L’émancipation de la femme (Daubié)/04/Le vote des femmes en Angleterre

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LE VOTE DES FEMMES EN ANGLETERRE[1]


DISCOURS DE Mme GROTE


Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs,

Une personne avancée en âge et infirme qui vient vous présenter quelques observations peut vous paraître plus téméraire que courageuse ; mais cette cause de progrès est digne d’un effort, devoir de reconnaissance envers notre zélé, notre infatigable et respectable comité et de félicitations pour le succès de notre œuvre. Je puis dire que nous sommes remplies d’espérance, mais, il faut l’avouer, nous n’aurions pas réussi à ce point sans l’assistance chevaleresque des hommes qui nous sont associés. Le sexe le plus fort est venu à notre aide et nous a donné un tel appui que je nous crois en réalité parvenues au but.

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… Jamais je ne me suis engagée dans une cause où mes sentiments fussent plus complétement secondés par ma raison que dans celle-ci. J’ai toujours senti que les arguments contre les franchises des femmes sont si faibles, si bornés, si inefficaces, que je m’étonne qu’on ait jamais pu les mettre en avant. Mais nous avons eu un avocat qui, bien qu’en jupe, a plaidé notre cause, non devant les tribunaux de la justice, mais devant le tribunal du sens commun ; cette plaidoirie, publiée par la Revue de Westminster, développe des arguments d’une clarté, d’une force et d’une étendue qui ne laissent pas prise à la réfutation.

… Nous devons nos remercîments à cet excellent avocat en robe de soie, et sûre que toutes nous accomplirons ce devoir.

Il y a toutefois une branche d’arguments qui a été négligée dans l’excellente plaidoierie à laquelle je fais allusion… Dans votre dernier Bill de Réforme vous avez investi d’un pouvoir représentatif plus étendu les classes ouvrières, qui ne possèdent pas de propriétés et vivent de leur travail ; c’est-à-dire que vous avez augmenté le poids numérique de la représentation ; vous n’avez pas trouvé juste que la propriété fût en possession de tout ce pouvoir, et lorsque vous avez augmenté un côté de la représentation vous ne songez pas à l’accorder pleinement à l’autre ? Je pense que c’est une raison de plus d’accorder aussi les mêmes franchises aux femmes qui occupent la position du citoyen et en supportent les charges ; qui payent l’impôt et ont toutes les responsabilités qui s’attachent à la propriété…

… Je considère la possession des franchises municipales comme un très-grand auxiliaire pour l’acquisition de droits plus étendus et j’en ai l’expérience. (Mme Grote, après avoir cité des exemples à l’appui de son assertion, termine en disant : « Il nous faut avant tout un vote et une conscience libres. »)




DISCOURS DE M. ROBERT ANSTRUTHER, BARONNET, MEMBRE DU PARLEMENT


Madame la Présidente,

… Je demande à relire le sujet de ma motion : « Notre assemblée est d’avis que l’extension des franchises électorales aux femmes tendra à développer parmi elles un sentiment plus vif de leurs devoirs spéciaux de citoyens, et de leur responsabilité générale en ce qui concerne le progrès et les intérêts moraux les plus élevés de la société entière. »

Je suis ici comme un glaneur dans un champ moissonné avec tous les progrès des machines modernes et il me reste peu d’épis à recueillir ; je demande pourtant à dire quelques mots sur l’avantage que notre association poursuit d’abord relativement aux femmes en particulier, et ensuite à la société tout entière.

Le droit de suffrage accroîtra le sentiment de responsabilité de la femme, étendra le cercle de ses intérêts, et lui donnera un accroissement de vigueur pour le développement de ses facultés. Depuis quelque temps, il est vrai, on laisse plus d’initiative à l’énergie des femmes et on leur permet de prendre une part plus grande aux questions sociales ; mais néanmoins, combien y a-t-il de femmes, avec des cœurs généreux, de bonnes dispositions naturelles, du loisir, et souvent de la fortune et de l’influence, dont la vie est remplie par un cercle étroit de prétendus devoirs sérieux et d’intérêts vulgaires ! Quel avantage pour chacune d’être mise en contact avec les besoins réels et pressants qui l’entourent ; d’être habituée à sentir qu’elle doit accepter sa part de responsabilité à l’égard des vices criants qui règnent dans l’Angleterre chrétienne. Je sais qu’on trouve un beau sujet d’argument à demander si les franchises des femmes sont le meilleur moyen d’accroître leur intérêt pour le progrès social ; mais tous, je pense, reconnaîtront que s’il en était ainsi l’avantage serait grand ; nous qui sommes associés dans ce but, nous pensons que les franchises seraient au moins un pas important dans la bonne voie. On peut affirmer que les œuvres de charité donnent un emploi suffisant aux loisirs des femmes ; mais, dans l’exercice de la bienfaisance, il ne suffit pas seulement de donner de l’argent ; l’aumône ne fait que perpétuer le mal qu’elle s’efforce de soulager ; il faut aussi des projets réels et réfléchis pour aider les pauvres à s’aider eux-mêmes ; là surtout se montrerait le bienfait d’une influence près de ceux qui peuvent être les promoteurs d’une réforme. Ceci me conduit naturellement à considérer l’avantage que la société retirerait de l’inscription sur les registres électoraux. Ne pouvons-nous pas raisonnablement supposer que les maux attachés au système d’administration de la loi des pauvres, les crimes, l’ignorance, l’immoralité qui prévalent ne diminueraient pas si des milliers de femmes en Angleterre sentaient qu’elles ont une part directe dans la responsabilité qui tolère ces maux sans chercher à y opposer un frein légal ? Pour moi j’espère que, grâce à notre initiative, l’influence des femmes entrera dans l’administration de la loi des pauvres ; qu’on leur attribuera l’inspection sanitaire des habitations des indigents, ainsi que l’inspection et les réformes légales des prisons et des œuvres de même nature, où elles se montrent supérieurement douées. J’ai aussi en vue, d’une manière plus spéciale, leur bonne influence relativement à l’éducation…

… Sur toutes ces questions les Anglaises ont droit de faire entendre leur voix, et quand on l’écoutera prochainement, j’ose dire en toute confiance qu’elle se prononcera pour l’éducation de nos enfants dans ces larges principes d’enseignement et de morale sur lesquelles toutes les communions chrétiennes sont fondées et qui forment le terrain commun où tous les chrétiens peuvent se rencontrer et agir sans sacrifier un seul principe.

J’espère donner bientôt l’appui plus effectif d’un vote au parlement, à ce Bill qui lui sera soumis dans cette session.



  1. Rapport d’un meeting tenu à Londres par la Société nationale pour le suffrage des femmes.