L’Étourdi ou les Contretemps/Édition Librairie de France, 1922/Acte V
ACTE V
Scène première
Ah ! chien ! ah ! double chien ! mâtine de cervelle,
Ta persécution sera-t-elle éternelle ?
Par les soins vigilants de l’exempt Balafré,
Ton affaire allait bien, le drôle était coffré,
Si ton maître au moment ne fût venu lui-même,
En vrai désespéré, rompre ton stratagème :
« Je ne saurais souffrir, a-t-il dit hautement,
Qu’un honnête homme soit traîné honteusement ;
J’en réponds sur sa mine, et je le cautionne. »
Et comme on résistait à lâcher sa personne,
D’abord il a chargé si bien sur les recors,
Qui sont gens d’ordinaire à craindre pour leur corps,
Qu’à l’heure que je parle ils sont encore en fuite,
Et pensent tous avoir un Lélie à leur suite.
Le traître ne sait pas que cet Égyptien
Est déjà là-dedans pour lui ravir son bien.
Adieu ; certaine affaire à te quitter m’oblige.
Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige ;
On dirait, et pour moi j’en suis persuadé,
Que ce démon brouillon dont il est possédé
Se plaise à me braver, et me l’aille conduire
Partout où sa présence est capable de nuire.
Pourtant je veux poursuivre, et, malgré tous ces coups,
Voir qui l’emportera de ce diable ou de nous.
Célie est quelque peu de notre intelligence,
Et ne voit son départ qu’avecque répugnance ;
Je tâche à profiter de cette occasion.
Mais ils viennent ; songeons à l’exécution.
Cette maison meublée est en ma bienséance,
Je puis en disposer avec grande licence ;
Si le sort nous en dit, tout sera bien réglé ;
Nul que moi ne s’y tient, et j’en garde la clé.
Ô Dieu ! qu’en peu de temps on a vu d’aventures,
Et qu’un fourbe est contraint de prendre de figures !
Scène II
Vous le savez, Célie, il n’est rien que mon cœur
N’ait fait pour vous prouver l’excès de son ardeur :
Chez les Vénitiens, dès un assez jeune âge,
La guerre en quelque estime avait mis mon courage ;
Et j’y pouvais un jour, sans trop croire de moi,
Prétendre en les servant un honorable emploi :
Lorsqu’on me vit pour vous oublier toute chose,
Et que le prompt effet d’une métamorphose
Qui suivit de mon cœur le soudain changement
Parmi vos compagnons sut ranger votre amant,
Sans que mille accidents ni votre indifférence
Aient pu me détacher de ma persévérance.
Depuis, par un hasard d’avec vous séparé
Pour beaucoup plus de temps que je n’eusse auguré,
Je n’ai, pour vous rejoindre, épargné temps ni peine.
Enfin, ayant trouvé la vieille Égyptienne,
Et, plein d’impatience, apprenant votre sort,
Que pour certain argent qui leur importait fort,
Et qui de tous vos gens détourne le naufrage,
Vous aviez en ces lieux été mise en otage.
J’accours vite y briser ces chaînes d’intérêt,
Et recevoir de vous les ordres qu’il vous plaît.
Cependant on vous voit une morne tristesse,
Alors que dans vos yeux doit briller l’allégresse ;
Si pour vous la retraite avait quelques appas,
Venise, du butin fait parmi les combats,
Me garde pour tous deux de quoi pouvoir y vivre ;
Que si, comme devant, il vous faut encor suivre,
J’y consens, et mon cœur n’ambitionnera
Que d’être auprès de vous tout ce qu’il vous plaira.
Votre zèle pour moi visiblement éclate ;
Pour en paraître triste, il faudrait être ingrate ;
Et mon visage aussi, par son émotion,
N’explique point mon cœur en cette occasion :
Une douleur de tête y peint sa violence,
Et si j’avais sur vous quelque peu de puissance,
Notre voyage, au moins pour trois ou quatre jours,
Attendrait que ce mal eût pris un autre cours.
Autant que vous voudrez, faites qu’il se diffère ;
Toutes mes volontés ne butent qu’à vous plaire ;
Cherchons une maison à vous mettre en repos.
L’écriteau que voici s’offre tout à propos.
Scène III
Seigneur Suisse, êtes-vous de ce logis le maître ?
Moi pour serfir à fous.
Pourrons-nous y bien être ?
Oui ; moi pour détrancher chafon champre garni :
Mais ché non point locher te gent te méchant vi.
Je crois votre maison franche de tout ombrage.
Fous noufeau dans sti fil, moi foir à la fissage.
Oui.
La matame est-il mariage à monsieur ?
Quoi ?
S’il être son fame, ou s’il être son sœur ?
Non.
Ou pien pour temanter à la palais choustice ?
La procès il faut rien ; il coûter tant t’archant ;
La procurair larron, l’afocat pien méchant.
Ce n’est pas pour cela.
Pour fenir pourmener, et recarter la file ?
Il n’importe.
(À Célie.)
Je suis à vous dans un moment.
Je vais faire venir la vieille promptement,
Contremander aussi notre voiture prête.
Li ne porte pas pien ?
Elle a mal à la tête.
Moi, chavoir te pon fin, et te fromage pon ;
Entre fous, entre fous tans mon petit maisson.
Scène IV
Quel que soit le transport d’une âme impatiente,
Ma parole m’engage à rester en attente,
À laisser faire un autre et voir, sans rien oser,
Comme de mes destins le ciel veut disposer.
(Andrès sort de la maison.)
Demandiez-vous quelqu’un dedans cette demeure ?
C’est un logis garni que j’ai pris tout à l’heure.
À mon père pourtant la maison appartient,
Et mon valet, la nuit, pour la garder s’y tient.
Je ne sais ; l’écriteau marque au moins qu’on la loue ;
Lisez.
Qui diantre l’aurait mis ? et par quel intérêt ?…
Ah ! ma foi, je devine à peu près ce que c’est :
Cela ne peut venir que de ce que j’augure.
Peut-on vous demander quelle est cette aventure ?
Je voudrais à tout autre en faire un grand secret ;
Mais pour vous il n’importe, et vous serez discret.
Sans doute, l’écriteau que vous voyez paraître,
Comme je conjecture au moins, ne saurait être
Que quelque invention du valet que je dis,
Que quelque nœud subtil qu’il doit avoir ourdi
Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienne
Dont j’ai l’âme piquée, et qu’il faut que j’obtienne.
Je l’ai déjà manquée, et même plusieurs coups.
Vous l’appelez ?
Célie.
Vous n’avez qu’à parler ; je vous aurais sans doute
Épargné tous les soins que ce projet vous coûte.
Quoi ! vous la connaissez ?
Viens de la racheter.
Ô discours surprenant !
Sa santé de partir ne nous pouvant permettre,
Au logis que voilà je venais de la mettre ;
Et je suis très ravi, dans cette occasion,
Que vous m’ayez instruit de votre invention.
Quoi ! j’obtiendrais de vous le bonheur que j’espère ?
Vous pourriez… ?
Tout à l’heure on va vous satisfaire.
Que pourrais-je vous dire, et quel remercîment ?…
Non, ne m’en faites point, je n’en veux nullement.
Scène V
Eh bien ! ne voilà pas mon enragé de maître !
Il nous va faire encor quelque nouveau bissêtre.
Sous ce grotesque habit, qui l’aurait reconnu ?
Approche, Mascarille, et sois le bienvenu.
Moi souis ein chant t’honneur, moi non point Maquerille,
Chai point fentre chamais le fame ni le fille.
Le plaisant baragouin ! Il est bon, sur ma foi !
Allez fous pourmener, sans toi rire te moi.
Va, va, lève le masque, et reconnais ton maître.
Partié, tiable, mon foi, chamais toi chai connaître.
Tout est accommodé ; ne te déguise point.
Si toi point t’en aller, che paille ein coup te poing.
Ton jargon allemand est superflu, te dis-je ;
Car nous sommes d’accord, et sa bonté m’oblige :
J’ai tout ce que mes vœux lui pouvaient demander,
Et tu n’as pas sujet de rien appréhender.
Si vous êtes d’accord par un bonheur extrême,
Je me dessuisse donc, et redeviens moi-même.
Ce valet vous servait avec beaucoup de feu ;
Mais je reviens à vous, demeurez quelque peu.
Eh bien ! que diras-tu ?
De voir d’un beau succès notre peine suivie.
Tu feignais à sortir de ton déguisement,
Et ne pouvais me croire en cet événement.
Comme je vous connais, j’étais dans l’épouvante,
Et trouve l’aventure aussi fort surprenante.
Mais confesse qu’enfin c’est avoir fait beaucoup.
Au moins j’ai réparé mes fautes à ce coup,
Et j’aurai cet honneur d’avoir fini l’ouvrage.
Soit, vous aurez été bien plus heureux que sage.
Scène VI
N’est-ce pas là l’objet dont vous m’avez parlé ?
Ah ! quel bonheur au mien pourrait être égalé !
Il est vrai, d’un bienfait je vous suis redevable ;
Si je ne l’avouais, je serais condamnable ;
Mais enfin ce bienfait aurait trop de rigueur
S’il fallait le payer aux dépens de mon cœur :
Jugez dans le transport où sa beauté me jette,
Si je dois à ce prix vous acquitter ma dette ;
Vous êtes généreux, vous ne le voudriez pas.
Adieu pour quelques jours, retournons sur nos pas.
(Il emmène Célie.)
Je ris, et toutefois je n’en ai guère envie ;
Vous voilà bien d’accord : il vous donne Célie,
Et… Vous m’entendez bien.
Te demander pour moi de secours superflus :
Je suis un chien, un traître, un bourreau détestable,
Indigne d’aucun soin, de rien faire incapable.
Va, cesse tes efforts pour un malencontreux
Qui ne saurait souffrir qu’on le rende heureux !
Après tant de malheurs, après mon imprudence,
Le trépas me doit seul prêter son assistance.
Voilà le vrai moyen d’achever son destin ;
Il ne lui manque plus que de mourir enfin
Pour le couronnement de toutes ses sottises.
Mais en vain son dépit pour ses fautes commises
Lui fait licencier mes soins et mon appui ;
Je veux, quoi qu’il en soit, le servir malgré lui,
Et dessus son lutin obtenir la victoire :
Plus l’obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire,
Et les difficultés dont on est combattu
Sont les dames d’atours qui parent la vertu.
Scène VII
Quoi que tu veuilles dire, et que l’on se propose,
De ce retardement j’attends fort peu de chose ;
Ce qu’on voit de succès peut bien persuader
Qu’ils ne sont pas encor fort près de s’accorder,
Et je t’ai déjà dit qu’un cœur comme le nôtre
Ne voudrait pas pour l’un faire injustice à l’autre ;
Et que très fortement, par de différents nœuds,
Je me trouve attachée au parti de tous deux :
Si Lélie a pour lui l’amour et sa puissance,
Andrès pour son partage a la reconnaissance
Qui ne souffrira point que mes pensers secrets
Consultent jamais rien contre ses intérêts.
Oui, s’il ne peut avoir plus de place en mon âme,
Si le don de mon cœur ne couronne sa flamme,
Au moins dois-je ce prix à ce qu’il fait pour moi
De n’en choisir point d’autre au mépris de sa foi,
Et de faire à mes vœux autant de violence
Que j’en fais aux désirs qu’il met en évidence :
Sur ces difficultés qu’oppose mon devoir,
Juge ce que tu peux te permettre d’espoir.
Ce sont, à dire vrai, de très fâcheux obstacles,
Et je ne sais point l’art de faire des miracles ;
Mais je vais employer mes efforts plus puissants,
Remuer terre et ciel, m’y prendre de tous sens,
Pour tâcher de trouver un biais salutaire ;
Et vous dirai bientôt ce qui se pourra faire.
Scène VIII
Depuis votre séjour, les dames de ces lieux
Se plaignent justement des larcins de vos yeux ;
Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles,
Et de tous leurs amants faites des infidèles,
Il n’est guère de cœurs qui puissent échapper
Aux traits dont à l’abord vous savez les frapper ;
Et mille libertés à vos chaînes offertes
Semblent vous enrichir chaque jour de nos pertes.
Quant à moi, toutefois, je ne me plaindrais pas
Du pouvoir absolu de vos rares appas,
Si, lorsque mes amants sont devenus les vôtres,
Un seul m’eût consolé de la perte des autres.
Mais qu’inhumainement vous me les ôtiez tous,
C’est un dur procédé dont je me plains à vous.
Voilà d’un air galant faire une raillerie ;
Mais épargnez un peu celle qui vous en prie :
Vos yeux, vos propres yeux se connaissent trop bien
Pour pouvoir de ma part redouter jamais rien ;
Ils sont fort assurés du pouvoir de leurs charmes,
Et ne prendront jamais de pareilles alarmes.
Pourtant en ce discours je n’ai rien avancé
Qui dans tous les esprits ne soit déjà passé ;
Et, sans parler du reste, on sait bien que Célie
A causé des désirs à Léandre et Lélie.
Je crois qu’étant tombés dans cet aveuglement,
Vous vous consoleriez de leur perte aisément,
Et trouveriez pour vous l’amant peu souhaitable
Qui d’un si mauvais choix se trouverait capable.
Au contraire, j’agis d’un air différent,
Et trouve en vos beautés un mérite si grand ;
J’y vois tant de raisons capables de défendre
L’inconstance de ceux qui s’en laissent surprendre,
Que je ne puis blâmer la nouveauté des feux
Dont envers moi Léandre a parjuré ses vœux ;
Et le vais voir tantôt, sans haine et sans colère,
Ramené sous mes lois par le pouvoir d’un père.
Scène IX
Grande, grande nouvelle, et succès surprenant,
Que ma bouche vous vient annoncer maintenant !
Qu’est-ce donc ?
Écoutez, voici sans flatterie…
Quoi ?
La vieille Égyptienne, à l’heure même…
Eh bien ?
Passait dedans la place, et ne songeait à rien,
Alors qu’une autre vieille assez défigurée,
L’ayant de près au nez longtemps considérée,
Par un bruit enroué de mots injurieux
A donné le signal d’un combat furieux
Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches,
Ne faisait voir en l’air que quatre griffes sèches,
Dont ces deux combattants s’efforçaient d’arracher
Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.
On n’entend que ces mots, chienne, louve, bagasse !
D’abord leurs scoffions ont volé par la place,
Et laissant voir à nu deux têtes sans cheveux,
Ont rendu le combat risiblement affreux.
Andrès et Trufaldin, à l’éclat du murmure,
Ainsi que force monde, accourus d’aventure,
Ont à les décharpir eu de la peine assez,
Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés.
Cependant que chacune, après cette tempête,
Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête,
Et que l’on veut savoir qui causait cette humeur,
Celle qui la première avait fait la rumeur,
Malgré la passion dont elle était émue,
Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue :
« C’est vous, si quelque erreur n’abuse ici mes yeux,
Qu’on m’a dit qui viviez inconnu dans ces lieux,
A-t-elle dit tout haut. Ô rencontre opportune !
Oui, seigneur Zanobio Ruberti, la fortune
Me fait vous reconnaître, et dans le même instant
Que pour votre intérêt je me tourmentais tant :
Lorsque Naples vous vit quitter votre famille,
J’avais, vous le savez, en mes mains votre fille,
Dont j’élevais l’enfance, et qui, par mille traits,
Faisait voir, dès quatre ans, sa grâce et ses attraits.
Celle que vous voyez, cette infâme sorcière,
Dedans notre maison se rendant familière,
Me vola ce trésor. Hélas ! de ce malheur
Votre femme, je crois, conçut tant de douleur,
Que cela servit fort pour avancer sa vie ;
Si bien qu’entre mes mains cette fille ravie
Me faisant redouter un reproche fâcheux,
Je vous fis annoncer la mort de toutes deux.
Mais il faut maintenant, puisque je l’ai connue,
Qu’elle fasse savoir ce qu’elle est devenue. »
Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix
Pendant tout ce récit répétait plusieurs fois,
Andrès, ayant changé quelque temps de visage,
À Trufaldin surpris a tenu ce langage :
« Quoi donc ! le ciel me fait trouver heureusement
Celui que jusqu’ici j’ai cherché vainement,
Et que j’avais pu voir sans pourtant reconnaître
La source de mon sang et l’auteur de mon être !
Oui, mon père, je suis Horace, votre fils :
D’Albert, qui me gardait, les jours étant finis,
Me sentant naître au cœur d’autres inquiétudes,
Je sortis de Bologne et, quittant mes études,
Portai durant six ans mes pas en divers lieux,
Selon que me poussait un désir curieux.
Pourtant, après ce temps, une secrète envie
Me pressa de revoir les miens et ma patrie ;
Mais, dans Naples, hélas ! je ne vous trouvai plus,
Et n’y sus votre sort que par des bruits confus :
Si bien qu’à votre quête ayant perdu mes peines,
Venise pour un temps borna mes courses vaines ;
Et j’ai vécu depuis, sans que de ma maison
J’eusse d’autres clartés que d’en savoir le nom. »
Je vous laisse à juger si, pendant ces affaires,
Trufaldin ressentait des transports ordinaires.
Enfin, pour retrancher ce que plus à loisir
Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir,
Par la confession de votre Égyptienne,
Trufaldin maintenant vous reconnaît pour sienne ;
Andrès est votre frère, et comme de sa sœur
Il ne peut plus songer à se voir possesseur,
Une obligation qu’il prétend reconnaître
A fait qu’il vous obtient pour épouse à mon maître,
Dont le père, témoin de tout l’événement,
Donne à cet hyménée un plein consentement ;
Et, pour mettre une joie entière en sa famille,
Pour le nouvel Horace a proposé sa fille.
Voyez que d’incidents à la fois enfantés !
Je demeure immobile à tant de nouveautés.
Tous viennent sur mes pas, hors les deux championnes
Qui du combat encor remettent leurs personnes :
Léandre est de la troupe, et votre père aussi.
Moi, je vais avertir mon maître de ceci,
Et que, lorsqu’à ses vœux on croit le plus d’obstacle,
Le ciel en sa faveur produit comme un miracle.
Un tel ravissement rend mes esprits confus,
Que pour mon propre sort je n’en aurais pas plus.
Mais les voici venir.
Scène X
Ah ! ma fille !
Ah ! mon père !
Sais-tu déjà comment le ciel nous est prospère ?
Je viens d’entendre ici ce succès merveilleux.
En vain vous parleriez pour excuser vos feux,
Si j’ai devant les yeux ce que vous pouvez dire.
Un généreux pardon est ce que je désire ;
Mais j’atteste les cieux qu’en ce retour soudain
Mon père fait bien moins que mon propre dessein.
Qui l’aurait jamais cru, que cette ardeur si pure
Pût être condamnée un jour par la nature !
Toutefois tant d’honneur la sut toujours régir,
Qu’en y changeant fort peu, je puis la retenir.
Pour moi, je me blâmais, et croyais faire faute
Quand je n’avais pour vous qu’une estime très haute.
Je ne pouvais savoir quel obstacle puissant
M’arrêtait sur un pas si doux et si glissant,
Et détournait mon cœur de l’aveu d’une flamme
Que mes sens s’efforçaient d’introduire en mon âme.
Mais, en te recouvrant, que diras-tu de moi
Si je songe aussitôt à me priver de toi,
Et t’engage à son fils sous les lois d’hyménée ?
Que de vous maintenant dépend ma destinée.
Scène XI
Voyons si votre diable aura bien le pouvoir
De détruire à ce coup un si solide espoir,
Et si contre l’excès du bien qui nous arrive
Vous armerez encor votre imaginative.
Par un coup imprévu des destins les plus doux,
Vos vœux sont couronnés, et Célie est à vous.
Croirai-je que du ciel la puissance absolue… ?
Oui, mon gendre, il est vrai.
La chose est résolue.
Je m’acquitte par là de ce que je vous dois.
Il faut que je t’embrasse et mille et mille fois,
Dans cette joie…
Il m’a presque étouffé. Je crains fort pour Célie,
Si vous la caressez avec tant de transport :
De vos embrassements on se passerait fort.
Vous savez le bonheur que le ciel me renvoie ;
Mais puisqu’un même jour nous met tous dans la joie,
Ne nous séparons point qu’il ne soit terminé,
Et que son père aussi nous soit vite amené.
Vous voilà tous pourvus ; n’est-il point quelque fille
Qui pût accommoder le pauvre Mascarille ?
À voir chacun se joindre à sa chacune ici,
J’ai des démangeaisons de mariage aussi.
J’ai ton fait.
Nous donnent des enfants dont nous soyons les pères.