L’école normale de Küsnacht

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L’école normale de Küsnacht
Revue pédagogique, second semestre 1884 (p. 97-110).

Nouvelle série. — Tome V.
15 Août 1884.
N° 8.

REVUE PÉDAGOGIQUE

L’ÉCOLE NORMALE DE KÜSNACHT



Voulant encourager l’étude des langues vivantes dans les écoles normales primaires, M. le ministre de l’instruction publique a accordé des bourses de séjour à l’étranger à un certain nombre d’anciens élèves-maîtres.

À la suite d’un concours ouvert au mois d’octobre 1883, auquel ont pris part une trentaine de candidats, six jeunes instituteurs ont été jugés dignes d’obtenir cette faveur. L’éminent directeur de l’école normale du canton de Zurich, le Dr Wettstein, a bien voulu recevoir dans son établissement nos jeunes compatriotes qui, depuis le mois de novembre dernier, suivent les cours du Zürcherisches Lehrer-Seminar de Küsnacht.

Nos boursiers, comme les élèves-maîtres du pays, sont logés dans des familles de la localité. Ils se trouvent dans un milieu où ils n’entendent et ne peuvent parier que l’allemand, ce qui est le meilleur, sinon le seul moyen de l’apprendre.

Mais ce ne sera pas le seul avantage de la mesure prise par la Direction de l’enseignement primaire.

Nos jeunes gens vivent dans un pays qui leur était inconnu, ils apprennent à connaître des mœurs et des habitudes toutes nouvelles pour eux. Ils ont l’occasion de voir de près et d’étudier un peuple libre, une nation petite par l’étendue de son territoire et par le chiffre de sa population, mais grande par son passé glorieux et par ses luttes pour l’indépendance de la patrie, habituée depuis longtemps à l’usage de la liberté. Ils compareront les institutions scolaires et politiques des deux pays. Leur horizon s’élargira, leurs idées s’élèveront, ils auront complété leur éducation.

C’est là une initiative heureuse, et on ne peut que féliciter le ministère d’être entré dans cette voie. L’administration supérieure va même faire un pas de plus en 1884, et accorder : également des Bourses de séjour aux élèves les plus méritants. des écoles primaires supérieures.

Nous avons pensé qu’il y aurait peut-être quelque intérêt à placer sous les yeux des lecteurs de la Revue pédagogique les notes que nous avons rapportées d’un récent voyage à Küsnacht.

Le Zürcherisches Lehrer-Seminar de Küsnacht est la quatrième des écoles normales suisses par rang d’ancienneté. Lucerne eut la première en 1318 ; les Grisons la seconde en 1820 ; l’Argovie la troisième en 1823. Celle de Küsnacht date de 1832.

La commune de Küsnacht est située sur les bords du beau lac de Zurich. On y arrive en une demi-heure par le bateau à vapeur qui fait, plusieurs fois par jour, le trajet de Zurich à l’extrémité du lac. C’est un village de 2 à 3,000 habitants, dont les maisons coquettes, aux volets verts, sont éparses au milieu des vergers et des vignes. On sait la propreté des villages suisses. Küsnacht se distingue entre tous par son aspect riant et par le luxe de propreté de ses maisons. Les escaliers, les portes, les planchers soigneusement entretenus, les meubles luisants, les cuisines appétissantes, les rideaux d’un blanc éblouissant témoignent des soins et de l’esprit d’ordre des femmes du pays. Quand on a parcouru les villages de certains départements français, et qu’on les compare aux villages suisses, on fait des rapprochements qui ne sont pas précisément flatteurs pour nous. Les hôtes de l’école normale de Küsnacht en ont été frappés comme tous ceux qui voyagent pour Ja première fois en Suisse, et ils ne manqueront pas de le redire à leur retour en France.

Lors de la création de l’école en 1832, on discuta longuement la double question de savoir si le nouvel établissement serait placé à la campagne ou en ville, et s’il serait organisé en internat (Konvikt) ou si les élèves seraient logés dans des familles. On se prononça en faveur de l’externat et de la campagne. Le premier directeur nommé par le Conseil d’éducation fut un des instituteurs de l’établissement des sourds-muets de Zurich. La nouvelle école prospéra sous sa direction, et le nombre des élèves-maîtres s’éleva rapidement de 30 à 115.

Le mouvement réactionnaire de 1839, qui renversa le gouvernement libéral, faillit emporter l’école. Elle fut réorganisée en 1840, et cette fois sous la forme d’internat. Le directeur fut remplacé. L’enseignement religieux devint la base de toute l’éducation : on lui fit une place beaucoup plus considérable, et on diminua d’autant les programmes de l’enseignement scientifique ; la pédagogie prit un caractère exclusivement pratique ; la littérature allemande et l’enseignement du français devinrent facultatifs ; l’horticulture fat ajoutée au programme.

Cette situation dura aussi longtemps que la réaction politique qui l’avait provoquée. Peu à peu, toutefois, l’internat d’obligatoire devint facultatif. Il n’y avait d’ailleurs que 72 places, et l’école devait recevoir souvent jusqu’à cent élèves pour pourvoir au recrutement. À partir de 1868, les élèves de 1re et de 2e année furent seuls internes, les deux autres divisions logeaient au dehors. Enfin, depuis la nomination du directeur actuel, le Dr Wettstein (1875), l’internat fut complètement supprimé. Les chambres des élèves ont été transformées en classes, salles de dessin, et salles de collections.

Depuis la même époque l’école normale reçoit également des aspirantes-institutrices ; mais le nombre d’élèves-maîtresses n’a jamais dépassé 45. En ce moment il n’y en a que 5 en 4e année, 1 en 3e année, 1 en 1re année. Le nombre des institutrices est très restreint en Suisse, et elles peuvent d’ailleurs se préparer soit dans l’école normale d’institutrices municipale de Zurich, soit dans un autre canton. Si quelques-unes préfèrent Küsnacht, c’est qu’elles y ont droit aux mêmes bourses que les élèves-maîtres.

Ce caractère mixte d’une école normale surprend le visiteur français, qui est habitué aux écoles spéciales, même pour les enfants des écoles primaires. En Suisse, les habitudes sont toutes différentes : la séparation systématique des sexes est considérée comme présentant plus d’inconvénients que d’avantages, et, de fait, on n’a jamais eu à constater à l’école de Küsnacht que la tenue des élèves des deux sexes ne fût pas parfaitement convenable. Il convient d’ailleurs de rappeler que, dans le canton de Zurich, l’instruction est obligatoire de 6 à 15 ans, et que l’immense majorité des écoles primaires sont mixtes ; les enfants ne font leur première communion qu’à 15 ans accomplis ; jeunes gens et jeunes filles fréquentent les mêmes écoles, et se retrouvent à l’école normale, de 15 à 19 ans, pour se préparer avec le même sérieux et le même zèle aux mêmes fonctions.

Tous les élèves habitent dans des familles de cultivateurs, de vignerons, d’artisans, d’instituteurs, de petits propriétaires du village. Les auditeurs français (Hospitanten) sont logés chacun dans une maison différente ; avec trois ou quatre élèves suisses. Ils mangent tous à la même table avec le père, la mère et les enfants, et sont traités comme s’ils étaient de la famille. Le prix de la pension et du logement varie de 12 à 16 francs par semaine, non compris l’éclairage et le blanchissage. Les repas se composent du déjeuner de 7 heures (le traditionnel café au lait suisse), du dîner de midi, du goûter do 5 heures (café au lait), et du souper de 8 heures.

Tous, Suisses et Français, sont libres d’aller et de venir comme ils l’entendent. La direction de l’école veut que cette liberté même devienne pour les élèves un moyen d’éducation. D’ailleurs ils ne sont ni isolés, ni abandonnés à eux-mêmes, comme si l’école se trouvait dans une ville. Ils se rencontrent sans cesse avec leurs professeurs qui habitent la commune ou les environs ; ils sont connus de tous les habitants du pays : et il s’exerce ainsi autour d’eux une surveillance indirecte qui est un frein suffisant pour ceux qui seraient tentés d’abuser de leur liberté. On rendrait immédiatement à sa famille l’élève dont la conduite ne serait pas régulière.

Des bourses (Stipendien) variant de 100 à 800 francs sont accordées à tous les élèves-maîtres.

L’école possède des biens évalués à 226,500 francs. La subvention annuelle du canton s’élève à 104,200 francs, dont 40,000 pour les bourses et 50,000 pour les traitements du personnel enseignant.

Une commission de surveillance de sept membres, élus par le Conseil d’éducation du canton de Zurich, veille à l’exécution des règlements, à la tenue régulière des classes, à la gestion financière de l’école.

Le directeur est chargé, outre ses classes, de la gestion des biens et des finances de l’établissement, et il fournit caution. Il dresse le programme des examens d’admission ; il établit, de concert avec l’assemblée des professeurs de l’école, les programmes des examens de fin d’année ; il adresse un rapport annuel sur la situation morale et financière.

Le comité des professeurs (Lehrerkonvent) forme un rouage important dans l’administration de la maison. Il se réunit, sous la présidence du directeur, au moins quatre fois par an, et, en outre, chaque fois que trois professeurs en font la demande par écrit. Il est consulté sur les modifications à apporter aux programmes d’enseignement, sur la distribution du temps, sur l’emploi des crédits affectés à l’entretien de la maison et à l’acquisition des collections, sur la collation des bourses. Le compte-rendu annuel du directeur est soumis à son examen. Ce comité s’occupe surtout de la tenue, de l’application, des études, des progrès des élèves-maîtres ; il prononce sur l’admission définitive des élèves reçus à titre provisoire, sur leur promotion à une classe supérieure, et sur le certificat d’études des élèves (Abiturienten) qui ont terminé leurs quatre cours. Ce certificat d’études leur est indispensable pour prendre part aux examens du brevet de Primarlehrer (instituteur des écoles primaires élémentaires) et du brevet de Sekundarlehrer (instituteur des écoles primaires supérieures).

Une monographie de l’école vient d’être publiée à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa fondation et de l’Exposition scolaire de Zurich, par un ancien élève de l’école, M. C. Grob, aujourd’hui secrétaire du Conseil d’éducation du canton. Sur un chiffre total de 1,500 élèves formés à Küsnacht, 250 ont obtenu le brevet de Sekundarlehrer. Une cinquantaine de ces derniers ont continué leurs études à l’université de Zurich ou au Polytechnikum fédéral, et sont en ce moment pasteurs, professeurs de gymnase ou d’université, directeurs d’école normale, avocats, médecins, etc. Trois d’entre eux sont arrivés jusqu’aux fonctions les plus élevées dans le gouvernement fédéral, et deux à celles de directeurs de l’éducation dans leur canton. Ce sont là des résultats que l’école de Küsnacht aime à citer. Mais ce dont elle est plus fière encore, et à juste titre, ce sont les générations d’instituteurs qu’elle a préparées pour les écoles primaires.

Ces renseignements nous sont fournis par l’excellente brochure de M. C. Grob. Nous voudrions que les directeurs français pussent faire un travail semblable pour les élèves-maîtres qui ont été formés dans nos écoles normales : origine, profession des parents, postes successifs occupés dans le département ou au dehors, carrière embrassée par ceux qui ont quitté l’enseignement. Ces indications seraient plus utiles encore pour les écoles normales d’institutrices. Avec les documents qu’ils trouveraient à l’inspection académique, nos directeurs et directrices pourraient peut-être reconstituer toute l’histoire de leur école depuis la création jusqu’en 1884. C’est un travail qui leur préparerait plus d’une surprise instructive, tout en montrant que si quelques élèves, pour des raisons diverses, ont suivi d’autres carrières, l’immense majorité est restée fidèle à l’enseignement primaire et s’est dévouée à l’éducation des classes laborieuses.

Les élèves sont reçus à l’école de Küsnacht à l’âge de 15 ans accomplis.

Les examens d’admission ont lieu chaque année, au mois de mars, avant la rentrée de Pâques, commencement de l’année scolaire.

Ces examens sont subis devant le comité des professeurs et la commission de surveillance, et portent sur le programme d’enseignement des écoles primaires supérieures (Sekundarschulen), savoir :

La langue allemande : lecture, explications, grammaire, composition allemande ; la grammaire française : lecture et traduction ; l’arithmétique et la géométrie ; l’histoire et la géographie ; les sciences physiques et naturelles ; le chant ; la calligraphie ; le dessin ; la gymnastique.

« La partie la plus intéressante de l’examen d’admission de mars 1884, auquel j’ai assisté — m’écrit un de nos jeunes boursiers — a été le français. J’ai vu des aspirants lire un morceau, le traduire couramment en allemand, donner sans hésitation les principes généraux de grammaire qu’on leur demandait, capables à peu de chose près de subir pour le français le même examen que nos candidats au brevet pour l’allemand. Ils ont, il est vrai, derrière eux trois années d’études du français dans les écoles primaires supérieures… Je citerai, à titre de curiosité, quelques questions qui montrent comment, par les écoles primaires supérieures, le niveau de l’examen d’admission peut être relevé : Géométrie, l’angle au centre et l’angle inscrit ; Histoire naturelle, les cellules, leur composition, leur multiplication ; Chimie, l’hydrogène ; Physique, le télégraphe, etc., etc. Il n’y a rien là qui ne puisse également être obtenu en France. »

Le personnel enseignant se compose du directeur et de dix professeurs, qui se répartissent les différentes branches de la manière suivante :

1. Sciences physiques et naturelles (le directeur), 20 heures par semaine ;

2. Langue allemande, 20 heures ;

3. Pédagogie, histoire de la religion, latin, 17 heures ;

4. Français, anglais, 20 heures :

5. Mathématiques, 22 heures ;

6. Histoire, géographie, 18 heures ;

7. Chant, violon, 20 heures ;

8. Dessin et écriture, 13 heures ;

9. Piano, 6 heures ;

10. Gymnastique, 8 heures ;

11. Méthodes et procédés d’enseignement, 3 heures.

Ce dernier cours est fait par le directeur de l’école annexe. On voit que le nombre de leçons qui incombent à chaque professeur est considérable. Les six premiers professeurs (y compris le directeur), chargés des matières générales, ont une moyenne de 20 heures de classe par semaine. Le nombre des heures des professeurs spéciaux (dessin, violon, chant, piano, gymnastique) varie de 6 à 20, selon l’importance des branches.

Tout ce personnel enseignant, aussi dévoué que savant, tient les élèves en haleine du matin au soir.

En effet, les classes commencent le matin de 7 à 8 heures, par le latin qui est facultatif.

De 8 heures à midi, et pendant les six jours de la semaine, ont lieu les classes obligatoires pour tous les élèves, avec une pause de dis minutes après chaque heure, ce qui réduit les leçons à 3/4 d’heure ;

De 1 à 2 heures ont lieu les classes facultatives de piano ou d’anglais ;

De 2 à 5 heures et trois fois par semaine de 2 à 6 heures, reprise des classes obligatoires pour tous les élèves ;

De 6 à 7 heures, classes facultatives.

Après une journée aussi remplie, il faut une grande force de volonté, et une énergie dont peut-être quelques élèves sont capables, mais qu’on ne pourrait pas demander à tous, pour se livrer aux études et au travail personnels. Il faut dire que dans ce paisible village de Küsnacht, les élèves ne sont ni dérangés, ni distraits par le bruit du dehors. Mais en été ils doivent résister difficilement le soir au désir de se promener dans cette belle campagne qui encadre le riant lac de Zurich.

Les professeurs donnent d’ailleurs peu de devoirs écrits, un par mois, en moyenne, et pour certaines branches seulement, comme l’allemand, le français, les mathématiques. Mais aussi leur action directe et individuelle sur les élèves est moins fréquente qu’en France. L’élève-maître suisse est plus abandonné à lui-même et à ses propres forces. Il a à un plus haut degré le mérite et la responsabilité de ses actes et de sa conduite.

Les élèves français choisissent dans ces cours ceux qui peuvent leur profiter le plus pour l’étude de l’allemand. Ceux qui ont leur préférence sont, outre les cours de langue allemande :

Les cours de pédagogie, d’histoire des religions, de géographie, d’histoire générale ;

Les cours de science, mais plus rarement ;

Le cours de français de la 4° année ; ce cours est fait en allemand par un professeur qui connaît également bien les deux langues : ces leçons sont très instructives pour nos jeunes gens par les rapprochements que le maître fait sans cesse.

En 1883, avant d’arriver à Küsnacht, nos élèves savaient faire convenablement un thème et une version ; ils avaient de bons commencements théoriques, mais ils ne pouvaient pas parler couramment. Quatre mois après leur entrée à l’école suisse, ils s’exprimaient déjà avec une certaine facilité, et à la fin de l’année scolaire ils seront à peu près maîtres de la langue allemande.

Pendant les premiers mois, ils se contenteraient d’être auditeurs ; mais depuis qu’ils sont plus maîtres de la langue, ils prennent une part plus active aux leçons et aux interrogations, et font des progrès plus rapides.

Voici maintenant le nombre des heures de classe affectées à chaque division et à chaque branche :

Matières obligatoires.
Répartition des matières
1re année
2e année
3e année
4e année
Langue allemande
5
5
5
5
Pédagogie
»
2
2
3
Méthodes et procédés d’enseignement
»
»
»
3
Langue française
4
4
3
3
Mathématiques
5
6
6
5
Sciences physiques et naturelles
4
4
4
4
Manipulations physiques et chimiques
»
»
2
2
Histoire
3
3
3
3
Géographie
2
2
»
2
Chant
2
4
4
4
Violon
2
2
1
1
Dessin
3
3
2
2
Écriture
1
»
»
»
Gymnastique
2
2
2
2




Totaux
33
37
34
39
Matières facultatives.
Répartition des matières
1re année
2e année
3e année
4e année
Histoire de la religion
»
»
2
2
Anglais
2
2
2
»
Latin
2
2
2
»
Piano
2
2
1
1
Dessin (cours supplémentaire)
»
»
1
1




Totaux des heures de classe pour les élèves qui suivent les leçons facultatives
39
43
42
43

En comparant ce tableau à la répartition des leçons établies pour nos écoles normales par l’arrêté du 3 août 1881, nous trouvons que les élèves-maîtres français n’ont en moyenne que 21 heures de classe demandant une préparation (les élèves-maîtresses 17), et 146 heures ne demandant pas de préparation, y compris les travaux horticoles et manuels, soit au total 37 (les élèves-maîtresses 33) ; tandis qu’à Küsnacht le nombre moyen des heures obligatoires est de 36, celui des heures facultatives de 6, soit en tout 42, et les travaux manuels n’y existent pas.

Les leçons de religion sont facultatives ; mais tous les élèves les suivent. Elles n’ont d’ailleurs aucun caractère confessionnel, et, comme l’indique le programme, portent plutôt sur l’histoire de la religion ou mieux encore des religions. Dans l’histoire des religions païennes, le professeur cherche à montrer quelle pensée idéale se dégage des doctrines ou des institutions établies par les fondateurs, et il fait connaître d’une manière plus détaillée les mythologies grecque, germanique et persane. Il cherche à : éveiller l’intérêt de ses auditeurs par la lecture de passages des œuvres des grands écrivains, de l’Iliade, de l’Antigone de Sophocle, de l’Iphigénie de Gœthe, des poésies de Schiller, etc. Pour la religion juive, il se sert des livres historiques et prophétiques de l’Ancien Testament, et, pour la religion de Jésus, des évangiles. Il cherche à amener les élèves à réfléchir sur toutes ces questions, à se pénétrer des vérités reconnues comme telles, et à se faire une conviction raisonnée, plus solidement assise et plus profonde que si elle est imposée.

Le latin est facultatif également. Le professeur divise son enseignement en trois cours. Vingt à trente élèves les suivent régulièrement ; ce sont en majorité ceux qui, à leur sortie de l’école normale, veulent passer une année à l’université de Zurich pour se préparer aux examens de Sekundarlehrer. Pour les admettre à ses cours, le professeur exige qu’ils aient déjà étudié, pendant trois ans au moins, une langue vivante, de préférence le français, et, comme ils ont déjà 35 à 40 heures de classe obligatoire par semaine, il sait qu’il ne peut leur demander beaucoup de temps en dehors de ses leçons. Aussi cherche-t-il à mettre le plus tôt possible un livre de latin entre les mains des élèves, afin de les intéresser à ces lectures, de leur donner le désir de les continuer et d’étudier mieux encore la langue latine, une fois qu’ils sont sortis de l’école et qu’ils ont des loisirs. « Je réduis, me disait-il, la grammaire et la partie philologique de la langue au plus strict nécessaire. Le premier semestre, d’avril à juillet, avec 20 à 25 leçons, me suffit pour l’étude des principales règles des déclinaisons et des conjugaisons, et pour les exercices de thèmes du manuel mis entre les mains des élèves. Dès le second semestre, d’octobre à avril, nous lisons César (au moins un livre), des extraits de Tite-Live, un livre de Virgile. Je fais lire un paragraphe, je le fais expliquer et comprendre, puis je dicte une traduction littérale pour que les élèves puissent s’y retrouver dans leurs études, et je donne ou je fais rappeler les règles grammaticales au fur et à mesure qu’elles se rencontrent dans notre texte. Enlia, le passage essentiel est appris par cœur. »

Si nous entrons dans ces détails, c’est que la question a déjà été soulevée, en France, de l’introduction du latin dans notre enseignement normal, lorsqu’on aura quelque peu allégé d’un autre côté des programmes déjà très chargés.

Le programme des langues allemande et française, de l’histoire et de la géographie, du dessin ne donnent lieu à aucune observation particulière. Mais le cours de mathématiques nous paraît bien chargé ; peut-être est-il trop élevé même pour les élèves-maîtres qui se préparent au brevet des écoles primaires supérieures. Ainsi, le programme recommande de rattacher, à la géométrie des trois premières années, les éléments de la géométrie descriptive et les principales propriétés des sections coniques ; et au programme de la quatrième année figurent « les combinaisons et la théorie du binôme ; les propriétés principales des fonctions entières rationnelles et des équations supérieures, et la trigonométrie sphérique. »

Le chant occupe une place importante (4 heures par semaine) dans le programme. De plus, l’étude du violon est obligatoire. Aucun instrument ne se prête mieux à l’étude de la musique vocale et des morceaux de chant que les instituteurs doivent apprendre à leurs enfants : ses notes n’ont rien de rêche et de désagréable à l’oreille ; il ménage la voix du maître et diminue considérablement la fatigue que celui-ci éprouve si, après avoir fait la classe pendant cinq ou six heures, il veut encore faire chanter ses élèves.

Toutes les personnes qui ont voyagé en Suisse ont rencontré des caravanes d’écoliers et d’écolières conduits par leurs maîtres, qui partaient pour quelque excursion dans les montagnes. Dans les trains de chemin de fer ces joyeuses sociétés d’enfants exécutent des chœurs scolaires chantés à deux ou plusieurs parties avec une justesse, un goût, un sentiment de la mesure et des nuances qui émerveillent leurs compagnons de route.

En Suisse, le chant n’a pas seulement sa place assignée dans emploi du temps des classes ; il fait partie de la vie même de l’école. Au commencement de la classe, sur un signal du maître, les enfants se lèvent, on donne le ton, et ils chantent à deux voix un cantique du matin qui élève leurs cœurs et leurs intelligences, qui fait vibrer le sentiment patriotique, qui monte comme une prière et qui dispose les enfants au travail. À l’issue de Ja classe, c’est un refrain gai, une marche qui termine les leçons, et ramène les enfants à la maison heureux et contents.

Souvent encore les écoles de différentes communes voisines, à l’occasion d’une fête scolaire ou patriotique, ou pour célébrer une des dates mémorables de l’histoire suisse, se donnent rendez-vous à un point central, sur le sommet d’une montagne ou sur les bords d’un lac, et là, sous la direction d’un des instituteurs, plusieurs centaines d’enfants exécutent, avec un entrain et un ensemble admirables, ces chœurs qui chantent le travail, la vertu, les joies de la famille, la patrie et la liberté.

Ce qui est possible en Suisse peut aussi se faire en France. Il suffit que les instituteurs du canton s’entendent pour le choix des morceaux de chant à étudier pendant l’année scolaire. À un jour convenu, au printemps, et pour récompenser leurs enfants du travail de l’hiver, ils remplaceront la classe par une excursion. Chaque élève emportera son déjeuner, car on mangera sur l’herbe avec tous les écoliers de la contrée ; mais, avant et après ce repas champêtre, tous les enfants réunis entonneront les chants scolaires et les hymnes patriotiques appris à l’école.

Je terminerai en disant un mot des examens annuels et des brevets de capacité.

Avant la fin de chaque année scolaire ont lieu les examens de passage de 1re, 2e et 3e année, ainsi que l’examen de sortie des élèves de 4e année, qui les autorise à prendre part aux épreuves pour l’obtention du brevet de capacité.

Les examens du brevet d’instituteur des écoles primaires ont lieu à l’école normale de Küsnacht ; ceux du brevet d’instituteur des écoles primaires supérieures à l’Université de Zurich. Le jury se compose de la commission de surveillance et des professeur de l’école normale ; chacune des sections de ce jury est présidée par un expert désigné par le Conseil d’éducation du canton.

L’examen écrit ne porte que sur la composition allemande, la composition française et les mathématiques. Plusieurs sujets sont présentés au candidat, parmi lesquels il peut choisir les deux qu’il préfère et qu’il aura à traiter sous la surveillance d’un membre du jury.

Neuf sections du jury, de deux membres chacunes, siègent à la fois. L’examen de chaque élève dure un quart d’heure, et chaque candidat sait à quel moment précis, indiqué d’ailleurs par une sonnerie électrique, il doit se présenter devant chacune des sous-commissions.

Voici le programme de ces examens :

INSTITUTEURS DES ÉCOLES PRIMAIRES (Primarlehrer).
INSTITUTEURS DES ÉCOLES PRIMAIRES SUPÉRIEURES (Sekundarlehrer).
I. Pédagogie : Méthode, histoire de la pédagogie, leçon pratique dans une école. I. Psychologie et Pédagogie : Méthodes, en vue surtout des écoles primaires supérieures, deux leçons pratiques, dont l’une devra porter sur l’enseignement d’une langue.
II. Langue allemande : Grammaire, syntaxe et grammaire historique ; style et poésie, exposition orale, notions de littérature, composition. II. Langue allemande : Grammaire, style, poésie ; aperçu de la littérature ancienne et moderne : connaissance plus approfondie des chefs-d’œuvre, exposé oral sur une question donnée, travaux écrits.
III. Langue française : Grammaire, lecture, traduction, conversation, connaissance de quelques œuvres classiques, composition. III. Langue française : Connaissance plus approfondie de la langue française, littérature, connaissance des chefs-d’œuvre des principaux écrivains. Traduction verbale de l’allemand en français, exposé oral, composition.
IV. Histoire : Histoire générale, histoire de la Suisse, histoire de la religion. IV. Histoire : Histoire de la Suisse jusqu’à nos jours, histoire générale, et principalement moderne, histoire de la civilisation, constitution.
V. Mathématiques : Arithmétique, algèbre, géométrie, applications pratiques et arpentage. V. Mathématiques : Analyse algébrique géométrie plane et dans l’espace, éléments de calcul différentiel et intégral, géométrie descriptive.
VI. Sciences physiques et naturelles : Botanique, zoologie, physiologie, chimie, minéralogie et géologie, physique. VI. Sciences et naturelles : Chimie, physique, botanique, zoologie, anatomie et physiologie, minéralogie et géologie.
VII. Géographie : Géographie politique et physique. VII. Cosmographie.
VIII. Musique : Théorie, chant, violon (le piano est facultatif). |valign="top" VIII. Musique : Harmonie, chant, direction du chant.
IX. Dessin : Dessin à main libre et d'après nature au tableau noir, dessin linéaire, présentation de travaux faits. IX. Dessin : Dessin à main libre et d'après nature, dessin industriel, plans à l'échelle.
X. Calligraphie.
XI. Gymnastique et exercices militaires : Adresse physique, connaissances théoriques. XI. Gymnastique et exercices militaires : Adresse physique, gymnastique scolaire, méthode d'enseignement.

Le jury exprime la valeur de chacune des épreuves par les chiffres et les notes suivantes :

1 faible (schwach).
2 insuffisant (ungenügend).
3 passable (genügend).
4 bien (gut).
5 très bien (sehr gut).

Le candidat Primarlehrer dont la note moyenne ne dépasse pas 2 1/2 est ajourné.

Celui dont la moyenne varie entre 2 1/2 et 3 peut subir dans les années suivantes un nouvel examen complémentaire sur les branches pour lesquelles il était resté au-dessous de la moyenne ; mais il devra alors obtenir la moyenne minimum 3 1/2.

Le candidat Sekundarlehrer a besoin de la note moyenne 3 pour obtenir le diplôme. Ceux qui n’ont pas atteint ce chiffre, mais qui ont mérité dans certaines branches la note 5, peuvent obtenir un certificat d’aptitude à l’enseignement de ces branches.

Il est délivré deux diplômes aux candidats qui ont subi tous leurs examens avec succès, savoir :

Le certificat d’éligibilité (Wahlbarkeitsseugniss), qui leur confère le droit d’être élus comme instituteurs par les communes où il y a des postes vacants ;

Le certificat d’examen (Examenseugniss), qui porte l’indication des notes pour chacune des branches des différentes séries.