L’Étourdi, 1784/Première partie/13

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, ou attribué au chevalier de Neufville-Montador.
(p. 68-72).

LETTRE XIII.

Comment on doit employer le temps avec
des religieuſes.


AH, Deſpras ! que Cécile me parut charmante ! La pudeur, l’auſtere rétenue de ſon ſexe, tout s’éclipſe, tout céde aux violens tranſports de ma tendreſſe. Je la prends dans mes bras, l’enleve, vole à ſon lit, l’embraſſe avec ardeur, & ma bouche collée ſur la ſienne ne peut ni s’en détacher ni s’y fixer. Un trouble inconnu s’empare d’elle, ſes yeux ſont pleins de feu & de crainte, elle veut parler, ſa voix s’éteint. Et pour la premiere fois de ſa vie elle reçoit & donne mille baiſers enflammés. Je ne me connais plus, je deviens tendre & cruel, le couteau ſacré frappe la victime, elle tombe, elle expire, en jettant un cri qui annonce ma victoire, & m’advertit que la barriere des plaiſirs eſt ouverte pour toujours.

Cécile revenue de cet anéantiſſement délicieux où plonge le bonheur ſuprême, me laiſſa lire dans ſes yeux animés par le plaiſir, tout celui que lui avait cauſé ſa défaite. Puis elle me dit avec tendreſſe… „ ô mon ami, de quelle volupté viens-tu de m’ennivrer ! Juge de ſon excès par celui de ma joie qui n’eſt pas même ternie par une ombre de triſteſſe. Loin de pleurer ſur ma virginité, je me félicite de te l’avoir laiſſé ravir, heureuſe ſi ce ſacrifice peut m’acquérir des droits ſur ton cœur… “

… Raſſure-toi, divine Cécile : Après avoir été le plus fortuné des hommes, ton amant voudrait-il en être le plus malheureux ? Son bonheur ne te donnera jamais des regrets, il n’empoiſonnera pas les douceurs de tes plaiſirs en te les rendant amers… tes charmes te ſont un sûr garant de ma fidélité.

Je ne pus en dire davantage, la violence de mes deſirs me ſuggérait tant de choſes à la fois, que la quantité jointe à la rapidité de mes transports me contraignit à garder le ſilence ; mais que mes yeux me dédommagerent avec uſure de ce que je perdais du côté de la parole ! Je vis mille beautés que ſa guimpe, ſon voile, ſes vétêmens me permettoient de parcourir à mon aiſe. Je finis par fixer mes regards ſur l’entrée du Temple que l’amour venait de conſacrer, en y élévant un trophée à ſa gloire.

La vue du tombeau de la vertu de mon amante ranima mon courage. J’approchai mes levres brûlantes des ſiennes, j’y pris des nouvelles forces qui ſe communiquerent bientôt à tout mon corps, je les recevais de Cécile, il était juſte de lui en faire hommage ; trois fois de l’amour, je ſecouai le flambeau, & trois fois de Cécile l’ame égarée ſe plongea dans un amoureux délire.

Aux doux ébats de Cipris ſuccéda un ſommeil doux & paiſible. Un lit dont la propreté & le parfum ſurpaſſaient la magnificence ſur l’autel où repoſerent le ſacrificateur & ſa victime.

Sœur Urſule & ſon amant non moins fatigués & non moins heureux que nous dormirent pareillement… mais par malheur l’inſtant où nous devions nous ſéparer s’eſt écoulé ; au bruit ſoudain qui ſe fit entendre, le ſilence ſeul témoin du miſtere diſparut.

La ſœur Converſe chargée de réveiller les religieuſes pour aller à matines eſt déjà dans le dortoir à faire entendre ſon cri lamentable. Sœurs Urſule & Cécile n’ont que le temps de ſe lever précipitamment. Elles nous recommandent de faire le moins de bruit poſſible, & dans une agitation qui les rend encore plus belles elles courent au chœur.

Il n’était pas poſſible de pouvoir nous échapper ſans être vus, ainſi nous prîmes notre parti en braves Chevaliers, remîmes notre départ à la nuit prochaine. Nous étions l’un & l’autre très-ſatisfaits de l’eſprit & des charmes de nos récluſes, chacun de nous prétendait être le mieux partagé, & avoir paſſé la nuit la plus voluptueuſe. Ce débat nous engagea à nous faire un aveu réciproque de nos plaiſirs. Ma premiere lettre contiendra ce que Du Roviri me dit.