L’Île de Tulipatan
Opéra-bouffe en un acte
CACATOIS XXII, Duc de Tulipatan | MM. | Berthelier. |
ROMBOÏDAL, son grand sénéchal | Bonnet. | |
ALEXIS, fils de Cacatois | Mlle | Castello. |
THÉODORINE, femme de Romboïdal | Mme | Thierret. |
HERMOSA, fille de Romboïdal | M. | Victor. |
La scène se passe dans l’île de Tulipatan, à 25,000 kilomètres de Nanterre, 473 ans avant l’invention des crachoirs hygiéniques.
Le théâtre représente un parc. — À gauche, l’entrée d’une maison de riche apparence. — À droite, un petit pavillon. — Table et chaises de jardin.
Scène PREMIÈRE
Est-ce que ça se voit ? hein ?… Est-ce que ça se voit ?… Ma figure est-elle toujours placide ? Oui… allons tant mieux, car depuis dix-huit ans je cache dans les profondeurs de mon âme, un secret qui me tue !… Ce secret, — que personne ne connaît… heureusement ! car s’il était connu, il est évident que ce ne serait plus un secret, — ce secret, dis-je, c’est surtout à mon mari que je dois le cacher… (s’interrompant et au public.) Eh bien non… Ce n’est pas ça… je n’ai jamais manqué à mes devoirs d’épouse… Jamais ! jamais !… (Avec bonhomie.) Parole d’honneur… Du reste ce ne serait rien… rien du tout… C’est bien plus fort que ça !… Et ne pouvoir le dire, ne pouvoir le transvaser dans le sein d’une amie… Oh ! les secrets, c’est comme les gros vins du Midi, quand ça a trop de bouteille ça s’aigrit ! Le mien a besoin d’être soutiré… je vais toujours me le dire à moi-même pour me soulager. Voilà ce que c’est. Le tambour battait…
Mon mari… Que le ciel le patafiole ! il arrive toujours mal à propos.
Scène II
Qu’est-ce qu’on me dit… mon cheval fourbu, mes porcelaines cassées, et c’est encore Hermosa !… Bridez votre fille, madame, bridez votre fille…
Mais, mon ami, je fais ce que je peux…
Il est fabuleux que moi, Romboïdal, grand sénéchal du duc Cacatois XXII, souverain de l’île de Tulipatan, — moi, qui suis d’un caractère onctueux et d’un commerce agréable, il est fabuleux, dis-je, que j’aie pour fille une enfant aussi indisciplinée… C’est de votre faute, vous lui laissez faire toutes ses volontés…
Octogène, je n’ai qu’elle !…
Est-ce un reproche que vous m’adressez, madame ?
À Dieu ne plaise !… Quand on fait ce qu’on peut, on fait ce qu’on doit… Mais pourquoi récriminer, mon ami ? — Hermosa est ainsi faite, nous ne pouvons pas la changer… on peut courber le zinc, mais l’acier, on le brise !… Octogène, vous ne voudriez pas que je la brisasse !
Que vous la brisassiez, non, — que vous la bridassiez, oui… Tenez, madame, voulez-vous que je vous dise, ce n’est pas une fille que nous avons-là… C’est un garçon manqué !
Ô ciel !
Qu’est-ce que vous dites, Théodorine ?
Parbleu ! Je parie que c’est encore Hermosa qui fait des siennes… (Voyant entrer Hermosa.) Tenez ! qu’est-ce que je disais !…
Scène III
- J’aime le tintamarre
- Ce qui me séduit
- C’est la bagarre
- Et le bruit !
- On dit que je suis une fille
- Entre nous je trouve pourtant
- Qu’en silence tirer l’aiguille
- C’est bien fade et bien embêtant !
- J’aime le parfum de la poudre
- J’aime le bruit et le fracas,
- Laissons les machines à coudre
- Remmailler chastement les bas.
- J’aime le tintamarre
- Ce qui me séduit
- C’est la bagarre
- Et le bruit !
- Bing ! bing ! Patapouf !
Bonjour, maman ! Bonjour, papa !
D’où viens-tu ?… Qui est-ce qui t’a permis de prendre ce fusil ?
Personne… Mais j’aime ça, moi, les fusils !… Pif, paf !… ça fait du bruit… J’aime ça.
Si elle aime ça, mon ami…
Je n’ai qu’elle, Octogène
Vous me l’avez déjà dit… Je vous répète, moi, que ces ustensiles sont déplacés dans des mains féminines… On n’a jamais vu ça !…
Pardon, papa, pardon… Diane…
Elle a raison… Diane… Diane chasseresse, ne sortait jamais qu’en armes… et en petite tenue, en très-petite tenue…
C’était une déesse…
Vous allez peut-être dire du mal des déesses, maintenant !
Non ! mais les déesses peuvent se permettre certaines fantaisies qu’une femme du monde doit s’interdire sévèrement. (À Alexis.) Vous pratiquez le fusil et vous négligez la couture et le piano…
Oh ! la couture, ça me crispe… Le piano, ça m’agace… J’aimerais bien mieux apprendre le cor de chasse…
Le cor de chasse !…
Ça résonne, ça fait du bruit… J’aime ça…
Et moi je vous dis que le piano…
Mon Dieu, mon ami, si elle préfère les instruments à vent… où est le mal ?… On dit que ça développe…
Je la trouve suffisamment développée comme ça… d’ailleurs une jeune fille de son âge doit, avant tout, être suave… Eh bien, positivement, elle manque de suavité…
Je ne trouve pas… elle a sa petite suavité à elle.
Ah ! je ne suis pas un père chançard !… Je vois tout autour de nous des gens qui ont des enfants bien élevés, tandis que moi… Tenez, sans aller bien loin, notre gracieux du Cacatois… il a tous les bonheurs, lui !… D’abord il est veuf, c’est déjà une bonne chose…
Pardon… et puis il a un fils, le prince Alexis, un enfant doux, tranquille et soumis… quoiqu’il appartienne au sexe fort…
Et pourtant il est si gentil… Il a l’air d’une demoiselle…
Trop même… car son père s’en plaint…
Ah ! les pères se plaignent toujours… ça n’empêche pas que je le trouve charmant… Ah ! papa ! qu’il est joli, qu’il est joli, qu’il est joli !
Eh bien ! Hermosal qu’est-ce que ça veut dire ?… Sapristi, un peu de retenue !…
Mais papa !… j’en ai…
Pas assez !…
Ah ! bien ! tant pis… je suis dans l’âge où le cœur doit parler… et le mien parlera… il parlera !… il parlera !…
Quand je vous disais de la brider, avais-je raison, madame ?
Silence devant la domesticité, mon ami !
Qu’est-ce ?… (Le valet lui parle bas.) Ah ! mon Dieu !… Ah ! mon Dieu !
Qu’y a-t-il donc ?
Le duc… le duc qui vient chez moi…
Le duc !
Ôtez donc vos papillotes… (Théodorine ôte ses papillotes.)
Voilà… voilà…
Scène IV
Les Mêmes, CACATOIS XXII, Officiers, Valets, Seigneurs, Dames, puis ALEXIS[3].
- Vive le grand Cacatois !
- Répétons tous à la fois
- Avec attendrissement,
- Vive Cacatois le Grand !
- Prince doux et fort débonnaire,
- Vous voyez le grand Cacatois.
- Mes sujets, dont je suis le père,
- M’aiment tous, du moins je le crois.
- Si l’on vous dit dans les gazettes
- Que je ne digère pas bien,
- Que j’ai payé toutes mes dettes,
- Mes chers amis, n’en croyez rien !
- Sur ma parole,
- C’est un canard !
- Un bruit frivole,
- Un traquenard !
- C’est un canard !
- Coin ! coin ! coin ! coin !
- Si parfois un journal affirme
- En tête de ses faits-divers,
- Que je ne suis qu’un vieil infirme,
- Et que j’entends tout de travers !
- Si l’on dit que je perds la tête
- Et ma fortune aux dominos,
- Que je suis quelquefois pompette…
- Ne croyez pas à ces propos !
- Sur ma parole
- C’est un canard,
- Un bruit frivole,
- Un traquenard !
- C’est un canard.
- ROMBOÏDAL, s’avançant pour le complimenter.
Coin ! coin ! coin ! coin !
- Ce jour, prince, est un jour… est le plus beau des jours…
- Bon ! bon ! cela suffit… abrège ton discours…
- Volontiers… mais où donc est le prince Alexis ?
- Sur un banc de ton parc, je crois qu’il est assis,
- Il y pleure comme une biche
- Un oiseau, de sa cage envolé ce matin…
- Le voici qui paraît à l’angle du jardin…
- En pleurnichant encor !…
- Dam ! s’il a du chagrin !
- Je n’aime pas à voir un prince qui pleurniche !
Alexis entre par le fond suivi de ses pages.
- J’ai perdu mon ami,
- J’ai l’âme désolée !
- Mon joli colibri,
- Il a pris sa volée !
- Tous les matins j’ornais sa cage
- Et l’admirais à mon réveil.
- Ah ! que j’aimais son doux ramage
- Au premier rayon du soleil !
- J’ai perdu mon ami,
- Etc., etc.
- Mais maintenant où peut-il être ?
- Si je le voyais revenir,
- Ah ! je fermerais ma fenêtre
- Pour l’empêcher de repartir !
- J’ai perdu mon ami !
- Mon âme est désolée,
- Mon joli colibri,
- Il a pris sa volée !
- Quand vous aurez fini de pleurer de la sorte,
- (À sa suite.) Que tout le monde sorte ! Vous le direz.
- J’ai perdu mon ami,
- CACATOIS, les interrompant.
J’ai l’âme est désolée…
- Non, non, pas cet air-là. — Le refrain précédent
- Pour un chœur de sortie a bien plus de mordant !
- Sur ma parole,
- C’est un canard !
- Un bruit frivole,
- Un traquenard !
- C’est un canard !
- Coin ! coin ! coin ! coin !
Les seigneurs, les dames, les soldats et les pages se retirent.
Scène V
A-t-on jamais vu !… se désoler comme ça pour un oiseau !… (À Alexis.) Est-ce que ça va durer longtemps ?
Mon père, je… (Il s’arrête.)
Mon père, je… mon père, je… Ça n’est pas une réponse… nom d’une trompette ! De tous temps les Cacatois ont été de rudes lapins… vous, monsieur, vous n’êtes pas un rude lapin… on l’a déjà remarqué…
Je ferai mon possible pour changer…
Ah ! ce serait dommage !…
Hermosa !…
Je suis fâché de l’avouer devant le monde… mais vous manquez de zinc, Alexis. — vous manquez complétement de zinc ! Vous êtes d’une timidité, d’une froideur !… Ah ! songez, quelle humiliation ce serait pour moi si j’entendais le peuple s’écrier sur votre passage : Orgeat, limonade, bière !…
Brisons là !… (Tirant sa montre, à Romboïdal.) Quelle heure as-tu ?
Une heure trois quarts…
Tu vas bien ?
Pas mal, et vous ?
Je ne te parle pas de ta santé, ça m’est bien égal. (Changeant de ton et très-gaiement.) Moi, ça va bien… il n’y a que mon lombago qui me tourmente,
Voilà ce qu’on gagne à guerroyer !
Oh ! la guerre !… la guerre !… Pif ! paf !… boum !… ça fait du bruit… J’aime ça !…
Hermosa, je t’en prie… Ton père va encore bougonner !…
Oh ! oh !… c’est ta fille… toujours une gaillarde, à ce que je vois…
Toujours, monseigneur.
Il faut la marier, ça la calmera… J’ai aussi quelques idées pour mon fils… Je lui cherche un bon parti..
Eh quoi ! vous voudriez !… Il est encore bien jeune…
Les Cacatois se marient très-jeunes… ça leur est ordonné…
Ah ! mon Dieu !… que faire ?
Quelle heure as-tu ?
C’est un nouveau tic… (Tirant sa montre.) Deux heures moins cinq…
Tu vas bien ?
Pas mal… et vous ?…
Votre déjeuner ! monseigneur daignerait-il nous faire l’honneur…
Je vous ferai cet honneur.
Que de bonté[6] ! (Bas à sa femme) Encore une dépense, vous aviez bien besoin de l’inviter.
Il se serait invité tout seul… Dites donc, Octogène, vous savez que je n’ai plus d’argent, nous sommes à la fin du mois.
Comment la fin du mois… nous sommes le 4.
Le 4… ça ne m’a pas semblé long.
Il suffit ! voici 5 francs ; du moment qu’on fait les choses, il faut les faire convenablement.
Quel pingre !… (Haut, à Cacatois.) Monseigneur, je vais donner des ordres (En s’en allant.) et m’ouvrir un œil dans le quartier !…
Elle sort par le fond.
Un pareil empressement ! je reviendrai souvent, très-souvent[7]. (À Romboïdal.) Passons dans ton cabinet de travail, j’ai quatre cent trente-cinq pétitions à lire et deux mille trois cent vingt-sept signatures à donner avant le déjeuner.
Permettez que je vous montre le chemin…
Attends-moi un instant, Alexis… et du zinc, mon ami, du zinc… Songez quelle humiliation… (S’arrêtant.) Ah ! je l’ai déjà dit. (À Romboïdal.) Marche, je te suis !…
Ils sortent à gauche.
Scène VI
C’est vrai, mademoiselle…
Vous me fuyez !
Non… mais seul avec une jeune fille… j’ai si peu l’habitude…
Ne rougissez pas… ça n’en vaut pas la peine… et profitez du moment pour me faire la cour.
La cour ?…
Certainement…
C’est que je n’ose pas.
Vous avez tort, il faut être audacieux… D’ailleurs nous sommes faits pour nous entendre ; vous êtes musicien, je suis musicienne, la musique nous mettra d’accord !… De quoi jouez-vous ?
De l’accordéon, et vous ?
Moi ! de tout ce qui tape, résonne et fait du bruit.
- J’aime tout ce qui sonne,
- Ce qui vibre et résonne,
- Je sens avec plaisir
- Mon cœur s’épanouir,
- Aux accords du trombone.
Imitant le trombone.
- Cuin, cuin, cuin, cuin.
- Les instruments de guerre,
- Sont ceux que je préfère,
- Pour moi c’est un beau jour,
- Quand j’entends du tambour
- Le rafla populaire,
Imitant le tambour.
- Rafla, raflafla, raflafla.
- Pour charmer une belle,
- À la flûte au basson,
- Je préfère le son
- Du violoncelle.
Imitant le violoncelle.
- Froum… froum ! froum…
- Ah quel plaisir, quelle douceur,
- Ces instruments font mon bonheur !
Vous voyez que nous nous entendons parfaitement ; allons, faites-moi votre déclaration.
Ma déclaration ?…
Certainement, moi je suis une jeune fille… mon rôle est de rougir, de balbutier… Vous, vous devez être hardi et entraînant… vous devez vous mettre à mes genoux.
À vos genoux ?…
Allons, monsieur, mettez-vous à mes genoux !
À vos genoux…
Ah ! si j’étais à votre place, il y a longtemps que ce serait fait…
Ne me grondez pas… (se mettant à genoux.) M’y voici…
À la bonne heure… je me recule un peu… par pudeur… mais vous, vous avancez vivement en me prenant la main… prenez-moi donc la main.
Ah ! comme il faut du courage !… (Hermosa fait un mouvement.) Mais j’en aurai… j’en aurai !…
J’en aurai… j’en aurai… ayez-en… dites-moi : Chère Hermosa, je vous aime… je vais parler à mon père… lui dire que nous voulons qu’on nous marie… demain… aujourd’hui… tout de suite… Mais allez donc… vous ne m’aidez pas du tout.
Si, si, vous avez raison… je parlerai à mon père… et je lui dirai que jamais, non jamais, je n’aurai d’autre femme que vous…
Il se jette aux genoux d’Hermosa.Scène VII
Ciel !… que vois-je ?…
Ah ! sapristi ! nom d’une bobinette ! Voilà ce que je redoutais !…
Pincés !… ça ne rate jamais !
Eh quoi, prince…
Pas un mot… conduisez-moi près de mon père, il faut que je lui parle.
Pardon, c’est que j’aurais voulu causer avec ma fille…
Faites d’abord ce que je vous demande…
Mais…
Ce que je vous ordonne alors… obéissez, monsieur !…
Quel changement !… (s’inclinant.) Altesse, je suis votre serviteur… (Avant de s’en aller, regardant Hermosa.) Oh ! je reviendrai… je reviendrai…
Il sort avec Alexis par la gauche.
Scène VIII
Le silence n’est plus possible… allons, allons, il n’y a pas à hésiter… (Haut.) Hermosa, veuillez vous seoir. (D’une voix creuse.) J’ai un secret important à vous confier.
Fichtre ! on le serait à moins… et tout d’abord je dois te dire que si tu mijotais des projets d’union avec le jeune Alexis il faudrait mettre ces projets dans le sac aux oublis…
Impossible, maman… nous venons d’échanger des serments, je lui ai promis ma main…
Il y a mal-donne… et quand il y a mal-donne, la main passe.
Ma mère… ma mère… vous êtes ambiguë… je ne vous comprends pas.
Tu me comprendras quand j’aurai déversé dans ton cœur le trop plein du mien.
Déversez, alors, déversez !…
Je déverse… Il y avait une fois un grand sénéchal. (Hermosa fait un mouvement.) Ça commence comme un conte, mais rassure-toi, c’est de l’histoire… je reprends : Il y avait une fois un grand sénéchal… ce grand sénéchal (nous le nommerons tout à l’heure) était marié avec une femme d’une beauté idéale et d’un esprit cultivé, une femme adorable !… cette femme (nous la nommerons tout à l’heure), il lui naquit un bébé… ce bébé (nous le nommerons tout à l’heure) était charmant… adorable… comme sa mère dont il était la réduction Collas… par malheur le grand sénéchal était au service d’un duc qui venait de déclarer la guerre à ses voisins… Le tambour battait… la guerre menaçait de se prolonger indéfiniment, la mère trembla pour sa progéniture, et lors de la déclaration à la mairie de son arrondissement, elle eut la faiblesse d’annoncer une fille, au lieu d’un fils, au respectable employé préposé aux naissances.
C’est très-intéressant… mais je ne comprends pas encore…
Tu ne comprends pas… alors mettons-y les noms… ce duc c’était Cacatois XXII… cette mère charmante, adorable, c’était moi… et ce bébé…
C’était moi !
Tu l’as dit !… Tu l’as dit !… J’ai trompé ton père sur ton état civil… Tu n’appartiens pas au sexe gracieux et faible… Tu fais partie de celui qui a produit les Romulus, les Caracalla et les Pompée !
Voilà donc pourquoi je manquais de flou… quelle révélation !… Ah ! je suis un homme… morbleu ! tête-bleue !…
Ventre-bleu, silence, malheureux !… Si ton père t’entendait… Certainement il a d’excellentes qualités : d’abord c’est un honnête homme… mais je le connais, c’est bien l’être le plus rageur… le plus susceptible… et s’il apprend que je l’ai abusé pendant dix-huit ans il est capable de s’en formaliser.
Mais pourtant…
Laisse-moi le temps de le préparer adroitement… je profiterai d’un moment… où il sera bien disposé… il est vrai qu’il ne l’est jamais… enfin… je verrai… je chercherai… on dit que la foudre a des effets très-singuliers… un jour qu’il fera un joli petit orage, je mettrai peut-être ça sur le dos du tonnerre… qu’en dis-tu ?
Dam ! il faudrait savoir si c’est dans les choses possibles.
Sois tranquille, je consulterai le pharmacien.
Mais papa croira-t-il ?
Parbleu !… je te l’ai déjà dit, ton père est un homme supé rieur, mais il est bête à manger du foin pour ces choses-là… quant au prince Alexis, tu comprends maintenant… qu’il faut y renoncer.
Ah oui… c’est dommage !
Ô mon fils !… jusque-là, jure-moi le secret le plus absolu…
Je vous le jure, maman… mais vous savez, au premier orage…
Scène IX
Ma femme est encore-là… éloignons-la adroitement. (Haut.) Théodorine…
Mon ami…
La bonne demande une nappe et les couteaux à dessert…
J’y vais, Octogène… (À Hermosa.) Tu me l’as juré !… Silence !… (Haut.) J’y vais !…
Je vais chercher les petites cuillers Pour ce festin nous ne lésinons pas, Puis j’atteindrai les couteaux à desserts, Ça fait très-bien à la fin d’un repas.
Allez chercher les petites cuillers, etc. etc.
Scène X
Pas d’hésitation !… il faut tout lui avouer… il n’est que temps… (À Hermosa.) Hermosa, veuillez vous seoir. (D’une voix creuse.) J’ai un secret à vous confier, et d’abord je dois te prévenir que si tu mijotais des projets d’union avec le jeune Alexis, il faudrait mettre ces projets dans le sac aux oublis.
Comment !… Papa quoque !… que vais-je apprendre ?
Dans ce cas, papa, ne préambulez pas davantage et attaquez carrément.
Ce n’est pas une fille, c’est un cuirassier. (Haut.) J’attaque donc : Cacatois XXII, notre gracieux souverain, s’est marié, il y a tantôt vingt-quatre ans, en se flattant de l’espoir qu’un fils naîtrait de cette union et régnerait après lui sur l’île de Tulipatan, où la loi salique est en vigueur… Il manœuvra dans ce but et au bout de la première année, il obtint… une fille ! Ce résultat négatif lui mit du bistre dans l’âme et lui fit faire une maladie grave… mais courageux et têtu, il ne se rebuta pas et au bout d’un an il obtint… une seconde fille !… Cette fois il faillit y succomber… quatorze maladies greffées les unes sur les autres et soigneusement entretenues par vingt et un médecins le mirent à deux doigts de la tombe… mais comme notre duc Cacatois est une nature d’élite et qu’il a un estomac d’autruche, il triompha de ses vingt et un médecins et revint à la santé… Courageux et têtu, il tenta de nouveau la fortune et bientôt la duchesse donna des preuves non équivoques que l’entêtement de son mari allait recevoir sa récompense… Mais quelle serait-elle ? Aurait-il enfin ce fils qui devait hériter de sa couronne… Un horoscope fut tiré et cet horoscope plongea Cacatois dans une joie immense ! Oui, c’était bien un fils qui allait venir !… — Sur ces entrefaites le duc fut obligé de partir pour la guerre et pendant son absence l’événement arriva… La duchesse me fit appeler au moment où, assistée d’une seule de ses femmes, elle venait de donner à son noble époux… une troisième fille ! ! !
Il s’arrête et s’essuie le front.
Encore une fille ! c’est du guignon !…
Scène XI
Je viens de m’expliquer avec mon père…
Parle donc, papa… parle… Je suis palpitante d’émotion.
Hermosa !… Écoutons…
Il se cache à moitié derrière un massif de fleurs et écoute.Je rassemble mes forces pour arriver au dénouement… (Reprenant.) C’était donc une fille !… Annoncer cette nouvelle au duc, c’était lui tirer un coup de révolver à bout portant… Que faire ? je pris un parti héroïque… d’accord avec la duchesse je télégraphiai à son mari la naissance d’un fils qui reçut le nom d’Alexis…
Hein ?
Comment le prince serait…
Une princesse ! !…
Qu’ai-je appris !…
Il disparaît par la droite.
L’enfant fut élevée sous les habits masculins… à son retour mon maître crut embrasser un rejeton mâle de sa race… et voilà dix-huit ans que cela dure !…
- Tu connais ce secret terrible,
- Pour ton cœur c’est un coup pénible,
- Mais je ne pouvais hésiter,
- Ô ma fille, à te le porter.
- Mais vous vous trompez… au contraire,
- Cela me fait un grand plaisir.
- Hein ?
- Qu’ai-je dit, sachons me taire.
Haut.
- Mon Dieu, comme je vais souffrir !
- C’est une fille ?…
- C’est une fille !…
- Et fort gentille ?…
- Et fort gentille !…
- Et dig et dig et dig et don !
- Mariez-vous donc !
- À vingt ans, l’amour
- C’est le plat du jour.
- Et dig et dig et dig et don !
- Mam’zelle Suzon
- Vous avez raison !…
- Eh ! quoi ! vous dansez, fille unique.
- Je vous dis un secret d’État,
- Et vous battez un entrechat !
- Quelle mouche aujourd’hui vous pique ?
- Papa, je voudrais vous y voir !
- Je danse, mais de désespoir !
- Ah ! je comprends votre douleur
- Et je plains votre petit cœur !…
- Je n’ai plus d’espoir sur terre
- Et je veux mourir, ô mon père !
- Dieu m’éclaire.
- Fille chère,
- Près d’un père
- Viens mourir,
- Et pardonne
- S’il te donne
- La couronne
- Du martyr.
- Papa, gardez votre couronne !
- De grand cœur je vous l’abandonne,
Soupirant.
- C’est une fille !
- C’est une fille !
- Et fort gentille,
- Et fort gentille.
- Et dig et dig et dig et don !
- Marions-nous donc !
- Et dig et dig et dig et don !
- Mam’zelle Suzon,
- Vous avez raison.
Scène XII
Allons, allons, elle a mieux pris la chose que je ne pensais… Je redoutais une pâmoison… mais non, du tout, elle chante, elle danse… Voilà le bon côté de ces fortes natures… à présent le mariage n’est plus à craindre… Je suis tranquille comme Baptiste…
Pas mal, pas mal… vraiment cette robe a l’air d’avoir été faite pour moi.
Allons retrouver le duc.
Il fait quelques pas vers la gauche.
Je voudrais pouvoir m’admirer dans ce costume… ah ! seigneur Romboïdal, une glace, s’il vous plaît… une glace.
Une glace, mademoiselle, je n’en ai pas sur moi.
Le reconnaissant.
Grand Dieu ! que vois-je !… Ces traits… Le prince !…
L’ex-prince…
Vous savez ?…
J’étais là… j’ai tout entendu… mais où trouver un miroir ? ah ! de ce côté…
Il va pour entrer à gauche.
N’entrez pas ! le duc qui est là…
Eh bien ! qu’importe !…
Comment, qu’importe ! arrêtez !… arrêtez !… (Tombant sur une chaise.) Ah je suis perdu !… je suis perdu !… mon affaire est claire !… moi, qui, à force d’économie, m’étais amassé une fort jolie pelote… (Avec désespoir.) On va tout me confisquer… tout… excepté ma femme !… Ah ! je suis un fonctionnaire bien à plaindre !…
Affreux… non, pardon… charmante… Je ne sais plus ce que je dis… Ah ! prince, c’est-à-dire princesse… J’embrasse vos genoux…
Calmez-vous…
Que je me calme !… quand je suis à trois centimètres de l’abime… quand votre illustre père peut surgir… Ah ! prince, c’est-à-dire princesse… reprenez vos habits… faites ça pour moi…
Reprendre mes habits… mais puisque je suis une femme, il faudra toujours bien…
Sans doute… mais plus tard… Laissez-moi le temps de trouver un truc adroit pour abuser votre noble ganache de père.
Romboïdal !… Romboïdal !…
Il m’appelle. (À Alexis.) Je dois avoir la figure toute renversée ?…
En effet vos traits sont altérés…
Je vais retourner mon masque… avez-vous vu quelque fois un diplomate retourner son masque ?
Jamais !…
Eh bien ! regardez-moi, vous allez voir comment ça se pratique. Tenez, voyez. (Riant.) Je suis gai ! ah ! je suis excessivement gai !…
Romboïdal… Romboïdal.
Voilà, voilà monseigneur !… maintenant je me possède admirablement… oh la diplomatie ! quelle ressource ! quelle ressource !… voilà, voilà, monseigneur.
Il entre à gauche.
Scène XII
Pauvre Hermosa, comme elle a dû être peinée d’apprendre que je suis… Oh ! moi aussi ça me contrarie bien fort…
Par la sangbleu !… je me sens à mon aise sous ces vêtements… à la bonne heure, ça ne me gêne pas des entournures !… et pas de jupe ! pas de jupe !… C’était surtout la jupe qui me taquinait[19] !
Un officier !… Oh !…
Elle détourne la tête.
Une jeune fille !… tiens ! tiens !… palsambleu ! si j’essayais le charme de l’uniforme…
Il s’approche d’elle.
Il s’avance vers moi…
Mademoiselle…
Monsieur…
Alexis !
Hermosa !
- Quoi ! c’est vous ?
- Oui, c’est moi.
- Ô surprise !
- Et pourquoi ?
- Cet habit ?…
- M’appartient.
- Se peut-il ?…
- C’est le mien.
- Vous seriez ?…
- Un garçon.
- HERMOSA.
Sans corset…
- Sans jupon.
- Quel bonheur !…
- Que le sort
- Vous fit du…
- Sexe fort !…
- C’en est fait, douce espérance,
- Tu souris à nos amours,
- Désormais notre existence
- N’aura plus que de beaux jours.
- J’ai repris…
- Vous aussi
- Les habits…
- Que voici.
- Ils me vont…
- À ravir !
- Et j’en ai…
- Grand plaisir.
- Quel bonheur…
- Désormais,
- Nous pourrons !…
- À jamais,
- Et sans être…
- À blâmer,
- HERMOSA.
Tous les deux…
- Nous aimer !
- Oui, tous deux nous aimer !
On entend chanter le choeur suivant dans le palais à gauche.
- Buvons, buvons, buvons,
- Buvons à monseigneur.
- Trinquons, trinquons, trinquons,
- Trinquons en son honneur.
- On vient !…
- C’est mon père…
- Avec le mien.
- Les voici !
- Sauvons-nous…
On entend les cris de : Vive monseigneur ! — Alexis et Hermosa sortent vivement par le fond à droite au moment où les autres personnages entrent en scène.
Scène XIV
Ils ont tous trois leur serviette au cou et une guitare en sautoir. – Huit seigneurs. – Tout le monde est très-gai.
On dîne très-bien chez toi, j’y reviendrai souvent !…
Quelle faveur, Altesse !… (À part.) Vieux pique-assiette !
Je suis d’une gaieté folle… et pourtant, il me manque quelque chose.
Le café, sans doute ; on va le servir…
Je n’ai guère envie de barcaroller.
Ni moi non plus… mais puisqu’il le faut, barcarollons…
Bacarollons, ça facilite ma digestion… allons, Romboïdal… tu sais, celle que j’ai composée.. entame, je te soutiendrai.
Oui, monseigneur.
- Dans Venizia la belle,
- Piétro le gondolier,
- Aimait un’jouvencelle
- D’meurant sur son palier !
- Le pèr’de cett’jeun’fille,
- Vieillard octogénaire,
- Lui dit : T’auras beau geindre,
- Il ne s’ra jamais l’mien !
- Tra la la
- Glisse, glisse, ma gondole,
- Tra la la
- V’là c’que c’est qu’un’barcarolle !
Ils dansent sur la ritournelle.
- Vous auriez vu ses larmes,
- C’était comme un ruisseau.
- Dans la ville en alarmes,
- On n’allait qu’en bateau !
- Les communications
- En fur’nt interceptées,
- Et le facteur rural,
- Donna sa démission !
- Tra la la
- Glisse, glisse, ma gondole !
- Tra la la
- V’là c’que c’est qu’un’barcarolle !
Ils dansent.
- Enfin un jour le père
- Dit : Ça, m’est bien égal,
- Épouse-le, ma chère,
- J’vas me j’ter dans l’canal !
- Si vous voulez avoir
- D’autres renseignements,
- La jeun’ fille est visible
- De midi à quatre heures
- Tra la la !
- Glisse, glisse, ma gondole,
- Tra la la !
- V’là c’que c’est qu’un’barcarolle !
Ils dansent.
Et maintenant prenons le café.
Servez terrasse.
Boum !
Je vous invite tous… à vous en aller… et pas de chœur de sortie, c’est inutile.
Les seigneurs sortent en chantant le refrain de la barcarolle.
Allons, bon ! on leur dit pas de chœur de sortie et ils en chantent un tout de même… Enfin n’importe !… mes amis, je suis dans la jubilation… je vous représente un duc qui jubile extraordinairement… Attendez, je veux vous faire une surprise agréable… (Appelant.) Tetaclack !…
Un officier paraît, Cacatois lui parle bas.
Hein ?…
Une surprise… je suis fort émue…
Tu as compris ?… (L’officier fait un signe d’assentiment.) Va… (L’officier sort. – Gaiement à Romboïdal et à Théodorine) Et maintenant prenons le café…[23]
Seyez-vous, monseigneur…
Ils s’asseyent autour de la table.
Mes amis, j’attendais le moka pour vous faire une ouverture… Romboïdal, écoute-moi bien… Tu es de souche plébéienne ; de simple fumiste, tu t’es élevé par des talents variés jusqu’aux premiers emplois ; — tu m’as rendu de grands services, — non par dévouement, — je ne suis pas assez naïf pour croire à ces fadaises-là, mais parce qu’il y avait de bons appointements à palper : cette conduite aussi mesquine que répandue mérite une récompense ; aussi veux-je aujourd’hui te donner une preuve éclatante de ma haute satisfaction…
Monseigneur !… (À part.) Que veut-il dire ?
Votre Altesse veut-elle un bain de pieds ?
Jusqu’à la cheville… merci… (À Romboïdal.) Mon fils Alexis vient de me faire un aveu… (s’interrompant.) Je demanderai un peu de sucre…
Oui, monseigneur… (Il prend du sucre dans le sucrier. À part.) Ah ! mon Dieu ! je pressens un cataclysme…
Il met les morceaux de sucre dans la carafe.
Qu’est-ce que tu fais !… (A Théodorine.) Voilà qu’il met le sucre dans la carafe…
L’émotion… (À part.) Je suis d’une inquiétude…
Je vous demanderai un peu de sucre… car…
Volontiers. (À part.) Quelles peuvent être ses intentions…
Elle lui verse la carafe dans sa tasse.
Nom d’une trompette, vous m’inondez !…
Ce n’est rien… je le fais très-fort pour qu’on puisse y mettre de l’eau… continuez, monseigneur…
Bref !… Je dis bref… parce que je n’ai pas l’intention de prolonger cette situation pleine d’humidité… bref ! je vous demande pour mon fils la main de votre fille…
Ciel !
Ils tombent tous deux assis sur leur chaise.
Monseigneur, n’allons pas plus loin, je ne consentirai jamais à ce conjungo.
Ni moi non plus.
Voilà qui est pharamineux, par exemple… vous refusez mon alliance ! et pourquoi ?
Parce que ces jeunes gens ne peuvent se convenir.
Ils s’adorent !… mon fils me l’a dit…
C’est une erreur !… le prince se sera mal expliqué…
Ou vous aurez mal compris… ça vous arrive souvent…
C’est trop fort… je suis donc une ganache ?…
Encore de l’exagération !… vous n’êtes ni une ganache ni un phénix… vous êtes entre les deux…
Vous avez eu de la chance de trouver une position toute faite…
Sans cela vous seriez peut-être, à l’heure qu’il est, un simple employé à 1,200 francs…
Ou un marchand de marrons… Et jamais les journaux n’auraient parlé de vous…
Mais nom d’une trompette ! qui est-ce qui vous demande tout ça ?…
Il est bon que les grands entendent parfois la vérité…
En voilà assez !… En voilà trop !… pour un rien j’écumerais !… un affront pareil ! ça ne s’est jamais vu !…
Tetaclack revient, remet un papier au duc et sort après s’être incliné profondément.
ROMBOÏDAL, à part pendant ce jeu de scène.
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THÉODORINE, à part, même jeu.
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Que je suis bête… au fait, Alexis connaît son état civil, il refusera. Je n’ai rien à craindre. | Que je suis bête, au fait… Hermosa connaît son état civil, elle refusera. Je n’ai rien à craindre… |
Regagnons ses faveurs… (Haut.) Mettons que je n’ai rien dit, monseigneur,… ce mariage vous plaît… Je suis prêt à obtempérer moi-même…
Ah !… c’est fort heureux !… le père consent… (À Théodorine.) Et vous, la mère ?
La mère !… Cette familiarité…
Non… je veux dire… Et vous ? en qualité de mère… consentez-vous ?…
Ah ! bon… Avec bonheur !… avec ivresse… avec satisfaction…
Quelles girouettes !…
Mais, à une condition cependant… c’est que nos enfants seront consultés…
J’y ai pensé… c’est fait…
Et ils refusent ?…
Du tout… ils acceptent… la preuve, c’est que voici le contrat qu’ils ont signé tous deux…
Il montre le papier que lui a apporté Tetaclack.
Saperlotte !
Grand Dieu !… mais c’est impossible… il ne faut pas qu’on les marie…
Ça ne se peut… ça ne se peut…
Pourquoi donc ?… (À Romboïdal.) Puisque tu viens de me dire que si ta fille…
Il n’a pas de fille…
Pas de fille !… Dis donc, Romboïdal… ta femme qui dit que tu n’as pas de fille…
Pourquoi dites-vous que je n’ai pas de fille ?
Sa fille est ma fille… (À Théodorine.) Votre fille est ma fille…
Ce qu’il y a de certain, c’est que mon fils…
Vous n’avez pas de fils…
Qu’est-ce qu’il dit ?… il dit que je n’ai pas de fils… (À Théodorine.) Voyons, madame, vous connaissez mon fils ?…
Parbleu ! si je connais votre fils…
Alors pourquoi dis-tu que je n’ai pas de fils ?
Il arrive souvent qu’on croit avoir un fils et qu’on n’en a pas…
Jamais !… Toutes les fois qu’on croit avoir un fils, on en a un…
Pas toujours… voyons, monseigneur, supposons que ma fille…
Vous n’avez pas de fille !
Allons bon ! voilà que nous recommençons… mettons-y un peu d’ordre ou nous n’en sortirons jamais… ce qu’il y a de certain c’est que nous avons chacun un enfant… dans le nombre il y a une fille.
Il y a deux filles…
Deux !… voilà maintenant qu’il dit qu’il y a deux filles !… Je m’en rapporte à madame…
C’est une erreur… il y a deux fils.
Deux fils !… mais alors ça ferait quatre enfants… deux et deux font quatre…
Mais non…
Non ?… ça ne fait pas quatre… mon Dieu ! j’en sue à grosses gouttes…
Mais, nom d’une trompette ! je fais tout ce que je peux… il y a de quoi en devenir chauve… Récapitulons… madame dit que tu n’as pas de fille… moi, je n’ai pas de fille… total : zéro fille… Tu prétends que je n’ai pas de fils… toi tu n’as pas de fils… total : zéro fils… Là-dessus tu t’écries qu’il y a deux filles… total : deux… Madame réplique qu’il y a deux fils… total : deux… Deux et deux, quatre… quatre ôté de zéro… ça ne se peut… j’emprunte un qui vaut dix…
Voilà l’erreur… quand vous empruntez ça ne vaut pas dix… ça ne vaut rien du tout…
Il a raison… Je n’avais pas pensé à cela… enfin, ce qu’il y a de certain, c’est que, dans ce moment-ci, nos enfants sont à la chapelle…
À la chapelle !… il faut empêcher… courons…
Oui… courons, courons arrêter les frais…
Entrée du cortège.
Il est trop tard… On les ramène… voici le cortège…
Consummatum est !
Nous sommes fricassés !
Scène XV
Hermosa et Alexis paraissent, se tenant par la main.
Qu’est-ce que ça veut dire ?…
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Suis-je le jouet d’un songe ?
Suis-je le jouet d’un songe ?
Mon fils en jupon !
Est-ce aujourd’hui le mardi gras ?…
Serait-ce demain le mercredi des Cendres ?
Explique-moi…
Monseigneur, pardonnez-moi de vous l’avoir caché… c’était votre troisième fille !
Une fille !… c’était une fille… et l’autre ?
Oui, l’autre, madame ?… Expliquez-vous…
Le tambour battait… j’étais folle… mon cœur de mère… j’ai escamoté la situation… pardonnez, pardonnez…
Pardonnez… pardonnez…
Une fille… et plus d’héritier… Blackboulé sur toute la ligne… ah ! comme c’est dur à avaler… comme c’est dur !…
Il chancelle.
Le duc se trouve mal… Les vingt et un médecins de monseigneur !
Non… non… attendez, j’ai une idée…
Une idée… vous voyez bien que vous êtes indisposé…
Une idée qui me rassérène… Je n’ai plus de fils, c’est vrai, mais je puis en avoir un…
Par quel moyen ?
Oui, par quel moyen ?
Par un moyen bien simple… je vais me remarier…
Tiens, je n’y avais pas pensé.
Monseigneur ! vous êtes courageux…
Et têtu !… Oh ! j’y arriverai ! j’y arriverai !… Il me faut un succès !… un succès !… quel mot ai-je prononcé là ?… Les guitares, vite, vite !…
Tout le monde prend une guitare.- À la fin de la pièce.
- Nous somm’s fort alarmés !
- Messieurs, par sa faiblesse
- Laissez-vous désarmer…
- Les auteurs de la chose
- Réclam’nt votre indulgence…
- Mesdam’s un bon mouvement…
- C’est des pèr’s de famille !…
- Tra la la
- Glisse glisse ma gondole
- Tra la la
- V’là que c’est qu’un’barcarolle !
Les artistes des théâtres de la province qui joueront le rôle d’Hermosa et qui ne voudront pas faire les imitations d’instruments de la scène sixième pourront remplacer ce morceau par les deux couplets suivants dont la musique se trouve également dans la partition.
…Vous avez tort, il faut être audacieux.
- Si, comme vous, j’étais un homme,
- Sans rien remettre au lendemain,
- À votre place, il faut voir comme
- J’aurais déjà fait du chemin.
- Bannissez d’abord de votre âme
- Un effroi si pernicieux ;
- Sachez qu’on doit près d’une femme,
- Être toujours audacieux.
- Je n’ose pas,
- Je n’ose pas,
- Je vous le dis tout bas
- Je n’ose pas !
- Moi je suis une demoiselle,
- Et dois censé tout ignorer ;
- Vous, amoureux brave et fidèle,
- C’est à vous de vous déclarer.
- Moi, le rôle que je dois suivre,
- Est de m’enfuir bien loin de vous,
- Mais vous, vous devez me poursuivre,
- Et vous jeter à mes genoux !
- Je n’ose pas,
- Je n’ose pas,
- Je vous le dis tout bas,
- Je n’ose pas !
- Allons, monsieur, mettez-vous à mes genoux.
- À vos genoux ? etc. etc.
- ↑ Romboïdal, Théodorine.
- ↑ Romboïdal, Hermosa, Théodorine.
- ↑ Romboïdal, Cacatois, Théodorine, Hermosa. — Seigneurs, dames, officiers et valets, garnissant le fond et les côtés.
- ↑ Romboïdal, Cacatois, Alexis, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Alexis, Cacatois, Romboïdal, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Alexis, Cacatois, Romboïdal, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Alexis, Cacatois, Romboïdal, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Alexis, Hermosa.
- ↑ Hermosa, Alexis.
- ↑ Voir, à la fin de la pièce, une Note pour la province.
- ↑ Alexis, Hermosa.
- ↑ Romboïdal, Alexis, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Théodorine, Hermosa.
- ↑ Romboïdal, Théodorine, Hermosa.
- ↑ Hermosa, Romboïdal.
- ↑ Romboïdal, Hermosa, Alexis.
- ↑ Romboïdal, Alexis.
- ↑ Alexis, Hermosa.
- ↑ Alexis, Hermosa.
- ↑ Romboïdal, Cacatois, Théodorine. Les huit seigneurs au fond.
- ↑ Théodorine, Cacatois, Romboïdal. Les huit seigneurs au fond.
- ↑ Romboïdal, Théodorine, Cacatois. Les huit seigneurs au fond.
- ↑ Romboïdal, Cacatois, Théodorine.