L’Étoile de Prosper Claes/07

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La Renaissance du livre (p. 97-111).


CHAPITRE VII



Tout de suite, Camille s’était accommodée à sa nouvelle existence avec une bonne volonté qui tenait bien plus d’une sorte d’apaisement que de la résignation.

Certes, la mort tragique de ses parents, malgré leur inqualifiable conduite à son égard, l’avait quand même bouleversée profondément; mais la joie d’être libre, la vive tendresse que lui témoignaient les vieux Claes, les attentions des Lust et de Bernard lui étaient autant de raisons de se remettre promptement de ce nouveau malheur. Au surplus, la mort de Prosper, toujours récente à son cœur d’amante, l’eût empêchée de s’obstiner longtemps dans une autre affliction.

Lust avait justifié, et au-delà, la confiance de ses vieux patrons. Après les funérailles des L’Hœst, il était demeuré quelque temps à Tirlemont auprès de Camille pour régler avec elle et le notaire de la famille les multiples questions d’intérêt qui résultaient de ce deuil inopiné. Puis il était rentré à Bruxelles avec l’orpheline.

Ç’avait été un moment de grande effusion où, de part et d’autre, les larmes avaient coulé abondantes, quoique mêlées pour la première fois de quelque douceur. Tout de suite, la gratitude de Camille se manifesta par une affection empressée que les bons quincailliers lui rendaient d’un cœur attendri et qui semblait se reprendre à l’espérance.

Près de quatorze mois qu’ils n’avaient vu leur petite-nièce ; elle était un peu changée ; sous la robe de deuil, le buste gardait son galbe, son dessin très pur. Mais, le visage s’était légèrement amaigri ; il n’en avait peut-être que plus de charme avec son expression de jeunesse si gracieusement mélancolique. Ce sourire, tendre et sérieux, était d’une jeune veuve plutôt que d’une jeune fille : le chagrin la faisait femme aujourd’hui.

On l’avait installée au second étage dans l’appartement de Prosper où tout était demeuré à la même place depuis le départ du soldat. La chaise, placée devant le bureau gardait sa position de biais comme l’avait laissée le jeune homme en se levant pour s’en aller à jamais. Une boîte de papier à lettre reposait encore sur le buvard, entr’ouverte ; Prosper s’en était servi pour rédiger à la hâte son bref testament. Et derrière l’écritoire, dans le grand vase de grès, s’épanouissait toujours une gerbe de fleurs saisonnières, renouvelée chaque matin par des mains pieuses.

Ce n’est pas sans ressentir de nouvelles souffrances qu’elle avait pris possession de ces chambres qui lui rappelaient de si brûlants souvenirs, et bien des jours s’écoulèrent avant que son âme finit par y trouver le recueillement. C’est le soir surtout qu’elle s’y enfermait avec le plus de douceur, dans une solitude qui exaltait ses pensées au milieu de tous ces objets familiers, choisis et disposés avec tant de goût.

Elle s’y délassait aussi dans la lecture des livres préférés du jeune homme, après des journées de grande activité. Car elle avait assumé tout de suite les corvées du ravitaillement ; aussi bien, ces courses quotidiennes, ces longues attentes à la file devant les divers bureaux de l’Alimentation étaient autant de dérivatifs à son chagrin. Elle sympathisait déjà beaucoup avec Charlotte et Martha, qui venaient souvent la chercher pour se rendre ensemble au marché ou chez les fournisseurs.

La curiosité du quartier, fort ralentie depuis la guerre, ne l’importuna pas longtemps. Personne du reste qui ne fît bon accueil à cette étrangère dont le malheur ajoutait comme un nouveau charme à sa personne. Seuls, les Buellings continuaient à commenter l’arrivée de l’orpheline avec leur malveillance habituelle, ne pardonnant pas à la jeune fille de ne jamais se montrer aux visites que la femme et la fille du sellier multipliaient chez les Claes dans le seul but de l’observer de plus près.

Mlle Hortense. qui la rencontrait souvent en compagnie de Martha et de Charlotte, était la plus outrée de jalousie :

— Qu’est-ce qu’elle pense donc celle-là avec ses grands airs ! Qu’on est au-dessous d’elle peut-être ? Et ça se promène avec la fille d’un coiffeur !

L’idée que ce malotru de Vergust avait fait la connaissance de Camille à la faveur des parties de cartes hebdomadaires lui était particulièrement intolérable, d’autant plus que le charcutier s’en était vanté devant elle en paroles superlatives :

— Une belle personne, savez-vous !… Il paraît qu’elle joue si bien le piano et qu’elle chante encore mieux que Madame Melba ! C’est comme un rossignol !

Car le vieux renard savait bien que cette concurrence allait exaspérer la demoiselle plus que tout le reste. De fait, et dans le vague espoir d’établir un jour son éclatante supériorité sur toutes les chanteuses des alentours, Mlle Lakmé Buellings ne quittait plus son piano et vocalisait, rouladait, trillait du matin au soir d’un gosier éperdu que la rage, encore plus que la fatigue, n’avait jamais éraillé ni faussé à ce point. Cette fois, la cuisinière des Buellings, absolument affolée, avait jeté son tablier et s’était enfuie sans retour.



Camille faisait mieux que s’habituer à sa nouvelle existence : celle-ci lui plaisait par la diversité des occupations et l’atmosphère bienveillante, tout imprégnée de tendresse, qui régnait dans la maison. Aussi, les vieux Claes éprouvaient-ils grande satisfaction à lui voir reprendre peu à peu la force et l’éclat de ses vingt ans. Ce beau visage affectueux leur était une consolation. L’enfant d’Adelaïde était sans doute pour quelque chose dans cette confiance que la jeune fille accordait de nouveau à la vie. Tout d’abord, elle avait paru assez indifférente à l’égard de ce petit que nul élan ne la portait à caresser, bien qu’un observateur pénétrant eût sans doute remarqué le regard prolongé qu’elle attachait parfois sur lui. Après cela, craignait-elle de déplaire à Mme Lust en accaparant le marmot. Pourtant, cette contrainte qu’elle semblait imposer à son sentiment ne dura guère : l’enfant eut vite fait de l’apprivoiser jusqu’à devenir son cher souci et comme son idole.

Sous prétexte de rendre service à Adélaïde, qui n’entendait pas s’affranchir des rudes besognes du ménage, l’orpheline avait décidé qu’elle s’occuperait dorénavant du petit garçon, et son zèle de nurse ne fit que croître en voyant la préférence que le marmot se mit à lui témoigner manifestement dès les premiers jours de son noviciat. De fait, il aimait cette voix câline, ce visage plus jeune, ces mains si douces, et il souriait à Camille de toute sa petite frimousse ronde et joyeuse.

— Mais Fille, disait parfois le bon père Claes émerveillé de la dextérité de sa nièce, on dirait que tu n’as jamais fait autre chose dans ta vie!

Tandis que la quincaillière ajoutait pardessus son éternel tricot :

— Mais oui, Chère, où est-ce que tu as appris ça donc?

Puis ils retombaient tous deux dans un silence dont il était facile d’interpréter les pensées. Quelle consolation dans leur douleur si le cher soldat leur eût laissé un petit-fils oui, bien sûr. n’eût pas été moins vigoureux ni moins éveillé nue celui-là ! Oh ! alors, Quelle bonne raison de continuer à vivre ! Et leur rancœur envers les parents de Camille reprenait toute sa force, en dépit de leur ferme propos d’oublier les vilenies de ceux qui n’étaient plus.

Lorsque le terrible accident s’était produit, le brasseur et sa femme se rendaient apparemment auprès de leur fille pour lui faire de nouvelles sommations d’avoir à se conformer au vœu de sa marraine défunte : l’exécuteur testamentaire, un prêtre, avait reçu mandat de choisir l’époux de la légataire, celle-ci étant déshéritée en cas de refus de se marier au gré de l’homme d’église. La guerre n’avait pas encore permis à ce dernier d’intervenir. Mais nul doute qu’il ne sortît tôt ou tard de sa réserve et n’entreprît de persuader la jeune fille en employant toutes les ressources de son ministère.

Ah ! quel chagrin pour les quincailliers s’il arrivait que l’orpheline se laissât convaincre ! Mais ils s’alarmaient à tort : Camille gardait toujours dans son cœur le souvenir du bien-aimé : elle avait juré de refuser tout mariage et ne se préoccupait nullement de la visite éventuelle de ce prêtre d’affaires qu’elle saurait éconduire avec le dédain qu’il méritait.

Non. tout ce qu’elle espérait encore de douceur dans la vie, cette maison, seule, pouvait le lui donner ; elle ne la quitterait plus pour se dévouer à ses vieux parents. Et puis, elle chérissait maintenant ce petit garçon imprévu qu’elle prétendait élever, adopter à son tour comme avaient fait les bons quincailliers avec l’enfant trouvé.

Il ne semblait pas du reste que Lust et sa femme prissent le moindre ombrage de cette tendresse accapareuse ; ils en paraissaient même extrêmement heureux et n’en témoignaient que plus d’attachement et de déférence à la jeune fille. À leurs yeux, le bonheur de l’enfant passait avant tout, et quand même il dût être acheté au prix de l’effacement de leur propre tendresse. Aussi n’avaient-ils fait aucune objection lorsque la jeune nurse, sous prétexte que le nouveau bâtiment d’arrière-corps ou logeaient les bons serviteurs était encore humide et malsain, s’était avisée d’installer le marmot dans sa chambre.

Les Claes lui avaient bien adressé quelques timides représentations sur cette fantaisie, qui devait l’exposer à tant d’embarras et de fatigues :

— Prends garde, Fille. Tu ne sais pas ce que tu vas entreprendre… Les petits ne sont pas toujours commodes surtout pendant la nuit…

Mais elle ne s’était pas laissé convaincre ; la santé de l’enfant exigeait ce petit sacrifice qui n’aurait du reste rien de pénible avec un bébé d’aussi bonne composition. Et les vieilles gens, qui s’attachaient de plus en plus au petit garçon, avaient fini par approuver leur nièce dont la vaillance pleine d’initiative ajoutait une sorte d’admiration à la grande tendresse qu’elle leur avait tout de suite inspirée. Et c’est ainsi qu’un berceau charmant, qui n’était autre que celui où Prosper avait dormi ses sommeils de nourrisson, égayait maintenant la chambre de l’orpheline.



Elle avait retrouvé sa voix et, le soir, tôt retirée au second étage, elle fredonnait de jolies complaintes wallonnes pour endormir le petit. Les Claes, un peu surpris d’abord d’entendre chanter dans la morne maison, en étaient bientôt venus à attendre comme une joie le frais ramage de la jeune fille, de même que le bruit léger de ses allées et venues au-dessus de leurs têtes leur rappelait, sans amertume à présent et presque avec une sorte de plaisir, le gai tapage que faisait jadis leur grand garçon en se couchant, encore qu’il prît soin de feutrer ses pas. Oui, c’était comme un baume pour leurs oreilles d’écouter de nouveau les craquements des vieilles poutres du plafond, et ils s’endormaient d’un cœur moins douloureux dans le rêve que le passé ressuscitait…

Or, un soir de juillet, ils s’étonnèrent de ne pas entendre le doux chant qu’ils attendaient d’ordinaire pour se retirer dans leur chambre.

— Camille est en retard aujourd’hui, dit le quincaillier. Sans doute qu’elle reste bavarder avec les Lust avant de remonter avec le petit…

— Mais non, repartit Mme Claes, il me semble bien quelle est chez elle… Seulement, il fait si chaud ce soir que l’enfant n’est peut-être pas disposé à dormir.

— En effet, convint le paralytique, on respire péniblement. Je me dis parfois que, par un temps pareil, il fait malsain ici pour l’enfant…

— Je trouve que depuis ce matin, il n’a plus aussi bonne mine, remarqua la vieille dame. Mais c’est à cause de cette température…

Elle avait déjà songé à l’envoyer passer quelques semaines chez les Frémineurs où Clairette continuait de se fortifier et devenait une robuste paysanne. Mais elle n’osait en faire la proposition à son mari, tant elle redoutait que l’absence du petit garçon, qui entraînerait fatalement celle de Camille, ne replongeât tout à coup le brave homme dans une crise de léthargie morale.

En ce moment, le plafond fit entendre un craquement :

— Vous voyez qu’elle est remontée, dit Mme Claes. C’est drôle tout de même que le petit est encore éveillé… Il est presque neuf heures.

Ils attendaient toujours que Camille chantât sa berceuse. Mais, ce soir, elle se taisait, occupée à une besogne qui devait l’agiter quelque peu à en juger par les gémissements successifs que proféraient les vieilles poutres de la chambre. Or, voilà que le bruit se renforça au point d’inquiéter les quincailliers :

— Ça n’est pas naturel, déclara tout à coup Mme Claes, Camille ne remue jamais comme ça. Pour sûr qu’il y a quelque chose qui ne va pas aujourd’hui. Si je montais une fois voir ?

Déjà la vieille dame avait déposé son ouvrage et se levait pour sortir, quand soudain, la porte de la salle à manger s’ouvrit et Camille entra, la figure bouleversée :

— Tante Anna, dit-elle d’une voix angoissée, le petit n’est pas bien… On dirait qu’il ne peut plus respirer… Adélaïde est là-haut et ne sait que faire !

En même temps, elle fondit en larmes :

— Mon Dieu, j’ai si peur !… Oh, j’ai si peur que ce ne soit le vilain mal…

Très ému lui-même, quoique surpris de l’extrême pâleur de la jeune fille, le paralytique essayait de la rassurer :

— Voyons, Chère, ne te mets pas dans un état pareil… On va tout de suite aller chercher le docteur Buysse.

Et tandis que Mme Claes sortait vivement de la pièce, il appuya sur un bouton électrique qui se trouvait toujours à portée de sa main. Quelques instants après, Lust apparaissait dans la salle et redescendait en toute hâte pour se rendre chez le vieux médecin, qui habitait rue de Jéricho, à deux pas de la quincaillerie.

Cependant la jeune fille était tombée sur une chaise à côté de son oncle ; toute courbée, les mains appliquées sur son visage, elle demeurait dans un état de prostration profonde.

Et le vieux la considérait avec une compassion mêlée d’étonnement. Une telle sensibilité ne lui semblait pas naturelle chez la jeune fille ; c’était maladif. Camille prenait décidément son rôle trop à cœur et sa santé ne manquerait pas de s’en ressentir. Déjà il avait remarqué aussi cette flamme qui s’allumait dans ses yeux lorsqu’elle parlait de l’enfant :

— Allons, Fille, dit-il en lui posant la main sur l’épaule, tu t’effrayes peut-être pour un rien. En tout cas, il n’y a certainement pas de ta faute et tu sais bien que les Lust ne peuvent t’en vouloir…

Elle avait laissé retomber ses mains sur ses genoux et regardait le vieillard d’un air étrange :

— Oh ! dit-elle d’une voix faible, ce n’est pas cela que je redoute… Mais s’il devait arriver malheur à ce petit, je me demande ce que je deviendrais !

En ce moment, un bruit de pas retentit dans l’escalier :

— Voilà le docteur !

Elle avait retrouvé ses forces. Elle se redressa et s’enfuit tandis que le paralytique restait seul dans l’anxiété de connaître le diagnostic du vieux médecin. Il avait roulé son fauteuil près de la porte ouverte et tendait l’oreille pour tâcher de saisir les paroles qu’on échangeait là-haut. Tourmenté de n’y rien démêler, il s’impatientait quand il entendit des cris d’enfant à plein gosier. En même temps, la quincaillière apparut sur le palier.

— Eh bien, femme ?

— Ça n’est rien ! Ça n’est rien ! le petit va mieux ! Buysse a fini, il arrive derrière moi…

En effet, le docteur entrait justement dans la salle, sa trousse à la main, l’air très satisfait :

— Rassurez-vous mes amis, dit-il avec son bon sourire, tout va bien. N’empêche qu’on a bien fait de me faire chercher tout de suite sinon…

Il expliqua qu’au premier abord, il avait redouté la diphtérie… Fort heureusement, ce n’était pas la membrane qui obstruait la gorge de l’enfant, mais un mince tampon de ouate qu’il avait absorbé, on ne sait comment. Une petite opération l’en avait débarrassé en un clin d’œil, et ses cris, qui commençaient à s’apaiser, célébraient sa délivrance.

— Hé, dit-il avec une admiration joviale, c’est un solide gaillard ! Un petit Hercule. Il n’y en a pas beaucoup comme lui, surtout en ce moment où les privations font tant de rachitiques. Allons, allons tout ira bien. Les Lust sont tout à fait rassurés maintenant. Le gamin va dormir et je parie que demain il sera encore plus gai que les autres jours…

Le médecin s’était depuis longtemps retiré que les vieux, oubliant de se coucher, continuaient à échanger leurs impressions au sujet de cette alerte, déplorant la forte commotion qu’en avait ressentie la jeune fille.

— Pourvu que celle-là ne tombe pas malade, à présent ! dit le vieillard en hochant sa tête blanche. C’est très bien de se dévouer ainsi, mais il faut être raisonnable. Du reste, je lui parlerai sérieusement demain.

Ils allaient enfin se retirer lorsque la porte s’ouvrit doucement :

— Je ne vous dérange pas ?

C’était Camille qui allongeait la tête dans l’entre-bâillement.

— Viens seulement, dit la vieille dame ? Non, non, tu ne déranges pas du tout… Et, puis, tu comprends que nous n’avons guère envie de dormir…

La jeune fille entra vivement. Son visage, encadré d’une splendide chevelure fauve à moitié dénouée, rayonnait par dessus la robe de deuil…

— Il dort si bien, dit-elle en souriant. Je suis sûre qu’il ne s’éveillera pas avant six heures… Le pauvre petit ! Il doit se rattraper vous pensez !

Elle n’avait jamais été aussi verbeuse et parlait avec volubilité, contant en ses moindres détails la journée de l’enfant :

— Oui, depuis ce matin, je voyais qu’il n’était pas comme les autres jours… Lui, qui est toujours si facile, et bien il geignait à chaque instant, ne restait pas tranquille une seconde. Et avec cela, impossible de lui faire prendre son biberon. Oh ! que j’étais inquiète !

— Oui, Fille, repartit le vieillard d’un ton de reproche, nous comprenons que tu étais tourmentée ; mais de là à te manger les sangs ! Nous aussi, nous aimons beaucoup ce petit « frise poulet » et nous étions bien tristes en apprenant qu’il était peut-être en danger. Mais était-ce un motif pour perdre la tête comme tu l’as fait, surtout quand le souvenir d’un grand malheur… Vraiment, tu n’aurais pas été plus affolée si ce petit avait été ton propre fils…

Il poussa un profond soupir :

— Oh ! oui, ton fils, l’enfant de notre Prosper !

La bonne quincaillière intervenait à son tour :

— Ton oncle a raison, dit-elle affectueusement. Nous avons si peur que tu ne deviennes malade. Promets-nous d’être plus calme à l’avenir…

L’animation de la jeune fille était tombée ; son visage avait subitement perdu sa coloration joyeuse et l’on eût dit qu’il se contractait comme sous un violent débat intérieur. Elle hésitait à répondre. Alors, elle s’approcha de son oncle dont elle saisit tendrement la tête vénérable dans ses mains :

— Et si j’avais mes raisons pour ne pas être aussi raisonnable que vous le voulez, dit-elle d’une voix sourde et tremblante, si ce petit Péro…

Ses paroles s’arrêtèrent devant une révélation formelle. Soudain, elle tomba aux genoux du vieillard dont elle couvrit les mains de larmes et de baisers frémissants.

Et le brave homme, stupéfait, interrogeait sa femme accourue près d’eux et regardait la jeune fille pâmée à ses pieds sans oser comprendre encore, essayant de démêler ces soupçons confus qui le hantaient depuis quelques jours, effaré tout à coup de voir poindre comme la douce aurore d’une grande joie au milieu de sa douleur.

— Ma pauvre enfant, murmura-t-il enfin, ma pauvre enfant, est-ce que tu deviens folle !

Mais elle, relevant son visage soudainement transfiguré par le bonheur :

— Demandez à Adélaïde si Péro n’est pas « mon » fils ! Le fils de votre Prosper bien-aimé !

Et dans un cri de supplication pathétique :

— Oh ! pardonnez-nous, Bon Papa ! Pardonnez, Bonne Maman !…