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L’épluchette/Imberbe

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 99-101).


Imberbe

Michel rencontra sur la route
Hier, le père Ladéroute.
Cela faisait bien deux longs mois
Depuis qu’ils s’étaient vus, je crois.
Notre Michel qui d’ordinaire
Était dénué d’embonpoint,
Par son visage mis au point,
Joufflu, d’une rondeur lunaire,
Fut cause que son vieil ami
S’extasia fort sur sa mine :
— Ça fait ben un mois et demi
Que je t’ai vu, je m’imagine ?
Maint’nant t’as l’air résolu,
Plein d’santé, robuste, joufflu !
Tu devrais m’donner ta recette,
Je la mettrais à profit, moi,
Et ça m’ferait pas d’mal, ma foi !
Qu’a ton régime, j’me mette !…
— Eh ben, père, c’est un secret,
Mais à vous j’peux ben l’dire,
Parce que vous êtes discret
Et que d’moi vous n’irez pas rire.
Ben, vous saurez donc que j’avais
À mon dernier voyage en ville

Acheté de quoi, pas mauvais,
Et d’un usage ben facile
Pour faire pousser… devinez ?
Le poil qui nous vient sous l’nez !
J’voulais avoir un’ bell ’moustache,
Et comm’ ça n’venait pas du tout
Je m’mis à penser faut que j’tâche
De m’aider. Je m’donnais un coup
De rasoir trois fois par semaine,
Et même plus souvent que ça.
Les r’cettes que chacun amène,
J’les essayai… tout y passa !
Mais point d’barbe, pas d’moustache.
Ça m’désappointait tout d’bon,
J’vous l’dis et point m’en cache.
Pour en perdre quasi la raison.
C’est alors que j’appris d’Basile
Qu’a vécu longtemps à la ville,
Qu’ils ont d’quoi pour faire pousser
La barbe et comment en user.
J’en achetai donc un’ bouteille.
Or, faut vous dire que ma sœur,
En avait un’ presque pareille
Qui cont’nait un’ sort’ de liqueur
Pour faire profiter le buste.
Je n’sais pas trop, comme de juste
Comment que ça s’fit, mais vl’à
Qu’les étiquettes su’ les bouteilles
Tombèrent. J’l’ai dit, pareilles
Étaient ces bouteilles-là ;

En recollant mon étiquette
J’sais pas comment la chos’ s’est faite,
Mais on s’trompit. C’est une erreur
Qu’a bouleversé ma sœur :
J’ai l’visage rond, qu’c’est suparbe…
Mais Simplice a l’buste plein d’barbe !