Aller au contenu

L’électricité dans la ferme/07

La bibliothèque libre.
Librairie agricole de la Maison Rustique (p. 58-60).

CHAPITRE VII
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS

Il résulte de l’ensemble de cette étude, dont certains points ont été souvent présentés sous une forme aride mais déterminée par la nature même du sujet, que dans un avenir prochain l’électricité trouvera de nombreuses applications à la ferme.

C’est précisément pour aller au devant de ces applications que j’ai cru utile de mettre le lecteur au courant de la situation actuelle. Beaucoup de personnes seraient désireuses de se servir de l’électricité, mais sont retardées parce qu’elles ne possèdent pas des données pratiques à ce sujet, données qui ne figurent pas, à notre point de vue spécial, même dans les récents traités de physique ; d’autres, enfin, initiées dans les principes généraux, verront peut-être, d’après les documents qui précèdent, qu’ils pourraient avantageusement introduire l’électricité dans leur exploitation rurale.

En résumé, au point de vue agricole, les deux grandes utilisations de l’électricité sont : la lumière et la transmission de la puissance.

Je ne reviendrai pas sur les avantages que présente l’emploi de la lumière électrique, notamment la lumière par incandescence, dans les fermes où les incendies sont faciles à naître et difficiles à éteindre.

Pour la transmission et la puissance, la question est très importante et peut se diviser en deux groupes qu’on peut appeler les transmissions intra-muros et les transmissions extra-muros.

Les transmissions dans l’intérieur même de la ferme peuvent être très fréquemment employées et avec le plus de succès, étant placées sous la surveillance immédiate du chef.

Dans combien de fermes ne voit-on pas dans un bâtiment fonctionner la machine à vapeur, tandis qu’en même temps, à une faible distance, dans un autre bâtiment, se trouve un homme qui fait mouvoir un tarare, un couperacines, etc., etc. ? Si l’on interroge l’agriculteur sur cet état de choses, il répondra que certainement il vaudrait mieux que la machine à vapeur actionnât le tout, mais qu’il faudrait pour cela installer des arbres de couche souvent très longs, ou des transmissions télodynamiques, des renvois, etc., etc. Ici, dans cet exemple, l’électricité se plie avec une merveilleuse facilité aux différentes dispositions des bâtiments d’une ferme, quelles que soient leurs positions respectives. Il n’y a aucun alignement ou ligne parallèle ou perpendiculaire à observer ; l’organe essentiel de la transmission est un fil, un câble qui passe à l’endroit le plus commode, contre un mur, en l’air, sous terre, etc.

Mais le plus bel emploi de la transmission de la puissance par l’énergie électrique est celui d’une machine génératrice placée à une certaine distance de la ferme, envoyant le courant à un poste central d’où il se bifurquerait, à l’aide de commutateurs, à différentes réceptrices installées soit à poste fixe, soit en locomobiles : à poste fixe dans l’atelier de préparation des aliments du bétail pour le fonctionnement des concasseurs, aplatisseurs, coupe racines, hachepaille ; dans les greniers, pour la mise en marche du tarare et du trieur ; pour la manœuvre des pompes à eau d’alimentation et à purin. Une dynamo pourrait être montée en locomobile, accouplée à la batteuse même pour le battage en plein air et permettrait ainsi à la machine de se rapprocher successivement de chaque meule de gerbes, ou parcourir successivement les différentes travées de la grange.

Ce que je viens de dire n’est donné qu’à titre d’exemple pour faire saisir les nombreuses et variées applications que l’on peut tirer de la transmission de la puissance à l’aide de l’électricité.

Dans toutes ces applications, force ou lumière, il est indispensable de créer ou d’engendrer le fluide électrique et on ne l’obtient industriellement qu’à l’aide des dynamos. L’emploi des piles hydroélectriques n’est pas pratique : le courant qu’elles fournissent revient à un prix trop élevé, et s’il y a un jour une application des piles, ce sera des piles thermo-électriques, c’est-à —dire des appareils formés de différents métaux dont les soudures sont portées à une certaine température ; dans ce genre de générateur il y a la pile Clamond, chauffée au coke comme un véritable calorifère. C’est aux chercheurs à reprendre cette idée qui deprime abord est très séduisante en ce sens qu’elle permettrait de supprimer un intermédiaire coûteux : la machine motrice à vapeur ; l’installation comprendrait alors une pile chauffée directement (comme une chaudière), un circuit et une ou plusieurs réceptrices.

Mais, dans l’état actuel, il est plus économique de se servir d’un moteur à vapeur et à plus forte raison d’une puissance naturelle (moteur hydraulique).

Il ne faudrait pas non plus pousser les choses à l’extrême et installer une machine à vapeur spécialement affectée au service électrique de la ferme : ce qui est avantageux pour les stations et usines centrales dans nos grandes villes, deviendrait ruineux dans nos exploitations rurales.

Au contraire, l’installation électrique trouve sa place naturelle dans les fermes auxquelles est annexée une industrie (distillerie, laiterie, etc.) ; là, la machine à vapeur existe déjà, avec une puissance peut-être plus que suffisante et l’accouplement d’une dynamo sur la transmission est chose généralement facile. Dans cet exemple, il y a deux cas à considérer :

1° La machine à vapeur effectue un travail de jour et de nuit.

2° La machine ne travaille que le jour.

Dans le premier cas, on se contentera seulement d’une dynamo commandant directement le circuit.

Dans le second, lorsqu’il s’agira de l’éclairage électrique, afin d’éviter de chauffer spécialement la machine à cet effet, on emploiera des accumulateurs chargés le jour parla dynamo et déchargés la nuit dans le circuit.

Pour les transmissions à distance, il y a également deux cas à considérer :

1° La machine motrice a une puissance suffisante.

2° Elle a une puissance insuffisante pour le travail que l’on exige à la réceptrice.

Dans le premier cas, le moteur sera directement accouplé avec une génératrice reliée au circuit. La génératrice sera mise en marche au moment voulu.

Dans le second cas, le travail exigé à la ferme étant intermittent, la génératrice marchant continuellement, enverra le courant à une batterie d’accumulateurs qui seront reliés au moment voulu avec le circuit extérieur.

En résumé) les applications de l’électricité à la ferme, puissance et lumière, ne sont possibles que si l’on dispose déjà d’un moteur que l’on n’a pas besoin d’installer ou de faire marcher spécialement pour le service électrique ; elles sont par conséquent encore plus économiques si l’on dispose d’une puissance hydraulique dont le travail revient à meilleur marché que celui fourni par la machine à vapeur.

Un très bel exemple d’installation électrique agricole se rencontre sur le domaine de Noisiel appartenant à MM. Menier. Une des fermes du domaine, la ferme du Buisson, est reliée à l’usine de Noisiel par des câbles qui apportent l’énergie électrique (produite par la chute d’eau de Noisiel) nécessaire à l’éclairage de la ferme et à la mise en marche des machines : deux installations de transmissions sont en usage courant au Buisson :

1° Une machine à battre d’Albaret, locomobile à grand travail, munie d’un appareil lieur, accouplée directement à une dynamo, d’une puissance de 8 chevaux.

2° Une petite dynamo commande l’atelier de manipulation des aliments et actionne un laveur, un élévateur, un coupe-racines, un hache-paille, un concasseur et un aplatisseur.

Dans combien de cas les agriculteurs ne trouveraient-ils pas avantage soit à louer des petits moulins déjà installés (beaucoup de ces moulins sont aujourd’hui à louer à bas prix, abandonnés qu’ils sont par suite de la crise provenant de la substitution des cylindres aux meules), et dans combien de cas ne pourrait-on pas établir une chute d’eau spécialement affectée au service de la ferme ?

On a eu aussi l’idée d’utiliser les moteurs à vent ; mais le problème, qui devient plus complexe, présente moins de chances de succès : il faut, en effet, un intermédiaire entre le moteur à vent et la dynamo ; cette dernière, pour fonctionner dans de bonnes conditions, exigeant un mouvement uniforme[1]. L’installation par moulin à vent comprendrait, en général :

Un moulin à vent actionnant des pompes élevant l’eau dans un réservoir. L’eau du réservoir s’écoulerait pendant un temps donné sur une roue ou un autre moteur hydraulique auquel serait accouplée la dynamo, qui probablement nécessiterait l’emploi d’accumulateurs.

Il y a là trop de machines intermédiaires pour que l’application soit économique, même avec la puissance gratuite du vent ; ainsi, pour fixer les idées, supposons, dans les meilleures conditions de fonctionnement, que les rendements soient :

Pour la pompe, 70 %.
Pour le moteur hydraulique, 80 %.
Pour la transmission et dynamo (rendement électrique), 90 %.
Pour les accumulateurs, 40 %.

Le rendement électrique final serait :

S’il s’agit d’une transmission de puissance, en fixant le rendement de la réceptrice à 50 %, le rendement final serait de .

C’est-à-dire qu’on ne dépasserait pas au maximum 10 % et qu’au contraire il y aurait beaucoup de chances pour obtenir en pratique un rendement bien plus faible qui n’atteindrait peut-être pas 6 à 7 %. Or, faire une installation si compliquée et par suite si coûteuse pour ne recueillir que 7 % du travail utile fourni par le moteur à vent, n’est pas à conseiller, même, comme certaines personnes pensaient le faire, en établissant les moteurs sur le littoral où le vent souffle d’une façon presque continue.

On peut encore examiner la question sous une autre face. Beaucoup d’usines installées en pleine campagne, notamment les sucreries, ont des moteurs à vapeur qui chôment une grande partie de l’année. Pourquoi, après entente avec les agriculteurs compris dans un rayon de 5 à 6 kilomètres, ces usines ne pourraient-elles pas se transformer en usines centrales d’électricité à l’instar de celles établies dans nos villes ? L’usinier et l’agriculteur y trouveraient certes un profit, l’un en utilisant une partie de son matériel, l’autre en ne payant que l’électricité consommée, alors qu’aujourd’hui les compteurs d’électricité sont rentrés dans la pratique courante.

Si nous généralisons, il n’y a pas que les sucreries qui peuvent se transformer en générateurs d’électricité utilisée dans les exploitations agricoles environnantes ; il y a tous les établissements industriels répartis en si grand nombre dans nos campagnes : les filatures, les minoteries, les usines métallurgiques, les fabriques de produits chimiques, les mines, etc., etc. La solution de ce problème aurait une importance sociale et économique de premier ordre, et peut-être est-il réservé à l’Électricité de provoquer le rapprochement intime de l’Industrie et de l’Agriculture et de nous faire assister à l’union fraternelle des travailleurs concourant chacun dans leur sphère d’action au bien-être de la Société.

  1. Plusieurs ingénieurs s’occupent actuellement d’assurer, par un réglage électrique, le mouvement uniforme des moteurs à vent.