L’Étourdi, 1784/Première partie/12

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, ou attribué au chevalier de Neufville-Montador.
(p. 63-68).

LETTRE XII.

Notre héros va joindre ſon régiment. Ses
amours avec une religieuſe.


QUelques jours après l’aventure du Capucin je fus à *** joindre le régiment d’infanterie de ... qui y était en garniſon, & dans lequel j’avais obtenu une ſous Lieutenance. Je trouvai aſſez d’agrémens dans mon corps. Mais le ſervice n’occupe pas toujours les Officiers, les uns ſe diſſipent aux jeux, aux ſpectacles, les autres chez les coquettes, les femmes galantes ; on cherche à tuer le temps qu’on a de libre, & ce n’eſt pas à l’âge de dix-huit ou vingt ans qu’on l’occupe à s’inſtruire par la lecture de bons livres ; quelques romans galans ou libres, ſont les ſeuls pour leſquels on a du goût.

Eh ! quel genre de lecture eſt plus en droit d’amuſer les jeunes gens ! faits pour l’amour, leurs cœurs ne reçoivent de plaiſir que de ce qui vient de lui, que de ce qui le caractériſe ? Un livre d’hiſtoire, de philoſophie, de morale, eſt pour eux les Pavots de Morphée. Tombent-ils ſur une intrigue amoureuſe, ils la dévorent & ne la quittent qu’au denouement.

Quant à moi, je cherchai à me lier particuliérement avec celui de mes camarades qui courait le plus les aventures. Un Aide-Major du régiment un peu plus âgé que moi, mérita mes ſoins & mon amitié ; j’obtins la ſienne. Son caractere avait beaucoup d’analogie avec le mien. Il eſt enjoué, plein de graces, poſſédant au ſuprême degré l’art de ſéduire : ſa figure eſt de celles qui ſans être belles, préviennent en faveur de celui qui la porte. Il était de ma province, raiſon de plus pour qu’il m’aſſociat à ſes plaiſirs.

Il me parla de ſes amours avec une jeune religieuſe de dix-huit ans, & il me témoigna tout le deſir qu’ils avaient l’un & l’autre de ſe voir ; il fallait pour cela pénétrer dans le couvent, jamais il n’avait oſé le tenter. Sa prudence l’empêchait de ſe livrer à toute l’impétuoſité d’une jeune none qui aurait pu ſe perdre & perdre ſon amant, en voulant goûter de ce fruit dont elle n’avait jamais tant deſiré manger, que depuis qu’elle ſe l’était interdit par ſes vœux.

Si mon camarade avait eu quelqu’un qui eut ſecondé ſon entrepriſe & eut riſqué avec lui de ſe rompre le cou en eſcaladant les murs du couvent, il ſe ſerait haſardé. Je répondis à ſa confiance ſur un ton à lui donner la plus grande envie de ſe réunir au plutôt à ſon aimable récluſe. Il ne reſtait plus qu’une légere difficulté, à quoi ſe ſerait amuſé le confident pendant que les autres auraient aſſocié l’amour & les plaiſirs à leurs jeux. Je l’avoue, je ne me ſentais point aſſez philoſophe pour trouver une jouiſſance dans les plaiſirs de mon camarade : & nous n’étions l’un & l’autre point aſſez corrompus pour abuſer de la faibleſſe de ſon amante, & l’avilir en la ſacrifiant tour à tour à nos deſirs.

Sœur Urſule, cette tendre & paſſionnée amante de Du Roviri (c’eſt le nom de l’Aide-Major.) y trouva un expédient admirable. Une jeune profeſſe d’une vivacité étonnante, & d’une complexion propre à l’amoureux miſtere, fut celle ſur qui elle jetta les yeux. La proximité de leur cellulle avait commencé de les unir, & un certain rapport dans leurs goûts & dans leurs façons de penſer avait fini par les lier intimêment.

Cécile dont le cœur brûlant était naturellement porté à la volupté, & qui ſentait accroître en elle ce feu qui augmente avec l’âge, & que les imprudentes queſtions d’un confeſſeur attiſent davantage, accepta avec tranſport la propoſition de ſœur Urſule, & la remercia de la préférance qu’elle lui donnait ſur tant d’autres nones qui auraient certainement toutes deſiré un pareil bonheur.

Du Roviri fut averti par ſon amante de la bonne volonté de Cécile, ainſi la partie fut décidée & fixée à la prochaine nuit ; par le moyen d’une échelle de ſoie nous fûmes bientôt dans le jardin du couvent. Nos tendres ſœurs y étaient déjà. Les premiers complimens furent courts, & nous les donnâmes moins à l’uſage qu’à nos deſirs. Sœur Urſule preſſa ſon amant contre ſon ſein, & ſa compagne me permit de dérober ſur ſes lévres de Roſe un échantillon des plaiſirs que je me promettais de trouver dans ſes bras, & de lui faire partager.

Nos aimables cloitrées nous prirent par la main, & nous conduiſirent dans la plus grande obſcurité & dans le plus grand ſilence à la cellulle de ſœur Urſule, deux bougies qui l’éclairaient me firent voir combien étaient belles nos deux recluſes, je félicitai M. l’Aide-Major d’avoir ſu plaire à la ſienne & le remerciai de la bonne fortune qu’il me procurait. Enſuite je m’approchai de Cécile, & lui témoignai toute l’impreſſion que ſes charmes venaient de faire ſur mon cœur. Elle me répondit fort ſpirituellement, & avec une certaine modeſtie moitié profane qui ne contribua pas peu à augmenter ſes graces & mes deſirs. Je l’engageai de paſſer dans ſa cellulle, elle me donna la main, & me voila chez elle.