie 13.805.480 15.549.248.
    France 36.045.854 23.575.942
    Grèce 2.292.238 972.712
    Italie 21.655.244 15.385.812
    Russie 17.831.580 27.183.520
    Turquie 12.700.870 9.496.500
    Contrées diverses 2.396.810 3.688.698
    Total 338.738.314 253.370.120