L’Île d’Orléans/04
IV
Mgr de Laval en possession de l’Île
Nous avons dit, plus haut, qu’entre les années 1662 et
1668, la propriété de l’île d’Orléans passa aux mains de
Monseigneur de Laval-Montmorency, qui l’acheta et la
donna au séminaire de Québec.
Il fallut avoir égard aux divers intérêts des associés de la compagnie de Beaupré, dans les arrangements qui furent pris avec eux, par l’Évêque, et c’est à ce partage de portions de revenus, mais non pas de parts dans la seigneurie que fait allusion le contrat de donation du 28 mars, 1674, et surtout le titre donné, le 28 mars, même année, à Monseigneur l’Évêque, et enregistré aux archives de Québec, au cahier ou registre des actes de Foi et Hommage, sous le No 100, le 15 juin, 1681, intitulé : « Lettres d’affranchissement et règlement de la seigneurie de Beaupré et de celle de l’isle d’Orléans. »
Muni de cet acte, Monseigneur de Laval put transiger avec M. Berthelot, qui le pressait d’effectuer un échange avec lui. L’évêque de Québec, au nom du séminaire dont il était le fondateur, changea, en effet, l’île d’Orléans, avec maître François Berthelot, conseiller au parlement de Paris, pour l’île Jésus. L’acte d’échange fut passé, à Paris, par MM. Duparc et Carnot, le 24 avril, 1675.[1]
Ainsi, l’île, qui avait été antérieurement partagée en fiefs et arrière-fiefs, reprit son unité primitive et le propriétaire n’eut plus à compter avec ceux de l’Île Jésus, ni avec les anciens seigneurs de la côte de Beaupré. Elle fut érigée en fief noble, sous le nom de Comté de Saint-Laurent, selon Charlevoix, (Histoire de la Nouvelle-France, tome 3, p. 67,) en faveur du nouvel acquéreur François Berthelot, secrétaire général de l’Artillerie, qualifié ailleurs de secrétaire des commandements de la Dauphine. Quelques uns pensent que cette érection n’eût pas lieu avant 1692. L’extrait suivant de l’arrêt du Roi, érigeant l’Île en comté, en faveur du sieur Berthelot, « nostre conseiller, et secrétaire général de l’Artillerie, poudres et salpêtre de France, daté du mois d’avril, 1676, » décide la contestation péremptoirement. Au reste, les lignes suivantes extraites des lettres-patentes elles-mêmes sont formelles. Après avoir qualifié la dite île de comté de Saint-Laurent, il est dit : « Pour le dit concessionnaire, ses héritiers mâles, se qualifier comtes de Saint-Laurent en tous actes, jouir des honneurs, prérogatives, armes, blazons, rangs et prééminences et tout ainsi que les autres comtes du royaume. »
M. Berthelot obtint les titres et privilèges de Fief Noble pour son île de Saint-Laurent, érigée en comté, moyennant la somme de dix mille écus qu’il paya au fisc. D’ailleurs, les Recueils d’Édits et Ordonnances Royaux, publiés officiellement, contiennent des actes concernant les habitants de l’île et comté de Saint-Laurent, dès l’année 1689. Ajoutons, néanmoins, un paragraphe de l’Édit de création qui nous expose l’état de l’Île à cette époque (1676) :
« L’isle a sept lieues de longueur sur deux de largeur, dont une bonne partie défrichée, et peuplée de plus de mille personnes, qui composent quatre grandes paroisses, dans lesquelles il y a une église entièrement construite, et deux qui seront parfaites et achevées dans le courant de la présente année, et la quatrième dans l’année prochaine : de sorte que ce sont quatre gros bourgs et villages, dès à présent formez, outre plusieurs fiefs considérables, et de grande étendue dans la dicte Isle d’Orléans qui relèvent… de la seigneurie de la dicte isle d’Orléans, désirant reconnoistre et récompenser les services de Sieur… avons estimé ne le pouvoir faire plus avantageusement qu’en érigeant en titre de comté la dicte terre… »
Le sieur Berthelot, dont on parle ici et qu’on trouve appelé ailleurs « de Berthelot, » avait épousé une demoiselle Regnault de Duchi ou d’Uchi, qui mourut le 26 juin, 1702. Mgr de Saint-Valier (Estat présent de l’Église), le mentionne avec éloges et dit qu’il était connu dans tout le Canada, par son zèle pour la décoration des églises, et par l’établissement de petites écoles pour les enfants. Un de ses fils avait épousé la fille du maréchal de Matignon. Ceci nous donne occasion de mentionner que l’un de ses fils, Louis, prit le titre de Berthelot de Saint-Laurent ; le second, François-Michel, Écuyer, seigneur de Rebrousseau, avait comme son frère un agent ou procureur au Canada. Aucun des descendants de ce Seigneur n’a résidé en cette colonie.
Un mot maintenant sur l’Île Jésus, que Mgr de Laval venait d’acquérir pour et au nom du séminaire de Québec.
L’Île Jésus, d’abord appelée Île de Montmagny, en l’honneur du gouverneur de ce nom, avait été concédée le 3 novembre, 1672, par l’intendant Talon, au sieur Berthelot, avec les îles aux Vaches. (Titres seigneuriaux, 3e vol. p. 75.) Un titre-nouvel, plus récent, contient les renseignements suivants ;
« Le tout cédé à mon dit Sieur… par M. Berthelot, le 24 avril, 1672, lequel M. Berthelot en était propriétaire au moyen de la cession et délaissement qui lui avait été faite par le Rév. Père Dablon, supérieur des missions de la compagnie de Jésus en ce pays, suivant le contrat passé le 7 novembre 1672, (par Becquet, N. P. à Québec,) en conséquence de la concession qui lui en avait été faite par M. Talbot, intendant en ce pays, le 27 octobre, 1676. »[2]
Le 25 février, 1702, M. Berthelot vendit sa seigneurie à dame Charlotte-Françoise Juchereau, de la famille Duchesnay. Elle portait, suivant l’auteur de l’Esquisse historique, le titre de comtesse de l’Île de Saint-Laurent, et était l’épouse non commune quant aux biens, de François de la Forest, écuyer, capitaine d’une compagnie des troupes du détachement de la marine entretenues, en ce pays, par le Roi de France. Mais ce noble et brave officier ne tire pas son illustration de son alliance avec la famille Juchereau. Parent du chevalier de Tonti, il prit part à divers faits d’armes qui enrichissent nos annales et fut employé dans diverses négociations importantes. C’est lui qui fut choisi, après un combat glorieux, par MM. de la Durantaie, de Tonti et du Luth, pour porter cette heureuse nouvelle au marquis de Denonville, gouverneur-général de la colonie.[3]
En 1705, il était capitaine d’une compagnie de la marine. D’Iberville le laissa, en 1695, gouverneur du fort Bourbon, à la Baie d’Hudson, avec son frère, le brave de Navigny, pour lieutenant. (Voir Charlevoix, Histoire de la Nouvelle-France, tome II, p. 149, édition in-4o) Deux ans après, ils furent forcés de remettre ce fort presque démantelé aux Anglais, qui, contrairement aux articles de la capitulation stipulée, les firent prisonniers et les envoyèrent en Angleterre, de la Forest, Lemoyne, d’Iberville et leur troupe, où ils furent retenus pendant quatre mois. De retour au Canada, en 1700, M. de la Forest continua d’y servir le roi. (Ibid. tome ii p. 165.) Il fut subséquemment un des gouverneurs de Catarakouï, et partout il servit les intérêts et la cause de son souverain en brave et en héros.
Le 7 décembre, 1705, l’île et le comté de Saint-Laurent d’Orléans, furent vendus à la poursuite du dit François Berthelot, qui en reprit possession, conformément aux conditions de la vente qu’il avait faite à la dame de la Forest, le 25 février, 1702. Mais il ne voulut pas la conserver, les frais d’administration en absorbant tous les revenus. Il la transporta, le 20 mars, 1712, à M. Gaillard, à Paris, devant maîtres Henry et Dutartre, pour 24,000 francs, argent monayé de France. De la famille Gaillard elle passa aux mains, pour partie, de la famille Durocher alliée aux Mauvide, dont les héritiers, à leur tour, cédèrent leurs droits, à l’exception d’une portion de l’extrémité nord-est, propriété de M. Poulin,[4] à feu Joseph Drapeau, écuyer, dans la famille duquel elle est restée jusqu’aujourd’hui.
M. Guillaume Gaillard, qui succéda à M. Berthelot, conseiller du Roi au Conseil Supérieur de Québec, en 1712, était un riche marchand de cette ville. Il avait agi, pendant plusieurs années, comme procureur de M. Berthelot, d’abord, et ensuite de ses fils, qui étaient devenus propriétaires de l’Île, par la mort de leur père. C’est d’eux qu’il l’acheta, quand ils se décidèrent à la mettre en vente.[5] Son fils, Jean-Baptiste Gaillard, signait Gaillard-Saint-Laurent.
Son fils, M. Joseph-Ambroise Gaillard, petit fils de Guillaume, ordonné prêtre, à Québec, par Monseigneur de Saint-Valier, le 26 mai, 1726, mort curé de Saint-Joseph de Lanoraie, le 2 avril, 1771, avait été longtemps chanoine de l’église cathédrale de Québec. Il avait desservi Sorel, puis Lanoraie, où il avait succédé à M. Bazile Papin, depuis 1748 jusqu’à sa mort. Son âge n’a pas été mentionné dans son acte de décès. En 1744, il était Seigneur de l’île et comté de Saint-Laurent. Au Recueil des Édits et Ordonnances, etc., publié à Québec, se trouve un arrêt du Conseil Supérieur qui oblige les censitaires de cette île à lui présenter leurs titres en son manoir, afin qu’il pût prêter foi et hommage. (Édit. et Ord. etc., 1747 et suiv.)
La famille Durocher a laissé l’île d’Orléans depuis environ un siècle, pour s’établir dans le district de Montréal, où elle s’est beaucoup multipliée. Le respectable curé de Saint-Mathieu de Belœil, le Révd Père Durocher, de la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, ses deux frères prêtres, dont l’un est décédé en mai, 1852, leur sœur, Révérende Sœur Eulalie Durocher, une des fondatrices de la Communauté des Sœurs des SS. NN. de Jésus et de Marie, descendent des familles Durocher de l’île d’Orléans. Elle s’établit à Saint-Antoine de la rivière Chambly, avec bon nombre d’autres familles, qui y immigrèrent au même temps, et dont plusieurs conservent encore des rapports bien étroits avec les bons insulaires. M. l’abbé Alexis Durocher, premier directeur du collège de Nicolet, en 1804, et décédé à la Pointe-aux-Trembles, dans l’île de Montréal, était aussi un des descendants des seigneurs de l’île d’Orléans. Il est mort au mois de juin, 1835.
- ↑ L’île d’Orléans valait beaucoup plus, aussi M. Berthelot paya en soulte au séminaire la somme de 25,000 francs.
- ↑ (Extrait du titre du 23 octobre, 1699, d’une nouvelle concession ratifiée le 2 mai, 1702.)
- ↑ Lettre de Mgr de Saint-Valier : Estât présent de l’Église de la Nouvelle-France, p. 93, édition de Québec.
- ↑ Amable Durocher était, jusque vers la fin du siècle dernier, seigneur de la plus grande partie de l’Île d’Orléans. Le lieutenant-colonel Lecompte Dupré avait la propriété du Fief Argentenay, au bas de l’île. Il fait ensuite un état de sa famille, énumère ses enfants : Charles-François, 34 ans, Ambroise, 23, Jean-Baptiste, 19, qui sont propriétaires, ajoute-il, de l’autre motié de l’île. Cependant nous lisons au Registre de Saint-Antoine de la Rivière du Loup, année 1719 : Dimanche, 22 janvier, 1719, fut marié Charles-François Gaillard, fils de M. Guillaume Gaillard, seigneur de l’Île et comté de Saint-Laurent, conseiller du Roy au Conseil Supérieur et de dame Catherine Neveu, d’une part, et demoiselle Le Maître, fille de, etc.
- ↑ Guillaume Gaillard épousa Marie-Catherine Neveu. Il était membre du Conseil Supérieur de Québec, seigneur de l’île et du comté Saint-Laurent. Son fils, Charles-François, épousa demoiselle Le Maître, le 20 d’août, 1725. Dans un acte de Foi et Hommage, fait par Guillaume Gaillard, il déclare qu’il est propriétaire de la moitié de l’isle et du comté Saint-Laurent, comme un conquet de la communauté qui a existé entre lui et dame Catherine Neveu.