L’église habillée de feuilles/Notre Père, avant le sommeil et le réveil

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Clairières dans le Ciel (1902-1906)Mercure de France (p. 175-176).

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Notre Père, avant le sommeil et le réveil :
Voici la Vie. Vous seul comprenez ce Mystère
que j’existe, et qu’encore aujourd’hui le Soleil
éclaire tout ce qui se passe sur la Terre.

Me voici. Je ne suis qu’un homme. Je regarde.
C’est Vous qui éclairez la nuit qui est dans mes yeux
et, sans Vous, chaque chose est insane et hagarde.
Mon âme crie. Elle a la nostalgie desCieux.

Je vis et ma vie va vers Vous, ô suprême Être !
Les Ténèbres où Vous Vous cachez m’ont séduit.
Aimez ce voyageur qui, errant sous les hêtres,
préfère à ce qu’il voit ce que cache la Nuit.


… Mais suivre cette route obscure est bien pénible !
Je tâtonne. J’appelle. On ne me répond point.
Dieu ! Que votre silence est profond et terrible !
Ouvrez-moi donc la porte où je heurte du poing ?

Ah ! d’autres trouveront, dans la paix des cellules,
à remplir tout leur cœur avec ce qu’ils n’ont pas,
mais moi j’entends l’appel au fond du crépuscule
de ma passion nue sur son lit de lilas.

Vous avez assigné par des lois très adroites
à cette âme sans frein et déchaînée en moi,
Vous avez assigné des limites étroites
qu’elle ne peut franchir tant que Vous êtes là.

N’aurez-vous pas pitié de votre serviteur ?
Il est blessé. Il gît. Il a soif. La savane
s’étend. Le bon Samaritain, ô mon Sauveur,
ne passera-t-il pas bientôt sous les lianes ?

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi faut-il aussi longtemps,
pourquoi faut-il pour que je puisse Vous aimer
que Vous foudroyiez les fleurs de mon Printemps ?

— Mon fils, l’abricot point déjà dans la ramée.