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L’Étoile du sud/XII

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Hetzel (p. 115-123).

X I I


PRÉPARATIFS DE DÉPART.

Le lendemain matin, lorsque Cyprien Méré apprit ce qui s’était passé la veille pendant le repas, son premier mouvement fut de protester contre la grave accusation dont son serviteur était l’objet. Il ne pouvait admettre que Matakit fût l’auteur d’un pareil vol, et il se rencontrait avec Alice dans le même doute à cet égard. En vérité, il eût plutôt soupçonné Annibal Pantalacci, herr Friedel, Nathan ou tout autre, qui lui paraissaient sujets à caution !

Il était peu probable, cependant, qu’un Européen se fût rendu coupable de ce crime. Pour tous ceux qui ignoraient son origine, l’Étoile du Sud était un diamant éternel, et par conséquent d’une valeur telle qu’il devenait bien difficile de s’en défaire.

« Et pourtant, se répétait Cyprien, il n’est pas possible que ce soit Matakit ! »

Mais alors, il lui revenait à la mémoire quelques doutes à propos de certains larcins, dont le Cafre s’était quelquefois rendu coupable, même dans son service. Malgré toutes les admonestations de son maître, celui-ci, obéissant à sa nature, — très large sur la question du tien et du mien, — n’avait jamais pu se défaire de ces condamnables habitudes. Cela ne portait, il est vrai, que sur des objets sans grande valeur ; mais enfin, il n’en eût pas fallu plus pour établir un petit casier judiciaire, qui ne pouvait être à l’honneur dudit Matakit !

D’ailleurs, il y avait en fait de présomption, la présence du Cafre dans la salle du festin, lorsque le diamant s’était éclipsé comme par magie ; puis, cette circonstance singulière qu’on ne l’avait plus retrouvé à sa case, quelques instants après ; puis enfin, sa fuite, trop explicable peut-être, car il n’était plus permis de douter qu’il n’eût quitté le pays.

En effet, Cyprien attendit vainement pendant la matinée que Matakit reparût, ne pouvant décidément pas croire à la culpabilité de son serviteur ; mais le serviteur ne revint pas. On put même constater que le sac contenant ses économies, quelques objets ou ustensiles, nécessaires à un homme qui va se jeter à travers ces contrées presque désertes de l’Afrique australe, avaient disparu de la case. Le doute n’était donc plus possible.

Vers dix heures, le jeune ingénieur, peut-être beaucoup plus attristé de la conduite de Matakit que de la perte du diamant, se rendit à la ferme de John Watkins.

Il trouva là, en grande conférence, le fermier, Annibal Pantalacci, James Hilton et Friedel. Au moment où il se présenta, Alice, qui l’avait vu venir, entrait aussi dans la salle, où son père et ses trois assidus discutaient à grand fracas sur le parti qu’il y avait à prendre pour rentrer en possession du diamant volé.

« Qu’on le poursuive, ce Matakit ! s’écriait John Watkins, au comble de la fureur. Qu’on le reprenne, et, si le diamant n’est pas sur lui, qu’on lui ouvre le ventre, pour voir s’il ne l’a point avalé !… Ah ! ma fille, tu as bien fait hier de nous raconter cette histoire !… On le lui cherchera jusque dans les entrailles, à ce coquin !

— Eh mais ! répondit Cyprien sur un ton plaisant, qui ne plut guère au fermier, pour avaler une pierre de cette grosseur, il faudrait que Matakit eût un estomac d’autruche !

— Est-ce que l’estomac d’un Cafre n’est pas capable de tout, monsieur Méré ? riposta John Watkins. Si vous trouvez qu’il est convenable de rire en ce moment et à ce propos !

— Je ne ris pas, monsieur Watkins ! répondit très sérieusement Cyprien. Mais, si je regrette ce diamant, c’est uniquement parce que vous m’aviez permis de l’offrir à mademoiselle Alice…

— Et je vous en suis reconnaissante, monsieur Cyprien, ajouta miss Watkins, comme si je l’avais encore en ma possession !

— Voilà bien ces cervelles de femmes ! s’écria le fermier. Aussi reconnaissante que si elle l’avait en sa possession, ce diamant qui n’a pas son pareil au monde !…

— En vérité, ce n’est pas tout à fait la même chose ! fit observer James Hilton.

— Oh ! pas du tout ! ajouta Friedel.

— C’est tout à fait la même chose, au contraire ! répondit Cyprien, attendu que, si j’ai fabriqué ce diamant-là, je saurai bien en fabriquer un autre !

— Oh ! monsieur l’ingénieur, dit Annibal Pantalacci, d’un ton qui comportait de grosses menaces à l’adresse du jeune homme, je crois que vous feriez bien de ne pas recommencer votre expérience… dans l’intérêt du Griqualand… et dans le vôtre aussi !

— Vraiment, monsieur ! riposta Cyprien. Je pense que je n’aurai point d’autorisation à vous demander à cet égard !

— Eh ! c’est vraiment l’heure de discuter là-dessus ! s’écria Mr. Watkins. Est-ce que monsieur Méré est seulement sûr de réussir dans un nouvel essai ? Un second diamant qui sortirait de son appareil aurait-il la couleur, le poids et par conséquent la valeur du premier ? Peut-il même répondre de pouvoir refaire une autre pierre, même d’un prix inférieur ? Est-ce que, dans sa réussite, il oserait affirmer qu’il n’y a pas eu une grande part de hasard ? »

Ce que disait John Watkins était trop raisonnable pour que le jeune ingénieur n’en fut pas frappé. Cela répondait, d’ailleurs, à bien des objections qu’il s’était faites. Son expérience s’expliquait parfaitement, sans doute, avec les données de la chimie moderne ; mais le hasard n’était-il pas intervenu pour beaucoup dans ce premier succès ? Et, s’il recommençait, était-il assuré de réussir une seconde fois ?

Dans ces conditions, il importait donc de rattraper le voleur à tout prix, et, ce qui était plus utile encore, l’objet volé.

« En attendant, on n’a retrouvé aucune trace de Matakit ? demanda John Watkins.

— Aucune, répondit Cyprien.

— On a fouillé tous les environs du camp ?

— Oui, et bien fouillé ! répondit Friedel. Le coquin a disparu, probablement pendant la nuit, et il est difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir de quel côté il s’est dirigé !

— L’officier de police a-t-il fait une perquisition dans sa case ? reprit le fermier.

— Oui, répondit Cyprien, et il n’a rien trouvé qui pût le mettre sur les traces du fugitif.

— Ah ! s’écria Mr. Watkins, je donnerais cinq cents et mille livres pour que l’on pût le reprendre !

— Je comprends cela, monsieur Watkins ! répondit Annibal Pantalacci. Mais j’ai bien peur que nous ne rattrapions jamais ni votre diamant, ni celui qui l’a dérobé !

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’une fois lancé, reprit Annibal Pantalacci, Matakit ne sera pas assez sot pour s’arrêter en route ! Il passera le Limpopo, il s’enfoncera dans le désert, il s’en ira jusqu’au Zambèze ou jusqu’au lac Tanganayka, jusque chez les Bushmen, s’il le faut ! »

En parlant ainsi, l’astucieux Napolitain disait-il sincèrement sa pensée ? Ne voulait-il pas simplement empêcher qu’on ne se mît à la poursuite de Matakit, afin de se réserver ce soin à lui-même ? C’est ce que Cyprien se demandait, tout en l’observant.

Mais Mr. Watkins n’était pas homme à abandonner la partie sous prétexte qu’elle serait difficile à jouer. Il eût véritablement sacrifié toute sa fortune pour rentrer en possession de cette incomparable pierre, et, à travers sa fenêtre ouverte, ses yeux impatients, pleins de fureur, se portaient jusqu’aux bords verdoyants du Vaal, comme s’il eût eu l’espoir d’apercevoir le fugitif sur sa lisière !

« Non ! s’écria-t-il, cela ne peut pas se passer ainsi !… Il me faut mon diamant !… Il faut rattraper ce gredin !… Ah ! si je ne souffrais de la goutte, ce ne serait pas long, j’en réponds !

— Mon père !… dit Alice, en essayant de le calmer.

— Voyons, qui s’en charge ? s’écria John Watkins en jetant un regard autour de lui. Qui veut se mettre à la poursuite du Cafre ?… La récompense sera honnête, j’en donne ma parole ! »

Et, comme personne ne disait mot :

« Tenez, messieurs, reprit-il, vous êtes là quatre jeunes gens qui ambitionnez la main de ma fille ! Et bien ! rattrapez-moi cet homme-là avec mon diamant ! — il disait maintenant « mon diamant ! » — et, foi de Watkins, ma fille sera à qui me le rapportera !

— Accepté, cria James Hilton.

— J’en suis ! déclara Friedel.

— Qui ne voudrait essayer de gagner un prix si précieux ? » murmura Annibal Pantalacci avec un sourire jaune.

Alice, toute rouge, profondément humiliée de se voir jetée comme l’enjeu d’une telle partie, et cela en présence du jeune ingénieur, essayait vainement de cacher sa confusion.

« Miss Watkins, lui dit Cyprien à demi-voix, en s’inclinant respectueusement devant elle, je me mettrais bien sur les rangs, mais le dois-je sans votre permission ?

— Vous l’avez, avec mes meilleurs souhaits, monsieur Cyprien ! répondit-elle vivement.

— Alors je suis prêt à aller au bout du monde ! s’écria Cyprien en se retournant vers John Watkins.

— Ma foi, vous pourriez bien n’être pas loin de compte, dit Annibal Pantalacci, et je crois que Matakit nous fera faire du chemin ! Du train dont il a dû courir, il sera demain à Potchefstrom et il aura gagné le haut pays, avant même que nous ayons seulement quitté nos cases !

— Et qui nous empêche de partir aujourd’hui… sur l’heure ? demanda Cyprien.

— Oh ! ce n’est pas moi, si le cœur vous en dit ! répliqua le Napolitain. Mais, pour mon compte, je ne vais pas m’embarquer sans biscuit ! Un bon wagon, avec une douzaine de bœufs de trait et deux chevaux de selle, c’est le moins qu’il soit nécessaire de se procurer pour une expédition comme celle que je prévois ! Et tout cela ne se trouve qu’à Potchefstrom ! »

Encore une fois, Annibal Pantalacci parlait-il sérieusement ? Avait-il simplement pour objet de rebuter ses rivaux ? L’affirmative eût été douteuse.
Matakit n’était plus là. (Page 115.)

Ce qui ne l’était pas, c’est qu’il avait absolument raison. Sans de tels moyens de locomotion, sans ces ressources, il y aurait eu folie à tenter de s’enfoncer vers le nord du Griqualand !

Cependant, un équipage de bœufs, — Cyprien ne l’ignorait pas, — coûtait huit à dix mille francs, au bas mot, et, pour sa part, il n’en possédait pas quatre mille.

« Une idée ! dit tout à coup James Hilton, qui, en sa qualité d’« Africander » d’origine écossaise, avait un tour d’esprit fortement tourné vers l’économie, pourquoi ne pas nous associer tous quatre pour cette expédition ? Les chances
« Petit père, tu vas acheter ce cheval ? » (Page 124.)

de chacun n’en resteront pas moins égales, et les frais au moins partagés !

— Cela me paraît juste, dit Friedel.

— J’accepte, répondit sans hésiter Cyprien.

— En ce cas, fit observer Annibal Pantalacci, il faudra convenir que chacun gardera son indépendance et sera libre de quitter ses compagnons, au moment où il le jugera utile pour essayer d’atteindre le fugitif !

— Cela va de soi ! répondit James Hilton. Nous nous associons pour l’achat du wagon, des bœufs et des approvisionnements, mais chacun pourra se détacher, quand il trouvera convenable de le faire ! Et tant mieux pour celui qui, le premier, atteindra le but !

— Convenu ! répondirent Cyprien, Annibal Pantalacci et Friedel.

— Quand partirez-vous ? demanda John Watkins, dont cette combinaison quadruplait les chances qu’il pouvait avoir de rentrer en possession de son diamant.

— Demain, par la diligence de Potchefstrom, répondit Friedel. Il n’y a pas à songer à y arriver avant elle.

— Convenu ! »

Cependant, Alice avait pris Cyprien à part et lui demandait s’il croyait véritablement que Matakit pût être l’auteur d’un pareil vol.

« Miss Watkins, lui répondit le jeune ingénieur, je suis bien forcé d’avouer que toutes les présomptions sont contre lui, puisqu’il a pris la fuite ! Mais, ce qui me paraît certain, c’est que cet Annibal Pantalacci m’a tout l’air d’un monsieur qui pourrait peut-être en dire long sur la disparition du diamant ! Quelle figure de potence… et le brillant associé que je prends là !… Bah ! à la guerre comme à la guerre ! Mieux vaut encore, après tout, l’avoir sous la main et pouvoir surveiller ses mouvements que de le laisser agir séparément et à sa guise ! »

Les quatre prétendants prirent bientôt congé de John Watkins et de sa fille. Comme il était naturel en pareilles circonstances, les adieux furent brefs et se bornèrent à un échange de poignées de main. Qu’auraient pu se dire ces rivaux, qui partaient ensemble en souhaitant de se voir mutuellement au diable ?

En rentrant chez lui, Cyprien trouva Lî et Bardik. Ce jeune Cafre, depuis qu’il l’avait pris à son service, s’était toujours montré fort zélé. Le Chinois et lui étaient en train de bavarder sur le pas de la porte. Le jeune ingénieur leur annonça qu’il allait partir en compagnie de Friedel, de James Hilton et d’Annibal Pantalacci pour se mettre à la poursuite de Matakit.

Tous deux échangèrent alors un regard, — un seul ; puis, se rapprochant sans dire un mot de ce qu’ils pensaient du fugitif :

« Petit père, dirent-ils ensemble, emmène-nous avec toi, nous t’en prions instamment !

— Vous emmener avec moi ?… Et pour quoi faire, s’il vous plaît ?

— Pour préparer ton café et tes repas, dit Bardik.

— Pour laver ton linge, ajouta Lî.

— Et pour empêcher les méchants de te nuire ! » reprirent-ils, comme s’ils s’étaient donné le mot.

Cyprien leur adressa un regard reconnaissant.

« Soit ! répondit-il, je vous emmène tous les deux, puisque vous le souhaitez ! »

Là-dessus, il alla prendre congé du vieux Jacobus Vandergaart, qui, sans approuver ou désapprouver que Cyprien se joignît à cette expédition, lui serra cordialement la main en lui souhaitant bon voyage.

Le lendemain matin, lorsqu’il se dirigea, suivi de ses deux fidèles, vers le camp de Vandergaart pour y prendre la diligence de Potchefstrom, le jeune ingénieur leva les yeux vers la ferme Watkins, qui était encore plongée dans le sommeil.

Était-ce une illusion ? Il crut reconnaître derrière la mousseline blanche de l’une des fenêtres une forme légère, qui, au moment où il s’éloignait, lui faisait un dernier signe d’adieu.