L’Évolution Française sous la Troisième République/Chapitre VI

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chapitre vi

le ministère jules ferry.

Anarchie gouvernementale. — Le « long ministère ». — Le travail législatif reprend. — Luttes passionnées des partis extrêmes. — La revision de 1884. — Énergie de Jules Ferry. — Sa politique asiatique. — La journée du 30 mars 1885.

La crise du 26 janvier 1882 eut, en province surtout, un long retentissement, et ses conséquences furent considérables. Les politiciens se livrèrent à des controverses sur la théorie gouvernementale, la nature et les attributs des pouvoirs ministériels, la responsabilité parlementaire ; les électeurs, surpris et désillusionnés, se laissèrent aller à un état d’apathie dont profitèrent les adversaires de la République[1] ; à la Chambre, on se perdit en aigres récriminations. Le gouvernement qui avait succédé au cabinet Gambetta n’avait d’avis sur rien, pas même sur la mairie centrale de Paris[2]. Quand vint en discussion la question de l’inamovibilité de la magistrature — la suspendre ou la supprimer — il laissa voter le principe de l’élection des juges[3]. Nous avons vu quelle fut son attitude lors des affaires d’Égypte et comment sa conduite fut censurée au Sénat ; le Sénat faisait contraste avec la Chambre par la sérénité avec laquelle il étudiait la réforme du code d’instruction criminelle. Le passage du rapport de M. Scherer auquel il est fait allusion dans le chapitre précédent, était ainsi conçu : « Messieurs, les regrets que la conduite du cabinet nous a fait éprouver ne nous ont pas été uniquement inspirés par des hésitations ou des contradictions dans la direction des affaires étrangères, mais nous nous sommes quelquefois demandé si les incertitudes de sa conduite ne provenaient pas elles-mêmes d’une préoccupation exagérée de la position parlementaire ; sans être aucunement insensibles aux difficultés qu’opposent à l’exercice du pouvoir les conditions de la société moderne, il nous semblait que le plus sûr moyen de s’assurer une majorité, c’étaient encore la netteté des vues et l’autorité des convictions. Un homme d’État contemporain l’a dit : La grande misère de notre temps est la crainte des responsabilités : il aurait pu ajouter qu’on gouverne moins l’opinion en la suivant qu’en la formant, et qu’on ne la forme que par l’énergie des initiatives. »

Quelques jours plus tard (le 29 juillet 1882) le ministère Freycinet était renversé sur la question des crédits d’Égypte par 417 voix contre 75. Après de longs pourparlers on aboutit à la formation du cabinet Duclerc[4]. Le talent et la bonne volonté du nouveau président du conseil et de ses collaborateurs ne purent venir à bout d’une situation sans issue. La commission du budget était dans le désarroi : le budget de M. Allain-Targé, modifié de fond en comble par M. Léon Say, fut refait laborieusement par M. Tirard. On avait devant soi l’extrême gauche qui continuait d’entretenir dans l’opinion de dangereuses erreurs, réclamant la séparation de l’Église et de l’État et la suppression du Sénat. Ces exagérations rendaient quelque espoir aux réactionnaires : il y eut des manifestations royalistes en province, voire même quelques appels à la guerre civile, tandis qu’éclatait à Montceau-les-Mines la première cartouche de dynamite. L’année 1883 débuta d’une manière inquiétante. La mort de Gambetta jeta la consternation parmi les républicains de gouvernement ; en même temps elle tranchait les seuls liens qui rattachaient à la République certains conservateurs qu’avaient séduits l’énergie du défunt et l’ampleur de sa parole. Le prince Napoléon publia un manifeste auquel on attribua maladroitement une portée qu’il n’avait pas[5]. Enfin M. Duclerc tomba malade et dut se retirer, bientôt suivi du général Billot et de l’amiral Jauréguiberry. M. Fallières exerça la présidence du conseil sans même compléter le cabinet, tant on sentait le caractère précaire du groupement ministériel.

De tous côtés se manifestait le désir de sortir du provisoire, d’échapper aux « combinaisons », d’avoir une politique à suivre, fût-elle médiocre. Les associations industrielles envoyaient des adresses au chef de l’État ; l’Union des Chambres syndicales ouvrières réclamait de lui la constitution d’un ministère « durable, résolu à défendre la République contre toutes les violences, d’où qu’elles viennent, décidé à aboutir », un ministère « qui prenne résolument l’initiative des réformes sociales qui nous sont promises en vain, depuis si longtemps, et qui sache faire considérer la République en Europe et dans le monde entier ».

Jules Ferry était cet homme, résolu à défendre la République et à aboutir. La majorité le vit revenir avec satisfaction, sentant en lui son véritable et, désormais, son unique chef. La minorité était partagée entre la crainte des coups et le plaisir de les rendre. Un ministre de combat répondait à ses instincts de combativité ; et entre tous, elle préférait celui-là auquel du moins on ne pouvait refuser l’estime qu’inspiraient sa vie et la sincérité de ses convictions. Seulement, il demeurait à ses yeux l’homme de l’article 7, l’instigateur de la « persécution religieuse », et de ce passé, si vivement ressenti, elle espérait se venger quelque jour. Dans le pays Jules Ferry n’était point populaire : il était et demeura toujours incompris des masses : à vrai dire, l’impopularité qui s’attacha à son nom dans la suite n’eût pas pu se propager si le peuple avait connu celui qui en était l’objet : mais il l’ignora jusqu’à sa mort, ainsi qu’il arrive souvent aux précurseurs. Nous aurons occasion d’apprécier dans un chapitre ultérieur[6] l’œuvre de Jules Ferry comme ministre de l’intruction publique ; elle présente un grand caractère d’unité et même de modération, mais elle fut exposée sans les ménagements désirables et imposée avec une certaine brusquerie ; il arrivait alors au grand maître de l’Université de dire violemment des choses douces. Plus tard, il sut mieux choisir ses expressions, il eut la risposte moins blessante et se contint plus habilement. En 1883, une impression batailleuse restait de son premier ministère qui contribua à grouper autour de lui, au début du second, l’ensemble des républicains ; ce qu’il y avait de moins bon en lui les attirait, et ils ne savaient point deviner ce qui s’y trouvait de meilleur. Les derniers événements, le dépit que leur causaient l’échec, puis la mort de Gambetta, faisaient naître en eux le désir d’une lutte âpre et décisive d’où la République sortirait définitivement triomphante, ayant terrassé tous ses ennemis. Avec Gambetta, ils auraient volontiers pacifié ; avec Jules Ferry, ils voulaient se battre.

Le président du conseil reprit ce portefeuille de l’instruction publique qui lui était cher et qu’il ne devait échanger qu’un peu plus tard contre celui des affaires étrangères ; il s’entoura de collaborateurs appartenant au parti modéré[7] et se mit sans retard à la besogne. Le zèle intempestif d’un haut fonctionnaire avait, à l’occasion du manifeste publié par le prince Napoléon, créé une agitation autour de la « question des princes ». Jules Ferry, pressé, avant tout, d’en finir avec ce mouvement qu’il trouvait inutile et dangereux, retira l’activité de service au duc d’Aumale, au duc de Chartres et au duc d’Alençon. Il en éprouva sans doute quelques regrets, mais ne s’y attarda pas : c’était, à ses yeux, un sujet secondaire. Tout se décomposait pour lui, dans la pratique, en deux catégories : les mesures nécessaires qu’il défendait avec une ténacité, une persévérance, une volonté qu’aucun autre homme d’État ne surpassa jamais, et les mesures secondaires pour lesquelles il faisait très volontiers le sacrifice de ses préférences personnelles. Ainsi s’explique l’accusation de faiblesse à laquelle cet homme si fort s’est vu parfois en butte. C’était d’ailleurs son opinion que dans l’état actuel des deux Chambres et du parti républicain, « la frontière de la majorité pouvait être portée très avant et très loin du côté gauche[8] ».

Chaque fois qu’ils se trouvaient en présence d’un nouveau groupement ministériel, les radicaux présentaient une proposition d’amnistie, afin de se compter et d’inspirer au cabinet une crainte salutaire. L’amnistie, cette fois, fut rejetée par 381 voix contre 84. On vit bientôt que ce ministère-là ne ressemblait pas aux autres, qu’il prétendait gouverner et en possédait les moyens ; sur toutes choses il avait un avis à donner, et nul débat ne lui semblait redoutable. La loi suspendant l’inamovibilité de la magistrature, les lois sur les syndicats professionnels, sur les récidivistes, sur l’élection des juges consulaires, sur la liberté des funérailles, sur la création de l’artillerie de forteresse, sur la protection de l’enfance donnèrent lieu à des discussions approfondies et brillantes. Quelques évêques ayant censuré et proscrit les manuels d’éducation civique approuvés par l’Université, Jules Ferry en prit occasion pour exposer sa politique ecclésiastique qui demeurait, bien qu’avec moins d’ardeur qu’au temps de son premier ministère, respectueuse de la religion, mais nettement anticléricale. Le conseil d’État, consulté sur la légitimité de la suspension des traitements épiscopaux, en cas de rébellion contre l’État, émit un avis affirmatif, et M. Martin-Feuillée, ministre de la justice et des cultes, appelé à intervenir dans la discussion ouverte devant le Parlement, le fit en termes qui ne laissaient aucun doute sur le souci du gouvernement de ne pas permettre qu’on empiétât sur le pouvoir civil[9].

Les problèmes financiers s’imposaient à l’attention des gouvernants. Il n’était plus possible de réaliser le programme que M. Léon Say, ministre des finances dans le cabinet Freycinet, avait rédigé en trois mots : ni conversion, ni émission, ni rachat. La conversion du 5 pour 100 en 4 et demi s’imposait. À cette occasion Jules Ferry prononça un important discours qui mit en lumière les multiples capacités de son esprit[10]. Puis vint le débat sur les conventions avec les chemins de fer. Ouvertes dès le mois de mars par M. Raynal, ministre des travaux publics, les négociations n’aboutirent qu’en juin et juillet. Il s’agissait d’obtenir des compagnies le remboursement anticipé des sommes dont elles sont débitrices, en même temps que des modifications de tarifs, soit pour les voyageurs, soit pour les marchandises, modifications qui devaient abaisser le chiffre des recettes ; il fallait de plus les associer à la construction du nouveau réseau. Or les compagnies ne se trouvent pas toutes dans une situation similaire. Les unes n’ont jamais eu recours à la garantie d’intérêt ; les autres ne pourraient, aujourd’hui encore, équilibrer leur budget sans les subventions de l’État. Du moment qu’il devenait indispensable de rompre avec le système d’aveugle confiance suivi depuis 1878 et d’avouer l’impuissance de l’État à pourvoir aux dépenses dans lesquelles on l’avait engagé, le plus simple eût été l’arrêt immédiat des travaux entrepris en exécution du plan Freycinet[11]. Mais on laissait en souffrance en agissant ainsi de graves intérêts politiques, économiques et stratégiques. Les conventions étaient donc courageuses et utiles.

Certaines des stipulations parurent bien un peu illusoires : on abaissait le chiffre de bénéfices au delà duquel l’État devait entrer en partage avec les actionnaires, mais il était douteux que ce chiffre fût jamais dépassé ; des réductions de tarif ou des améliorations de matériel seraient plutôt réalisées. Le maintien du droit de rachat semblait illusoire aussi, car l’indemnité à payer pour le matériel et les approvisionnements deviendrait d’autant plus forte que l’État n’aurait plus de créances sur les compagnies, celles-ci se libérant, par anticipation, de leurs dettes. Enfin la garantie d’intérêt, pour avoir été transformée, n’en subsistait pas moins ; la concurrence du réseau de l’État ou simplement les charges qui allaient incomber aux compagnies du fait des nouvelles lignes, improductives pour la plupart, amèneraient une diminution de recettes, et l’État se verrait contraint de parfaire la différence entre les bénéfices réels et le dividende garanti. Malgré cela, « sans être aussi avantageuses pour l’État qu’on aurait pu le croire, au premier abord, les conventions, disait-on, représentaient le maximum des concessions possibles de la part des compagnies, étant données les conditions déplorables dans lesquelles l’État s’était laissé acculer avant de contracter avec elles et du moment où on ne voulait pas se résigner à arrêter les travaux[12] ».

Sans parler des déclamations violentes contre la « ploutocratie » et la « féodalité industrielle », ni des accusations de chantage et de « pots-de-vin », que certains journaux prenaient l’habitude de lancer à tort et à travers contre le gouvernement, il y eut assaut donné par les partisans du rachat des chemins de fer par l’État. Parmi ceux-là, M. Allain-Targé soutenait ingénieusement qu’il suffirait de racheter l’Orléans, pour briser le faisceau redoutable des six grandes compagnies, l’Orléans qui « touchant à l’Ouest, dominant le Midi, longeant le Paris-Lyon, eût autorisé toutes les expériences, toutes les améliorations, hors des considérations étroites de l’intérêt privé ». Malgré les répugnances de beaucoup de députés à émettre un vote qui pouvait leur être reproché dans la suite, une majorité moyenne de 200 voix appuya le gouvernement pour le vote des six conventions, et le cabinet Ferry sortit avec honneur de cette laborieuse session, ayant refait la majorité, sans rien sacrifier de son programme, et n’ayant été mis en minorité sur aucun sujet important[13]. Les élections aux conseils généraux se ressentirent de ce résultat : dans huit départements, la majorité passa de droite à gauche ; un seul socialiste fut élu dans la Nièvre[14].

Les ennemis du ministère l’eussent volontiers attaqué sur sa politique extérieure ; mais ils craignaient de froisser le sentiment public, qui commençait à se montrer ombrageux sur ce chapitre-là. Le 13 mars 1883, M. Mancini avait donné à entendre au parlement italien qu’une alliance régulière unissait l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Cette révélation avait fait le tour non seulement de la presse universelle, mais des parlements d’Europe. À Budapest, M. Tisza avait été interrogé ; à Westminster, on avait demandé des explications au gouvernement, et nous avons vu plus haut la belle réponse de M. Challemel-Lacour à une question que lui posait, à ce sujet, le duc de Broglie. Le ministre des affaires étrangères rencontrait maintenant sur ses pas la diplomatie anglaise, empressée à contrecarrer notre action[15] ; par contre, notre réveil colonial semblait nous valoir les sympathies de l’Allemagne, soit que le prince de Bismarck fût satisfait d’entrevoir sur l’horizon français des préoccupations et peut-être des complications lointaines, soit qu’il nourrit l’espoir d’annexions futures, plus faciles à germaniser que l’Alsace-Lorraine. On fut donc surpris par les brusques attaques de la presse allemande, à propos d’un voyage du ministre de la guerre dans l’Est. Les membres du Reichstag furent soudainement convoqués tandis que les journaux se livraient à un véritable débordement d’injures et de calomnies contre la France ; le Diritto, le Daily News, et même la Epoca, s’associèrent à la campagne menée par la Gazette de l’Allemagne du Nord. Le Times s’aperçut, le premier, que rien ne la justifiant ; en France, d’ailleurs, l’opinion ne s’émut pas, et la presse conserva un calme surprenant. Le Reichstag reçut communication… d’un simple traité de commerce avec l’Espagne, et tout se calma. Ces alertes sur lesquelles on basa tant de conjectures semblent avoir été des coups de sonde que le chancelier aimait à jeter dans l’opinion, pour se rendre compte de son degré d’inflammabilite ; elles avaient le double avantage, à ses yeux, de le bien renseigner et d’entretenir dans le reste de l’univers l’impression que la France menaçait, seule, le repos général.

L’extrême gauche, toutefois, organisa à l’occasion de la visite à Paris du roi d’Espagne une manifestation qui donna à la presse une occasion malheureuse de détruire le bon effet produit pas son attitude. Le voyage d’Alphonse xii en Autriche et en Allemagne ayant paru éveiller, en France, quelques susceptibilités, le jeune souverain, qui aimait fort notre pays, résolut de s’y arrêter au retour. Il y arriva, venant de Berlin où, suivant l’usage, l’empereur Guillaume l’avait nommé colonel honoraire d’un régiment allemand. Or ce régiment tenait garnison à Strasbourg. Il n’en fallut pas davantage pour permettre aux fauteurs de désordre d’accomplir leur détestable besogne. Alphonse xii, arrivé le 29 septembre à Paris, traversa la capitale au milieu des injures : on le désignait sous le sobriquet de « Roi Uhlan ». Le Président de la République dut se rendre auprès de lui pour lui faire agréer les excuses de la France et obtenir qu’il assistât au dîner de gala donné en son honneur à l’Élysée. Le Roi y consentit et demeura à Paris jusqu’au 1er  octobre. Ce pénible incident souleva à l’étranger l’indignation, tandis que les bons Français en ressentaient une véritable honte[16].

Jules Ferry ne perdit point son temps en récriminations ; un seul ministre, le général Thibaudin, s’était refusé à aller recevoir le roi d’Espagne à son arrivée : il exigea sa démission immédiate et le remplaça par le général Campenon. La guerre, désormais, était déclarée entre le président du conseil et les radicaux. Ceux-ci organisèrent des réunions tumultueuses, dans lesquelles on vota la mise en accusation du ministère, résolution toute platonique qui devait forcément accroître son crédit auprès des modérés[17]. Le moment, du reste, était mal choisi pour les querelles de parti et les divisions intestines ; une guerre européenne pouvait éclater d’un jour à l’autre. Partout en Orient, la Russie et l’Allemagne se trouvaient en conflit ; en Bulgarie, en Serbie, en Roumanie, en Grèce, les tendances germanophiles s’opposaient aux tendances slavophiles, et les esprits étaient tendus dans l’attente de quelque événement qui mit le feu aux poudres.

Sur le terrain colonial l’opposition se sentait plus à l’aise ; la nature même des intérêts mis en jeu, l’éloignement du théâtre des hostilités lui permettaient d’agiter l’opinion et de lui souffler cette « politique de lièvre au gîte qui voit gros et qui voit trouble[18] », dont nos colonies ont tant souffert. Le président du conseil, d’ailleurs, donnait prise à la critique en se montrant sobre de communications ; il avait le sentiment de la nécessité où il se trouvait, pour accomplir son œuvre, d’opérer en quelque sorte à l’insu de la masse, parce qu’il la savait profondément ignorante des choses d’Afrique ou d’Asie et hostile aux entreprises lointaines qui ne se traduisaient pas en profit immédiat. Mais avec un peu plus d’art et d’apparente bonne volonté, en témoignant surtout plus d’empressement à communiquer les nouvelles, il eût pu calmer ses impatiences. Cette fois-là, pourtant, le Parlement, en se réunissant, le 23 octobre 1883, se trouva éclairé par un Exposé de la situation des affaires au Tonkin ; si lumineux, si franc, si précis, qu’il était impossible, en présence des exigences croissantes de la Chine, de refuser au gouvernement l’appui dont il avait besoin[19]. Les crédits furent votés, et l’année se termina par la prise de Son-Tay.

La question ouvrière servait aussi de terrain de combat. Au début de 1884, les propositions tendant « à améliorer le sort des travailleurs » se succédèrent avec une incroyable fécondité. On affectait de croire à une crise générale qui paralysait le commerce et l’industrie ; et, précisément, les derniers mois de 1883 avaient été marqués par une sorte de reprise des affaires[20]. Mutualité, socialisme chrétien ou athée, réforme de l’impôt, protectionnisme, tout fut discuté. Jules Ferry défendait la liberté du travail. « Nous estimons, disait-il, qu’il n’y a de réformes sociales profondes que celles qui commencent par la réforme des idées et des mœurs et qui ont leur source dans l’activité, l’initiative et la prévoyance individuelles. Alors, quel est le rôle de l’État ? Est-ce de se substituer à l’initiative, à la prévoyance individuelles ? Non, c’est d’encourager, d’aider, de subventionner, s’il le faut, leur développement ; jamais de se substituer à elles. » Tous ces obstacles n’entravaient pas le travail législatif ; il s’accomplissait avec plus de rapidité que sous d’autres ministères moins combattus, tant une volonté ferme et une ligne de conduite déterminée facilitent le bon fonctionnement gouvernemental. La loi municipale fut promulguée le 5 avril[21] ; il y eut encore d’importantes discussions sur l’enseignement primaire ; on vota des lois sur la libération conditionnelle des condamnés, la vente des diamants de la couronne, la création de six écoles d’enfants de troupe ; une convention fut conclue avec le bey de Tunis pour la conversion de la dette tunisienne. Les élections municipales des 4 et 11 mai 1884 donnèrent des résultats satisfaisants[22] ; à l’extérieur comme à l’intérieur, le cabinet qui venait de conclure le traité de Tien-Tsin était solide et respecté.

Jules Ferry avait promis une revision partielle pour donner satisfaction à ce qu’il considérait comme un courant profond de l’opinion[23]. Il écarta la revision générale que demandaient les radicaux et présenta lui-même (24 mars 1884) un projet de loi qui limitait à quatre points les modifications à apporter à la Constitution : la forme du gouvernement était consacrée définitivement et mise au-dessus de toute discussion ; le caractère constitutionnel était retiré à la loi réglant le mode d’élection des sénateurs[24] ; les prérogatives législatives de l’une et l’autre Chambre étaient réglées définitivement ; enfin le paragraphe ordonnant des prières publiques à la rentrée des Chambres était supprimé. Le Congrès s’ouvrit à Versailles, au mois d’août ; il s’y passa des scènes regrettables ; les amendements les plus inattendus furent déposés dans le but trop évident de retarder les solutions, d’embrouiller les débats et de jeter le discrédit sur l’Assemblée. Une discussion byzantine s’établit sur le grand et le petit « quorum » (c’est-à-dire le chiffre d’après lequel devait être calculée la majorité ; calculée sur le total légal de l’effectif des congressistes, elle était de 429 voix ; calculée sur le total réel, elle n’était que de 420). N’ayant pas réussi, toutefois, à empêcher le Congrès d’aboutir, les adversaires du ministère le qualifièrent de « défi lancé à la démocratie » et publièrent un bruyant manifeste de protestation. Pour la première fois, Jules Ferry avait paru, non indécis, mais désorienté[25] ; il s’étonnait peut-être de cet isolement qui commençait pour, lui et qu’il apprit, dans la suite, à supporter si vaillamment. À mesure que le ministre grandissait et que sa figure énergique saillait davantage sur le bas-relief gouvernemental, le vide se faisait autour de lui ; chez certains de ses adversaires l’esprit d’opposition dégénérait en colère ; chez ses anciens partisans, la jalousie exerçait ses ravages ; puis il y avait cette incapacité générale à appuyer, d’une manière libre et suivie, un gouvernement quelconque. La persuasion, le raisonnement n’agissant pas assez, il fallait employer la force, cette force du langage qui courbe les volontés, mais ne les empêche point de se redresser ensuite. On obéissait à Jules Ferry, en maugréant, et, à la longue, il en résultait, dans les rangs de la majorité, comme une impression d’esclavage qui laissait de sourdes rancunes dans les cœurs. On pourrait écrire, sur la Chambre de 1881, un piquant chapitre de psychologie parlementaire. L’histoire dira d’elle qu’elle ne sut jamais comprendre ni seconder de son plein gré l’homme qui incarnait le mieux les sentiments de la majorité de ses membres.

Les instincts coloniaux s’étant peu à peu réveillés, des crédits demandés pour Madagascar furent accordés sans trop d’hésitations ; par contre, on aurait eu des tendances à lâcher la proie pour l’ombre, à abandonner le Tonkin pour intervenir en Égypte. Le Tonkin était trop loin ; on n’y suivait les mouvements de nos troupes qu’à travers les informations fantaisistes de chroniqueurs mal préparés à guider le public. La surprise de Bac-Lé, le bombardement de Kelung causèrent de l’émotion à Paris ; le départ de Shanghaï des plénipotentiaires chinois (18 août 1884) et l’ultimatum déposé par M. Patenôtre, laissèrent entrevoir une guerre générale et sans merci entre la France et la Chine. Faute de savoir ce qu’était la rivière Min et de quelle façon elle était défendue, on n’apprécia pas tout d’abord l’admirable fait d’armes accompli par l’amiral Courbet à Fou-Tcheou. On eût dit qu’entre le Tonkin et Paris toutes les proportions se faussaient, toutes les craintes s’exagéraient, tous les jugements déviaient. Un seul fait dominait la situation, brutal celui-là et clair à tous les regards : la France était en guerre avec une grande puissance sans que le Parlement eût été appelé à donner son avis[26]. Aujourd’hui, nous pouvons apprécier de sang-froid l’enchaînement des circonstances ; mais on conçoit qu’une certaine émotion ait régné, sur le moment, en présence d’une situation qui ne s’expliquait pas.

L’Europe tenait les yeux fixés sur la France ; la lutte virilement soutenue par Jules Ferry pour organiser les partis et fonder le véritable gouvernement parlementaire l’intéressait ; mais elle notait surtout avec un indicible mouvement de curiosité l’espèce de détente qui se devinait dans les relations de la France et de l’Allemagne. Déjà marquée dans les affaires de Tunisie[27], cette détente s’était accentuée à la conférence de Londres sur les affaires d’Égypte — conférence qui venait d’ailleurs de prendre fin sans résultat. Il était visible que M. de Bismarck voyait avec sympathie nos essais de colonisation ; il devenait lui-même colonial, s’emparant des Camerouns et d’Angra-Pequena, et déroutait de nouveau les diplomates par une de ces volte-face auxquelles se complaisait son génie[28]. Ce que les ennemis du ministère affectaient déjà d’appeler l’entente franco-allemande se précisa encore par la convocation de la conférence de Berlin pour la liberté commerciale des fleuves africains, du Niger et du Congo. Cette conférence s’ouvrit le 15 novembre et procéda à d’importants partages.

La bataille parlementaire cependant devenait, de jour en jour, plus rude à soutenir. Pour ramener les hésitants et obtenir les crédits du Tonkin (16 millions étaient nécessaires pour la fin de 1884 et 43 millions pour l’année 1885), Jules Ferry dut ordonner la publication de toutes les archives diplomatiques relatives au Tonkin ; on n’y trouva rien à reprendre[29] ; la fermeté, la netteté, la modération du président du conseil lui assurèrent une majorité de 100 voix, mais au prix de quels efforts ! Cette majorité ressemblait à une troupe d’écoliers en classe ; il fallait la surveiller continuellement et rester vis-à-vis d’elle sur une défensive à la fois amicale et sévère. Grâce à un vote de surprise, l’extrême gauche avait, avec l’appui de la droite, établi le suffrage universel direct pour l’élection des sénateurs ; une vive inquiétude s’empara des modérés quand ce résultat inattendu fut proclamé. Le péril était grand. Le président du conseil, sans perdre un moment, porta la loi devant le Sénat qui rétablit le suffrage à deux degrés et, la rapportant devant la Chambre, l’amena à se déjuger ; six jours avaient suffi pour cette campagne d’un nouveau genre.

Le 1er  janvier 1885, le ministère entrait dans la troisième année de son existence[30] ; aux élections sénatoriales du 25 janvier il remporta un nouveau succès ; les revisionnistes radicaux échouèrent, et les républicains modérés gagnèrent vingt-deux sièges sur trente-sept[31]. Un conflit budgétaire entre les deux Chambres et le vote de la loi établissant le scrutin de liste remplirent les premiers mois de l’année, les derniers du cabinet Jules Ferry. Le budget de 1885 n’avait pu être voté en temps opportun ; on adopta un expédient bizarre : les recettes furent votées à part des dépenses. Après avoir, à grand’peine, mis la Chambre d’accord avec le Sénat sur certains crédits que la haute Assemblée ne voulait pas consentir à supprimer[32], le président du conseil s’employa à faire accepter le scrutin de liste. Hostile à cette réforme en 1881, il constatait maintenant la grande faveur dont elle jouissait auprès de l’opinion et ne crut pas utile de s’y opposer plus longtemps. La loi passa par 402 voix (337 républicains et 65 mouarchistes) contre 91 (71 républicains et 20 monarchistes).

Le 25 mars 1885 parvint à Paris la dépêche du général Brière de l’Isle datée d’Hanoï : les pertes d’hommes qu’elle faisait pressentir étaient relativement considérables (260 hommes et 7 officiers tués ou blessés). L’émotion fut vive. Interpellant le cabinet, le lendemain 26 mars, M. Delafosse qualifia l’expédition du Tonkin « la plus folle et la plus criminelle des entreprises », et, bien qu’un télégramme nouveau eût sensiblement atténué la portée du précédent, 259 voix seulement, contre 209, se prononcèrent pour l’ordre du jour pur et simple ; la majorité s’émiettait. Le 28 mars arriva la nouvelle de l’évacuation de Langson, corrigée de même, le lendemain, par un télégramme plus rassurant. Mais une panique folle s’était emparée des députés. Le gouvernement décida de demander au Parlement 200 millions et d’envoyer au Tonkin dix mille hommes pris dans le contingent algérien ou recrutés par voie d’engagements volontaires. Les groupes se con- certèrent ; le manque de sang-froid était général. On eut l’étonnante idée de demander au président du conseil de démissionner avant la séance, en manière d’amende honorable. Les présidents de l’Union républicaine et de l’Union démocratique qui firent, auprès de lui, une démarche en ce sens, furent mal reçus. Jules Ferry entendait paraître, la tête haute, devant l’Assemblée. Le 30 mars, en effet, il déposa la demande de crédits et prononça les paroles suivantes : « Pour ne mêler à un débat qui doit demeurer exclusivement patriotique et national, aucune considération d’ordre secondaire, pour réunir dans un effort commun tous ceux qui, sur quelque banc qu’ils siègent et à quelque opinion qu’ils appartiennent, font passer avant toute chose la grandeur du pays et l’honneur du drapeau, nous vous déclarons que nous ne considérons nullement le vote des crédits comme un vote de confiance, et que si la politique énergique à laquelle nous vous convions est agréée par vous, en principe, vous pourrez déterminer librement, par un vote ultérieur, à quelles mains vous voulez en confier l’exécution. » Les députés n’entendirent pas ce langage ; ils n’avaient plus la notion de ce que la situation commandait : ils accablèrent le ministre d’outrages. Le Palais-Bourbon donna ce jour-là le plus honteux spectacle ; peu de temps avant, la terrible nouvelle de la chute de Karthoum, dont le gouvernement britannique portait la lourde responsabilité, avait été reçue à Westminster avec une dignité calme que l’opinion tout entière avait reflétée ; le contraste n’en était que plus affligeant pour les amis de la France. 149 voix républicaines défendirent seules Jules Ferry contre la coalition de 306 voix que la haine et la peur dressaient devant lui[33].

Quelques heures avant sa chute, sur laquelle il ne se faisait guère d’illusions, Jules Ferry avait présidé la séance d’ouverture de la conférence pour la neutralisation du canal de Suez. Quelques semaines plus tôt, l’acte final de la conférence de Berlin avait marqué un succès de plus à l’actif de notre diplomatie. Le président du conseil laissait, à l’extérieur, la France forte et respectée ; à l’intérieur, il demeurait le chef véritable de la majorité ; on le comprit bien lorsqu’on vit son successeur continuer, malgré lui, sa potitique et s’en réclamer. En peu de jours, d’ailleurs, l’opinion fut instruite. Le télégramme arrivé d’Hanoï le 1er  avril disait : « L’évacuation de Langson, à la suite de la blessure du général de Négrier, semble avoir été un peu précipitée : la situation est, en résumé, meilleure que ne le faisaient prévoir les renseignements exagérés parvenus ici depuis quatre jours[34]. » Le 2 avril, on sut que depuis cinq jours, l’amiral Courbet occupait le mouillage des Pescadores. Enfin on apprit, le 4, que les préliminaires de la paix venaient d’être signés à Paris entre la France et la Chine sur les bases posées par la France et sans que la Chine eût été amenée, par l’affaire de Langson, à élever ses prétentions. Ces négociations se poursuivaient secrètement depuis le 22 mars entre M. Billot, directeur des affaires politiques, et M. Campbell, représentant du Céleste Empire. Il eût suffi à Jules Ferry de les rendre publiques pour se justifier, mais il avait préféré se taire, tant pour en assurer le succès que par dédain pour ses ennemis.

Il se sentait « usé » et en prenait son parti. N’avait-il pas résumé sa pensée à cet égard, en disant : « Je sais bien que ce régime d’attaques incessantes, de batailles quotidiennes, use les hommes ; mais à quoi sont bons les hommes, si ce n’est à s’user pour le bien, pour le beau, pour la liberté républicaine, pour la patrie ? » Et plus tard, il devait écrire ces lignes si profondément patriotiques : « Quand un homme politique laisse après lui quelques œuvres durables, il doit savoir passer sa popularité par profits et pertes[35]. » De telles maximes que, de son mieux, il pratiquait, ne provenaient point d’un excès de résignation, encore moins d’une insensibilité quelconque. À de certains moments, il bondissait, malgré lui, sous les traits : « Est-ce qu’ils ignorent, s’écriait-il, à la Chambre, à l’automne de 1884, qu’au lieu de recueillir ce qu’en d’autres temps on appelait les joies du pouvoir, on ne trouve, en définitive, qu’une lutte de tous les instants et ce qui, pour un cœur bien placé, est la dernière de toutes les amertumes, la tempête des haines déchaînées, les amitiés perdues tout le long du chemin, les calomnies inouïes que rien ne lasse ? Et vous croyez que le pouvoir ainsi disputé a de la vertu et de la valeur par lui-même ? » Depuis sa mort, depuis que le Jules Ferry intime nous est mieux connu, nous devinons en lui une nature délicate dont, comme il l’a dit lui-même avec une sereine mélancolie, « les roses poussaient en dedans ». C’est à présent que s’éclaire d’une lueur sinistre ce long chemin de croix qu’il a dû parcourir. L’attentat dont il faillit être la victime lui causa une moindre douleur que ces insultes incessantes, ces caricatures, cette boue anonyme que Paris jetait sous ses pas. Puis la haine se lassa, l’oubli se fit, et enfin l’heure de la justice sonna. En l’appelant à les présider (1893) pendant les trois dernières semaines de sa vie, les sénateurs rendirent possible cette longue ovation que la France républicaine mena derrière son cercueil ; elle le reconnaissait, enfin, pour un de ses plus nobles enfants, celui qui avait proclamé que « la démocratie et la République sont le point d’arrivée de tout le progrès moderne et doivent concentrer en elles tout ce qu’il y avait de bon, de grand et d’utile dans le passé ».

L’œuvre de Jules Ferry a été triple : il a restauré l’idée du gouvernement parlementaire et l’a affermie ; il a détourné l’activité et l’attention nationales vers les colonies et créé une « France extérieure » ; enfin, il a fait de l’instruction et de l’éducation les fortes assises de la République.

« Le gouvernement, disait-il, doit être un fanal qui éclaire et qui guide, et non une sorte de crépuscule où viennent se fondre toutes les opinions. » Mais son autoritarisme restait parlementaire toujours et libéral. « Je ne puis supporter cette idée, s’écriait-il au Cercle national le 9 mars 1883, que la démocratie française ne pourrait tolérer l’organisation parlementaire. Quoi ! il est avoué par tout le monde que le gouvernement parlementaire est le plus noble, le plus généreux, le plus favorable à la liberté. C’est la lutte quotidienne, lutte pacifique qui dispense le peuple des batailles de la rue ; c’est la réforme étudiée et progressive… c’est l’autorité constamment contrôlée, c’est le gouvernement fondé sur la plus large publicité. Le suffrage universel, la démocratie seraient incompatibles avec cet idéal ? En prétendant cela, messieurs, on fait injure à la démocratie et au suffrage universel. »

Avant de suivre les péripéties de la crise qu’ouvrit pour le pays la chute du ministère Ferry, nous jetterons un coup d’œil sur l’ensemble de la politique coloniale, sur cette vaste entreprise dont la France paraît avoir enfin compris l’utilité et à la poursuite de laquelle il semble qu’elle soit en voie de s’attacher passionnément. Pour la réaliser, la paix continentale était nécessaire. Jules Ferry, comme tous les esprits clairvoyants, considérait le maintien de la paix comme la première condition de l’avenir. Il se rendait compte qu’une guerre, même victorieuse, eût été le cran d’arrêt mis à ce gigantesque labeur de la France, refaisant son outillage et relevant sa fortune. Or, il ne comprenait, entre la France et l’Allemagne, d’autre état que la paix ou la guerre. Il pensait sans doute, avec Washington, que « la nation qui se livre à des sentiments habituels d’amour ou de haine envers une autre devient, en quelque sorte, esclave de sa haine ou de son amour », et tout esclavage répugnait à sa nature. Quant à ceux qui, ignorants de sa grandeur d’âme et de l’amour si profond qu’il portait à son pays, lui ont reproché d’avoir tendu, par-dessus les tombes de nos soldats, la main à leur vainqueur, il leur a répondu par ce simple vœu exprimé dans son testament : « Je demande, a-t-il dit, à reposer à Saint-Dié, dans ce cimetière d’où l’on aperçoit la ligne bleue des Vosges et d’où mon cœur fidèle continuera d’entendre la plainte des vaincus. » C’est là que repose, en effet, le grand patriote, le grand citoyen qui fut, avec Gambetta, le véritable fondateur de la République.

  1. Les abstentions républicaines aux élections municipales firent passer 350 à 400 communes aux mains d’administrations réactionnaires.
  2. Ce fut la Chambre qui en votant par 256 voix contre 153 l’ordre du jour Devès-Casimir-Périer, portant qu’elle était « opposée à la création de la mairie centrale », donna une indication au gouvernement.
  3. La commission nommée pour étudier un texte de loi présenta en 1883 un rapport concluant à l’établissement du suffrage à deux degrés ; mais les dispositions de la Chambre avaient changé ; elle revint sur son vote de l’année précédente, et il ne fut plus question d’élire les magistrats.
  4. Il comprenait MM. Devès, Duvaux, Fallières, Hérisson, Tirard, Pierre Legrand, Cochery, de Mahy, le général Billot et l’amiral Jauréguiberry.
  5. Ce manifeste apposé pendant la nuit sur les murs de Paris et signé : Napoléon, n’était qu’un long réquisitoire contre la République terminé par un appel au peuple. Quelques radicaux affectèrent d’en être vivement alarmés et s’employérent à soulever la « question des princes ». — Le 9 février, la Chambre des mises en accusation déclara qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre le prince Jérôme Napoléon.
  6. L’éducation nationale. — Jules Ferry fut trois fois ministre de l’instruction publique, du 4 février 1879 au 14 novembre 1881 ; du 30 janvier au 7 août 1882 ; du 21 février au 20 novembre 1883. Les principales lois auxquelles il attache son nom sont celles : du 7 août 1879, sur l’établissement des Écoles normales primaires ; du 27 février 1880, sur le Conseil supérieur de l’instruction publique ; du 18 mars 1880, sur la collation des grades et la liberté de l’enseignement supérieur ; du 21 décembre 1880, sur l’enseignement secondaire des jeunes filles ; du 16 juin 1881, sur les titres de capacité de l’enseignement primaire ; du 16 juin 1881, sur la gratuité de l’enseignement primaire ; du 18 mars 1882, sur l’obligation de l’enseignement primaire ; du 20 mars 1883, sur l’augmentation du fonds des subventions et avances pour la caisse des Écoles.
  7. Il confia les affaires étrangères à M. Challemel-Lacour, la marine à M. Ch. Brun, la guerre au général Thibaudin ; nous verrons dans quelles conditions ces trois portefeuilles changèrent de titulaires peu après. Ses autres collaborateurs étaient MM. Waldeck-Rousseau, Martin-Feuillée, Tirard, Méline, Raynal, Hérisson : ce dernier appartenait à une nuance d’opinions plus avancée.
  8. Discours prononcé au banquet du Cercle national, le 9 mars 1883.
  9. Il est à remarquer que le langage de M. Martin-Feuillée, en cette circonstance, ne diffère guère de celui que tinrent, plus tard, en des circonstances analogues. M. Ribot et M. Casimir-Périer : la théorie gouvernementale, à ce sujet, est demeurée sensiblement la même.
  10. La conversion, disait l’exposé des motifs du projet de loi, est accomplie en fait ; il ne reste qu’à la sanctionner. Émise à 82,50 en juin 1871, à 84,50 en juillet 1874, la rente 5 % était au pair dès 1875. Depuis lors elle a atteint les cours de 115 et 120 francs pour être aujourd’hui dans les environs de 114. C’est-à-dire que le prix de l’argent est assez bas pour que le rentier ne cherche plus 5 % dans les fonds d’État. D’autre part, il s’attend évidemment à la conversion, car s’il n’en était pas ainsi, le 5 % aurait un cours proportionnellement égal à celui du 3 %, soit environ 132 francs. Pourquoi l’État se refuserait-il le bénéfice de cette opération légitime ?

    M. Allain Targé réclamait la conversion en 3 % : or elle eût augmenté de près de 3 milliards le capital nominal de la dette et enlevé à l’État le bénéfice des conversions successives. On prévoyait aussi qu’avant longtemps le 4 1/2 aurait le cours actuel du 5 ou à peu près. « Dans ces conditions, les demandes de remboursement au pair ne sont pas à craindre, car il est inadmissible que l’on préfère avoir 100 francs d’argent comptant que de recevoir de l’État un nouveau titre négociable du jour au lendemain de 110 à 111 francs. » Enfin pour laisser son libre essor au nouveau 4 1/2 on proposa de le garantir pendant 5 ans contre toute nouvelle conversion. La commission porta le délai à 10 ans et prépara les conversions partielles de l’avenir par voie de tirage au sort, en mettant les titres 4 1/2 en séries.

  11. Sur 44,000 kilomètres de voies ferrées décidées, il n’y en avait encore que 29,369 en exploitation.
  12. André Daniel. L’année politique. 1883.
  13. Un seul scrutin atteignit personnellement le ministre de la marine qui, souffrant d’ailleurs, se retira et fut remplacé par l’amiral Peyron.
  14. Après les élections de 1874, les conseils généraux comprenaient 1,469 républicains et 1,531 conservateurs ; après les élections de 1877, 1,607 républicains et 1,393 conservateurs ; après les élections de 1880, 1,906 républicains et 1,004 conservateurs ; après les élections de 1883, 2,129 républicains et 869 conservateurs.
  15. Non pas seulement en Tunisie, à propos de la suppression des capitulations, mais aussi à propos de la nomination du gouverneur du Liban ; les pouvoirs de Rustem-Pacha allaient expirer ; il s’était montré très hostile à la France qui s’opposa à leur renouvellement, Le candidat présenté par la Porte fut agréé par la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, écarté sans prétextes plausibles par l’Angleterre et la Russie, favorables à Rustem-Pacha. La France, appuyée par l’Autriche et l’Allemagne, eut raison de cette opposition.
  16. Le désir de renverser le ministère se manifesta à travers les prétendus soucis patriotiques affichés par les organisateurs de la manifestation. La fameuse Petite France de Tours, organe de M. Wilson, gendre du Président de la République, publia des dépêches de son « correspondant spécial » de Mont-sous-Vaudrey, indiquant que M. Grévy se refusait à recevoir le roi d’Espagne et que le président du conseil cherchait à l’y contraindre. On doit noter aussi, bien que la responsabilité de l’incident retombe principalement sur l’extrême gauche, la satisfaction manifestée par certains organes de droite. Le Pays alla jusqu’à faire appel à l’intervention étrangère pour nous sortir du « bouge républicain » et félicita les « heureux mortels » que gouvernait l’empereur d’Allemagne. Cette fois, les haines de parti avaient été assez fortes pour faire oublier la Patrie.
  17. Au Havre, le 14 octobre, Jules Ferry prononça un grand discours dans lequel il se déclara prêt à soutenir la lutte. Les radicaux furent encouragés de leur côté par les succès qu’ils remportèrent dans quatre élections partielles.
  18. Jules Ferry, Le Tonkin et la mère patrie.
  19. Jules Ferry força en quelque sorte l’extrême gauche à porter à la tribune l’interpellation qu’elle avait annoncée et qui échoua. 325 voix contre 155 votèrent un ordre du jour de pleine confiance. Dans le scrutin pour les crédits du Tonkin, la droite s’abstint. Le maréchal Canrobert au Sénat, Mgr Freppel à la Chambre, votèrent seuls « pour le drapeau ».
  20. Cette reprise, il est juste de le dire, ne dura guère : il fallut un peu plus tard consentir un emprunt de 350 millions qui fut couvert 3 fois 1/4 seulement.
  21. Elle renfermait une clause de portée considérable dont assurément il n’a pas encore été tiré très grand profit, mais qui n’en contient pas moins le germe d’une révolution bienfaisante : la faculté laissée aux communes d’un même canton de réunir leurs efforts pour des entreprises à frais communs, dans l’intérêt public.
  22. Les conservateurs gardèrent leurs positions ; les radicaux perdirent au profit des modérés. À Paris, la situation resta sensiblement la même. Le conseil comprit, 34 autonomistes, 27 opportunistes, 7 indépendants, 10 réactionnaires, 1 socialiste possibiliste, 1 socialiste révolutionnaire.
  23. Sans doute aussi, pour dégager les nombreux députés qui avaient inscrit la revision dans leurs programmes électoraux.
  24. Cette loi devait ensuite être modifiée comme une loi ordinaire, et l’inamovibilité des sénateurs, supprimée.
  25. C’était l’époque où la loi sur le divorce, éloquemment combattue par Jules Simon, se discutait au Sénat, et où la Chambre étudiait l’organisation du service de trois ans et votait la première loi protectionniste relevant les droits sur les sucres abaissés en 1880. Ces grandes évolutions, militaire et économique, ne paraissent pas avoir été de la part du président du conseil l’objet d’une attention assez suivie.
  26. À la nouvelle de la prise de Fou-Tcheou, M. Barodet, président du groupe de l’extrême gauche, écrivit au Président de la République, réclamant la convocation immédiate du Parlement. M. Grévy répondit d’une manière strictement constitutionnelle qu’il transmettrait la lettre au président du conseil, seul responsable.
  27. L’Allemagne avait été la première à renoncer à ses privilèges judiciaires et autres ; dès le printemps de 1882, elle envoyait un nouveau consul général, l’explorateur Nachtigal, qui se rendit au Bardo dans la voiture du résident général pour être présenté par lui au bey. L’Allemagne ne se contentait donc pas de nous pousser à une expédition dont les suites pouvaient tourner à son profit : elle nous soutenait après le succès, comme avant, Cette cérémonie marqua dans les annales du Protectorat ; peu après lord Granville prescrivait à son tour au consul anglais de ne s’adresser au gouvernement beylical que par l’intermédiaire du résident général de France.
  28. Cela ne l’empêcha pas d’ailleurs de se réunir, comme d’habitude, à ses collègues de Russie et d’Autriche, M. de Giers et le comte Kalnoky. L’entrevue eut lieu le 15 septembre 1884, à Skiernievice (Pologne russe).
  29. M. Clemenceau avait violemment attaqué le président du conseil, l’accusant d’avoir altéré après coup un texte important. Il se trouva que tout se bornait à cette insignifiant correction : « Je crois la paix possible », au lieu de : « Je suis convaincu que la paix est possible. »
  30. M. Maurice Rouvier venait d’être nommé ministre du commerce en remplaceinent de M. Hérisson. Peu après, le général Campenon abandonna le portefeuille de la guerre, que prit le général Lewal.
  31. Il ne restait plus que 67 sénateurs de droite sur 300.
  32. Il s’agissait des bourses des séminaires, des traitements de l’évêque de la Guadeloupe et des membres du chapitre de Saint-Denis, enfin des facultés de théologie. Le budget des cultes se ressentait cette année-là des préoccupations anticléricales de la Chambre des députés. Sitôt le budget de 1885, M. Tirard déposa celui de 1886 afin qu’il pût être voté avant les élections.
  33. Une proposition de mise en accusation soutenue par M. Delafosse fut heureusement écartée.
  34. Le colonel Herbinger avait à ce point manqué de sang-froid que le général Brière de l’Isle crut devoir soumettre sa conduite à un conseil d’enquête.
  35. Jules Ferry, Le Tonkin et la mère patrie.