L’Île d’Orléans/14

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Augustin Côté & Cie (p. 119-124).

XIV

Remarques


Sur les productions de l’Île en général.


Dans l’île d’Orléans, comme généralement dans toutes les autres parties du Bas-Canada, le cultivateur ne garde d’animaux qu’autant qu’il lui en faut strictement pour l’exploitation de la ferme. En 1827, il s’y trouvait 1,044 chevaux, 1,690 bœufs, 2,098 vaches, 6,905 moutons, et près de 5,000 cochons. C’est dans la paroisse de Sainte-Famille, que se trouvent les fermes les mieux pourvues de moutons et de vaches, mais surtout de porcs, et c’est cette paroisse qui, eu égard à sa population, alimente le mieux les marchés de Québec.

En 1852, le recensement constatait que sur 13,646 arpents de terres concédées, 7,413 étaient mises en culture, 3,621 arpents étaient labourées et 3,707 avaient été laissées en prairies ; enfin, 6,233 arpents étaient en forêt de réserve.

À l’intérêt des récits historiques, l’île d’Orléans offre encore aux citoyens de Québec le plaisir d’agréables souvenirs et de douces réminiscences. Qui, en effet, aurait perdu la mémoire des petites fêtes bocagères, des joyeux festins pris soit sur la verte pelouse de l’île d’Orléans, soit sur ses rives enchanteresses, ou dans la grande et large chambre d’une de ces maisons hospitalières, où l’étranger était toujours accueilli avec cordialité et respect ? Quelques fois, en hiver, après une longue excursion à la raquette, sur le pont de l’Île, si la fatigue ou le mauvais temps forçaient le marcheur aventureux à chercher du repos, il n’avait qu’à frapper à la porte du toit le plus voisin, et il était certain d’y trouver bon feu, bonne mine, et table ouverte. Le repas était rehaussé par les apprêts de fruits confits, surtout de pommes gelées, à nulles autres pareilles, tant la main qui les avait préparées y avait apporté de soins. En été, on présentait au voyageur de succulentes et douces prunes, auxquelles les touristes et les chroniqueurs, n’ont pas accordé, je dois le dire, l’attention qu’elles méritent.

Qui n’a pas entendu parler des prunes de l’île d’Orléans, égales pour le moins à celles que vantait le poète (Roucher) dans ses chants :


C’est la prune, conquise aux plaines de Damas.


Ces fruits, dont on ne compte pas moins de deux cents cinquante variétés, dit-on, se trouvent en plus grande abondance dans le district de Montréal que partout ailleurs, parce qu’ils y sont l’objet d’un système suivi de culture et d’exploitation. Aussi, en trouve-t-on de cent et une espèces : perdrigon, violet, damas, damas musqué, perdrigon-normand, reine-claude, petite reine-claude, impératrice violette, impératrice blanche, etc. Mais, après tout, suivant de bons connaisseurs, il faut en revenir aux damas de l’île d’Orléans !

Ces prunes fraîches, petites, noirâtres, qui ont une peau tendre et fine et d’un velouté à ravir, sont douces, fondantes, et produisent un zest inexprimable au goûter. Elles font rejeter bien loin les prunes rouges, les prunes d’automne, et tous ces pruneaux étrangers, ridés par la vieillesse et que honnissait Martial :


Pruna peregrinae carie rugosoe senectae.
Epig. lib. xiii.


Les prunes de damas de l’île d’Orléans sont supérieures à celles de Montréal. On en transporte, et en grande quantité, dans toutes les parties du pays. De plus, les forêts et les bocages de l’Île fournissaient abondamment diverses espèces de fruits sauvages, qui tous sont réellement d’une saveur exquise.

La culture des pommes, autre délicieuse production de l’île d’Orléans, dans un temps déjà bien reculé, passe pour y être extrêmement négligée de nos jours. Elle y serait plus profitable, dit-on, que partout ailleurs, (Biblioth. Canad. tome iii, p. 75.) si on lui donnait plus de temps et plus de soins. Autrefois, la bourassa aussi était florissante en ces parages. Ne dirait-on pas qu’en changeant de sol, elle n’a acquis une saveur comparativement meilleure que parce qu’elle a été cultivée avec plus d’art et plus de soins ? Nul doute que les populations de l’île trouveraient un grand avantage en cultivant les pommiers de leurs vergers, selon les notions reçues, et qu’elles se créeraient ainsi une excellente source de revenus.

Un autre genre d’industrie, qui est à la fois la fortune des pauvres et la jouissance des riches dans ces localités, c’est la pêche. Tout autour de l’Île, et dans les diverses saisons de l’année, on peut la faire avec aise et profit. Le bar, l’alose, l’anguille et plusieurs autres variétés de poissons, sont pris au filet ou dans des pêcheries de diverses formes.

Au côté nord, se tendent les pêches à l’anguille, et, au sud, on trouve les endroits de pêche les plus fréquentés. Presque tous les jours de l’année, nous voyons la ligne ou le filet assurer au pêcheur attentif, la récompense de ses soins et de sa peine. Quelle moisson d’aisance et de bonheur, pour une population si favorisée déjà sous tous les autres rapports !

Puisse-t-elle ne jamais oublier qu’en la plaçant dans un des climats les plus favorisés, la providence qui lui a assuré le bonheur et la prospérité exige qu’elle se montre reconnaissante de tous ses bienfaits.

Les sucreries de l’île d’Orléans méritent une courte mention. Considérables autrefois, elles étaient pour les cultivateurs une source de revenus très productive. Il suffit de remarquer qu’en 1827, on y fit 182,448 livres de sucre d’érable, sans compter les sirops qu’on avait apportés aux marchés, et ceux que chaque famille gardait pour son usage et pour sa provision. Mais, peu à peu, les vastes érables tombèrent sous la cognée du bûcheron ; le désir de réaliser une somme plus ronde, en vendant son bois, avait poussé l’impitoyable cultivateur (durus aratox) à cet acte de destruction.

On fit passer triomphalement la charrue entre les troncs, dépouilles des géants de la forêt, et à l’endroit même où s’élevait depuis un temps immémorial l’antique cabane à sucre, on vit croître et mûrir de copieuses moissons. Assez souvent, cependant, ces terres, dépouillées d’arbres, ne compensèrent pas, par l’abondance de leurs produits, la perte qu’on avait faite en détruisant une vieille sucrerie. On sait, en effet, qu’en faisant disparaître les bois, on dessèche trop vite une terre, qui se trouve alors privée des rosées qu’ils appellent sur le sol, et trop exposée aux ardeurs du soleil ou à l’inclémence des vents.