L’Élève Bompel/01

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Éditions La Belle Cordière (p. 7-20).

I


Il s’appelait Nil Bompel, et son prénom le rendait fier. Quand on s’exclamait à ce nom de saint peu connu, il répondait froidement, d’un air un peu dédai­gneux : « Ma fête est le 25 septembre, je compte donc parmi les chrétiens. »

Nil avait un frère qui s’appelait Jean, et des parents qui élevaient bien leurs enfants. M. Bompel était fonc­tionnaire. C’était un père compréhensif qui essayait de pénétrer les caractères de ses fils. Jean était studieux, docile, sans personnalité marquée. Il n’en était pas de même de Nil dont l’indépendance suscitait quelques imprévus. Aussi l’avait-on envoyé très jeune au col­lège. Il avait cinq ans.

Tous les matins, le frotteur de l’appartement con­duisait le jeune Nil en classe, bien que cela déplût fort à ce dernier. Il voulait s’en aller seul, prétendant qu’il connaissait le chemin. Mais sa mère persistait à le faire accompagner, parce que le trajet était un peu long, et elle craignait les dangers de la rue. La ville comptait un million d’habitants et un enfant pouvait s’y égarer.

Les raisonnements qu’on tenait à Nil sur ce sujet ne le touchaient pas, et il demandait chaque jour qu’on le laissât aller sans mentor.

Naturellement, on n’était pas ému par ses réclamations.

Nil était si affecté qu’on ne crût pas à ses facultés d’orientation et de prudence, que l’on trouva un moyen de le satisfaire, tout en se tranquillisant : le frotteur qui l’accompagnait eut pour mission de le surveiller tout en se dissimulant, c’est-à-dire que l’homme se cachait à un coin de rue, et dès que l’enfant tournait à un autre coin, il se hâtait de façon à le suivre des yeux. Quand la rue était un peu longue, le brave homme s’abritait derrière une autre personne. Ce manège manquait de commodité, mais il l’amusait beaucoup.

Cependant, un jour, le bambin s’aperçut du stratagème et, comme il était vif, il courut sur celui qui le surveillait et ses petits bras potelés lui administrèrent force coups, à la grande joie des passants. Nil criait :

— Je ne veux pas que tu me conduises !

— Vous vous perdrez…

— Je connais le chemin…

— Vous vous ferez écraser en traversant les rues !

— Je ne suis pas si bête.

Ce dialogue s’échangeait, alors que les petits poings tombaient dru sur le frotteur, qui simulait la souffrance en criant : « Aïe ! oh ! aïe ! oh ! là là… » Quand le petit bonhomme crut avoir maté sa victime, il reprit paisiblement le chemin du collège, en se retournant pour voir s’il était enfin débarrassé de son compagnon.

Par chance, ce dernier avait reconnu, parmi les passants, une dame, amie de Mme Bompel, qui, très divertie par cet incident, s’offrit à surveiller l’enfant. Ainsi, Nil eut beau épier, il ne vit plus le frotteur et se rendit tout joyeux vers sa classe.

— Bonjour, Nil… il me semble que vous êtes bien en retard ?

— Je ne sais pas l’heure… il a fallu que je batte Guétard qui voulait me conduire…

— Battre ? c’est très laid !

— Laid ? C’est lui qui a été méchant. Je lui avais dit que je savais mon chemin, et il me suivait pour que je ne me perde pas. Quand il a été bien battu, il est reparti.

Ce jour-là, ce fut sa mère qui vint le chercher. Ordinairement, il revenait avec son frère aîné, les heures de retour étant souvent les mêmes. Nil aimait beaucoup être dans la rue avec sa mère. Il la trouvait toujours bien habillée. Bien qu’il eût le sens critique développé pour son âge tendre, il jugeait que sa mère était mieux que celles de ses camarades.

Seulement, il ne voulait pas lui donner la main, mais le bras, et il était convaincu qu’il réglait son pas sur le sien.

Il lui raconta son algarade avec le frotteur, et elle l’écouta, feignant de n’en rien connaître.

— C’est donc pour cela, dit-elle, que le pauvre homme n’a pu frotter son plancher aujourd’hui ! Il avait très mal.

Nil avait bon cœur, et cette phrase le frappa :

— Tu crois qu’il avait mal ?

— J’en suis sûre.

Nil sentait des remords. Il n’en dit rien cependant, mais quand il revit sa victime le lendemain qui était un jeudi, il entama la conversation :

— Alors, mon vieux, tu es guéri ?

— Oh ! pas tout à fait encore… mes bras ne sont pas encore solides…

— Écoute… je vais te chanter une belle chanson, pendant que tu frotteras.

Nil avait une voix juste. Il retenait tous les airs qu’il entendait et il entonna la « Marseillaise » sans paroles. Guétard, entraîné, l’imita.

Nil s’arrêta, le regarda d’un air sévère :

— Ta voix est trop grosse, et tu ne chantes pas le bon air… Tais-toi ! laisse-moi chanter… et toi, frotte !

Remis dans son chemin, Guétard n’ouvrit plus la bouche, tandis que Nil déroulait ses plus beaux airs en y plaçant des paroles de son invention. Il marchait de long en large, les mains derrière le dos.

Cet après-midi-là, cet exercice lui donna faim plus tôt que d’habitude. Il demanda à sa maman :

— Dans combien de temps aurai-je ma tartine ?

— À 4 heures… Tu vois la pendule ? quand la petite aiguille sera sur le chiffre 4, tu auras ton goûter…

Nil regardait la pendule. Sa mère sortit de la pièce et, tranquillement, il approcha une chaise de la cheminée et, délicatement, de son doigt léger, il glissa l’aiguille sur le chiffre voulu.

Mme Bompel rentra dans la pièce et Nil lui dit :

— Maman, l’aiguille est sur l’heure du goûter…

Étonnée, sa mère jeta un coup d’œil sur la pendule et constata le fait. Elle ne comprit pas tout d’abord, et quand elle eut deviné le mystère, elle ne put s’empêcher de rire…

— Oh ! Nil… tu as triché !

— Qu’est-ce que cela veut dire, tricher ?

— C’est avancer les aiguilles d’une pendule.

— Ah !

Mme Bompel n’entreprit pas d’expliquer plus longuement sa pensée sur l’ordre du temps, et elle se contenta de dire qu’il ne fallait pas toucher à une pendule sans savoir s’y prendre, sans quoi, elle se briserait et ne marcherait plus.

Nil n’insista pas. Le dimanche suivant, il vit son père qui remontait les pendules de l’appartement, et il le regardait faire avec intérêt.

— Papa… tu triches beaucoup.

— Je triche ? comment cela ?

— Tu avances les aiguilles.

Ahuri, le père promenait ses yeux, de Nil au cadran sur lequel il réglait l’heure. Il ne put rien répondre, et Nil, d’un air supérieur, murmura :

— Tu ne peux pas comprendre.

Et comme un enfant qui renonce à lutter, il s’en alla vers d’autres distractions.

Cette année-là, l’été fut très chaud et Nil se plaignait souvent d’être trop habillé, bien qu’il le fût le plus légèrement possible.

Un matin, sa mère vint comme d’habitude assister à son réveil, et comme il paraissait vouloir encore dormir, elle se retira sur la pointe des pieds.

Elle prit un ouvrage et s’assit près d’une fenêtre ouverte. La maison était située sur une place et l’appartement au premier étage. Ayant levé la tête et jeté un regard dehors, elle aperçut des personnes qui riaient, et elle-même rit de bon cœur en voyant de dos un petit garçon qui se promenait gravement en chemise et pieds nus. Des dames lui parlaient, mais il ne répondait pas, et continuait imperturbablement sa promenade.

Soudain, Mme Bompel reconnut son fils, et une rougeur couvrit son visage. Elle se voila la face, les jambes paralysées par la honte. Puis, se reprenant, saisit un chapeau, dévala l’escalier et courut pour rattraper Nil.

— Que fais-tu là, malheureux ?

— Je me promène…

— En chemise !

— J’ai trop chaud… et je suis très bien sans vêtements…

Un attroupement s’était formé et l’on s’amusait de la crânerie de Nil. Vivement, au comble de l’horreur, sa mère l’emmena. Il ne résista pas, mais disait :

— Pourquoi ne peut-on pas se promener en chemise ? On est si bien…

Mme Bompel eut beaucoup de peine à le persuader qu’il avait mal agi. Dans son acte, il ne voyait rien de répréhensible, et à tout ce que sa mère pouvait trouver pour le convaincre, il opposait une logique qui la désarmait :

— Enfin, conclut-elle, impatientée, je sais une chose : c’est que tu n’as pas vu un seul petit garçon en chemise dans la rue… donc, c’est que cela ne se fait pas !

Nil réfléchit et répondit avec calme :

— C’est parce que les autres petits garçons n’ont pas trop chaud…

Mme Bompel se hâta de changer de conversation, comprenant qu’elle n’aurait pas le dernier mot.

Nil possédait un habitat à lui, et dans lequel il se trouvait fort bien. Cela consistait en un grand tabouret de cuisine, retourné. Il se logeait entre les quatre pieds qui se dressaient en l’air, comme des bastions dominant les points cardinaux. De cette forteresse, Nil voyait ce qui se passait autour de lui. Les quatre bastions étaient ceints d’une ficelle afin que nul ne pût pénétrer dans cette tour. Nil s’asseyait sur l’un des rebords, et il méditait. Il aimait le silence et détestait les jeux bruyants. Souvent, il chantait et sa voix juste causait toujours du plaisir à ceux qui l’entendaient.

Il était observateur, et, au printemps, il guettait l’été. Il regardait par la fenêtre, et quand il voyait courir l’ombre des nuages sur la terre, il s’écriait :

— Maman ! l’été arrive !

Aussitôt que les arbres verdissaient et que le soleil se montrait, Nil, attentif, cherchait l’été et n’avait de satisfaction que quand il le voyait courir sur le sol.

L’hiver, pour lui, se fixait à Noël où il attendait le petit Jésus. L’arbre scintillant le jetait dans l’extase, mais la venue du Petit Jésus le plongeait dans une émotion dont il avait peine à se remettre.

Sa mère priait toujours une jeune amie de se tenir durant quelques minutes auprès du beau sapin dans un costume approprié pour figurer la Sainte Présence.

Sans un mot, Nil contemplait les boucles des cheveux tombant sur les épaules, l’auréole d’or autour de la tête, la longue robe blanche descendant sur les mules d’argent.

Jésus le regardait sans parler, puis lui tendait un paquet qu’il détachait de l’arbre. Puis, pendant que Nil avait les yeux sur son paquet, le visiteur céleste disparaissait.

Alors, il se jetait dans les bras de sa mère et murmurait :

« L’hiver est bien là… crois-tu que le bon Jésus aura assez chaud ? Il n’avait pas de capuchon et le Ciel est si haut… et la route si longue… »

Le lendemain, il attendait la neige et souvent, elle arrivait. Par une coïncidence exceptionnelle, depuis qu’il savait observer, jamais la neige n’était venue pour la fin de l’année, mais dès les premiers jours de janvier elle tombait, et Nil ne se lassait pas de regarder les flocons qui tourbillonnaient devant la vitre. Il voyait dans ces flocons toutes sortes d’images. Tour à tour, c’étaient des nains qui se battaient ou des oiseaux qui laissaient tomber leurs plumes. Il quittait enfin la fenêtre, et plein de vertige, il questionnait :

« Qu’est-ce que c’est que la neige ? d’où vient-elle ? pourquoi fait-il froid ? pourquoi ne reste-t-elle pas sur la terre, et pourquoi, si blanche, devient-elle noire ? »

Quand il alla en classe, la neige ne l’étonnait plus et il se figurait être un grand. Il savait beaucoup de choses et croyait n’avoir plus rien à apprendre. Ainsi, un dimanche, en revenant de la messe, il dit au frotteur qui était de la même paroisse :

— Aujourd’hui, j’ai vu le Bon Dieu…

— Ah ! vous en avez de la chance ; moi, jamais je ne l’ai vu ! Comment était-il ?

— Très beau… ses habits brillaient… ses mollets étaient blancs, son chapeau comme celui d’un gendarme. Il avait une grande canne à la main, et il frappait les dalles pour faire taire les gens.

Le frotteur le laissa dans son illusion, et Nil raconta son histoire à qui voulait l’entendre.

Il arriva qu’un soir d’automne, Nil se trouva seul dans la rue, n’ayant pas vu son frère à la sortie des classes. Il ne fut pas embarrassé. Il s’en alla doucement, flâna, regarda les boutiques, et il vint un moment où il se trompa de rue.

Dans sa famille, on était mortellement inquiet. Son frère se défendait en alléguant qu’il avait cru comprendre que leur mère le chercherait.

Mme Bompel prit le chemin du collège, alla jusque dans la classe de Nil, questionna tous ceux qu’elle rencontra, et chacun s’accorda pour affirmer que l’élève Bompel était reparti.

Mme Bompel demanda l’adresse de quelques camarades au cas où l’enfant les aurait suivis. Mais là encore, nul succès. La pauvre mère revint chez elle dans une douloureuse émotion. Quand son mari rentra et qu’il apprit le drame, il alla, sans tarder, avertir la police pour qu’on l’aidât à retrouver son fils.

Les agents se mirent en branle.

À 21 heures, alors que les parents, anxieux et exténués d’avoir exploré les maisons voisines, étaient là, frémissants d’angoisse, la sonnette retentit, et sur le seuil de la porte, rapidement ouverte, se tenait Nil, sur l’épaule d’un égoutier.

— Bonjour tout le monde ! cria-t-il dans un langage nouveau qu’il venait d’apprendre.

— Ah !

La mère ne put que s’emparer de son fils et le couvrir de baisers.

— Où étais-tu, petit malheureux ? qu’as-tu fait ? tu t’es perdu ?

L’égoutier raconta :

— J’avons vu un p’tit môssieu qui me regardait travailler… Quand j’eus fini, je le voyais toujours. Je lui dis : T’es du quartier, mon bonhomme ? — Non. — D’où viens-tu ? — De la classe. — Alors, tu vas rentrer chez ta maman ? — Je me promène un peu… — Je trouvais ce p’tit môssieu bien habillé avec un air qui semblait me dire : « Ne me pose pas trop de questions. » J’étais embarrassé… Alors, je reprends : Ben moi, j’vas à la soupe. — Moi aussi. — Alors, bonsoir, que j’fais.

— J’vais avec toi. — Tu demeures donc de par chez moi ? — Non, mais j’ai faim et je veux aussi manger une soupe avant de rentrer. — Ça va, que j’dis…

« Nous partons. Il était dans les 6 heures. Aux premiers pas, j’avons deviné que le p’tiot était las. L’idée m’est venu qu’il s’était égaré. Je l’ai mis sur mon épaule et je me suis dit : j’vas toujours le mener à la ménagère, une bonne soupe ne lui fera pas de mal, et après, je le reconduirai chez ses parents… Quand ma bourgeoise m’a vu entrer avec mon colis, elle a crié tout de suite : « Oh ! le bon petit ! que j’suis contente !

— T’es donc si contente, ma bourgeoise ? — Pour sûr ! bonjour, mon mignon… et le mioche a crânement répliqué : « Bonjour, ma bourgeoise ! » ce qui nous a bien fait rire… Mais, avant la soupe, pas moyen de lui tirer une indication. Ensuite, nous avons démêlé, à force de questions et de ruses, que môssieu ne voulait pas qu’on le conduise, qu’il s’était trompé de rue et qu’il avait un peu peur quand il m’a rencontré… Bref, je vous le ramène en bon état. »

Ainsi parla le brave homme, et Nil ajouta, pour que l’on ne crût pas à un désarroi profond :

— Papa… il faudra que tu m’achètes une montre pour que je sache l’heure de la soupe, quand je m’arrête pour regarder travailler.

Mme Bompel s’écria :

— Mais il ne faut jamais t’arrêter, mon chéri !

— Alors, je ne saurais rien ?

— Quand tu reviens du collège, il faut rentrer tout de suite. Si tu n’avais pas rencontré ce bon monsieur, nous te chercherions encore…

— Oh ! j’en aurais rencontré un autre ! répliqua Nil avec assurance… il y en a tellement dans la rue, mais j’aime mieux que ce soit lui, parce que « ma bourgeoise » a de la bonne soupe.

Ces paroles causèrent l’hilarité de tout le monde. Nil était si parfaitement naturel que ce qu’il exprimait gardait un cachet d’humour qu’on ne pouvait entendre sans rire.

Bien remercié, bien gratifié, l’égoutier s’en alla et Nil lui serra la main avec un air un peu protecteur qui tendait à signifier : Ne crois pas que je me sois perdu… je l’ai fait exprès pour voir des choses inconnues.

M. Bompel sortit avec le brave homme afin d’avertir la police qu’elle eût à cesser ses recherches.

— La police ? questionna Nil, c’est le commissaire avec ses agents ?…

— Oui, mon petit.

— Ils me cherchaient tous ? Comment faisaient-ils ? Ils avaient des lanternes ? Les gens ont pensé que c’était une retraite aux flambeaux !… Si j’avais su, je serais parti avec papa.

À partir de ce jour, Nil se jugea tout à fait grand.

Il avait été seul dans une rue lointaine et avait des relations inconnues de ses parents, ce qui lui donnait une supériorité. Il ne tarissait pas de détails sur cette aventure et racontait à sa mère tout ce qu’il avait vu.

De plus, le souvenir du repas qu’il avait fait le laissait plein de reconnaissance, et il disait :

« Il faudra absolument que tu viennes un jour avec moi, pour manger la soupe de ma bourgeoise… Puis tu verras aussi les grandes bottes de l’égoutier… Il les avait enlevées pour me reconduire… Il ne doit pas avoir froid aux pieds avec des bottes pareilles ! »

Désormais, Nil se crut tout à fait un homme d’importance. Moins que jamais, il ne voulait qu’on l’accompagnât. Il partait cependant avec son frère quand les heures de classe correspondaient, et l’on s’ingéniait pour le retour.

Un jour, il revint assez tôt et seul.

— Te voici ! la classe s’est donc terminée plus vite ? lui demanda sa mère interloquée.

— Non… mais je suis revenu en taxi.

— En taxi ?

— Oui… j’ai un ami chauffeur…

Voici ce qui était arrivé :

Quelques taxis avaient leur station sur la place où habitait la famille Bompel. À force de voir passer le jeune garçon, un chauffeur, père de famille, s’était intéressé à son visage intelligent, à sa démarche décidée et à cet air ferme et absorbé qui étaient ses caractéristiques.

Il y eut échange d’amabilités.

Un après-midi, le chauffeur, qui partait en maraude, dit à Nil :

« Je vais du côté de vot’collège… montez près de moi, mon jeune prince… »

Guétard, de loin, vit le manège et il échangea un coup d’œil avec le chauffeur.

Nil accepta, mais au lieu de se placer à côté du conducteur, il préféra se prélasser sur la banquette du fond. Le chauffeur, éberlué, se retournait pour le contempler de temps à autre, et il le voyait, un bras nonchalamment appuyé sur l’accotoir, et le regard errant avec indifférence sur les passants.

En arrivant au collège, Nil eut une ovation, quand on le vit descendre de sa voiture. Il n’en éprouva nul orgueil, parce qu’à cinq ans on est encore simple. D’ailleurs son âme ne connaissait pas l’ostentation. Toutes les circonstances de la vie lui paraissaient naturelles.

Il dit à « son » chauffeur :

« À une autre fois ! »

Puis, sans autre manifestation, il franchit la porte du collège.

Cette aubaine lui arriva quelques fois, et ce jour-là, il bénéficia du taxi pour le retour, le chauffeur l’ayant « cueilli » à la sortie des classes.

Il expliqua son cas à sa mère. La première surprise de Mme Bompel était passée, car elle se rappelait avoir été prévenue par le frotteur Guétard. Cependant, elle ne savait comment accepter cette nouvelle fantaisie ? Devait-elle interdire ou devait-elle tolérer ?