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L’épluchette/Et bonæ voluntaris

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 63-65).


« Et bonæ voluntatis »

Dans la campagne où demeurait Gros-Jean,

Les habitants n’avaient pour temple
Qu’un édifice humble, uni, par exemple,
Comme leur foi, mais rien de plus touchant.
L’on n’y disait d’abord que messe basse,
Pas de pompe, éclat ni chant,
Car personne n’était de classe
À distinguer le do du ré.
Mais bientôt la nouvelle passe
Au prône du curé
Qu’en visite pastorale
Monseigneur va venir. On dira ce qu’on voudra
Mais ce que cela revira
Les habitants, et cætera,
Pour telle fête capitale,
On n’en a pas le plus léger soupçon :
Nettoyer proprement la place principale,
Décorer chacun sa maison,
Dresser devant le presbytère
Un arc verdoyant
En l’honneur du haut dignitaire ;
Le temple du Saint-Mystère
Aura nouvel air festoyant

Sous son odorante parure
De rameaux, fleurs et verdure.

Puis, monsieur le curé
A préparé
Une adresse de bienvenue.
L’institutrice est venue
Ensuite suggérer
D’avoir une messe chantée,
Ne fut-ce qu’en plein chant.
La chose bien représentée
Passa sur le champ.
On embaucha pour cette circonstance,
Gros-Jean et son ami le maréchal-ferrant ;
Les deux plus belles voix de n’importe quel « rang ».
On leur apprit stance par stance
Alternativement
Pour aller plus rapidement.
Gros-Jean avait un appendice
Nasal un peu fort ;
L’autre tirait d’un orifice
Buccal énorme, une voix de stentor.
L’effet était bizarre :
L’un nasillait,
L’autre tonitruait.
Mais la messe commence avec un entrain rare.
Tout va bien jusqu’au Gloria.
L’officiant préluda,
Puis la maréchal entonna.
Gros-Jean et lui tenaient le même livre.
Vulcain, aux mots : — Et bonæ

Regarde Gros-Jean qui doit suivre,
Et comme il a donné

Ce mot avec un sourire,
Gros-Jean y trouve à redire ;
Il y flaire une allusion
À son organe et dit avec dérision
Lui laissant la place seule :

— Chante tout seul, grosse gueule !